La stratégie arabe de la Chine

Mohammed Fadhel TROUDI

Docteur en Droit international, Enseignant-chercheur associé à l’Académie de Géopolitique de Paris. Directeur du Pole Méditerranée (MENA) de l’Observatoire de la Mer noire, du Golfe et de la Méditerranée- OBGMS.

4eme trimestre 2011

  • Napoléon Bonaparte disait : « quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera ».

Plus d’un demi-siècle après la naissance de la Chine populaire, le cours de l’histoire chinoise apparaît aujourd’hui plus stable sans être néanmoins dépourvu d’interrogations. En dépit d’une image ternie notamment par les événements tragiques de 1989 sur la Place Tiananmen, la Chine a pu accélérer la marche de son développement économique et son ouverture sur le monde, no­tamment arabe, renouant ainsi avec son héritage culturel et historique national et une stratégie de pénétration, basée sur le respect mutuel et sur un marché gagnant-gagnant, ce qui peut pro­bablement permettre aux pays arabes de sortir du verrou américain et occidental.

  • Napoléon Bonaparte said, « When China awakes, the world will tremble ».

More than a half a century after the birth of the Peoples Republic of China, the course of Chinese history seems more stable today but not void of numerous interrogations. Despite an image tarnished by the tragic events that tookplace in 1989 at Tiananmen, China has been able to accelerate itspace of economic development and has opened up to the outside world, notably to the Arab world, reignited its cultural and historic tradition and its strategy of penetration based on mutual respect, and a win-win engagement, which willprobably help Arab countries escape American and Western grips.

l’émergence de la Chine comme puissance montante de cette fin du xxe siècle résulte de sa capacité prouvée de faire cohabiter deux traditions, celle de manier à bon escient les ressources que lui offrent la technologie occidentale tout en conso­lidant ses traditions propres tissées depuis des millénaires. La question qui se pose est la suivante : le monde est-il en train d’assister, en même temps qu’à l’émergence inéluctable de la Chine, à un retour vers un monde plus normal, par conséquent moins marqué par une longue et brutale domination européenne ?. Assiste-on à l’affaiblissement de l’impérialisme américain et européen ? La crise économique et financière si grave d’aujourd’hui va-elle dans le même sens qu’un affaiblissement de l’impérialisme mondial, qui pousse toutes les puissances au désespoir en causant des frictions entre elles, chacune cherchant à alléger ses problèmes au dépens de l’autre?

Chacun sait que la domination américaine au Moyen orient représente un argu­ment essentiel pour la réussite de la stratégie mondiale des États-Unis qui souhaite­rait imposer son modèle au monde entier. En effet les États-Unis veulent s’assurer le contrôle des gigantesques ressources pétrolières de la région pour donner à l’Amé­rique les moyens de manipuler l’économie mondiale et par conséquent de limiter, voire de gommer toute concurrence des autres pays développés. Je pense à la Chine, à l’Inde et probablement à la Russie.

Les fondements de la pensée stratégique chinoise

L’apparition de nouveaux acteurs majeurs sur la scène mondiale comme la Chine qui propose une toute autre stratégie d’échanges et de relations basées sur un partenariat d’égal à égal, peut fortement gêner la puissance américaine notamment dans sa quête inlassable de grands espaces et de nouvelles sources de matières pre­mières en tête desquelles les hydrocarbones notamment dans les pays arabes et en Afrique, dans le but de mieux diversifier son approvisionnement.

Sans vouloir verser dans un anti-américanisme primaire, je note que les États-Unis sont aujourd’hui dans l’incapacité de peser sur les grands bouleversements mondiaux. En choisissant souvent la facilité et le court terme dans la conduite de leur politique étrangère, ils ne sont plus aujourd’hui à l’abri de nouveaux concurrents déterminés à repenser les termes du débat stratégique, dans un espace désormais fragmenté.

En somme, ils entretiennent la peur d’un empire somme toute théâtral et d’une expansion narcissique notamment dans le monde arabe. Le résultat désormais consommé se voit dans l’échec de la réalisation de leurs objectifs stratégiques dont l’exemple irakien et afghan en est l’illustration parfaite. L’apparition d’acteurs ma­jeurs sur la scène mondiale que les États-Unis sont incapables de contrôler, particu­lièrement la Chine, est de nature à compliquer davantage une tâche déjà complexe pour les Américains. Cette situation ouvre un boulevard pour la Chine, puissance montante, qui semble décidée à utiliser tous les moyens en sa possession pour jouer à fond sa chance. Loin de toute arrogance ou d’imposition de ses vues par la force, la Chine propose particulièrement aux Africains et aux Arabes, une politique alternative basée sur le respect mutuel et un marché de gagnant-gagnant, ce qui permettra pro­bablement à ses pays de sortir quelque peu du verrou impérialiste américain.

Il est opportun de signaler à titre d’exemple la réussite du rapprochement entre la Chine et l’Amérique latine, qui peut servir d’exemple à reproduire dans le monde arabe. En effet, l’Amérique latine trouve dans le commerce avec Pékin, un marché parfaitement en état de recevoir ses produits. La Chine importe du Brésil des quan­tités importantes de produits extraits du soja. De son côté le Venezuela de Chavez, a négocié avec la Colombie pour construire un oléoduc vers le pacifique. Cette pla­teforme a pu accroître les exportations pétrolières de Caracas vers la Chine, privant ainsi les États-Unis d’une manne dont elle en a tant besoin surtout que l’Amérique dépend du Venezuela à hauteur de 14% de leur importation en pétrole. Cet exemple de rapprochement réussi sino latin, est-il en cours de se reproduire au Moyen-Orient et au Maghreb ?

Le rapprochement entre la Chine et le monde arabe semble constituer une opportunité stratégique pour les deux parties, même si l’un des deux partenaires a pris plusieurs longueurs d’avance sur l’autre. En effet si la Chine semble aller de l’avant, le monde arabe donne encore au monde l’image d’une région divisée, sans aucun dessin politique et stratégique commun, incapable de s’unir autour de thèmes d’importance majeure susceptibles d’engager l’avenir des peuples de la région. Toutefois, les printemps arabes déclenchés par la révolution tunisienne et égyptienne, permettent d’espérer un retournement de situation et la mise en place de politiques économiques plus en phase avec les aspirations des peuples arabes. La Tunisie puis l’Égypte, le Yémen et la Syrie, dans l’attente que d’autres pays du monde arabe ne connaissent à leur tour des bouleversements profonds capables de bouleverser non seulement le monde arabe, mais aussi les relations qu’il entretient avec le reste du monde, notamment la Chine

En quoi, la Chine peut-elle tirer profit de cette nouvelle donne arabe? En tant que grande puissance, la Chine suit la situation de très près, même si elle se refuse à la commenter. En effet la possible onde de choc des évènements dans le monde arabe fait craindre aux dirigeants chinois le risque d’une contagion, pourtant peu probable, à la Chine. Comment va-t-elle se comporter ? Jusqu’à quel point les troubles qui secouent le monde arabe, peuvent-ils peser sur la situation interne de ce grand pays, sachant que ce type d’évènements est toujours traité avec une grande prudence, et le plus souvent assimilé à une forme de chaos dont il faut se méfier.? Autant de ques­tions que ce travail se propose d’y apporter une esquisse de réponses.

Pour bien comprendre la politique chinoise envers le monde arabe, il est op­portun de rappeler les fondements notamment intellectuels de la pensée stratégique chinoise qui dicte la nature et le contenu de sa politique étrangère. Il faut admettre que l’espace stratégique mondial considéré jusqu’alors comme unique, et homogène, est probablement en passe de laisser la place à un espace fragmenté. Qu’il s’agisse de l’Amérique latine ou de la Chine, des puissances dites émergentes concurrencent sur le terrain politique et économique, des puissances jadis bien établies. Parmi ces nouveaux acteurs menaçant l’hégémonie stratégique américaine, la Chine se place en bonne position. Cette dernière a en effet décidé de projeter en dehors de son environnement immédiat, sa vision du monde partant des fondements de sa pensée stratégique.

Une des bases de la stratégie chinoise est qu’elle s’inscrit presque toujours dans le long terme et cherche avant tout à influer sur les tendances lourdes. Elle ne se construit pas dans la précipitation et par conséquent s’inscrit dans la durée, tenant compte à la fois de l’environnement et des stratégies des concurrents directs. Elle s’appuie sur des comportements inébranlables, celui de l’écoute, l’absence de préjugé et d’arrogance et enfin la disponibilité et la capacité de s’adapter à toutes les circonstances extérieures. En somme ce premier fondement de la politique étrangère chinoise peut être résumé en une phrase: moduler la situation, ne surtout pas la forcer.

Le deuxième fondement de la stratégie chinoise, s’appuie sur une conception nuancée du monde contrairement à la vision occidentale qui adopte souvent une approche plutôt dualiste et cartésienne du monde. La conception chinoise du monde influant largement sur sa stratégie se résume en un mot « le softpower ». Si le hard power se réfère à l’utilisation des outils traditionnels mis à la disposition d’un État à savoir la coercition, en brandissant la menace de représailles militaires, ou encore l’incitation économique et financière, à l’opposé le soft power fait appel à l’habilité pour un État d’obtenir ce qu’il désire par le pouvoir d’attraction du rayonnement de sa culture et de sa civilisation, de sa conception des relations in­ternationales et plus particulièrement de sa diplomatie. Il a pour effet de propulser l’État ou la puissance en question sur la scène mondiale et d’attirer l’attention des autres acteurs sur la spécificité d’un acteur donné.

La Chine a misé sur le soft power dont l’objectif est moins d’imposer un système ou une manière de voir que d’influencer imperceptiblement ses partenaires à travers le monde. Ce qui m’amène à penser que la Chine tout en utilisant la puissance de son économie, s’appuie aussi sur ce mécanisme du soft power, mettant en avant la force de sa culture plurimillénaire et sa population, deux vecteurs essentiels aujourd’hui de sa puissance politique et économique. La multiplication des instituts Confucius1 à travers le monde en est l’exemple parfait du rayonnement culturel de la Chine.

La politique de la main tendue tout en souplesse avec des acteurs partenaires, semble être d’une grande efficacité dans le Tiers-monde, particulièrement en Afrique et depuis un certain temps dans le monde arabe. Il faut rappeler que la Chine se considère d’abord comme un pays du Sud, ayant opté pour une vision sin­gulièrement différente des autres puissances, basée sur l’écoute et la non- ingérence pour se rapprocher de nouveaux partenaires et gagner leur confiance. Cette phrase prononcée par le président nigérian Olusegun Obasanjo lors du dîner officiel of­fert en avril 2006 au Président Hu Jintao, en dit long sur le charme qu’exerce en permanence la Chine sur ses partenaires africains : « Nous souhaitons un jour que la Chine dirigera le monde, et quand ce sera le cas, nous voulons être juste derrière vous ». Le grand stratège chinois Sun Tzu, auteur du premier traité de stratégie militaire écrit au monde « stratégie militaire du maître sun », dans lequel, il développe des thèses originales s’inspirant de l’ancienne philosophie chinoise. Il disait, pour en citer un exemple, que les guerres sont de mauvais augures, car le vainqueur sera haï par le vaincu et ses ressources seront d’autant plus difficiles à exploiter sur la durée. La Chine semble avoir retenu cette leçon dans sa relation avec les pays du Sud, plus que toutes autres puissances du moment, États-Unis en tête.

La diplomatie chinoise dans le monde arabe s’inscrit dans la droite ligne de la politique extérieure de l’empire du milieu, énoncée pour la première fois en 1953 par celui qui était le ministre des affaires étrangères Chou En-Laï. Quelques prin­cipes majeurs fondent la nouvelle diplomatie chinoise dans le monde arabe : respect mutuel, non-agression, non- ingérence dans les affaires internes, relations basées sur l’égalité et les bénéfices mutuels et la coexistence pacifique.

Le multilatéralisme chinois en dehors de l’Asie

Très tôt, lors de la conférence de Bandung en 1955 et dans l’euphorie révolu­tionnaire, la République populaire de Chine a manifesté un intérêt certain pour l’Afrique et le monde arabe, ce qu’on désignait à cette période par le Tiers-monde. Une trentaine de pays qui pour la plupart venaient d’accéder à l’indépendance, comptaient désormais peser sur la politique internationale. C’est l’économiste et le démographe Alfred Sauvy qui est à l’origine de l’expression «Tiers Monde ». En effet dans un article publié dans le Nouvel Observateur en 1952, il désigne pour la première fois ses pays nouvellement libres sous le terme de Tiers Monde, en allusion au Tiers État qui avait provoqué la Révolution française2. L’on peut lire à Alfred Sauvy notamment ce passage : « car enfin, ce tiers monde ignoré, exploité, méprisé comme le tiers État, veut lui aussi, être quelques chose ».

Trois acteurs vont organiser la philosophie tiers-mondiste : l’indien Jawaharlal Nehru, successeur et héritier du Mahatma Gandhi veut mettre en avant la néces­sité d’une union et d’une lutte par des moyens pacifiques, l’égyptien Gamal Abdel Nasser, qui symbolise le nationalisme arabe et Zhou Enlai, premier ministre chinois qui, fort du prestige et de la puissance numérique de la Chine populaire, voulait lui donner l’image d’un pays qui soutient les luttes contre toute forme d’impérialisme dans le monde. Ils se définissent contre les essais nucléaires, la politique des blocs, et le colonialisme. La Conférence de Bandung se tient du 18 au 24 avril 1955 et re­groupe 29 pays (15 asiatiques, 9 du Moyen-Orient et 5 africains). L’Afghanistan, la Birmanie, le Cambodge, le Ceylan (l’actuel Sri Lanka), la République populaire de Chine, l’Inde, l’Indonésie, le Japon, le Laos, le Népal, le Pakistan, les Philippines, le Siam (l’actuelle Thaïlande), la République Démocratique du Vietnam (Nord Vietnam),La République du Vietnam (Sud Vietnam) l’Arabie saoudite, l’Égypte, l’Iran, l’Irak, la Jordanie, le Liban, la Syrie, la Turquie, le Yémen la Côte-de-l’Or (l’actuel Ghana), l’Éthiopie, le Libéria, le Soudan et la Libye. La République po­pulaire de Chine a été également membre pendant un temps du mouvement des non-alignés crée suite à la déclaration de la Havane en 1949. Son but est d’assurer : l’indépendance nationale, la souveraineté, l’intégrité territoriale et la sécurité des pays non alignés dans leur lutte contre l’impérialisme, le colonialisme, le néo-co­lonialisme, la ségrégation, le racisme, le sionisme, et toute forme d’agression étran­gère, d’occupation, de domination, d’interférence ou d’hégémonie de la part des grandes puissances ou des blocs politique.

La Chine a été le premier pays non arabe à reconnaître le gouvernement pro­visoire d’Algérie, créé en septembre 1958. Si après la mort de Mao Zedong, la présence chinoise en Afrique est devenue plus discrète, se limitant à certains inves­tissements ciblés comme au Bénin, la Chine a rapidement repris une politique de rapprochement avec les pays africains et arabes, comme en témoigne son intérêt pour l’Égypte et l’Algérie et récemment pour le Maroc. En effet la Chine considère l’arabisme comme une variante du tiers-mondisme, il est également l’expression de la lutte des classes et ses partisans les plus acharnés se plaçaient dans son camp.

Depuis toujours, fidèle à sa stratégie de petits pas, la diplomatie chinoise est fondée sur le principe du développement pacifique, orientation confirmée après l’accession au pouvoir de Hu Jintao en 2002. Tout en privilégiant des relations harmonieuses et stables avec ses voisins asiatiques, la Chine, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, aujourd’hui première puissance démographique et deuxième puissance économique mondiale, cherche à se placer sur un pied d’éga­lité avec les autres grandes puissances mondiales qu’il s’agisse des États-Unis, de la Russie ou de l’Union européenne. Ce faisant, Pékin développe sa présence éco­nomique via des partenariats solides avec les pays du Sud notamment en Afrique et dans le monde arabe. La politique chinoise est une politique caractérisée par des évolutions en petites touches, l’objectif étant de défendre les intérêts du pays notamment l’accès aux hydrocarbures sur le long terme. Pékin défend ses intérêts vitaux sous le couvert de la solidarité avec les pays du Sud et profite de sa puissance pour réaliser ses desseins stratégiques au risque souvent de créer le ressentiment et de faire peur.

Le développement économique de la chine et son appétit insatiable en pétrole, lui imposent de redéployer sa diplomatie afin de s’assurer des disponibilités en matières premières, ce qui pousse aujourd’hui le pays à se tourner vers l’Afrique, l’Amérique latine et le monde arabe. La pénétration chinoise en Afrique est à cet égard emblématique et surtout à contre-courant de la stratégie européenne et amé­ricaine, puisque pékin par altruisme ne conditionne jamais son aide et ses investis­sements souvent colossaux à un quelconque critère politique. Il faut signaler que les principaux partenariats noués par la chine, en dehors de l’Asie orientale, se fondent sur des coopérations économiques ou militaires ciblées avec des partenaires fine­ment choisis. Dans le cas du monde arabe, particulièrement au Moyen-Orient, la chine a signé des partenariats surtout avec l’Arabie saoudite grand producteur et exportateur du pétrole et l’Iran dont les relations sont excellentes. En ce qui est de l’Afrique, les liens sont étroits avec des pays comme l’Afrique du sud et le Zimbabwe, deux pays richement dotés en matières premières et qui n’oublient pas le soutien de pékin dans la lutte contre l’apartheid et plus largement dans leur lutte contre la colonisation britannique. La chine a également beaucoup investi dans trois pays producteurs de pétrole, notamment au Nigeria en Angola et au soudan. S’agissant de ce dernier, Pékin y a fortement investi dans l’exploitation et dans le raffinage du pétrole, mettant une sourdine sur le conflit de la province du Darfour, considérant la question comme une affaire interne au soudan, ce qui ne l’a pas em­pêchée d’envoyer une force multinationale d’interposition dans la province. Mais qu’en est-il de son action en direction du monde arabe ?

La chine et le monde arabe, des intérêts partagés

La politique étrangère de la chine repose sur les principes généraux stipulés par le paragraphe 12 de la constitution chinoise : rôle de locomotive de la chine pour les pays du tiers-monde ; non-ingérence dans les affaires intérieures des États ; coo­pération bilatérale et multilatérale mutuellement avantageuse, c’est le principe de développement pacifique, qui a été confirmé en 2002 par l’arrivée au sommet de la chine de M. Hu Jintao. La diplomatie chinoise poursuit quelques objectifs majeurs, en tête desquels se trouve le développement économique du pays, ce qui vient en soutien au deuxième objectif, celui de la consolidation de son statut de grande puissance émergente. On peut en citer un troisième et non des moindres, celui d’assurer la pérennité du régime communiste au pouvoir, probablement l’objectif prioritaire aujourd’hui. en effet l’effondrement de l’union soviétique, a persuadé les différents dirigeants communistes chinois, de Deng Xiaoping à ses successeurs, Jiang Zemin puis Hu Jintao, aujourd’hui, de poursuivre non seulement les réformes et le développement du pays mais d’accélérer son intégration à l’économie mon­diale, considérée comme une condition sine qua non à l’accès au statut de puissance à la fois politique et militaire. Bastion de la plus grande révolution communiste survenue dans le tiers monde, et lieu de ressourcement de nombreux espoirs révo­lutionnaires, la chine accélère son développement économique et son ouverture au monde extérieur, tout en renouant avec son riche héritage culturel et historique na­tional, ce faisant elle est probablement en train de réussir une action de réforme en profondeur de la société internationale. En renforçant sa diplomatie économique et ses échanges culturels avec le monde extérieur, la chine considère en effet que le contexte international est favorable à la réalisation de ces objectifs si interdépen­dants. Dans ces conditions perçues comme propices et favorables aux opportunités stratégiques, la chine marque sa volonté non seulement de prendre part au nouvel ordre international qui se profile mais surtout de le façonner et l’adapter à ses in­térêts vitaux tout en en évitant de heurter frontalement les États-Unis.L’action de pékin à l’extérieur se présente désormais comme la diplomatie d’un nouvel ordre mondial, mettant en avant la nécessité de promouvoir une approche nouvelle des relations internationales, basée sur la justice et la raison dans la conduite des affaires du monde. en somme aider à sortir d’un monde unipolaire rendu possible par l’éclatement de l’union soviétique et favoriser la promotion d’un multilatéralisme effectif, enjeu majeur de ce début du xxie siècle. La vocation à l’hégémonie de la chine qui n’est pas que symbolique, est en passe de se transformer en aspiration à la domination territoriale et politique de certaines zones stratégiques dont le monde arabe fait partie intégrante. À la fin des années soixante dix, la diplomatie chinoise jusqu’àlors teintée de coopération militante sur fond d’idéologie tiers-mondiste, est rapidement passée à une nouvelle approche diplomatique marquée par le réalisme et le pragmatisme dans ses rapports avec les pays arabes et africains. Deux questions essentielles attendent des réponses : comment la Chine influence t’elle le monde arabe et comment ce dernier peut l’influencer en retour après les printemps arabes qui vont sans dire inquièter le pouvoir communiste chinois ?

Depuis le 8ème congrès du P.C.C. en 1956, la république populaire de chine s’est lancée dans une politique d’ouverture bien au delà de sa zone d’influence régionale, notamment vers l’Amérique latine, et particulièrement l’Afrique à qui l’empire du milieu consacre plus de 40 % de son aide extérieure et une partie du monde arabe. Cette nouvelle phase politique l’a obligée à dessiner une stratégie chinoise pour le tiers monde, avec pour enjeu de taille, la satisfaction de ses besoins grandissants en matières premières et contre balancer autant que faire se peut la puissance amé­ricaine sans véritablement entrer en confrontation directe avec les États-Unis. Si en Asie, la stratégie de pékin se résume à une équation simple à savoir : s’imposer comme la première puissance face au japon, son concurrent direct, ce qui peut donner à la politique asiatique de la chine une connotation impériale, qu’en est-il de sa politique arabe ?

Depuis la décennie quatre vingt, Pékin a instauré un partenariat solide avec le monde arabe. Dans une de ses interventions, l’ancien ambassadeur chinois au Maroc, Cheng Tao, a clairement dévoilé les atouts et les arcanes de la politique étrangère de la Chine dans cette partie du monde. C’est une politique basée sur le respect mutuel de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et tout particulièrement, sur le bénéfice réciproque « gagnant-gagnant » ou « win-win », déclara- t-il.

Tout comme sa politique africaine, l’action de Pékin au Maghreb et au Moyen-Orient se résume à une politique d’occupation de terrain via des partenariats et des forums économiques. Un des constats stratégiques parfaitement intégrés par la diplomatie pékinoise, est que la Méditerranée est un lieu de présence des puissances du moment, la Chine est par conséquent consciente de la nécessité d’intégrer cet espace. Parallèlement, certains pays arabes cherchent à diversifier leurs relations en s’ouvrant à de nouveaux acteurs émergents, cherchant ainsi à sortir du suivisme économique et politique qui a jusqu’à présent caractérisé leurs rapports avec l’Occi­dent en général et les États-Unis en particulier. Ces tentatives menées par les Etats arabes ont permis de densifier leurs relations avec un ensemble de pays désigné par les quatre lettres « BRIC », en l’occurrence Brésil, Chine, Inde et Russie. Ce rapprochement s’est opéré dans le cadre d’un mouvement Sud-Sud, mené par des pays d’Amérique du sud, notamment le Brésil et des pays nord-africains principa­lement l’Algérie et des pays arabes du Moyen-Orient, avec le soutien de la Chine et la Russie. Ce désir des pays arabes de développer des politiques étrangères multi-directionnelles et de diversifier leurs rapports commerciaux internationaux, n’a pas échappé à la vigilance de Pékin qui s’intéresse d’autant plus au monde arabe, que les derniers bouleversements de cette partie du monde inquiètent la Chine.

Aujourd’hui, celle-ci figure parmi les premiers partenaires commerciaux de nombreux pays maghrébins notamment l’Algérie dont la RPC est le sixième four­nisseur. La pénétration chinoise du marché maghrébin est réelle, aujourd’hui nom­breuses sont les entreprises chinoises dans le bâtiment ou encore dans la téléphonie, qui sont devenues de véritables rivales des groupes occidentaux notamment français comme Dumez ou encore Bouygues. La Chine multiplie depuis quelques temps la construction d’infrastructure, secteur dans lequel les compétences et le savoir-faire chinois sont indiscutables. La Chine a entamé un large redéploiement des activités de ses grands groupes industriels vers l’Afrique du Nord principalement dans le textile, l’électronique et l’alimentaire, lui permettant ainsi d’occuper le terrain et de promouvoir ses produits. La présence économique et le développement commercial avec ces pays semblent être les deux piliers du projet socialiste chinois, en somme le business, ce qui est pour le moins paradoxal car c’est un mode de pensée que Mao n’aurait jamais imaginé.

En effet, la priorité de Pékin, n’est plus celle de Mao à savoir unifier le Tiers monde sous la bannière du socialisme chinois. Désormais, la Chine est avant tout en quête de stabilité par et pour la croissance économique, dans laquelle le monde arabe est appelé à jouer un rôle majeur. C’est partant d’un activisme diplomatique très dense notamment en direction du Maghreb et surtout du Proche et Moyen-Orient, tentant par là même un certain contrôle de l’islam mondial.

Au Maghreb, la Chine joue de tout son poids pour tirer profit des relations plutôt solides avec les pays du Maghreb comme avec le reste du monde arabe no­tamment avec les palestiniens. Elle est par conséquent dans une position favorable pour tisser des liens solides, partant d’un fort capital de sympathie et de confiance accumulé dans les cinq dernières décennies.

Le regard du monde arabe envers la Chine se résume en deux idées phares : la Chine à l’OMC peut infléchir le commerce mondial vers plus d’équité et de justice économique et permettre au monde arabe de bénéficier d’une meilleure chance en termes d’investissements internationaux. C’est du moins ce qu’attend le monde arabe de la Chine. En effet la montée en puissance de celle ci et son entrée à l’OMC en 2001 a entraîné une réorientation radicale des flux commerciaux internationaux. Les pays du Maghreb n’ont pas été épargnés des effets de la montée en puissance de la Chine. Un pays comme le Maroc a ressenti les effets sur certains secteurs d’activité comme le textile et l’habillement. Certaines analyses économiques ma­rocaines font état d’un déficit commercial important dans les relations de la Chine avec Rabat. En effet, si Pékin est devenu en l’espace de quelques années le troisième fournisseur du Maroc, la Chine n’est néanmoins que son 18ème client

Le Maroc travaille à des relations plus équilibrées avec la Chine sur la base d’un véritable partenariat et il se place dans les priorités de la politique extérieure chinoise. Partant de sa position géographique, espace d’intérêt commun entre l’Afrique et la Chine, le Maroc veut jouer pleinement la carte de la profondeur stratégique que représente pour ce pays l’Afrique et dont on connaît son impor­tance aujourd’hui pour Pékin. Il cherche à faire valoir sa position de concentrateur commercial et financier régional, au carrefour des marchés européen, américain, africain et arabe, très attractif pour les entreprises chinoises.

Le but recherché pour le Maroc est de s’associer à la dynamique conquérante des entreprises chinoises sur le continent et passer ainsi d’un cadre concurrentiel à un cadre partenarial. Parallèlement, Pékin veut faire du Maroc une plate-forme pour leurs exportations vers l’Europe et les États-Unis. La déclaration d’un chef d’une délégation d’hommes d’affaires chinois représentant la province de Zhejiang lors d’un déplacement au Maroc est à cet égard signifiante : « nous examinons avec les responsables de la région la possibilité de créer des usines comme on l’a fait dans d’autres pays. Nous manquons de ressources naturelles, mais nous avons des ressources humaines dynamiques et qualifiées ». Il est vrai que la position géographique stratégique et la nature de son système politique très particulier, offrent des atouts majeurs à la pénétration chinoise, même si les récents printemps arabes viennent compliquer quelque peu la stratégie arabe de la Chine, idée que je développerai à la fin de cet article. Développer la connaissance mutuelle des deux nations et rapprocher cultu-rellement les peuples du Sud, figurent parmi les fondements de la politique étran­gère chinoise et un pilier de sa stratégie d’approche, qui lui permet d’une année à l’autre d’alimenter sa croissance très souvent à deux chiffres, plaçant officiellement ce pays désormais au deuxième rang d’économie mondiale, devant le Japon mais derrière les États-Unis, au moins pour le moment. Voulant consolider cette straté­gie de pénétration en douceur dans le monde arabe, la Chine a lancé une chaîne de télévision en langue arabe qui diffuse depuis le 25 juillet 2009 des programmes 24 heures sur 24 à destination de 22 pays arabophones, soit près de 300 millions de téléspectateurs potentiels.

L’ambition de ce projet d’après l’autorité de la chaîne, représentée par Zhang Changming, vice-président de CCTV est de montrer la « vraie » Chine aux pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Elle s’inscrit dans la volonté du gouvernement chinois de promouvoir sa vision pluraliste du monde en en­courageant ses médias à agir en occupant l’espace médiatique mondial. Outre l’aspect culturel et l’échange inter-civilisationnel, qui est certes présent dans l’approche chinoise du monde, la stratégie arabe de la Chine reste dominée par des considérations économiques majeures au centre desquelles le dévelop­pement de la Chine et l’accès aux hydrocarbures occupent une place de choix3.

La diplomatie énergétique est au centre de la stratégie arabe de la Chine

Outre l’Afrique noire, qui abrite près de 10 % des réserves mondiales en pétrole et en assure 11 % de la production mondiale, offrant à la Chine une possibilité de choix pour diversifier ses approvisionnements, l’Algérie, la Libye et bien évidem­ment l’Arabie saoudite et l’Iran sont des partenaires stratégiques pour Pékin. Le développement de la Chine et son besoin insatiable en hydrocarbures, ont entraîné un rapprochement remarqué avec les pays arabes exportateurs de pétrole, la chine mène une stratégie d’accès au pétrole au centre duquel les liens avec l’Arabie saou­dite et accessoirement l’Algérie sont capitaux, ce qui n’a pas manqué de créer un bouleversement géopolitique, poussant les États-Unis à contrôler de près la pénétra­tion chinoise dans ces pays comme ils ont tenté de contrôler la pénétration chinoise en Afrique. En effet Pékin considère son approvisionnement en pétrole comme une question de sécurité nationale

Depuis 1995, la Chine n’est plus autonome, devenant rapidement par la ra­pidité de son développement industriel, un pays importateur net de pétrole, par conséquent largement dépendant des zones d’approvisionnement, notamment du Moyen-Orient. Cette situation de dépendance énergétique, est devenue rapide­ment concevable pour les dirigeants chinois au regard du rôle mondial qu’entend tenir la Chine. Jusqu’en 1990, Pékin s’approvisionnait en matières énergétiques essentiellement auprès de l’Indonésie, du sultanat d’Oman et d’Iran. La diversifica­tion des fournisseurs est devenue une priorité nationale à cause de l’augmentation de la consommation de la Chine et de la raréfaction des réserves de l’Indonésie. Aujourd’hui, la Chine est devenue le deuxième importateur de pétrole d’Afrique, après les États-Unis. L’Afrique représente 25 % de l’approvisionnement pétrolier de la Chine, contre 15 % au milieu de la décennie 1980. Il serait par conséquent intéressant de s’interroger sur les conséquences géopolitiques évidentes de ce rap­prochement chinois avec les pays arabes les plus riches en pétrole et sur les risques que cela fait courir à la stratégie globale des États-Unis dans cette partie du monde.

Les bonnes relations entre la Chine et l’Algérie sont à cet égard très significa­tives. Ces relations très cordiales ont permis d’établir des liens commerciaux et tech­niques avec le (CSCEC), numéro un du BTP chinois qui concurrence les groupes occidentaux notamment français et remporte fréquemment des contrats publics. Aujourd’hui, la Chine se présente comme le septième fournisseur de l’Algérie. A titre d’exemple la Sinopec4 a signé en 2002 un contrat de 420 millions d’euros pour développer le gisement de Zarzaitine au Sahara. Une autre société chinoise, la China National Oil and Gas Exploration doit également construire une raffinerie dans le désert algérien, près d’Adrar.

Ces relations qui se sont bonifiées avec le temps, remontent à la fin des années cinquante, avec le soutien politique et militaire apporté par la Chine nouvelle aux revendications algériennes de libération nationale, qui s’est traduit par la reconnaissance du gouvernement provisoire comme l’unique représentant du peuple algérien. Il faut rappeler ici, que la Chine était le premier pays hors du monde arabe à reconnaître officiellement, le premier gouvernement provisoire algérien en 1958. Parallèlement, la Chine reste reconnaissante envers l’Algérie, qui dès le début de l’indépendance algérienne, n’a cessé de soutenir fermement la réunification et l’intégrité territoriale chinoises. La convergence entre les deux pays notamment sur les questions internationales les plus importantes, a facilité leur rapprochement, qui s’est traduit par un partenariat stratégique entre les deux pays, signé à Beijing en novembre 2006.

Si l’on prend en compte les statistiques officielles tant algérienne que chinoise, le volume d’échanges commerciaux entre les deux pays a totalisé 3,828 milliards de USD en 2007 et est en nette progression depuis. D’un autre côté, les exportations de l’Algérie envers la Chine ont atteint 1,140 milliards USD (+696 % par rapport à 2006), tandis que ses importations étaient de 2,688 milliards USD (+38 %).

En 2002, la Sinopec a signé un contrat pour développer le gisement de Zarzaïtine au Sahara, pour 420 millions d’euros. Le gisement doit fournir entre 1,3 millions et 2,5 millions de tonnes de pétrole par an à la Chine. Une autre société chinoise, la China National Oil and Gas Exploration, a construit une raffinerie à Adrar, dans le désert algérien. Le volume des échanges a dépassé les 4 milliards de dollars US fin 2008 et a avoisiné les 5 milliards de dollars US à la fin de 2009. Alger occupe une place particulière dans l’histoire de la coopération sino-africaine, étant un des rares pays africains à avoir obtenu son indépendance par une dure lutte armée, cet élément a d’emblée resserré les liens entre Alger et Pékin. Pays producteur de pétrole, l’Algérie a rejoint le rang des pays fournisseurs de la Chine. Le partenariat stratégique entre les deux pays, perçu comme un modèle de coopération Sud-Sud, n’a cessé de se consolider. La Chine est déjà dans le top dix des fournisseurs et des clients de l’Algérie. Elle a l’opportunité de tirer avantage des secteurs dans lesquels les occidentaux refusent le transfert de technologie, comme, à titre d’exemple, le nucléaire civil, la médecine nucléaire, l’industrie spatiale, les secteurs militaires ou encore la recherche minière et médicale et d’autres secteurs ou l’Algérie est bien déficitaire.

Les sociétés chinoises obtiennent par conséquent de très nombreux contrats de construction dans des domaines variés comme la construction navale, aéronavale, l’équipement téléphonique, les forages pétroliers ou encore les logements sociaux. Cette réussite des entreprises chinoises s’explique par des prix très compétitifs et par des embauches de main d’œuvre locale, ce qui participe de la lutte contre le chômage plutôt endémique dans le pays surtout parmi les jeunes diplômés. Jusqu’en 1990, Pékin importait ses besoins énergétiques principalement d’Indonésie, du sultanat d’Oman, d’Arabie saoudite et d’Iran5. L’augmentation de sa consommation pétrolière a poussé la Chine à diversifier ses sources d’approvisionnement, en mettant en place une véritable diplomatie pétrolière. L’Afrique reste le continent privilégié pour Pékin, conscient que les réserves du Moyen-Orient sont sous contrôle américain depuis l’invasion et l’occupation de l’Irak. Très rapidement la Chine est devenue le deuxième consommateur du pétrole africain, derrière les États-Unis. Des pays comme le Gabon, l’Algérie, le Congo ou encore la Libye répondent parfaitement aux besoins chinois en pétrole et entretiennent de bonnes relations, basées sur le respect mutuel et la non ingérence dans les affaires internes.

Les pays africains producteurs de pétrole affirment que la Chine présente quelques avantages non négligeables en tant que partenaire commercial. Pékin offre en effet son savoir-faire, sa main-d’œuvre et des crédits avantageux pour la construction d’infrastructures. La Chine par conséquent n’impose aucune condi­tion politique préalable à une coopération bilatérale ou multilatérale avec les pays du Sud. Certains vont même jusqu’à considérer la Chine comme un contrepoids à l’hégémonie américaine notamment le Soudan qui a bénéficié d’un soutien entier de la Chine sur la question de Darfour. Ne perdons pas de vue que la diplomatie chinoise a toujours eue une position constante sur le Soudan et considère cette question comme une affaire interne à Khartoum.

En dépit de l’importance des gisements africains, des ressources présumées de l’Arctique ou encore des sites de pétrole offshore du Brésil, aucun État ne peut aujourd’hui se passer du pétrole du Moyen-Orient. Abritant près des deux tiers des réserves pétrolières conventionnelles mondiales et près de 40 % des réserves gazières aujourd’hui connues, le Moyen-Orient demeure et demeurera certainement l’une des régions clés de production et d’exportation de pétrole brut. Cette région cou­vrira pour longtemps encore les besoins énergétiques aussi bien des pays riches que des pays émergents en tête des quels la Chine.

Certains États sont en effet des producteurs clés, je veux parler de l’Arabie saou­dite particulièrement et accessoirement du Koweït, du Qatar et des Émirats arabes unis, sans oublier, l’Iran qui a une capacité de production considérable .Il faut rap­peler que ce dernier produisait pas moins de six millions de barils par jour en 1979, il n’en produit aujourd’hui que 4,3 millions actuellement dont la moitié seulement est destinée à l’exportation soit environ 2,4 millions de barils. S’agissant de l’Irak, ses réserves connues sont aussi importantes, il y a quelques années sa capacité de production, avoisinait les 11 millions barils par jour, il n’en produit aujourd’hui que 2,5 millions barils jour, les guerres successives dans ce pays, et l’invasion amé­ricaine ont eu de lourdes conséquences et ont contribué à ralentir d’une manière drastique la production de ce pays. Riyad abrite en effet le plus grand champ pé­trolier du monde, celui de Ghawar6. La région abrite également des terminaux pétroliers et gaziers majeurs pour l’industrie mondiale des hydrocarbures. Le plus grand, le site saoudien de Ras Tanura, possède une capacité de raffinage de plus de 30 millions de tonnes par an.

 

Le Moyen-Orient au cœur des enjeux énergétiques: la carte saoudienne

Les gisements pétroliers étant tarissables par définition, le fait que leur localisa­tion géographique ne coïncide pas avec l’emplacement des États consommateurs, font que l’exploitation et l’accès à ces ressources stratégiques, étaient et demeurent une source permanente de tensions mondiales depuis les premières découvertes en ce début du xxe siècle. Importatrice nette depuis 1993, avec une consommation qui augmente de près de 15% par an, la Chine est désormais le deuxième consomma­teur mondial d’or noir après les États-Unis. Du fait d’un développement industriel important, elle est également le premier marché mondial pour l’automobileLa di­plomatie chinoise du Moyen-Orient s’articule en deux volets, bilatéral et multila­téral. Elle oscille entre sa dépendance croissante vis-à-vis du pétrole de la région, impliquant des concessions politiques, et sa volonté de s’affirmer comme puissance responsable dans les affaires régionales et internationales, notamment sur la ques­tion palestinienne, avec des succès de plus en plus visibles. Je rappelle que la Chine a reconnu l’État palestinien au niveau diplomatique depuis le 20 octobre 1988 et n’a eu de cesse depuis de soutenir la solution pacifique du conflit par l’application des résolutions des Nations unies notamment les résolutions 242 et 338.

Si l’axe bilatéral de la diplomatie moyen-orientale de la Chine s’étend à l’en­semble des pays de la région, mettant de côté les aspects politiques, Pékin a noué des relations commerciales avec tous les pays de la région en accordant néanmoins une attention particulière à l’équilibre de sa balance commerciale. L’approvisionnement en pétrole en Iran, au Sultanat d’Oman et en Arabie saoudite constitue la priorité de la stratégie chinoise dans la région. En effet, si l’Afrique participe à hauteur d’en­viron 21%, la région Asie Pacifique à hauteur de 20%, le Moyen orient représente plus 40 % de ses importations en hydrocarbures.

La Chine s’emploie à renforcer des partenariats solides avec les pays riches en pétrole, dans la région du Moyen-Orient, la carte saoudienne occupe une place né­vralgique dans sa stratégie de diversification de son approvisionnement en or noir. Le Prophète de l’Islam Mohammed a dit une phrase célèbre : « pour ceux qui sont en quête de la connaissance, même la Chine n’est pas trop éloignée ». Depuis des siècles, Arabes et Chinois apprennent les uns des autres et l’histoire de leur amitié remonte aux temps les plus reculés.

Les nations arabes et chinoise ont une longue histoire, elles ont crée des civili­sations brillantes et originales. L’histoire des relations contemporaines sino-arabes, démarrées à partir 1950, quand les Chinois décident de nouer des liens et des relations diplomatiques affirmées avec le monde arabe. Qu’en est-il du rapproche­ment entre la Chine et l’Arabie saoudite, premier producteur de pétrole au monde ? Depuis le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays en 1990, le développement des liens diplomatiques, économiques, commerciaux voire stra­tégiques s’est considérablement accru.

Depuis 2001, l’Arabie saoudite a subtilement réorientée sa stratégie pétrolière et ses investissements vers l’Asie, aussi un partenariat stratégique sino saoudien a pris place aux côtés du partenariat stratégique américano-saoudien mis à mal par les attentats du 11 septembre. Ce n’est pas un hasard si le premier voyage officiel du Roi Abdallah depuis son accession au trône (août 2005) a eu pour destination l’Asie avec une première escale à Pékin le 22 janvier 2007. Plusieurs accords bilatéraux, écono­miques et politiques y ont été signés. Il paraît clairement que le royaume saoudien et certaines monarchies du CCG (Conseil de Coopération du Golfe) ont enclenché une orientation très asiato-centrée, on évoque même la conclusion très probable d’un accord de libre-échange entre le CCG et Pékin, ce qui peut renforcer d’autant plus solidement la position des sociétés chinoises en Arabie saoudite, que les négo­ciations d’un accord de libre-échange CCG-UE patinent depuis plus de vingt ans et semblent définitivement s’orienter vers une forme de coopération bilatérale entre l’Union européenne et les pays membres du CCG, souhaitant s’y engager.

La Chine qui a accueilli en 2010 la quatrième session ministérielle du Forum de la coopération sino-arabe, lancé en en 2004, qui se tient tous les deux ans, a fait de ce forum un cadre idéal d’échange et de discussion entre les deux parties. Ce faisant, il a conféré une dimension stratégique à la coopération entre la Chine et le monde arabe, axée sur le développement des intérêts communs des deux parties. Sur le plan économique, les deux parties entretiennent des relations très fortes. Les chiffres sont très significatifs à cet égard. L’année 2009, a été une année très dense, puisque à la lecture des statistiques des autorités chinoises, présentées par Zhai Jun, vice-ministre chinois des Affaires étrangères, le volume des échanges commerciaux entre les deux parties avait atteint plus de 100 milliards de dollars US et que son pays avait importé quelque 90 millions de tonnes de pétrole en grande partie du Moyen-Orient. Certes la Chine, mais également l’Inde, le Japon et même la Corée du Sud, se placent aujourd’hui dans une position très favorable pour réaliser un partenariat industriel d’une grande importance avec les pays du CCG et particu­lièrement avec l’Arabie saoudite. Il faut dire qu’outre le facteur pétrolier toujours présent, la proximité géographique des États asiatiques avec l’Arabie saoudite et les pays du CCG et les performances économiques indéniables dont ils bénéficient depuis les trente dernières années, sont de nature à encourager les pays du CCG à renforcer la coopération avec la Chine et lui donner un caractère stratégique pour l’ensemble des parties selon l’équation chère aux chinois « gagnant-gagnant ».

Seulement cette situation n’est pas pour plaire aux États-Unis qui tiennent à rester le premier partenaire, considérant cette région comme une « chasse gardée » américaine, elle suscite par conséquent des inquiétudes et des réactions américaines, ce qui est loin d’être loin le cas de l’Europe qui semble se contenter de son rôle de principal perdant de cette concurrence sino-américaine déclenchée par l’Ara­bie saoudite et les membres du CCG. Seulement voilà la Chine détient un atout de taille, elle dispose de la plus grande réserve en dollars de l’histoire soit plus de 2 000 milliards de dollars en 2009. Avec un dollar historiquement faible, ce stock devient une arme non négligeable. Ceci favorise la position de Pékin en tant que partenaire industriel et financier de premier ordre notamment pour les pays arabes. La performance de l’économie chinoise qui compte parmi la plus dynamique au monde, peut amener Pékin à renforces des relations stratégiques avec ces pays. La question lancinante est la suivante : sommes-nous entrain d’assister à cet affronte­ment Chine-États-Unis que l’on annonce comme inévitable depuis des décennies ? L’opposition frappante entre le déficit abyssal et non moins régulier des États-Unis, représentant aujourd’hui quasiment 100 % du PIB américain et le surplus quasi structurel de la Chine qui par ailleurs finance ce déficit américain à hauteur de près de 30 % en 2009 (il était de 13 % en l’an 2000), peut-il être le fer de lance de cet affrontement ? Autrement dit, les États-Unis peuvent-ils se maintenir encore long­temps comme la véritable colonne vertébrale de la défense et de la protection du royaume saoudien et des autres monarchies du Golfe. L’avenir le dira.

La Chine suit forcément de très près l’issue des révolutions arabes, faisant mine de ne pas les commenter et mieux de ne pas s’y intéresser. En vérité, la possible onde de choc des évènements dans le monde arabe fait craindre aux dirigeants chinois le risque d’une contagion, pourtant hautement improbable. Qu’en est-il ?

La Chine dans la tourmente des révolutions arabes

La révolution du « Jasmin » a été le fer de lance, une rampe de lancement de ce qu’il convient d’appeler désormais le « printemps arabe », qui a vu successivement la chute de deux dictateurs d’un gros calibre notamment Ben Ali et Moubarak.

L’effet de dominos est terrible pour les autres, que ce soit en Libye où le régime pernicieux de Kadhafi cherche à prolonger l’échéance au prix d’un terrible mas­sacre de la population civile où l’impensable était utilisée je veux parler d’avions de combats achetés d’ailleurs à la France dans les années 80 et qui bombardent sans distinction. Ailleurs, notamment au Yémen, l’actuel président Ali Salah au pouvoir depuis plus de trente ans saisit le ballon en vol et annonce qu’il ne briguera pas un nouveau mandat et qu’il ne cherchera pas à installer son fils au pouvoir à sa place ce qui était pourtant programmé.

En Jordanie le roi sent la révolte se rapprocher et annonce toute une série de ré­formes doublée d’un remaniement ministériel, quant à la Syrie, le président Bachar al-Assad a annoncé également une série des mesures en faveur des couches les plus démunies comme la baisse du prix du chauffage et de l’essence, voilà à mon sens une tentative à la fois insignifiante et tardive pour tenter de relativiser la portée de la contestation qui grandit d’un jour à l’autre et qui atteint aujourd’hui son pa­roxysme. Ce qui est acquis, c’est qu’un vent de changement souffle désormais sur le Maghreb et tout le monde arabe et plus rien ne peut arrêter ce désir ardent des populations arabes à une meilleure gouvernance qui passe inévitablement par des changements des régimes autocrates et incompétents qui depuis plus de 20 à 40 ans se sont servis plutôt que de servir. Ces révolutions vont pour le moins bouleverser non seulement les pays arabes, mais également les relations qu’entretenaient ces pays en ébullition avec le reste du monde. Nombre de pays occidentaux observent de près l’évolution des différentes situations avec des solutions différentes apportées ici et là. En tant que grande puissance, la Chine n’échappe pas à cette règle, même si officiellement Pékin se contente d’observer sans prendre une quelconque posi­tion, fidèle à sa stratégie de ne pas s’immiscer dans les affaires internes des États, du moins en apparence.

Pour autant la Chine s’inquiète à juste titre, notamment des risques à mon sens improbables de contagion notamment dans les provinces musulmanes. La Chine se contente visiblement, d’observer ce sursaut révolutionnaire et adopte une grande prudence dans le traitement des informations en lien avec les pays arabes en proie à des changements en profondeur. Pékin a peur et semble relativiser la portée de ces révolutions, allant jusqu’à déconsidérer ce type de changement comme l’atteste le traitement des médias chinois qui ne s’attardent guère sur les revendications et les origines de ces mouvements. L’objectif est de ne pas donner des idées aux chinois et notamment aux séparatistes musulmans situés au nord ouest de la Chine. Je veux parler des militants musulmans du Xinjiang, une province autonome semblable au Tibet. Les déclarations de Hu Jintao à propos des manifestations qu’a entraînées le passage de la flamme olympique en Europe en 2008 montrent que la Chine se sent menacée au Tibet, dans la province du Xinjiang, territoire qu’elle ne veut perdre. La Chine ne perd pas de vue la désintégration du territoire du voisin russe, qui lui fait horreur, encouragée il est vrai par les positions de bon nombre de Russes qui esti­maient que leurs dirigeants auraient dû suivre l’exemple chinois. Toutefois la diffé­rence est de taille : si en Chine la périphérie s’agite, sans aucun résultat tangible, en Russie c’est le centre qui a implosé, entraînant avec lui la désintégration de l’empire.

Aujourd’hui, la Chine étudie avec inquiétude les mouvements nationalistes et séparatistes qui lui posent de sérieux problèmes à la fois interne mais également des critiques à l’extérieur. Dès lors on peut légitimement s’interroger sur les incidences de ces mouvements et au delà sur l’avenir des relations sino-arabes après cet élan libérateur des peuples arabes ? La question est d’autant plus intéressante que la présence de l’islam en Chine populaire n’a commencé que depuis peu à intéresser l’opinion publique mondiale, quand des troubles ont éclaté en 1988-1989 dans le Xinjiang et que des républiques de l’ex-URSS à forte majorité musulmane sont devenues indépendantes en Asie centrale.

Il faut d’abord rappeler que les relations sino-arabes sont très anciennes, com­mencées par des échanges principalement maritimes, dès avant 500 après J.C, le ré­sultat étant l’installation de quelques commerçants arabes notamment sur les côtes méridionales, principalement dans les a provinces actuelles de Canton, de Fujian, Zhejiang et Jiangsu. Quelques années après l’hégire en 622, on assiste à un début de présence musulmane en Chine, qui s’est renforcée par la suite par le processus d’expansion de l’islam, poussant les Arabes vers une conquête de l’Asie centrale. Ceci a eu pour effet quasi immédiat la conversion de tribus d’origine turque et mongole du centre de l’Asie, alors en contact avec l’empire chinois. Les historiens datent l’implantation de l’islam en Chine en 651 avec l’arrivée des émissaires du calife abbaside Osman Ibn Affan7.

Le développement du commerce de la soie autour des côtes chinoises a joué un rôle majeur dans l’installation d’une forte communauté arabe en Chine, appelée alors « Fanke » ou hôtes étrangers, dirigée par un juriste « Qadi », dont le mariage mixte a consolidé les liens avec les autochtones. Cette communauté, n’était pas seulement arabe, il existait en effet d’autres groupes ethniques notamment persans, mais tous soudés par une religion, l’Islam. L’expansion musulmane s’est poursuivie en Asie du centre et du nord, particulièrement par la conversion de la population Uigur en 965, aujourd’hui connue sous le nom de musulmans de la province Xinjiang.

D’après les statistiques officielles des autorités chinoises, les musulmans chinois sont passés de près de 11 millions en 1951 à plus de 20 millions aujourd’hui, alors que d’autres estimations avancent le chiffre de 40 à 60 millions, avec plus de 30 000 imams et presque 24 000 mosquées répartis principalement dans les provinces mu­sulmanes de l’empire. Depuis 1980, les séparatistes musulmans de la province au­tonome du Xinjiang, ont de plus en plus contesté l’autorité centrale de Beijing, néanmoins ce conflit est resté très discret, par conséquent moins connu que la lutte historique des Tibétains contre le gouvernement central chinois. La Chine craint en effet la contagion des printemps arabes. Les enjeux sont élevés, et Pékin s’in­quiète sans aucun doute de ce que le séparatisme musulman devienne une menace importante pour la stabilité politique à long terme de la Chine, à commencer par les régions périphériques du pays. Pékin craint en particulier une coordination de plus en plus efficace entre le séparatisme du Xinjiang et le mouvement d’indépen­dance actif du Tibet qui a le soutien international principalement des États-Unis et de l’Europe. Un autre élément économique donne une importance majeure à la province du Xinjiang dont les importantes réserves pétrolières seraient fortement utiles aux progrès économiques de la Chine, si toutefois elles s’avèrent exactes, no­tamment dans le bassin de Tarim. Par ailleurs, cette région désertique, renferme d’autres richesses notamment du plomb, du zinc et de l’or, des ressources haute­ment précieuses pour Pékin

L’extrémisme musulman actuel dans le Xinjiang a été inspiré par les change­ments en profondeur qui ont secoué l’Asie centrale au cours de la dernière décen­nie. L’indépendance à laquelle ont accédé les républiques musulmanes voisines, conséquence de la dislocation de l’Union soviétique a sans doute alimenté les es­poirs des séparatistes du Xinjiang de parvenir à l’autonomie à leur tour. D’autre part la défaite de l’armée soviétique et son retrait dans la difficulté d’Afghanistan a forgé chez les séparatistes musulmans un mental de vainqueur surtout quand il s’agit d’affronter et de vaincre des puissances mondiales.

Ce qui est certain c’est que l’issue finale de la lutte dans le Xinjiang est loin d’être certaine. La réémergence de l’identité islamique partout en Asie centrale a certainement donné une dimension nouvelle au conflit, aussi la réponse répressive et exclusivement sécuritaire de Beijing ne peut que compliquer davantage la ques­tion à l’avenir. A cela s’ajoute le soutien qu’apporte la communauté musulmane et notamment les mouvements djihadistes aux séparatistes du Xinjiang. Dans ce

 

contexte de révolutions arabes contre l’oppression et l’injustice, toute la priorité pour la Chine aujourd’hui est de garder de bonnes relations avec les États arabes en majorité musulmans sans heurter la sensibilité des peuples arabes musulmans, tous juste débarrassées de certains de leurs dictateurs, en pratiquant la répression d’autres musulmans, même si Pékin considère ce problème comme une affaire strictement interne. Pékin aura tout intérêt à adopter des mesures plus efficaces permettant aux musulmans de ses provinces de jouir d’une réelle autonomie qui aura un sens dans le cadre d’une administration chinoise plus souple.

Le traitement des médias chinois des printemps arabes, reste très prudent, obéis­sant à des règles strictes émanant de l’appareil du parti ; il rappelle les déboires voire les responsabilités historiques à la fois des États-Unis et de l’Europe. Un article du Quotidien du peuple sous le titre ironique « Washington piégé au Moyen Orient » illustre bien la position officielle de la Chine ; cet article contient une analyse des contradictions américaines en Égypte, qui entretiennent une position très délicate entre leur soutien à Israël, partenaire stratégique et leur obligation de s’adapter à l’évolution de l’histoire de cette région. Le journal va plus loin en critiquant la politique américaine dans cette région explosive en des termes très durs, je cite : « Les États-Unis jouent avec le feu. Ayant contribué à mettre sous le boisseau les réformes politiques dans la région, ils participent aujourd’hui à créer les conditions de l’émergence de forces extrémistes radicales. Mais si Washington était dépassée par leur propre ma­chiavélisme, le pétard qu’il a lui-même allumé pourrait bien lui exploser à la figure ».

Le même journal, revenant sur le dossier égyptien, dans un article portant le nom « l’Égypte a gagné une bataille, mais elle n’a pas gagné la guerre », considère que le problème dans ces pays n’est pas tant la démocratie dont il met en doute l’efficacité et insiste lourdement sur l’inégalité entre les couches sociales égyptiennes et l’absence de juste partage des richesses dans ce pays, on peut y lire par exemple : « la classe moyenne égyptienne est faible, la bureaucratie, la corruption dominent le système politique, les écarts de revenus sont considérables. La démocratie à elle seule ne viendra pas à bout de ces problèmes. Il y faudra d’abord un long et difficile processus de développement de toute la société égyptienne ».

Dans un autre article d’un autre journal, le China Daily, qui tout en essayant d’analyser les causes politiques, mettant en avant les conséquences sociales et poli­tiques de la crise économique et monétaire mondiale, rappelle que ces révolutions arabes relèvent de questions internes et que par conséquent, il ne faudrait pas s’im­miscer, on peut y lire notamment : « la hausse des prix, le chômage et le désordre monétaire sont à la racine des troubles, dont les premières victimes sont les pays en développement à faibles revenus ».

La position chinoise semble bien critique de la solution démocratique à tous prix que semblent défendre l’Occident et les États-Unis de la manière la plus hy­pocrite quand on connaît le soutien indéfectible apporté par l’une et l’autre puis­sance à des régimes corrompus au nom de la lutte contre l’extrémisme. La position chinoise insiste sur la nécessité d’un compromis, plutôt que la révolution et ses conséquences directes, le désordre et le chaos généralisé.

Paradoxalement le malaise dans lequel sont plongées certaines démocraties occi­dentales, que ce soit la France avec ces tergiversations et ses déboires dans le traite­ment du dossier tunisien, ou encore les États-Unis qui ont toujours apporté un sou­tien sans faille au dictateur déchu Moubarak et l’inaction de ces soit disant démo­craties et leur silence criminel sur le dossier syrien, yéménite et bahreïni, ouvre des possibilités pour la Chine qui ne manquera pas de les exploiter. En effet, comme je l’ai rappelé plus haut, l’instauration de la démocratie même embryonnaire par l’ar­rivée de nouvelles représentations politiques dans les pays arabes, libérés, pourrait faire le bonheur de la Chine par une baisse importante de l’influence occidentale si ce n’est l’éviction quasi totale des puissances occidentales, au bénéfice de Pékin.

Puissance montante indiscutable, la Chine pourrait gagner cette bataille face aux puissances occidentales sur le terrain des investissements qu’elle pourrait ap­porter aux nouveaux dirigeants des pays souffrant de graves difficultés économiques tant les demandes et les aspirations à l’égalité économiques sont énormes pour des populations longtemps laissées en marge de toute participation aux richesses de ces pays. Dans ce contexte de crise économique mondiale aggravée pour ces pays par des mois de manifestations, et de récession économique, les priorités politiques pourraient probablement s’effacer devant la convergence d’intérêts strictement éco­nomiques. Il est fort possible que les printemps arabes qui ont secoué la conscience mondiale, loin du cadre strictement régional, pourraient à court et moyen terme tourner à l’avantage d’un pays qui, pour le moins qu’on puisse en dire, n’est pas une démocratie.

Sommes nous en train d’assister à un paradoxe, la montée de la Chine pas seulement en tant que puissance mondiale mais également en tant que partenaire privilégié des pays du Sud, en partie grâce aux révolutions arabes ? L’histoire le dira.

 

Notes

  1. Confucius (envir.551-479 a.v. J.C). Philosophe et penseur chinois, il a exercé une puissante influence sur la culture chinoise et sur son histoire dont on voit encore aujourd’hui les effets. Pour lui, le bon fonctionnement d’une société passe obligatoirement par la connaissance d’un ordre cosmique supérieur porteur de préceptes universels, et par la reconnaissance d’un ordre intime propre à la nature humaine. Car dès lors que l’homme se ressent porteur de la plus grande vertu qui soit et qu’il nomme « noblesse du ciel », il se découvre uni à l’infini comme avec les autres et comprend que l’ordre social ne peut émaner que de sa volonté de développer la perfection qui est en lui. Confucius préconise, à cet effet, de forger nos propres compor­tements, par amour pour autrui comme pour nous-mêmes, selon cinq principes de base: la bonté, la droiture, la bienséance, la sagesse et la loyauté. A la lumière de la médecine chinoise qui se préoccupe avant tout de soigner la cause du mal, la doctrine confucéenne propose de soigner la cause profonde des désordres sociaux. Les instituts chinois qui se réclament de cou­rant philosophique, ont pour mission de développer la diffusion de la langue et la civilisation chinoise à travers le monde. Même si le premier institut Confucius n’a été lancé qu’en 2004 en Ouzbékistan, l’on compte depuis le début de 2009 plus de 290 instituts répartis sur plus de 98 pays à travers le monde. A titre d’exemple en compte sept instituts rien qu’en France
  2. On désigne par Tiers État, le troisième ordre de la société d’Ancien Régime, il concerne tous ceux qui n’appartiennent ni au clergé, ni à la noblesse et exercent des activités économiques tels que les agriculteurs, les marins, les artisans et commerçants, c’est-à-dire la grande majorité, soit 95 % des Français.
  3. CCTV-Arabic China Central Television (CCTV), n’est pas la première chaîne arabe, l’empire du milieu n’est donc pas précurseur dans ce domaine, d’autres pays l’ont devancé notamment aux États-Unis avec la création de la chaîne arabe El Hurra, en Angleterre avec la mise en place de la chaîne BBC Arabic ou encore en Russie avec la diffusion de la chaîne Roussya elyoum, en France avec la présence de France 24 et en Turquie avec la chaîne TRT Arabic.
  4. China Petroleum and Chemical Corporation ou Sinopec, deuxième pétrolier mondial et premier raffineur en Asie. Ce géant pétrolier chinois est présent dans des zones stratégiques, comme en Afrique, dans le monde arabe et au Kazakhstan dont il contrôle près de 20 % du pétrole si l’on croît l’AIE « Agence internationale de l’énergie ». Cet intérêt marqué pour le Kazakhstan résulte de l’existence d’un pipeline de 2.200 kilomètres de long qui permet de relier les côtes de la mer Caspienne à la Chine. D’ici à 2015, cet oléoduc va permettre de transporter environ 6 % des importations de la Chine. Ce qui devrait réduire quelque peu la dépendance du deuxième consommateur de pétrole au monde vis-à-vis du Moyen-Orient et de l’Afrique (76 % des importations chinoises en 2010 et en 2011). Il existe deux autres sociétés aussi importantes, issues toutes d’une réorganisation du ministère chinois de l’indus­trie pétrolière mise en place entre 1981 et 1983. Il s’agit de « China National Offshore Oil Corporation » (CNOOC), créée en 1982, en vue de développer et d’exploiter les gisements offs La troisième est crée en 1988, elle résulte de la transformation du ministère de l’In­dustrie Pétrolière, devenu lui même compagnie sous le nom de « China National Petroleum Company » (CNPC), chargée de la production on shore.

 

  1. L’Iran exporte 340 000 barils de pétrole par jour en Chine, ce qui place l’Iran comme troisième plus grand fournisseur de la Chine après l’Angola et l’Arabie Saoudite. Les investissements de la Chine dans les infrastructures pétrolières iraniennes comprennent un accord récent de 100 milliards de dollars US pour développer le champ pétrolier de Yadavanan, et la construc­tion d’un pipeline pétrolier de 386 Kms traversant le Kazakhstan voisin.
  2. Le champ pétrolier de Ghawar est le joyau de la couronne, le plus grand champ pétrolier au monde, s’étendant sur plus de 200 kms de zone désertique. Il produit deux fois plus que n’importe quel autre champ et a manifestement contribué à plus de la moitié des ressources du Royaume. La difficulté majeure, c’est qu’il est exploité depuis plus de cinquante ans, et on évoque déjà son assèchement et à terme son déclin.
  3. Othman Ibn Affân Ibn al-Âs Ibn Amîa (579-656) est le troisième calife succédant à Abû Bakr, puis Omar, son règne s’est étalé de 644 à Selon la tradition, il est le premier Mecquois converti à l’islam, conversation intervenue avant l’hégire, mot qui désigne le départ du Prophète Mohammed et de ses compagnons de la Mecque vers Médine, connue avant sous le nom d’oa­sis de Yathrib en 622. Préféré à Ali, il suscita des mécontentements autour de lui notamment par la confiscation au profit de son clan d’une partie du butin ramené des conquêtes d’Afrique, d’Asie Mineure et de Perse. C’est sous son règne que la conquête de nouveaux territoires était la plus accrue en l’an 649 où de nombreux territoires africains et espagnols furent conquis. Il fut assassiné à Médine le 17 juin 656 et c’est Ali qui a été désigné par la population médinoise comme successeur en tant que quatrième calife de l’islam.
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