La solidarité tribale entre talibans afghans et pakistanais : enjeu majeur de la guerre d’Afghanistan

Mohammed Fadhel TROUDI

Chercheur en relations internationales,université de Paris XII.

Trimestre 2010

En effet, ces liens ont toujours été étroits, ce qui s’explique notamment par une frontière commune particulièrement poreuse. Dès sa création, l’État pakistanais vit une situation de guerre larvée avec son voisin indien, dont il s’est détaché à partir de 1947. Ce rapport conflictuel avec l’Inde a, dès le début, fait envisager l’Afghanistan comme un espace idéal de repli pour le Pakistan, qui ne dispose pas de profondeur stratégique en cas de guerre majeure.

La religion musulmane est également un lien fort entre les deux États. L’islam est notamment la religion de l’ethnie pachtoune, majoritaire au pays et à laquelle appartiennent les talibans, fortement représentés des deux côtés de la frontière, le long de la ligne Durand, du nom de sir Henry Mortimer Durand, le signataire britannique, qui trace cette limite en 1893 en accord avec l’émir Abdul Rahman.

En vue de mieux comprendre les liens étroits entre les deux pays, comme en témoigne l’intégration du Pakistan dans la stratégie américaine en Afghanistan, il faudrait rappeler le facteur historique qui a scellé un destin quasi commun pour les deux pays, en raison de leur proximité géographique et de leur évolution mouve­mentée.

Le Pakistan : un nationalisme sans nation, un État idéologique plus qu’un État-nation

Le mot « Pakistan », « pays des purs », est un néologisme. C’est aussi un acro­nyme formé avec le nom des provinces du pays, le Pendjab, l’Afghania (province frontière du Nord-Ouest), le Cachemire, le Sind et le Baloutchistan. L’origine du pays remonte à la division, en 1947, des Indes britanniques entre un État majoritai­rement hindou, l’Inde, et un État musulman (comprenant alors deux parties : l’une orientale, l’actuel Bangladesh, et l’autre occidentale, l’actuel Pakistan).

Cette division s’est effectuée sur une base religieuse, elle est la conséquence de conflits ethniques et religieux dont certains perdurent. La guerre de 1971 entraîne la sécession du Pakistan oriental qui prend alors le nom de Bangladesh. Cette sépa­ration de la partie orientale, distante de quelque 2 000 km de la partie occidentale, a été facilitée par le soutien de l’armée indienne, qui voulait ainsi affaiblir son rival de toujours. Les deux frères ennemis s’opposent et se défient mutuellement depuis 1947. Ils se sont affrontés par les armes à plusieurs reprises, notamment pour la question du Cachemire, que revendiquent les deux protagonistes.

Issu de cet antagonisme religieux, le Pakistan est un État fondé par et pour les seuls musulmans refusant la cohabitation avec l’Inde hindouiste. En 1945, Ali Jinnah, considéré comme le père fondateur du Pakistan, exige la création d’une nation indépendante musulmane à proximité de l’Inde.

Les populations réunies dans le cadre géographique de l’actuel Pakistan, si elles sont très majoritairement musulmanes, restent très hétérogènes ethniquement, re­ligieusement et culturellement. L’identité pakistanaise, bien que se fondant princi­palement sur la religion, n’est pas une donnée acquise mais une construction, une volonté. C’est pourquoi on a pu parler de « nationalisme sans nation ». La popula­tion pakistanaise est composée de six groupes ethniques principaux : les Penjabis, les Sindis, les Balouches, les Pathans, les Cachemiris et les Mohajirs, correspondant aux provinces principales du Pakistan : Pendjab, Sind, Baloutchistan, North-West Frontier Province (NWFP) et Cachemire.

La population chiite est évaluée entre 15 et 25 % de la population. Elle est com­posée de chiites « duodécimains », comme en Iran, et de chiites « septimains », dits « ismaéliens ». Plusieurs branches du chiisme ismaélien sont d’ailleurs présentes au Pakistan, les « Khoja », les plus nombreux, qui reconnaissent l’Agha Khan comme chef spirituel, et les « Bohra », « Daoudi » ou « Sulaymani ». La communauté chiite est fréquemment l’objet d’agressions par des extrémistes sunnites. La communauté sunnite est elle aussi divisée en plusieurs écoles spirituelles, issues pour la plupart du renouveau islamique qui a suivi la chute de l’Empire moghol et de la colonisation.

Le Pakistan est un État bâti intrinsèquement sur l’instrumentalisation de l’is­lam, avec pour conséquence aujourd’hui la montée en puissance des mouvements islamistes. L’intervention américaine en Afghanistan et l’alignement du Pakistan sur la politique américaine dite de lutte antiterroriste engendrent une radicalisation de ces mouvements. Sans qu’il soit un État religieux, la place de la religion a tou­jours posé problème au Pakistan. Elle a souvent été instrumentalisée pour servir de ciment à une nation soumise à des forces centrifuges et pour conforter l’assise des gouvernants successifs.

Cette radicalisation est avant tout un instrument majeur de la stratégie du Pakistan. Le pays se définit comme un État idéologique, beaucoup plus que comme un État-nation. La détention de l’arme nucléaire par l’Inde et le Pakistan, le dé­veloppement du terrorisme et des extrémismes religieux contribuent à rendre le face-à-face indo-pakistanais plus périlleux. L’État pakistanais suit trois objectifs majeurs : maintenir une tension au Cachemire pour affaiblir l’Inde, aider à l’instal­lation en Afghanistan d’un régime ami, c’est-à-dire fondamentaliste et pachtoune, pour s’assurer une profondeur stratégique face à l’Inde, et créer un corridor vers l’Asie centrale dont le Pakistan deviendrait le débouché.

Les réseaux fondamentalistes deviennent les acteurs essentiels de cette politique régionale, ce qui fait du Pakistan aujourd’hui un des principaux sanctuaires du fondamentalisme, alors que paradoxalement l’État est loin d’être un État religieux. Tout a commencé avec l’apparition des mouvements dits « djihadistes » dans la région au cours des années 1980.

Depuis 1977, le général Zia ul-Haq gouvernait le pays par la volonté de l’ar­mée. Sa vision de l’identité musulmane pakistanaise s’accommodait très bien d’une approche islamiste de la religion. Le ISI (Directorat of Inter-Services Intelligence), ou service des renseignements militaires pakistanais, est lui-même proche des thèses islamistes. Beaucoup plus de jeunes officiers sortent des madrasas que des écoles et collèges nationaux, et un pourcentage non négligeable (près de 30 %) des officiers, selon les estimations de l’Institut for Afghan Studies, sont militants islamistes ou sympathisants des thèses véhiculées par ces mouvements en faveur d’une révolution islamique au Pakistan.

À l’époque, l’Occident s’accommodait bien de cette situation. Mieux, avec l’in­vasion soviétique de l’Afghanistan en décembre 1979, le soutien aux mouvements islamistes, y compris militairement, pour faire barrage aux ambitions et aux des­seins de Moscou, paraissait pour beaucoup la solution idéale. Un pas décisif est franchi quand les Américains, cherchant à prendre leur revanche sur les Soviétiques au Viêtnam, recrutent et facilitent l’introduction au Pakistan et en Afghanistan d’activistes arabes. Le Pakistan devient le principal point d’appui de la politique américaine de soutien aux islamistes dans leur djihad contre les Soviétiques dans la région. Ce faisant, le Pakistan devient la base arrière de la lutte anticommuniste dans le sous-continent et un relais de la transmission de l’aide financière et militaire américaine. Cette politique a eu pour conséquence de consolider des liens déjà très forts naturellement entre Pakistanais et Afghans.

Leur poids compte peu dans la guerre, les Afghans étant assez nombreux et dé­terminés pour faire regretter à Moscou son expédition. Mais Washington, en asso­ciant les Arabes au conflit, compte faire basculer idéologiquement tout l’ensemble arabo-musulman contre l’Union soviétique.

Cette tactique a eu pour résultat d’auréoler de gloire les islamistes. Pire, le dé­part des Soviétiques d’Afghanistan, interprété comme une victoire militaire sur la deuxième puissance de la planète, a renforcé les plus radicaux des djihadistes, au point qu’ils se sont crus capables de vaincre les régimes en place, dans les pays musulmans, voire en Occident, et d’imposer leur loi au moyen de la guerre sainte contre les infidèles et les impies. Le Pakistan est aujourd’hui prisonnier de la réalité du terrain, d’autant plus prisonnier que Washington vient de l’intégrer dans sa stratégie globale de guerre en Afghanistan.

Le pays compte un certain nombre de groupes islamistes radicaux, dits djiha-distes. Or, pendant des années, ils ont participé aux combats en Afghanistan ou au Cachemire avec sinon le soutien, du moins l’approbation des autorités pakista­naises. Résultat, une partie importante de la population du pays éprouve de la sym­pathie à l’endroit de ces djihadistes élevés au rang de héros de l’islam. D’autre part, le Pakistan dépend de son alliance avec les États-Unis pour des raisons économiques et financières évidentes. En clair, il se retrouve pris entre le marteau américain et l’enclume islamiste. Cette islamisation rampante de la société pakistanaise a été au cœur de toute action politique entreprise par les présidents successifs du Pakistan, à l’exception du président Ali Butto, qui avait une vision plutôt laïque du devenir du Pakistan, mais la tentation était grande chez lui également d’instrumentaliser la religion pour mieux consolider son pouvoir. Son nom reste associé à celui qui a instauré la prohibition en cherchant à instrumentaliser la religion dès 1970. Cette utilisation de la ferveur religieuse a servi de ciment à une nation soumise à des forces centrifuges et pour conforter l’assise des gouvernants successifs.

La palme revient toutefois au président général Zia ul-Haq qui, comme la ma­jorité de ses collègues musulmans, opte pour le Pakistan au moment de la partition de l’ancien Empire britannique des Indes. Il choisit de continuer dans l’armée et prépare ainsi une solide carrière militaire. Il fait d’abord l’école d’état-major en 1955, puis un stage aux États-Unis en 1963. De 1969 à 1971, il occupe le poste de conseiller militaire à l’ambassade pakistanaise en Jordanie. L’année 1976 est l’année du sacre de Zia ul-Haq, il accède à la plus haute fonction militaire en devenant chef de l’état-major interarmées. En 1977, à la faveur d’un coup d’État militaire, Zia ul-Haq devient le sixième président du Pakistan depuis l’indépendance en 1947. À sa prise du pouvoir, il fait condamner l’ancien Premier ministre Zulfikar Ali Bhutto, le père de Benazir Bhutto, seule femme musulmane élue au poste de Premier ministre dans un pays musulman en 1988.

Outre le rôle central qu’il joue dans le conflit soviéto-afghan en apportant un soutien total, à la fois militaire et financier, à la résistance afghane qui s’organise contre la présence soviétique à Kaboul, Zia ul-Haq continue avec obstination le programme nucléaire de son pays. Cette politique de course à l’arme suprême en­gagée avec l’Inde aboutit en 1998 à un essai nucléaire réussi, ce qui a pour consé­quence directe de relancer le conflit avec la puissance indienne au sujet notamment du Jammu et Cachemire, occupé par l’Inde.

À l’opposé de l’ancien Premier ministre Zulfikar Ali Bhutto qui a une approche laïque du pouvoir, Zia ul-Haq se montre déterminé à instaurer un État islamique, en s’appuyant notamment sur les mollahs. C’est par conséquent sous son régime (1977-1988) que le Pakistan connaît une véritable islamisation de l’État et de la société. Il fait de l’application de la charia sa priorité pendant ces onze années de dictature. Progressivement, différentes taxes d’origine religieuse sont introduites.

Notons, à titre d’exemple, la zakat (aumône obligatoire instituée par le Coran), la création d’une cour fédérale de la charia pour statuer sur les affaires selon les prin­cipes de la loi musulmane, le Coran et la Sunna.

Ces réformes vont plus loin, avec le remplacement en 1980 de l’assemblée na­tionale par un Majlis-i-Shoora (conseil de consultation) ; cette institution perd ses fonctions législatives pour devenir une assemblée de conseil du président, en somme une chambre d’enregistrement des décisions du président général. Par ailleurs, l’arabe et les études islamiques deviennent des matières obligatoires dans quasiment l’ensemble des enseignements supérieurs. Les médias sont également visés par ce processus, avec l’instauration de journaux télévisés en arabe, assurés par des présentatrices à la tête couverte. Notons aussi la promulgation le 15 juin 1988 de la Shariat Ordinance, qui érige les muftis du pays en conseillers de tribu­naux civils. L’intérêt bancaire est interdit et les châtiments publics sont instaurés. Au sein de l’armée, les théologiens obtiennent le grade d’officier afin d’attirer vers l’institution militaire les meilleurs éléments des universités, des écoles et des institu­tions religieuses. Le général a même tenté de réinstaurer le califat (autorité centrale commune à tous les musulmans), aboli par le président turc Mustapha Kemal le 3 mars 1924. Cette politique d’islamisation à outrance a un impact bien visible aujourd’hui, puisque nombre de textes sont encore en vigueur au Pakistan. Mais qu’en est-il de l’Afghanistan ?

 

Afghanistan, une histoire jalonnée d’invasions et de guerres

Ce pays de l’Asie centrale est entouré du Turkménistan, de l’Ouzbékistan, du Tadjikistan, de la Chine, du Pakistan et de l’Iran. Le nom « Afghanistan » dérive de l’autre nom donné aux Pachtounes, « Afghans ». Le suffixe du nom tire son origine du mot « dari » stan ou « pays ». Par conséquent, l’Afghanistan signifie « pays des Afghans ». L’Afghanistan, souvent appelé le « carrefour de l’Asie centrale », a eu une histoire pour le moins mouvementée, connaissant en effet une série d’invasions, notamment de l’Empire perse et d’Alexandre le Grand.

Le rôle de l’islam est également fondamental dans l’histoire de ce pays. Les pre­mières armées arabes ont pu profiter de la faiblesse de l’Empire perse sassanide en plein effondrement et s’emparer ainsi de la presque totalité des possessions de celui-ci. Mais force est de constater que l’islamisation d’une bonne partie de l’Afghanistan a pris plus de deux cents ans. La résistance légendaire des shahs de Kaboul, encore bouddhistes, a considérablement retardé l’islamisation. La région du Nourestân, à

 

titre d’exemple, a été la dernière région du pays à se convertir à l’islam. En effet, les Nouristanis ne sont musulmans que depuis le xixe siècle, soit plus de douze cents ans après les premières conquêtes arabes. L’Afghanistan en tant qu’État ne com­mence à exister qu’à partir de 1747, ce qui correspond à la dislocation de l’Empire perse, après la mort de l’empereur Nader Shah de Perse. Il est composé en majorité de tribus pachtounes mais aussi de Tadjiks, de Turkmènes et d’Ouzbeks.

L’Afghanistan a vigoureusement lutté pour son indépendance. Il échappe à la domination perse au xviiie siècle et résiste longtemps à l’emprise britannique au xixe siècle. En dépit du protectorat britannique imposé au pays en 1880, le pays retrouve son indépendance en 1919. En 1973, la monarchie constitutionnelle du roi est renversée par un coup d’État militaire qui proclame la république.

L’invasion soviétique de 1979 dans un contexte de guerre froide ramène un cer­tain temps l’Afghanistan dans la sphère d’influence soviétique, par la mise en place à Kaboul d’un régime prosoviétique dirigé par Babrak Karmal. Il entretient des relations privilégiées avec Moscou et met en place une série de réformes de nature socialiste, qui contrastent avec les traditions et le conservatisme des tribus afghanes. C’est alors qu’une partie des Afghans entrent en résistance, c’est le début de la guerre d’Afghanistan. Le gouvernement américain met alors en place la stratégie dite de containment pour piéger les Soviétiques.

Celle-ci repose sur une aide massive, militaire et financière, à la résistance afghane qui s’organise. Plusieurs combattants affluent de l’ensemble du monde mu­sulman, appuyé par l’Arabie saoudite et le Pakistan. Ils viennent accomplir le devoir de chaque musulman, celui du djihad contre les impies. On parle alors de mou­djahidine, notion qui va s’accentuer au cours des années 1990, notamment après la chute du pouvoir de Nadjibullah et la prise de Kaboul par les talibans en 1996.

Ces derniers, soutenus militairement par l’armée pakistanaise, instaurent un régime fondamentaliste et rigoriste, fondé sur l’application stricte de la loi isla­mique émanant de l’école déobandie, école d’oulémas du sous-continent indien, née en 1867 près de New Delhi, en réaction à la domination britannique. Le mot « déobandi » dérive du nom de la ville Déoband qui se trouve dans l’État d’Uttar Pradesh, dans le Nord de l’Inde. C’est l’un des deux grands courants sunnites, il est à l’origine des talibans et se réclame de l’héritage fondamentaliste de Shah Waliullah. La madrasa (littéralement école) influence dès le milieu du xixe siècle la spiritualité des oulémas locaux, qui adopte une forme de prostration austère.

C’est de ces madrasas à majorité déobandie que sont issus les étudiants « talibans » qui gouvernent l’Afghanistan de 1996 à 2001. Un grand dirigeant déobandi, Sami ul-Haq, issu de la madrasa Haqqani, a même fermé son école pour se consacrer au djihad en Afghanistan.

Composé de religieux plutôt traditionnels et conservateurs, ce courant est incar­né sur le plan politique par le Jamiat Ulema-e-Islam, le plus grand parti déobandi, fondé en 1945 et dont les deux factions principales sont dirigées aujourd’hui par Maulana Fazlur Rehman et Maulana Sami ul-Haq. Au sein de cette mouvance néo­fondamentaliste, on cite également le mouvement Ahle-Hadith, fondé au xixe siècle par Nazir Hassan. Il est plutôt proche du courant wahhabite en vigueur en Arabie Saoudite. La radicalisation des mouvements déobandis remonte à la politique de réislamisation conservatrice menée par le général Zia ul-Haq.

Sur le plan intérieur, cette radicalisation s’opère principalement envers les chiites dès 1985, avec l’appui des autorités pakistanaises qui craignent l’instrumentalisa-tion des chiites pakistanais par la toute jeune révolution islamique d’Iran. C’est dans ce cadre qu’apparaissent plusieurs mouvements d’obédience déobandie sec­taires, des écoles de pensée soufie, très présentes en Asie du Sud (Pakistan, Inde et Afghanistan), en Europe et principalement en Grande-Bretagne. Selon un rapport de la police britannique cité par le Times, plus de 600 des 1 350 mosquées britan­niques sont sous l’influence du mouvement déobandi, dirigé par Riyadh ul-Haq. L’école déobandi, qui réaffirme l’unité divine et rejette les autres cultes, fait réfé­rence à l’imam Abu Hanifa (né à Kufa en Irak en 693 et mort à Bagdad en 767), théologien et législateur arabo-musulman, connu comme le plus grand imam, fon­dateur de l’école hanafite, l’une des quatre grandes écoles de droit musulman.

Les attentats du 11 septembre vont accélérer la chute des talibans et l’émergence d’un nouveau pouvoir pro-occidental dirigé par Hamid Karzaï, qui rencontre au­jourd’hui toutes les difficultés du monde à imposer sa légitimité et à conduire les réformes.

C’est dans ce contexte de radicalisation religieuse, de défaite des talibans après l’invasion américaine de l’Afghanistan et de début de l’insurrection armée des mou­djahidine contre la présence étrangère qu’il faudrait lire la consolidation des rela­tions historiquement très fortes entre les deux mouvements talibans afghan et pa­kistanais. Comment expliquer par conséquent ces liens et dans quelle mesure cette homogénéité idéologique et religieuse peut-elle constituer une force opposable aux forces étrangères ?

Les talibans : une idéologie islamiste reposant sur des sentiments ethniques et religieux

Mais d’où vient le mot « taliban » et quelle est sa signification ?

Le mot « taliban » est extrait d’un mot d’origine arabe, taleb. Le pluriel arabe est talaba, désignant celui qui étudie dans une école ou université et pas seulement religieuse. Taliban est un mot composé d’une racine d’origine arabe associée à un pluriel perse. Dans l’usage pachtoune, le terme connaît exclusivement l’acceptation d’« étudiant en théologie dans une madrasa », au détriment de son sens premier, plus large dans la langue arabe. Le mouvement fondamentaliste taliban est apparu en Afghanistan en 1994. Il est fortement influencé par la pensée de l’école déoban-die, qui appelle à un retour à un islam pur, débarrassé de toute forme de modernité ou d’ijtihad, un islam proche du celui existant du temps du Prophète.

Les islamistes, notamment les précurseurs d’entre eux, les Frères musulmans, ont des objectifs politiques qui se définissent d’abord dans la création d’un État islamiste, respectant selon eux la parole de Dieu dans le but qu’ensuite la société et les mœurs deviennent islamiques.

Les talibans sont des néofondamentalistes. Au contraire des islamistes, ils veu­lent d’abord réislamiser les mœurs, la justice, les êtres humains. La forme de l’État n’a pas d’importance pour eux à condition de respecter la loi divine. Et seuls ceux qui l’ont étudiée, c’est-à-dire les talibans, sont à même de l’expliquer et d’en assurer le respect et l’application.

Les talibans sont apparus initialement en Afghanistan. On parle aujourd’hui également de talibans pakistanais. Il en est ainsi du mouvement islamiste Tehrik-e-Taliban Pakistan, qui a pour objectif de mener une guerre défensive contre le gou­vernement pakistanais et ses choix politiques. Le chef de ce mouvement, Baïtullah Mehsud, a fait allégeance au mollah Omar (le deuxième homme d’al-Qaida) en Afghanistan, dont le gouvernement affirme qu’il est impliqué dans l’attentat qui a coûté la vie à l’ancien Premier ministre Benazir Bhutto. Ce mouvement islamiste pakistanais se déclare par conséquent comme ouvertement taliban, ce qui est nou­veau en soi. La montée en puissance actuelle d’une telle génération de talibans dans la zone frontalière est coordonnée par l’organisation d’al-Qaida, qui cherche à fé­dérer l’ensemble des forces islamistes pakistano-afghanes autour d’un seul et même objectif : imposer par la force une sorte de califat sur la région du sous-continent. L’institution de ce système de gouvernance ne sera que le prélude à l’instauration du califat sur l’ensemble des terres musulmanes.

Connus pour leur esprit guerrier, les talibans sont à l’origine des étudiants en théologie qui appartiennent à un réseau d’écoles religieuses qui se développe à la fin du xixe siècle dans le Nord-Ouest de l’Empire des Indes, autour de l’école déoban-die. Ils sont issus des grandes écoles (madrasas en arabe) situées au Pakistan, point de départ du mouvement.

Bien que l’on ne dispose pas de données issues de travaux de recherche, on pense que l’enseignement dans la plupart de ces écoles consiste principalement à faire apprendre le Coran et à donner une éducation religieuse. Leur nombre n’a cessé d’augmenter, une étude du ministère pakistanais de l’Intérieur, réalisée après le 11 septembre, révèle qu’il y a vingt-huit fois plus de madrasas au Pakistan qu’en 1947. À la naissance du Pakistan, elles étaient 245, en 2001, le chiffre monte à presque 900 (une partie significative est dirigée ou liée à l’union des partis islamistes baptisée Coalition pour l’Action ou Muttahida Majlis-e-Amal (MMA) (1).

Les années 1980 correspondent à une période où le régime militaire, recherchant une légitimité, a parfois utilisé la religion pour promouvoir son projet politique. Il est fort possible que de nombreux facteurs internes et externes se soient combinés pour entraîner cette multiplication de ces madrasas. Alors que, autrefois, le discours djihadiste et le fondamentalisme n’avaient guère fait partie du programme d’étude normal de la madrasa, c’est la conjugaison de divers facteurs qui a permis l’acqui­sition par ces établissements d’une dynamique propre, échappant au contrôle du pouvoir central. Parmi les écoles les plus radicales, figure la madrasa Haqqani, di­rigée par Maulana Sami ul-Haq. De nombreux dirigeants talibans, dont le mollah Mohammad Omar (2), ont été formés par cette institution.

De la même manière, le siège du Jamaat-e-Islami, à Lahore, fait par exemple of­fice de madrasa où des étudiants (estimés à 200) reçoivent une éducation religieuse doublée d’une formation politique. D’autres madrasas sont devenues aujourd’hui des institutions conséquentes : la plus célèbre, la Dar ul-Uloom au Baloutchistan, à titre d’exemple, accueille des centaines d’étudiants en internat et externat. Il y a aujourd’hui près de 800 000 étudiants qui suivent des formations dans les diverses écoles du pays. Ce système d’enseignement, libre et gratuit, concurrence un secteur public moribond et quasi inexistant. Aujourd’hui, ce sont les madrasas puritaines déobandies qui sont les plus influentes au Pakistan, au détriment de l’école Barelwis (3), l’autre grand courant de l’islam pakistanais, même s’il reste minoritaire par rapport au courant déobandi.

Les madrasas déobandies ont bénéficié de la protection du général Zia ul-Haq dans les années 1980. Ironie du sort, les États-Unis ont également joué un rôle im­portant dans l’encadrement des madrasas par la guerre sainte contre les Soviétiques en Afghanistan. Si ces écoles religieuses assurent de nombreuses fonctions sociales très utiles, le type et le contenu de l’éducation qu’elles dispensent constituent le principal sujet de préoccupation. L’État pakistanais est aujourd’hui devant d’im­menses défis. Ce pourquoi il n’hésite pas à utiliser la manière forte, comme l’attaque contre la mosquée Rouge et ses deux écoles coraniques, qui s’est soldée par la mort de plusieurs étudiants et a ravivé la flamme djihadiste au Pakistan.

Il sera probablement très difficile de réglementer le fonctionnement de ces écoles dans certains régions, notamment les zones tribales. Le 18 août 2001, le gouver­nement a publié une ordonnance (Pakistan Madrasah Education Board Ordinance) en vue d’une intégration des séminaires dans le système d’éducation général. Cette mesure se heurte jusqu’à présent à des fortes pressions de la part des oulémas, c’est à dire les érudits en religion, en arabe.

Mais le débat sur le lien supposé entre les madrasas et le terrorisme ne doit pas occulter à la fois la longue histoire des madrasas et les différences qui existent entre elles. Pendant une longue période de l’histoire de l’islam, elle étaient la principale source du savoir religieux et scientifique, au même titre que les universités et les écoles religieuses d’Europe. Entre les viie et xiie siècles, elles ont même produit des sommités de la pensée libre, comme al-Biruni (astronome, philosophe et historien, 973-1050), Avicenne (philosophe et médecin, 980-1037) ou encore al-Khwarizmi (mathématicien du ixe siècle). Les plus grands des penseurs hindous, tel le brillant réformateur Ram Mohan Roy (1772-1833), sont également issus des madrasas

Les Pachtounes représentent la plus importante ethnie historiquement, politi­quement et numériquement : ils sont douze millions, dont sept du côté afghan et environ six du côté pakistanais. Ils ont par conséquent une disposition naturelle à s’unir contre les mêmes adversaires, qu’il s’agisse des Soviétiques hier, des sei­gneurs de la guerre de l’Alliance du Nord du commandant Massoud, ou encore des Américains et des Occidentaux aujourd’hui.

Ils habitent dans le Sud-Est de l’Afghanistan et dans le Nord-Ouest du Pakistan. Ils sont également connus sous le nom de Pachtous, Pathans (en ourdou) ou Afghans (en persan). Les Pachtounes, ethnie dominante de l’Afghanistan (50 %), sont vraisemblablement issus d’un même ancêtre qui aurait vécu dans ce qui est aujourd’hui l’Afghanistan. Entre les xiiie et xvie siècles, plusieurs tribus pachtounes émigrent au Pakistan.

Musulmans sunnites, les Pachtounes parlent le pachto, qui comporte deux dia­lectes principaux. Ce sont généralement des agriculteurs et des éleveurs. Ils sont organisés en plus de cinquante tribus, elles-mêmes divisées en sous-tribus, clans et sous-clans. Les dirigeants des tribus (les khans) ont un pouvoir limité. Hospitalité, droit d’asile mais aussi vendetta les caractérisent. Le tribalisme chez les Pachtounes se définit par le respect d’un code appelé le pashtounwali. C’est un ensemble de règles tribales qui prévalent sur toute autre forme de loi, un ensemble de valeurs qui définissent un modèle de comportement à la fois social et ethnique. Les talibans sont essentiellement issus de cette ethnie.

Si les talibans sont apparus initialement en Afghanistan, on parle aujourd’hui également des talibans pakistanais, regroupés au sein du mouvement islamiste Tehrik-e-Taliban Pakistan (4). Dans quelle mesure le lien idéologique entre les deux mouvements peut-il permettre un retour des talibans sur la scène afghane, ce qui semble être le cas aujourd’hui en dépit des offensives répétées de la coalition étrangère ? Peut-on désormais parler d’un début d’échec des États-Unis dans ce pays ? L’intégration du Pakistan dans la stratégie afghane des États-Unis n’est-elle pas un aveu d’impuissance de Washington et une fuite en avant dans une guerre qui semble impossible à gagner militairement ?

 

Talibans afghans, pakistanais et al-Qaida, même combat

La nécessité d’attaquer les États-Unis devrait varier en fonction de la fermeté avec laquelle les États-Unis contiennent les djihadistes au Moyen-Orient, en Asie du Sud et en Afrique du Nord. Pour le moment, les États-Unis n’arrivent pas à contenir du tout le Pakistan et l’Afghanistan, deux endroits où al-Qaida (5) est implanté de longue date, avec la complexité et le soutien des talibans aussi bien au Pakistan qu’en Afghanistan.

Il serait par conséquent logique qu’al-Qaida y concentre ses ressources. Le Pakistan est particulièrement précieux, car il possède des armes nucléaires ; Bruce Riedel, un ancien de la Central Intelligence Agency (CIA) et aujourd’hui membre de la Brookings Institution, le qualifie de « pays le plus dangereux du monde ac­tuel ». Le double jeu des autorités pakistanaises ( peut-il en être autrement !?) com­plique la tâche des Américains qui se trouvent face à un allié douteux ou du moins pas très sûr, en dépit des positions antitalibans affichées par le pouvoir d’Islamabad.

En effet, deux décisions prises dernièrement par les autorités du Pakistan vien­nent justifier ce doute et susciter de l’inquiétude de la part de Washington. Tout d’abord, l’accord passé avec un important chef taliban, stipulant l’imposition de la charia (ou loi islamique) dans la vallée de Swat, à quelques centaines de kilomètres de la capitale Islamabad, et surtout la libération du scientifique pakistanais A. Q. Khan, jusque-là en résidence surveillée, soupçonné d’avoir livrer des secrets nu­cléaires à certains pays, notamment l’Iran et la Corée du Nord.

En Afghanistan, les talibans gagnent du terrain, ils restent étroitement liés au mouvement al-Qaida en adoptant sa tactique des attentats suicides, notamment celle qui a coûté la vie à l’ancien Premier ministre du Pakistan, Benazir Bhutto. Certaines rumeurs laissent penser qu’ils ont également tenté d’assassiner le prési­dent afghan Hamid Karzaï en avril 2008, tentative qui a avorté grâce notamment à la protection rapprochée dont il bénéficie.

L’intégration du Pakistan dans la stratégie de guerre globale des États-Unis contre le «terrorisme », les offensives répétées contre les talibans et les djihadistes islamistes dans le territoire pakistanais, les dégâts collatéraux et leur cortège de vic­times civiles ont monté le monde musulman contre l’Amérique. Ainsi, le pourcen­tage de population ayant une opinion favorable des États-Unis a chuté à son plus bas niveau (à peine 13 %) si l’on croit les chiffres du Pew Global Attitudes Project

(6).

Aussi bien les talibans que le mouvement de Ben Laden cherchent à mener la guerre d’abord sur le plan des idées et de l’idéologie de la guerre sainte contre l’enva­hisseur étranger, et à chaque bavure, ces idées trouvent écho chez l’homme de la rue afghan et pakistanais. C’est à mon sens un des atouts de la résistance afghane, qui parie sur le pourrissement de la situation politique, économique et militaire, et bien évidemment sur l’onde de choc que pourraient susciter dans l’opinion publique des pertes en vies humaines dans l’armée américaine, venant à dépasser le seuil de l’inacceptable. Les États-Unis sont véritablement soumis à rude épreuve. Si, après le 11 septembre, personne ne doutait que Washington avait le droit de poursuivre par la force les auteurs des attentats meurtriers, cependant la décision de déclencher une vaste opération impliquant l’OTAN était quelque peu risquée. Or, pour réussir, il fallait une victoire militaire décisive, suivie d’un solide engagement financier et politique de longue haleine, visant une réforme de la société afghane, en s’appuyant sur des partenaires locaux fiables et respectés, également engagés dans la voie de la réforme. Ajoutons que la réussite d’une telle action d’envergure peut se réaliser non pas sans mais avec les talibans, qui forment une force vive du pays.

Sur le terrain, les États-Unis d’Obama continuent de commettre les mêmes erreurs que celles de l’administration précédente, en se reposant sur les chefs de guerre de l’alliance du Nord, largement affaiblie, et en s’appuyant sur un président qu’ils ont installé et à qui on a assigné l’impossible mission de bricoler un semblant de gouvernement central à Kaboul, dont les affaires de corruption de ceux qui l’entourent lui enlèvent toute légitimité. Les fraudes massives lors des dernières élections qui ont consacré la réélection de Karzaï, d’ailleurs entérinées par les États-Unis, montrent, si besoin, la fragilité du processus démocratique, présenté comme un moyen de sortie de crise et d’une stabilisation durable du pays. Il est intéressant de remarquer que les Américains se sont montrés incapables d’éliminer les chefs d’al-Qaida et des talibans. Ces derniers ont même intensifié la résistance anti-amé­ricaine, à tel point que le président Karzaï a été obligé de négocier avec les talibans un cessez-le-feu ; mieux encore, il voulait officiellement les associer à la direction politique du pays, ce qu’ils ont refusé à plusieurs reprises.

Les deux grands alliés, Ben Laden et Ayman al-Zawahiri (7), continuent à diffu­ser des cassettes, défiant les forces américaines et la coalition internationale. De leur côté, les talibans, qui ont maintenu des liens étroits avec les tribus pachtounes des deux côtés de la frontière pakistano-afghane, se regroupent et constituent une réelle menace pour les troupes de l’OTAN, cloîtrées dans des camps et ne se manifestant que pour exécuter des raids et des bombardements aériens.

Le ministre des Affaires étrangères pakistanais est même allé jusqu’à déclarer que l’OTAN devait « accepter la défaite » et que ses troupes devaient se retirer. Que ce soit du côté afghan ou du côté pakistanais, les talibans ont repris l’initiative, les attentats suicides se multiplient, la culture du pavot et l’exportation d’opium explosent. La reconstruction se fait au ralenti, et les institutions « démocratiques » s’affaiblissent, à supposer qu’elles existent déjà. Contrôlées par des « seigneurs de la guerre », les provinces prennent de plus en plus leurs distances avec le gouverne­ment de Kaboul.

L’offensive américaine contre l’Afghanistan et depuis peu contre le Pakistan (supposé être une base arrière des talibans afghans et des combattants arabes d’al-Qaida) s’inscrit dans la volonté des États-Unis de contrôler cette région du sous-continent indien. La guerre qu’ils mènent contre le terrorisme islamiste profite de l’absence de politique étrangère européenne et porte un coup sévère à l’Organisa­tion des Nations unies, plus que jamais affaiblie. Les États-Unis se jouent de l’avenir du Pakistan en élargissant ces frappes militaires au territoire pakistanais, en dépit du refus du gouvernement pakistanais et ce après avoir manifestement échoué à battre al-Qaida et ses alliés talibans en Afghanistan.

Le Pakistan est, aujourd’hui, prisonnier de la réalité du terrain et compte un certain nombre de groupes islamistes radicaux. Or, pendant des années, ils avaient participé aux combats en Afghanistan ou au Cachemire avec sinon le soutien, du moins l’approbation des autorités pakistanaises. Résultat, une partie importante de la population du pays éprouve de la sympathie à l’endroit de ces « djihadistes », élevés au rang de héros de l’islam.

D’autre part, le Pakistan est dépendant de son alliance avec les États-Unis pour des raisons économiques et financières évidentes. En clair, il se retrouve pris entre le marteau américain et l’enclume islamiste. L’attitude américaine s’appuie sur une vision colossalement gonflée des capacités de dissuasion de l’Amérique et sur la capacité de Washington à définir une politique adaptée à ses intérêts et ses buts.

Aujourd’hui, l’exemple le plus frappant de cette situation est le Pakistan. L’Amérique suit deux objectifs prioritaires : d’une part, elle cherche à éviter que les armes et les technologies nucléaires du Pakistan prolifèrent ou tombent entre les mains des « djihadistes », d’autre part, elle s’acharne à battre ses ennemis les plus re­cherchés : les talibans et le groupe al-Qaida, pour un très maigre résultat par rapport aux objectifs que s’est fixés la guerre d’Afghanistan, aujourd’hui élargie au Pakistan.

Mais comment en est-on arrivé à cette situation ?

Assuré du soutien inconditionnel des Américains, l’ancien président pakistanais Musharraf a joué un double jeu. Il a aidé les États-Unis en Afghanistan et a ensuite laissé les talibans et al-Qaida s’échapper et reconstruire leurs bases au Pakistan. Les liens entre les talibans afghans et pakistanais semblent aujourd’hui plus forts que jamais. C’est cette collusion d’intérêts et d’objectifs communs qu’on désigne au­jourd’hui par al-Qaida du Pakistan.

L’histoire a montré que ces zones tribales montagneuses – sept districts semi-autonomes – n’ont jamais pu être soumises à une quelconque autorité. Ces terres où vivent les Pachtounes, au code rigide d’honneur et de vengeance, ont infligé une leçon cuisante aux derniers conquérants britanniques et soviétiques. Ce peuple a vaincu l’Empire britannique des Indes, qui avait proclamé ses zones « territoire tribal indépendant ». Le Pakistan, né en 1947, n’a pu faire mieux et les a décrétées « zones tribales fédérées ». C’est la dernière phase de cette histoire agitée, com­mencée après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, avec l’arrivée au Pakistan de centaines de rebelles islamistes chassés de l’Afghanistan. Ces Pachtounes afghans ont retrouvé ici les tribus qui les avaient soutenus dans leur « guerre sainte » contre l’occupant soviétique dans les années 1980.

Les Américains se sont vite confrontés à une situation désastreuse. D’un côté, grâce à l’hospitalité de Musharraf, al-Qaida et les talibans contrôlent de larges zones du Pakistan et ont déclaré le djihad contre leur hôte, mettant ainsi l’arsenal nu­cléaire du Pakistan en grand danger. En même temps, ils se servent de leurs bases pakistanaises pour intensifier leur insurrection en Afghanistan. De l’autre côté, fi­dèle à sa politique constante depuis qu’il a pris le pouvoir en 1998, Musharraf a continué à ne pas prendre au sérieux la menace des talibans et d’al-Qaida. Le but de sa dernière promulgation de la loi martiale et de la suspension de la Constitution du Pakistan n’était pas de lui permettre de mieux combattre les « djihadistes », mais de briser son opposition libérale, dont les membres demandent la démocratie et la fin du régime militaire.

Et, au milieu de tout cela, les Américains se trouvent dépourvus de moyens de pression, notamment après la démission du président général Musharraf et la perte d’un allié supposé fiable dans la région, si l’on exclut l’Inde. La tentative maladroite de Washington de mener une bataille claire et noble contre al-Qaida s’est fourvoyée non seulement du fait de la complexité des tribus et chefs de guerre afghans, mais aussi en raison du jeu dangereux et compliqué du Pakistan. Celui-ci, dans sa bataille vitale pour le Cachemire, doit miser sur ses propres groupes islamistes. Islamabad appelle ainsi l’OTAN et le gouvernement afghan à accepter l’inévitable présence en Afghanistan de « talibans modérés », auxquels il a d’ailleurs cédé le contrôle d’une de ses régions – le Waziristân du Nord. S’installe de ce fait une base à partir de laquelle des résistants talibans attaquent les soldats de l’OTAN et recourent même maintenant, chose jamais vue dans ce pays, à la technique des « attentats suicides » : la connexion avec l’Irak serait-elle devenue réalité ? Du coup, la « guerre contre le terrorisme » a fini par rendre les États-Unis dépendants du Pakistan, qui, lui-même, se trouve dans une alliance structurelle avec l’islamisme radical. De surcroît, les élites et le régime pakistanais croient leur pays protégé de l’islamisation rampante par les hiérarchies traditionnelles qui caractérisent cette société. Et si la « pakistani-sation » d’al-Qaida se muait en « al-qaidisation » du Pakistan ? Les médias améri­cains ignorent ce phénomène inquiétant.

Si le Pakistan d’aujourd’hui a réussi à stabiliser ses soutiens internationaux en basculant du côté américain après le 11-Septembre, la situation interne du pays est plus que préoccupante. L’échec de l’ouverture politique, l’impossible démili­tarisation même relative du régime, la crise économique, l’irrédentisme dans un Baloutchistan revenu à l’insurrection et la talibanisation progressive des zones tri­bales dessinent un avenir incertain que ne suffit plus à garantir le soutien américain.

La réalité afghane et pakistanaise ne s’inscrit pas dans le cadre prévu pour elle par Washington, les offensives répétées des forces étrangères contre les bases des talibans et des combattants d’al-Qaida ne changeront hélas pas grand-chose à cette réalité qu’il faudrait admettre : il ne peut y avoir de victoire militaire et, en prépa­rant la guerre, les États-Unis n’ont guère préparé la paix. L’exemple de l’Irak est peut-être en train de se répéter en Afghanistan.

Cette communauté de vues entre les talibans des deux côtés de la frontière afghano-pakistanaise pose beaucoup de problèmes aux Américains et va constituer sur le long terme un des défis que Washington doit relever dans cette région. En effet, le Pakistan, l’un des pays sur lesquels Washington a misé ces dernières années, est aujourd’hui un refuge potentiel pour les talibans et les combattants d’al-Qaida. Il est par ailleurs une source de danger supplémentaire en ce qu’il est un pays nu­cléarisé, par l’intermédiaire duquel des groupes terroristes pourraient accéder aux technologies nucléaires. Le Pakistan, un pays de quelque cent soixante-sept millions d’habitants, est le seul État musulman qui détienne l’arme atomique ; il peut la pro­jeter à deux mille cinq cents kilomètres grâce à des missiles de longue portée. Ces données lui confèrent une importance stratégique d’autant plus forte qu’il est situé à l’intérieur du « foyer perturbateur » du monde et à la lisière des crises afghane, iranienne et proche-orientale.

Les Américains sont maintenant confrontés à une situation désastreuse. Trois éléments fondamentaux font aujourd’hui la force des talibans : leur sanctuaire au Pakistan, leur lien avec al-Qaida et leur financement par l’argent du pavot. Les liens entre les talibans afghans et pakistanais semblent aujourd’hui plus forts que jamais. C’est cette collusion d’intérêts et d’objectifs communs qu’on désigne aujourd’hui par « al-Qaida du Pakistan ». Les talibans pakistanais, dirigés par un certain Mehsud que l’on donnait pour mort le 5 août 2009 suite à un raid américain, contrôlent aujourd’hui de larges zones du Pakistan et viennent de mettre en garde le nouveau président pakistanais, Asif Ali Zardari, contre toute poursuite de la politique de son prédécesseur. En même temps, ils se servent de leurs bases pakistanaises pour intensifier leur insurrection en Afghanistan.

Certes, l’offensive de l’armée pakistanaise a quelque peu affaibli la structure militaire de certains groupes talibans. Mais ils continuent à bénéficier d’énormes sources de financement et d’une solidarité à toute épreuve de la part des autres groupes talibans des deux côtés de la frontière, ce qu’on appelle communément les « zones tribales » (8). Le gouvernement pakistanais pensait en avoir fini avec les talibans quand leur chef, Baïtullah Mehsud a été tué le 5 août 2009 par un drone américain. « Sa mort va provoquer des luttes internes et semer le désarroi dans leurs rangs », claironnait alors Mehmood Qureshi, le ministre des Affaires étrangères. Quelques semaines plus tard, les combattants islamistes nommaient son succes­seur : Hakimullah Mehsud, 29 ans, qui a donné le ton en commettant une série d’attentats meurtriers, notamment contre l’armée pakistanaise, accusée de collabo­rer avec les infidèles. La plus spectaculaire a été l’assaut contre le quartier général de l’armée à Rawalpindi, le 10 octobre 2009.

L’humiliation a été terrible pour l’armée. Elle a déclenché une offensive le 17 oc­tobre 2009 contre le Waziristân du Sud, à la frontière afghane, avec 28 000 soldats lancés à l’assaut d’un des principaux fiefs des insurgés. Les attentats ont continué : le 28 octobre, une voiture piégée tuait plus de 100 personnes sur un marché de Peshawar et 35 encore à Rawalpindi, le 1er novembre de la même année. Les talibans pakistanais ont les moyens de leurs ambitions. Le TTP, l’un des principaux mou­vements, s’appuie sur un trésor de guerre alimenté par le crime organisé et la prise d’otages, notamment d’étrangers. Les kidnappings sont une des principales sources de financement des talibans. Les rançons peuvent grimper jusqu’à 200 millions de roupies (1,6 million d’euros), surtout à Karachi, la capitale économique, « vivier » d’hommes d’affaires fortunés. Les islamistes sont aussi des professionnels du bra­quage. Au printemps, ils ont dévalisé plusieurs banques à Mingora et Chagdara, dans la vallée de Swat. Ils ont alors expulsé la police et les notables, jusqu’à ce que l’armée intervienne au cours de l’été. L’année dernière, un commando pro­bablement affilié à Tariq Afridi, chef taliban pakistanais, a attaqué un véhicule de la Bostan, une entreprise pakistanaise de transport de fonds, entre Peshawar et Islamabad. Les trois employés de la Bostan ont été tués. Les malfaiteurs sont repar­tis avec 140 millions de roupies (1,1 million d’euros).

« La plupart du temps, ces gangs agissent pour leur propre compte, surtout à Karachi, détaille Mansur Khan Mahsud, chercheur au Fata Research Center, spé­cialiste des zones tribales. Cependant, ils reversent une partie de leurs gains aux talibans, car ils font partie des mêmes tribus. Pour les Pachtouns, la solidarité cla-nique est importante. » Avant sa mort, Baïtullah Mehsud recevait régulièrement des « dons » prélevés sur des rançons extorquées à des hommes d’affaires de Karachi. Les gangs proches des talibans ne sont pas les seuls à appliquer la solidarité tribale. Des talibans se rendent régulièrement dans les grandes villes du Pakistan pour faire des appels aux dons auprès de la communauté pachtoune. Ces dons sont calcu­lés en fonction du rang social et de la richesse estimée des différentes catégories pachtounes du Pakistan. Autres donateurs : les hommes d’affaires de la diaspora pachtoune. Installés en Europe, en Arabie Saoudite, en Chine et aux Émirats arabes unis, ils ont fait fortune dans l’immobilier, le transport de marchandises, le BTP les placements financiers. Ils sont fortement sollicités au nom de la solidarité tribale pachtoune. À l’instar des riches hommes d’affaires saoudiens, soucieux d’observer la zakat, l’impôt musulman, estimé chaque année à 2,5 % de leur revenu versé à des ONG ou des madrasas liées aux talibans, les hommes d’affaires pachtounes basés à l’étranger reversent une partie de la richesse récoltée en guise de zakat aux talibans.

Maulana Sami ul-Haq est l’un de responsables chargés d’organiser la récolte de ces sommes d’argent et de faire le lien avec les donateurs étrangers. On estime à 1,2 milliards d’euros la somme d’argent qui rentre au Pakistan, destinée aux talibans. Sénateur, membre de la Jamiat Ulema-e-Islami, un parti islamiste, il dirige la madrasa Darul Uloom Haqqania, près de Peshawar. Son école accueille 6 000 élèves. Si la madrasa rejette tout lien avec des groupes terroristes, elle compte parmi ses anciens étudiants plusieurs chefs talibans. Le plus célèbre est le mollah Omar, chef du régime taliban en Afghanistan dans les années 1990, l’une des personnes les plus recherchées par les Américains depuis 2001. Ces sommes d’argent servent à financer l’effort de guerre contre les soldats étrangers, mais également à rémunérer les combattants talibans, dont le salaire mensuel peut osciller entre 100 et 1 000 euros, notamment dans le cas des combattants de Tariq Afridi, leader taliban pakistanais. Ce qui représente une fortune dans un pays où le salaire mensuel moyen ne dépasse guère 70 euros.

La solidarité financière entre différents groupes talibans est par conséquent so­lide et infaillible, dans un pays où la police financière est quasi inexistante. La création en juillet 2003 de la Federal Investigation Agency (FIA), chargée de lutter contre le blanchiment d’argent, la cybercriminalité, le financement du terrorisme, le recueil d’indices sur les sites frappés par un attentat, n’a eu aucun effet dissuasif tant la tâche est gigantesque. Les combattants talibans continuent à se procurer les sommes annuelles dont ils ont besoin pour mener la guerre au Pakistan et en Afghanistan en toute impunité.

Au milieu de tout cela, les Américains se trouvent dépourvus de moyens de pression et ne semblent pas avoir de solution de rechange face à la montée en puis­sance de la résistance anti-américaine depuis le Pakistan, comme en témoignent les attaques répétées par des talibans pakistanais tous près de l’aéroport de Peshawar, lieu de passage et de transit hautement stratégique pour alimenter les forces inter­nationales stationnées en Afghanistan.

L’immense frayeur, à Washington et dans d’autres chancelleries, c’est que les is­lamistes pakistanais, alliés aux talibans, finissent par s’emparer des rênes de l’État et mettent la main sur l’arme atomique. La présence aux affaires du président Obama ne change rien à cette vision américaine des choses. L’avenir semble même plus incertain si les États-Unis ne changent pas leur manière d’approcher les dossiers chauds du moment, en un mot ne tirent pas les leçons des erreurs dramatiques et de l’échec de l’ancienne administration. En somme, s’orienter vers une vision plus partagée du monde et abandonner leur approche unilatéraliste, notamment en matière de conduite de la politique étrangère. Robert Gates, le chef du Pentagone, n’a-t-il pas rappelé aux soldats américains qui se battent en Afghanistan, lors de sa dernière visite le 8 mars dernier, je cite : « Nous avons des temps difficiles devant nous » ? Sans doute a-t-il raison.

Les troupes de la coalition aidées par l’armée afghane devraient lancer cet été une offensive d’une grande envergure à Kandahar, deuxième grande ville afghane et bastion traditionnel des talibans. Ce sera certainement l’heure de vérité quant à la capacité des forces internationales à réaliser ce pour quoi elles sont en Afghanistan, à savoir débarrasser le pays des talibans et ouvrir une ère nouvelle de paix et de sta­bilité dans la région. Le risque étant de généraliser la guerre à l’ensemble des tribus pachtounes, soupçonnées d’être le soutien des talibans des deux côtés de la frontière pakistano-afghane (9) et majoritaires dans le pays, ce qui pourrait éloigner peut-être définitivement une solution politique et entraîner les forces de la coalition dans une guerre d’usure, avec un coût financier et surtout humain inacceptable pour une opinion publique lasse d’une guerre pour laquelle elle ne voit pas d’issue.

Notes

  • MMA : Muttahida Majlis-e-Amal (Conseil uni pour l’action). Coalition de six partis religieux, les plus radicaux, parmi lesquels le Islami Tehreek Pakistan (ITP), dont l’idéologie se rapproche de celle des talibans, le Jamiat Ulema-e-Pakistan (JUP), le Jamiat Ahle Hadith (MJAH), le Jamaat-e-Islami (JI), le Jamiat Ulema-e-Islami (JUI-F) . C’est une alliance islamiste radicale, opposée au gouvernement fédéral. Proche des talibans afghans, elle a été élue par réaction à la collaboration du pouvoir central d’Islamabad avec les Américains et les Occidentaux dans la lutte contre le terrorisme. La coalition constitue depuis les élections d’octobre 2002 la 3e force politique. Acteur en pleine ascension depuis 2002, elle s’impose comme une coalition avec qui le régime civilo-militaire doit compter. Vice-président du MMA, Qazi Hussain Ahmed proclame la volonté de son parti de supprimer les bases américaines en territoire pakistanais et de faire sortir le pays de la coalition forgée par les États-Unis « contre le terrorisme », ajoutant qu’il établirait dans les régions qu’il contrôle une « loi islamique totale », sans « jamais accepter la culture occidentale ». La charia (loi musulmane) est désormais imposée dans la province de la Frontière du Nord-Ouest (NWFP), dont la capitale est Peshawar. Les militants de la plupart des groupes constituant le MMA, surtout les jeunes, ne se distinguent pas fondamentalement de ceux qui, sous les étiquettes des talibans ou d’al-Qaida, s’engagent peu à peu dans la lutte armée des deux côtés de la frontière. C’est en grande partie à cause de l’implication et du militantisme de la coalition du MMA que la guerre d’Afghanistan a ainsi gagné du terrain au Pakistan et qu’on parle aujourd’hui de « talibans du Pakistan ».
  • Mollah Omar, de son vrai nom Omar Abdurrahman Ajonzada, est né en 1959 à Kandahar, ville aujourd’hui bastion des talibans afghans. Ce mot « mollah » est utilisé pour désigner le clergé chiite ; chez les sunnites, on utilise plutôt le mot « ouléma » pour des fonctions similaires. Titre qui désigne une personnalité religieuse, il est surtout utilisé dans l’islam asiatique et notamment du sous-continent indien. En ourdou, au Pakistan et en Afghanistan, ce terme correspond au statut de cheikh. Combattant lors de la guerre contre les Soviétiques, où il perd un œil, le mollah Omar monte sa propre madrasa après le départ des Soviétiques en 1989. Il constitue une petite milice de maintien de l’ordre local, à qui il donne le nom de talibans. À peine constitué d’une soixantaine de militants au départ, le mouvement s’est vite agrandi, avec le renfort de centaines puis de milliers de volontaires. De régionale et limitée, l’ambition du mollah Omar et des combattants talibans devient nationale et politique, avec notamment le soutien du Pakistan et de ses services secrets (ISI). Cette ambition a atteint son apogée pour devenir internationale sous l’influence de Ben Laden.
  • Les Barelwis constituent avec les Déobandis les deux principales écoles des ulama (savants musulmans) du sous-continent indien. École musulmane mystique, elle est proche du soufisme, né à Bareilly en Inde. Majoritaire dans les zones rurales, l’école Barelwis incorpore certaines pratiques culturelles hindoues et accepte le culte des saints. Fondé par Ahmed Riza Khan (1856-1926) à la fin du xixe siècle, ce mouvement est à la fois le pendant et le rival des Déobandis. Les deux écoles ne sont pas de même avis quant au rôle des « purs ». Les Déobandis sont farouchement opposés aux purs du fait de leur non-respect de la charia et du soufisme, et voudraient substituer le rôle de ces derniers à celui des oulémas. Les Barelwis préconisent la perpétuation des traditions populaires relatives au soufisme, aux Lieux saints et au rôle des purs héréditaires. Ahl-i Sunnat, groupe fondamentaliste non politisé, issu du mouvement des Barelwis, milite à titre d’exemple pour un islam inchangé, sans recours à un passé idéaliste, et accorde une grande importance aux cultes des saints, au travers desquels s’exprime l’islam populaire. Le mouvement Barelwis a développé un islam populaire, très axé sur la Sunna du prophète Mohammad et, de ce fait, proche du courant salafiste et wahhabite. Il a une dévotion particulière pour le prophète Mohammad.
  • Tehrik-e-Taliban Pakistan : TTP (Mouvement des talibans du Pakistan). Ce mouvement est dirigé par le chef tribal Baïtullah Mehsud, leader présumé de ce qu’on appelle al-Qaida au Pakistan. Ce dernier a fait allégeance à Oussama Ben Laden, leader incontesté d’al-Qaida. Installé dans les zones tribales, les combattants de TTP sont essentiellement issus de ces régions, à la frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan, connues pour être farouchement autonomes. Le nombre de combattants du TTP oscille entre 3 000 et 20 000 hommes, qui bénéficient du soutien financier d’al-Qaida. Son leader Baïtullah Mehsud (donné pour mort dans un raid de drone américain en août 2009) a fédéré une quarantaine de mouvements extrémistes qui sont autant de force de frappe contre le gouvernement et l’armée pakistanais. Le TTP, qui est l’aile politique des mouvements islamistes, qui ont fait des zones tribales leur bastion, dispose de plusieurs factions armées qui utilisent la violence comme moyen de résistance face à l’offensive de l’armée pakistanaise, notamment dans le district tribal de Bajur et dans la vallée de Swat. Washington considère qu’al-Qaida et les talibans afghans ont reconstitué leurs forces dans les zones tribales pakistanaises grâce essentiellement au soutien du TTP de Baïtullah Mehsud. Cette pression américaine se solde par l’interdiction du TTP par les autorités pakistanaises, accusé notamment de l’attentat qui a coûté la vie à Benazir Bhutto, et le lancement d’une vaste opération militaire pakistanaise appuyée par l’armée américaine pour déloger les partisans du TTP des zones tribales frontalières avec l’Afghanistan.
  • Al-Qaida : nom donné à un réseau mondial de groupes islamistes plutôt qu’à une simple organisation structurée et puissante. Le nom al-Qaida (qui signifie la « base » en arabe) a été introduit par le gouvernement américain pour décrire un mouvement qui avait pris naissance dans la résistance des moudjahidine en Afghanistan. Al-Qaida est l’ancêtre du MUK (Maktab ul-Khadamat, ou Bureau des services) créé par Abdullah Azzam. À la mort de ce dernier en 1989, un de ses anciens élèves, du nom de Ben Laden, lui succède à la tête du MUK. Quelque temps après, Ben Laden transforme le MUK pour lui donner l’actuel nom d’al-Qaida.
  • Le Pew Global Attitudes Project est une série de sondages d’opinion publique mondiale sur l’état actuel du monde. Plus de 200 000 entretiens dans 57 pays ont été menés dans le cadre de ce groupe de travail. Le projet est réalisé par Andrew Kohut, président du Pew Resarch Center, et financé principalement par The Pew Charitable Trust. Depuis sa création en 2001, le Pew Global Attitudes Project a publié 27 rapports importants, ainsi que de nombreux commentaires sur des sujets tels que la vision du monde de l’Amérique et de sa politique étrangère, la mondialisation, le terrorisme, et la démocratisation. Le projet est coprésidé par l’ancien secrétaire d’État américain Madeleine K. Albright, et par l’ancien sénateur John C. Danforth.
  • Médecin égyptien, Ayman al-Zawahiri est né en 1951 au Caire dans une famille moyenne, il est un brillant étudiant, plutôt intelligent. Mais l’évolution des événements défavorables à l’Égypte, notamment sa défaite cuisante et rapide lors de la guerre dite des Six Jours face à Israël, le pousse vers la radicalisation. C’est très jeune, à l’âge de 14 ans, qu’il rejoint le groupe des Frères musulmans, premier mouvement islamiste formé en Égypte par Hassan al-Banna en 1924. Il poursuit cependant ses études et obtient brillamment, en 1974, le diplôme de docteur en chirurgie. Il s’aligne sur les thèses radicales du Djihad islamique égyptien, qu’il dirigera plus tard. À la tête de l’organisation paramilitaire du Djihad islamique égyptien, groupe actif depuis les années 1970, son idéologie s’inspire de celle des Frères musulmans égyptiens. Il appelle au remplacement du gouvernement égyptien corrompu par un système de califat et l’application stricte de la charia (la loi islamique) en opposition contre (je cite al-Zawahiri) « […] l’empire américain et [le] gouvernement juif mondial ». Il est même arrêté lors des vagues d’arrestations qui ont suivi l’assassinat de l’ancien président égyptien Anouar el-Sadate. Il est relâché quelque temps après, faute de preuves. Après avoir travaillé en tant que médecin dans une base militaire de l’armée égyptienne, en 1980, il part exercer son métier de médecin auprès des blessés et des réfugiés afghans à Peshawar au Pakistan. Sur place, il rencontre Oussama Ben Laden, qui gère un camp de transit de moudjahidine, connu sous le nom de MUK (Maktab ul-Khadamat, ou Bureau des services), dirigé alors par le Palestinien Abdellah Azzam. À la mort de ce dernier en 1989, Ben Laden s’associe avec al-Zawahiri pour transformer le MUK en organisation qui prendra le nom emblématique d’al-Qaida, littéralement la « base » en arabe. En 1998, al-Zawahiri fusionne le Djihad islamique égyptien avec al-Qaida. Commence alors une vraie relation d’amitié, de complicité et de concordance de vues entre les deux hommes. Al-Zawahiri est considéré comme le médecin personnel de Ben Ladeen et le stratège de l’organisation, à ce titre il est le numéro deux d’al-Qaida. Il est connu sous plusieurs pseudonymes, comme Abou Mohammed, Abou Fatima, Abou Abdallah, l’Oustaz (le professeur) ou encore le docteur. Confident de Ben Laden, il forme avec ce dernier les deux figures emblématiques de l’organisation. Homme de lettres, il publie quelques ouvrages, parmi les quels on peut citer La Cure pour les cœurs des croyants (Shifa’Sudur al-mouminin), publié en 1996, Le Front islamique mondial contre les juifs et les croisés en 1998 (coécrit avec Ben Laden et qui constitue un pas important vers l’élargissement du djihad à l’échelle planétaire). Le 4 mars, il publie sur Internet un livre intitulé L’Absolution (al-tabri’d), dans lequel il réfute les critiques formulées en 2007 par un de ses anciens fidèles, le djihadiste repenti Imam al-Sharif, aujourd’hui emprisonné en Égypte.
  • Zone tribale : FATA, Federally Administered Tribal Areas, ou régions tribales fédéralement administrées. À propos du Pakistan, on entend souvent parler d’une « zone tribale », partie du Pakistan où les talibans et les hommes d’al-Qaida circulent librement, venant

 

de l’Afghanistan voisin. C’est un secteur auto-administré par la population locale, par conséquent totalement coupé du reste du pays et interdit aux étrangers. La naissance du FATA remonte à l’Empire britannique des Indes. Ces régions sont situées au nord-ouest du Pakistan, le long de la frontière avec l’Afghanistan. La population totale est estimée à environ 3 350 000 habitants (estimation de l’année 2000), soit environ 2 % de la population totale pakistanaise. Le FATA est divisé en sept agences : Khyber, Kurram, Bajur, Mohmand, Orakzai, Waziristân du Nord et Waziristân du Sud, et en six régions frontalières (en anglais, Frontier Regions ou FR) : FR Peshawar, FR Kohat, FR Tank, FR Bannu et FR Dera Ismail Khan. Les principales villes sont : Miranshah, Razmak, Bajur, Darra Bazzar et Wana. Le chef-lieu des régions tribales est Peshawar. Du temps de l’Empire britannique, l’Angleterre exerce peu de contrôle sur ces régions redoutablement indépendantes. Le gouvernement local utilise tantôt la force, tantôt les pots-de-vin pour garder l’accès aux routes et cols stratégiques, et néglige le reste du territoire. Ce statu quo est encore d’actualité aujourd’hui. L’administration défectueuse de ces régions, voire l’absence totale de l’État pakistanais jouent en faveur des talibans en particuliers et des partis extrémistes en général. Régions réfractaires, elles sont régulièrement en conflit avec le pouvoir d’Islamabad à qui elles ne pardonnent pas son alignement sur la politique américaine de lutte antiterroriste. 9) Les Pachtounes représentent la plus importante ethnie historiquement, politiquement et numériquement : ils sont douze millions, dont sept du côté afghan et environ six du côté pakistanais. Ils ont par conséquent une disposition naturelle à s’unir contre les mêmes adversaires, qu’il s’agisse des Soviétiques hier, des seigneurs de la guerre de l’Alliance du Nord du commandant Massoud ou encore des Américains et des Occidentaux aujourd’hui. Ils habitent dans le Sud-Est de l’Afghanistan et le Nord-Ouest du Pakistan. Ils sont également connus sous le nom de Pachtous, Pathans (en ourdou) ou Afghans (en persan). Les Pachtounes, ethnie dominante de l’Afghanistan (50 %), sont vraisemblablement issus d’un même ancêtre qui aurait vécu dans ce qui est aujourd’hui l’Afghanistan. Entre les XIIIe et xvie siècles, plusieurs tribus pachtounes émigrent au Pakistan. Musulmans sunnites, les Pachtounes parlent le pachto, qui comporte deux dialectes principaux. Ce sont généralement des agriculteurs (blé, orge, fruits et légumes) et des éleveurs (moutons, chèvres, dromadaires, volailles). Ils sont organisés en plus de cinquante tribus, elles-mêmes divisées en sous-tribus, clans et sous-clans. Les dirigeants des tribus (les khans) ont un pouvoir limité. Hospitalité, droit d’asile mais aussi vendetta les caractérisent. Le tribalisme chez les Pachtounes se définit par le respect d’un code appelé le pashtounwali. C’est un ensemble de règles tribales qui prévalent sur toute autre forme de loi, un ensemble de valeurs qui définissent un modèle de comportement à la fois social et ethnique. Les talibans sont essentiellement issus de cette ethnie.

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