La politique de la Russie en Palestine

Artem STUDENNIKOV, Ministre-conseiller de l’Ambassadeur de la Fédération de la Russie en France

Résumé

Entretenir des liens avec les autorités d’Israël, défendre les intérêts d’un peuple palestinien dont les droits sont bafoués, préserver le droit international, et encourager une solution multilatérale : la Russie mène une politique active régionale sur tous les fronts. Soucieuse de ne pas perdre son positionnement médiateur stratégique, la puissance russe doit néanmoins faire face à des obstacles intra-palestiniens et à l’interférence de puissances étrangères au conflit.

Summary

Enhance relations with Israeli authorities, defend the Palestinian people’s rights and interests, preserve international law and implement a multilateral solution : Russia is leading an active regional strategy on all fronts. As it is anxious to maintain its strategic mediating position, the Russian power still has to face major palestinian domestic tensions and the interference of foreign actors in this conflict.

    Depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, la Russie joue un rôle majeur dans les dynamiques mondiales visant la région du Moyen-Orient, en particulier au sein de la communauté internationale dans le cadre de la problématique israélo-palestinienne. Du temps de l’Union Soviétique, le pays a fait un choix, et choisi le camp du monde arabe, et par là-même celui des Palestiniens. Mais au tournant de l’année 1991, la situation a évolué de façon considérable, menaçant les relations diplomatiques avec les autorités palestiniennes : la Russie a amorcé des relations diplomatiques privilégiées très constructives avec Israël, et pour cause : une grande partie de la population israélienne entretient des liens continus avec la Russie. Ainsi, la sécurité d’Israël constitue une affaire majeure pour l’Etat russe puisqu’elle implique la sécurité de quelques millions de ressortissants russes vivant dans cette région du monde.

Mais le pays est toujours aux côtés du peuple palestinien dans sa lutte et privilégie le processus de paix à deux Etats, en faveur d’un Etat palestinien et d’un Etat israélien. Aujourd’hui, la Russie entretient des relations privilégiées à la fois avec les Israéliens et les Palestiniens, ainsi que d’autres pays arabes. C’est bel et bien l’atout de la Russie dans le cadre international de ce conflit. Le pays dispose d’interlocuteurs en Israël, au sein du Hamas, à Al-Fatah, et dans l’ensemble des autres organisations palestiniennes. Ces représentants des différentes organisations palestiniennes viennent régulièrement à Moscou et ont des échanges suivis avec des dirigeants russes. Sur le plan humanitaire, la Russie coopère étroitement avec l’Office de secours et de travaux de l’ONU pour les réfugiés de Palestine et du Proche-Orient, qui apporte de l’aide à 5 millions de réfugiés palestiniens à Gaza, en Transjordanie, en Syrie, au Liban et en Jordanie. En ce sens, la Russie a pour objectif d’y joindre une aide de 10 millions de dollars dans les années à venir. Le pays demeure donc un acteur et médiateur principal dans la région.

Bien que la médiation soit encouragée par la Russie, sa position est claire : la colonisation israélienne sur le territoire occupé palestinien en Transjordanie est considérée comme illégale, illégitime, et violant les normes du droit international. La Russie rappelle en effet régulièrement son attachement à un règlement juste et global du conflit sur la base du droit international. Elle demeure fidèle aux décisions prises dans le cadre de la loi de 1925, notamment les Résolutions 242, 338, 1397 et 1852. Elle prône, en ce sens, la solution de « la terre en échange de la paix », formulée lors de la Conférence de Madrid en 1991, et s’est prononcée en faveur de la fin de l’occupation par Israël débutée en 1967 des territoires palestiniens, et de la création d’un Etat indépendant, coexistant aux côtés d’Israël, jouissant de frontières sécurisées et reconnues avec pour capitale Jérusalem Est.

Ainsi, la position russe est difficile à tenir. Conformément à la stratégie de médiation de la Russie, celle-ci soutient l’Initiative de paix arabe élaborée lors du Sommet de la Ligue des Pays Arabes à Beyrouth en 2002, ainsi que la Feuille de route de 2003 proposée par le quartette international regroupant l’ONU, la Russie, l’Union Européenne, et les Etats-Unis. L’Initiative de paix arabe qui a été proposée par El-Fouad, Prince de l’Arabie saoudite prévoit la création de deux Etats vivant en paix, en sécurité et en collaboration avec leurs voisins régionaux. La Feuille de route produite en 2003 détaille quant à elle les étapes permettant d’atteindre cette solution de paix à deux Etats. Une fois cet objectif atteint, tous les pays arabes seraient, à leur tour, amenés à normaliser leurs relations avec Israël. Aujourd’hui, les tentatives menées pour revoir cette Initiative tendent à renverser l’ordre du processus de paix, en prônant une normalisation des relations entre les pays arabes et Israël avant l’établissement d’une solution israélo-palestinienne.

La Russie a suivi avec beaucoup d’attention la décision prise par l’administration Trump au mois de décembre 2017 de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël et d’y transférer l’Ambassade américaine. Cette décision est vite apparue comme une menace supplémentaire pour les relations israélo-palestiniennes. La Russie a donc immédiatement réaffirmé son engagement et son positionnement médiateur afin d’encourager une reprise dans les meilleurs délais des négociations directes entre Israéliens et Palestiniens. Ces discussions étant fortement réduites depuis la victoire au mois de janvier 2006 du Hamas. En ce qui concerne Jérusalem, la position russe demeure inchangée : la ville doit devenir la capitale de deux Etats indépendants et rester ouverte aux fidèles des trois religions qui y coexistent. Ainsi, la Russie en appelle aux deux partis à cesser toute action violente qui pourrait dégrader davantage la situation, et toute stratégie unilatérale qui pourrait prédéterminer le bilan des négociations dans le cadre d’une résolution bilatérale de ce conflit.

Il y a quelques années, une délégation israélienne a formulé une demande auprès de la Russie afin d’organiser une rencontre entre les partis sur le territoire russe sans condition préalable. La dégradation de la situation a mis en pause les intentions et démarches mutuelles de négociations. Toutefois, les Israéliens ont réaffirmé leur volonté de tenir cet entretien sans avoir précisé de délai. Et la Russie est toujours disponible pour accueillir cette rencontre dès lors que les deux partis concernés seront prêts.

L’absence d’unité palestinienne demeure le principal obstacle à une négociation construite. Il faut parvenir à cette unité afin d’offrir sur la scène internationale diplomatique, un interlocuteur palestinien unique et privilégié. La Russie considère aujourd’hui l’Organisation pour la Libération de Palestine comme représentant légitime unique du peuple palestinien. Mais elle fait face malheureusement à des contradictions intra-palestiniennes persistantes et accrues. La perspective de l’élaboration d’une position palestinienne claire lors des futures négociations avec Israël s’éloigne chaque jour.

C’est la raison pour laquelle Moscou entreprend des efforts afin d’aider ses alliés palestiniens à surmonter ces dissensions. Les 11, 12 et 13 février 2019 à Moscou, s’est tenue la troisième rencontre des dirigeants de douze partis et mouvements palestiniens : pour la première fois en dix mois, la Russie est parvenue à réunir les représentants des principales forces de Palestine, et a réussi à relancer le processus de dialogue intra-palestinien. Une déclaration commune a été adoptée à l’issue de cette rencontre, dite Déclaration de Moscou, qui a confirmé l’aspiration palestinienne à surmonter au plus vite la scission interne, et la volonté commune de créer un Etat indépendant et viable sur la base des décisions du Conseil de sécurité de l’ONU et de l’Initiative arabe de la paix. Malheureusement, tous les participants palestiniens à cette réunion n’ont pas signé cette Déclaration. Mais la Russie poursuivra ses efforts en ce sens, car il est impensable que le manque de représentant palestinien unique permette à des acteurs extérieurs de s’exprimer au nom du peuple palestinien lors de la signature d’accords internationaux ou la tenue de conférences visant au rétablissement de la paix dans le Proche et Moyen Orient.

En effet, la dynamique actuelle dans la région et dans le monde est préoccupante. Une tendance très nette à la menée d’actions unilatérales est constatée, notamment de la part de l’administration américaine. Le deal du siècle pourrait changer la donne. Or, personne ne connaît les détails de ce “Deal of the Century”. Les Etats-Unis assurent qu’il ne vise pas à torpiller la solution à deux Etats, mais nous ne pouvons nous fonder que sur les rumeurs et les informations transmises par les médias, en attendant que soit publié ce Plan. Washington a d’ailleurs émis la possibilité d’organiser un séminaire sur la Paix et la Sécurité, les 25 et 26 juin 2020, portant notamment sur le processus de paix au Proche-Orient. Il paraît normal que les Palestiniens aient catégoriquement refusé de participer à ce projet américain, car il est évident qu’il s’agit ici d’une nouvelle tentative américaine de déplacer les priorités des acteurs de la région.

Malgré tout, la Russie fera tout son possible pour continuer à épauler les deux partis, et à promouvoir la paix dans cette zone du monde déjà très affaiblie.

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