La France et les Transformations Géostratégiques Actuelles au Moyen-Orient

L’Académie de Géopolitique de Paris a organisé le 08 février 2012 un séminaire sur la France et les Transformations géostratégiques actuelles au Moyen-Orient avec la participation d’experts et de spécialistes de la région.

Le séminaire a été inauguré par Monsieur Jacques MYARD député de la Nation, président du Cercle Nation et République :

J’ai le plaisir d’accueillir à l’Assemblée nationale le séminaire sur « la France et les transformations géostratégiques au Moyen-Orient » que vous organisez, je tiens à saluer tout spécialement  M. Rastbeen, président de l’Académie de géopolitique de Paris qui a pris l’heureuse initiative  de cette conférence ; je souhaite la bienvenue également aux participants nombreux – dont certains visages me sont familiers –  qui composent l’assistance et qui viendront pour certains d’entre eux s’exprimer à la tribune.

Qu’il me soit permis à titre liminaire de préciser les choses : député de la nation, UMP, j’ai ma liberté de parole et je n’ai pas pour habitude de me conformer strictement aux directives de mon parti ; il m’arrive de prendre mes distances par rapport à certaines positions officielles et même d’aller  à contre-courant de ma famille politique…

Les bouleversements qui, depuis un an, se sont succédé à une vitesse accélérée sur la rive sud de la Méditerranée ont surpris d’abord le monde occidental, et la France. On nous a accusés de ne rien avoir vu venir.

Je crois que la surprise a été générale et que les observateurs, même les plus avisés, n’ont pu prédire ce mouvement de révolte qui en si peu de temps allait embraser le sud méditerranéen. Un rapport parlementaire de la Commission des affaires étrangères, paru sur cette région en décembre 2010 , n’a fait aucune  allusion à ce qui se passait en Tunisie ; pas un mot n’y laissait présager les événements qui s’y sont produits peu après. Il y a peut-être là, paradoxalement, quelque chose de rassurant pour l’esprit de penser que l’Histoire n’est pas entièrement prévisible…

Cela me rappelle ce que l’un de nos ambassadeurs télégraphiait à Paris à la suite d’un coup d’Etat en Amérique latine :  » La situation évolue rapidement, dans une direction, que je ne connais pas !  »

Comment imaginer, en effet, que partie de Tunisie en décembre 2010 qui parvint à chasser du pouvoir Ben Ali en un mois, l’effervescence qualifiée de révolutionnaire allait gagner successivement un grand nombre des pays du Maghreb et du Proche-Orient, la Libye, l’Egypte, le Maroc jusqu’à la Syrie et  les monarchies du golfe…?

Les causes profondes en sont pourtant depuis longtemps connues : usure de régimes dictatoriaux, dont la richesse est aux mains de clans familiaux, corruption et difficultés économiques aigües, impatience d’une jeunesse nombreuse, souvent bien éduquée, influence d’internet et de ses réseaux sociaux.

Les soulèvements populaires ont revêtu diverses formes selon les pays, selon les régimes avec un rôle particulier de l’armée mais il faut noter que ce mouvement est venu des populations elles-mêmes, qu’il n’y a pas eu d’ingérence des pays occidentaux. La jeunesse en colère brandissaient des affiches et scandaient des slogans appelant à plus de liberté, plus de démocratie, aucun d’eux n’affichaient de slogans hostiles à l’Occident. Cela mérite d’être relevé.

Ces mouvements lèvent, évidemment, des espoirs immenses de la part des peuples concernés mais  il est permis de s’interroger sur le devenir de ces « printemps arabes ».

– Interrogations sur la situation économique et sociale alors que le chômage augmente, que le tourisme est en chute, que le prix alimentaires et du pétrole flambent.

–   Interrogations politiques sur la transition démocratique : les élections, démocratiques, ont confirmé que les grands bénéficiaires sont les partis d’islam, Ennahda en Tunisie, Frères musulmans en Egypte. Par ailleurs en Libye,  la Charia a été incluse dans la constitution ; le courant salafiste est présent et se renforce dans cette région du monde. Force d’opposition, travail social de terrain, et autour des mosquées expliquent le succès des forces islamistes avec lesquelles les gouvernements doivent composer.

La crainte est que ces partis islamistes, qui ne sont pas à l’origine des soulèvements, ne confisquent la victoire et les aspirations démocratiques dont elle est porteuse.

Il nous faut donc surveiller attentivement le processus en cours, la place réservée aux minorités religieuses, chrétiennes, notamment, échaudées par l’expérience irakienne alors que les coptes, en Egypte, sont victimes de violences, les droits accordés aux femmes.. Gardons-nous de toute naïveté en la matière.

Que faire ? Bien évidemment, il nous faut aider cette région engagée dans une mutation complexe et rapide, tout bouleversement ne peut manquer d’affecter notre propre devenir.

La Méditerrannée est notre « Mare nostrum ».  Berceau de notre civilisation, c’est le lieu de toutes les ruptures, politiques, religieuses, économiques, démographiques, comme je l’analysais dès 1995 dans un rapport pour la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale sur les enjeux de la Méditerrannée. Il nous faut tirer la leçon de Fernand Braudel, notre destin est liée à celui de la Méditerranée. C’est là que se joue  la paix du monde, j’en suis convaincu depuis toujours.

Renforcer notre aide et notre partenariat avec les pays arabes et de la Méditerranée est un impératif.

Intervention armée de la France en  Libye, soutien à la transition démocratique, visites d’Etat de notre ministre des affaires étrangères Alain Juppé, coopération renforcée avec les pays arabes attestent que la Méditerranée est un axe fort de notre diplomatie.

Qu’il me soit permis de dénoncer ici une faute, celle qui a consisté jusqu’alors pour notre diplomatie à concentrer tous ses efforts sur l’Europe, en négligeant sa rive sud.

Certes, l’Europe a eu son utilité, avec le marché unique et a contribué en abaissant les chauvinismes économiques à la prospérité du continent. Mais on ne construira pas les Etats-Unis d’Europe. L’Europe de papa est morte, et « l’Europe-puissance » compte tenu de l’hétérogénéité des 27 bientôt 30 Etats de l’U.E.  est une idée d’avenir qui le restera longtemps ! Pour preuve, ce sont la France et l’Angleterre qui ont agi et engagé leurs forces en Libye.

Sur les décombres du Processus de Barcelone, l’Union pour la méditerranée, née en 2007, est une excellente initiative qui a pour base des projets concrets. Mais le fait de l’avoir insérée dans la méthode communautaire pour ne pas déplaire aux Allemands est une grossière erreur. Nous avons globalisé  les problèmes. Pour être réellement efficace, il nous faut une coopération qui combine le multilatéral et le bilatéral.

Notre action diplomatique doit aider les forces modérées, il nous faut soutenir les régimes qui, confrontés aux aspirations de leurs peuples, essaient de mettre en place des réformes. Mais, comme tout mouvement de libération, les printemps arabes ont aussi libéré les mouvements radicaux jusqu’alors maintenus au silence par les mains de fer peu scrupuleuses du respect des droits de l’Homme. Que feront les partis islamistes de leur victoire? Certaines prises de position de leurs dirigeants sont sources d’inquiétudes. Notre message doit être très clair à cet égard et notre exigence clairement et fermement rappelées, en particulier s’agissant du respect des minorités.

Notre aide financière vers les pays du sud  doit se poursuivre car les besoins économiques et sociaux, en matière d’accès à l’éducation et d’emploi des jeunes sont considérables, et seule leur satisfaction permettra d’écarter le spectre du radicalisme.

Notre coopération dans les domaines régaliens, de justice, de sécurité, est à développer .

Notre coopération pour aider à la transition démographique, bien amorcée dans certains pays, doit également être renforcée.

Il importe de développer la connaissance mutuelle entre nos deux rives, les échanges intellectuels avec l’islam et les pays arabes. Certes, nous disposons de brillants chercheurs mais je suis frappé de voir que nous avions de grands experts, tels Jacques Berque ou Maxime Robinson, et qu’aujourd’hui ces voix nous manquent. J’appelle aussi à la mise en place d’ instituts universitaires ou post-universitaires qui permettraient de remédier au déficit de connaissance réciproque de nos cultures .

Enfin, la stabilisation de ce monde qui est à notre porte ne pourra réussir s’il ne s’accompagne de progrès substantiels dans la résolution du conflit israëlo-palestinien. Les négociations entre Israëliens et Palestiniens doivent reprendre au plus vite afin de conduire à une paix durable dans cette région du monde, qui est cruciale pour nous tous.

Après ces brefs propos, je tiens à vous remercier de votre attention. Devant me rendre à la séance des questions au Gouvernement, je regrette de ne pouvoir assister à la suite de vos travaux.  Je ne doute pas qu’ils soient riches et plein d’enseignements et qu’il me sera donné la possibilité d’en prendre connaissance ultérieurement.

La première intervention, celle du président Ali RASTBEEN, concerne l’Occident et les enjeux de la région du Golfe Persique. Le président présente tout d’abord  l’espace géographique du Moyen-Orient qui s’étend de la corne de l’Afrique jusqu’aux frontières de la Chine. Un espace qui rappelle le vaste territoire de l’empire islamique des Califes abbassides durant le 11e siècle, est devenu, depuis le 20e siècle à Washington, l’objet de la stratégie du « Grand Moyen-Orient ». Le projet du « Grand Moyen-Orient » devait permettre d’utiliser l’ouverture des pays libérés du joug de l’ex-Union soviétique dans cette région, mais compte tenu de l’action et de la présence militaire américaines ainsi que l’intervention de l’Otan dans le bourbier afghan et irakien, ce projet a contribué à aggraver les difficultés de cette partie du monde. En effet, au lieu des campagnes militaires du Pentagone et de l’Otan, il fallait des années auparavant, établir un programme au sein de l’Organisation des Nations unies en vue d’abolir, à l’échelle internationale, le système mondial du néocolonialisme qui s’est substitué, depuis le milieu du 20e siècle, au système colonial. Or, un tel projet était en contradiction avec les intérêts des grandes puissances. L’organisation des Nations unies auraient dû agir en tant que représentant des nations unies sans se soumettre aux alliances des puissances rivales.

Il n’est pas inconcevable de surpasser l’obstacle stratégique de Washington dans le Moyen-Orient. Le « printemps de liberté » en Tunisie et en Égypte a mis en épreuve la philosophie politique de Washington : les dictateurs soutenus par Washington, issus des casernes, qui ont gouverné pendant des années grâce aux milliards de dollars annuels gaspillés par le Pentagone, ne pouvaient plus satisfaire les besoins de Washington. Ils devaient quitter la scène politique et laisser la place à de nouveaux acteurs. Le « pragmatisme » de la diplomatie américaine les a lâchés. Les locataires des palais du Caire, de Tripoli, de Tunisie et de Sanaa ont disparu dans la tempête des événements. Très vite, il s’est avéré, qu’aucun printemps n’est en vue. Cependant, la principale difficulté du Moyen-Orient est la présence dominatrice de Washington. Le soutien unilatéral à l’égard d’Israël aux dépends des droits de ses voisins constitue la tumeur qui ronge cette région. Aujourd’hui, en concentrant ses forces maritimes dans le Golfe Persique et ses navires ancrés dans les ports d’Italie, Washington nous rappelle les premières années après la Seconde guerre mondiale. Cette politique prépare le terrain aux événements inattendus et confus de l’avenir. Lors de son départ précipité du bassin militaire du Golfe Persique, Londres a cédé ses bases militaires à Washington. Le Bahreïn, principal siège du Pentagone, a couvert les autres bases militaires américaines, notamment à Dahran en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis. Cependant, la domination ancienne de la Grande-Bretagne dans le Golfe Persique, a préservé la position politique de Londres dans les littorales du Golfe Persique et de la mer du Sultanat d’Oman.
Dans le cadre des évolutions stratégiques survenues au Moyen-Orient, où la France a installé depuis deux ans une base militaires dans les Émirats arabes unis, Moscou y pénètre progressivement, tandis que la Chine tente dans ce bassin politique et économique d’avoir sa part du marché d’armement et de s’assurer un accès direct au marché international du pétrole et du gaz.
Londres qui tient à préserve sa crédibilité historique, a envoyé sa marine pour accompagner les bâtiments américains dans le Golfe Persique et la Mer d’Oman. La menace de la fermeture du détroit d’Ormuz par l’Armée des Gardiens de la révolution d’Iran, a subitement transformé le Golfe Persique et la Mer d’Oman en un lieu où pourrait survenir un tsunami mondial à grande envergure. La gravité de la situation pourrait être démontrée par la prise de position subite de la Grande-Bretagne qui, dans des conditions où elle tente de diminuer son budget militaire, déclare vouloir envoyer une marine de guerre dans le Golfe Persique.

Bien qu’une guerre destructrice semble devenir nécessaire pour sortir l’Occident de la crise économique, néanmoins, le Golfe Persique n’est pas l’endroit favorable pour y parvenir. Le premier coup de feu tiré par n’importe quel irresponsable des belligérants risquerait de se transformer immédiatement en un tsunami qui pourrait conduire le monde à sa perte. La crise économique occidentale doit être résolue en transformant le système archaïque concentré à Wall Street.

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Monsieur le professeur Jean-Paul CHARNAY a alors pris la parole, pour intervenir sur la structure sociale et le pouvoir politique du Printemps arabe, il a commenté ainsi : le printemps est une saison magnifique : la nature se réanime. Maléfique : les germes pathogènes se réveillent. Que de printemps se sont terminés en catastrophe ; en répression : Printemps des peuples en Allemagne en 1848, durement critiqué par Engels ; qui y fut combattant. Printemps de la Commune de Paris en 1871 qui se termina par la semaine sanglante – car il fut court « le temps des cerises ». Printemps de Prague en 1968, bloqué par les chars du communisme… Qu’en sera-t-il pour le « Printemps arabe » ?

Il avait été déclenché par le suicide (interdit en Islam qui y voit une révolte contre le dessein de Dieu) par le feu d’un jeune diplômé, Mohammed Bouazizi, dans un petit bourg tunisien, Sidi Bouzid, qui rejeté du marché du travail, subsistait comme vendeur de fruits et légumes à la sauvette, et dont l’état était renversé par la police. Simple fait-divers en soi mais expression lamentable de la désespérance de la jeunesse arabe aux yeux tournés par le nord de la Méditerranée, comme, sur le côté est de la porte de Brandebourg les yeux des jeunes de la RDA étaient tournés vers Berlin-Ouest.

Le fait-divers avait été entouré de scènes évoquant les plus sombres drames shakespeariens. Avant la « longue » agonie de Yasser Arafat, l’attentat ciblé contre Cheikh Yassine, paraplégique cloué dans son fauteuil roulant et doctrinaire absolu du Hamas, l’extraction hors d’un trou de Saddam Hussein hirsute, un américain inspectant les dents comme d’un animal ou d’un esclave ; sa pendaison en direct devant les télévisions mondiales ; le cadavre d’Oussama Ben Laden jeté à la mer… Après ! Leila Trabelsi épouse du président tunisien Ben Ali s’enfuyant dans la nuit avec une tonne d’or. L’Egyptien Moubarak présenté à ses juges sur une civière, le libyen Kadhafi sorti d’un égout, lardé de coups de couteaux. Tandis que la révolte secouait toutes les jeunesses arabes. Scènes qui, après la série d’attentat ayant décimés les chefs d’Etats et les premiers ministres arabes depuis 1945 – depuis les indépendances – invitaient à poser la question : « Quand les sociétés arabes se décideront-elles à changer de souverains ou de présidents  autrement que par la mort, ou le coup d’Etat ? »

En d’autres termes :

« Les sociétés arabes ont-elles été victimes consentantes d’une acculturation politique abusive en revendiquant lors des indépendances le statut et la forme d’Etats-nation ? » Symbole : la Ligue arabe est La Ligue des Etats, non des peuples arabe. Ce qui a favorisé une capitale confusion : «  prendre la décolonisation pour une révolution, alors qu’elle n’était qu’un changement de pouvoir politique, non de structure sociale ». Ce qui a entrainé deux conséquences néfastes :

  • Le refoulement de l’espérance d’une nation arabe et une fragilité souvent conflictuelle entre ces nouveaux Etats-nations.
  • L’organisation d’un pouvoir politique autocratique personnifié, rigidifié par un parti politique unique (ou quasi unique). Et sa prise en mains par l’armée, les militaires censés être les plus « efficaces » dans la construction des institutions, les plus « rassembleurs » dans l’unité nationale, et les plus « techniciens » dans le développement économique fondé sur un socialisme d’Etat ou sur un dirigisme accentué, opposés en leurs principes mais générant en fait une nouvelle strate sociale tenant les nouvelles administrations, les grandes entreprises et les licences d’importations et d’exportations. Strate sociale de fonction néo-bourgeoise mêlant les leaders de guerre de libération et les membres des bourgeoisies capitalistiques marchandes traditionnelles.

Mais cette rigidification du pouvoir surplombant mais ne contrôlait pas l’évolution générale des structures sociales : accroissement démographique, généralisation de l’enseignement, aspiration au consumérisme occidental, entrée sur la scène internationale, (tiersmondisme), nationalisation des ressources « primaire », (canal de Suez, des hydrocarbures). Tandis que les intellectuels arabes s’emparaient de la notion de « révolution » : thawra et l’illustraient par quelques  exemples prestigieux : révolution autogestionnaire algérienne, révolution internationaliste palestinienne.

Non sans paradoxe, c’est Zaïm le raïs militaire mainteneur de l’ordre établi et titulaire du pouvoir, qui s’affirme leader de la révolution.

Or, les sociétés arabes demeuraient des sociétés mixtes :

–   Quant à leur composition ethnoculturelle : massifs berbères marocains, Kabylie et Aurès algériens, Église copte en Égypte, minorités chrétiennes ou animistes noirs au Sud-Soudan (depuis Indépendant), kurdes en Irak, église de chrétiens orientaux en Syrie, confessionnalisme constitutionnel au Liban, Israël en Palestine, et dans les émirats petrodollariens de la péninsule arabique, afflux de travailleurs étatiquement organisés (Chinois) ou individuellement immigrés (Asie du Sud-est).  Les protections à l’égard de ces travailleurs étrangers, fusent-ils arabes et de haut niveau, étant particulièrement rigoureuses dans la péninsule arabique.

–   Ces non-cohérences sociologiques s’accentuent ou s’organisent selon l’autonomie administrative, linguistique et culturelle que leur laisse le pouvoir central, qui peut être issu de la majorité ethno-religieuse (Egypte), ou au contraire être confiée à une minorité équilibrant deux groupes principaux ; en Irak les sunnites entre les Kurdes au nord et les chiites au sud ; en Syrie les Alaouites entre les sunnites musulmans et les Églises locales. Or la territorialisation ethnoculturelle ou religieuse constitue un frein puissant à l’apparition du « nouveau citoyen ».

–   Quant à leurs institutions lesquelles résultent de leur pénétration plus ou moins profonde par les droits, le constitutionnalisme et le bureaucratisme des pays industrialisés, socialistes ou libéraux.

En d’autres termes, le pouvoir politique joue, ou s’accommode de l’interaction entre les anciens réseaux de dépendances, de favoritisme, de solidarité et de clientélisme (famille, clan, tribus, confrérie religieuse, origine ethnoculturelle et géographique…..), et les nouvelles administrations instituées selon le modèle occidental. Celles-là doublent ou s’infiltrent à travers celles-ci. Inversement celles-ci s’affirment et régularisent celles-ci – non sans phénomène de corruption aux deux sens du terme : corruption – dégradation de leur mission ; corruption économique et financière au profit des particuliers.

–  Quant à leurs droits : multijuridisme que la colonisation puis la mondialisation économique ont imposé aux sociétés arabes (droit coranique, coutumes locales,  droit commercial international, droit international public, droit humanitaire des conflits, droit financier prohibant l’intérêt…), se mettent peu à peu en place de nouveaux standards juridiques engendrant de nouvelles structures dans les sociétés arabes.

Soit, en géosociologie, les deux principaux types de répartition sociale : les sociétés à parois verticales, les sociétés à parois horizontales.

–     À parois verticales : sociétés où les individus et les groupes sont qualifiés par leur rattachement à des ensembles fondés sur l’origine, sociétés segmentées par tribus, clans, famille ayant souvent le même ancêtre éponyme, et dont les solidarités et l’évergétisme (les protections et les soumissions) s’exercent du sommet à la base, et réciproquement. Il est plus important d’être membre de telle tribu ou confession, que d’être paysan ou banquier.

–    À parois horizontales : sociétés de classes où il est plus important d’être banquier ou paysan qu’originaire de telle tribu ou membre de telle confession.

Encore faut-il préciser, dans le monde contemporain industrialisé si telle société de classe est complète ou incomplète : soit schématiquement : la classe politique nationale, la haute administration et la direction des grandes entreprises (d’État ou privées) ; l’élite, les professions libérales, les grandes PME, les classes moyennes, la classe ouvrière et la paysannerie plus ou moins importante, et diversifiées entre les parcellaires et les lotis fundimaires, le sous-prolétariat, les démunis, les pauvres.

Qu’en était-il dans les sociétés arabes depuis la fin de la seconde Guerre mondiale, et l’obtention des indépendances ? soit quatre « arrêts sur images ».

1950 : la plupart des pays arabes sont encore des sociétés à parois verticales, réparties selon leur origine ethnoculturelle et leurs réseaux familiaux, mais supportent cependant certaines mutations : une partie de la classe marchande traditionnelle se transforme en bourgeoisie d’affaire qui va se lier avec la néo-bourgeoisie d’administration ( à la fois bureaucrate et parti unique) ; écrasante majorité paysanne ; faiblesse de la classe ouvrière, la colonisation n’ayant pas poussée l’industrialisation. Le tout étant encadré dans l’ordre colonial plus général, ordre ternaire horizontal : le milieu européen dominant ; la société masculine en rapports de travail et de salariat avec le milieu envoyé (administration et colons) ; le milieu féminin réglant les équilibres familiaux : matriarcat implicite et collectif protège l’occidentalisé et maintenus des valeurs traditionnelles et de l’islamité.

1975 : à la faveur de circonstances géopolitiques et économiques exceptionnelles, le Liban s’est enrichi, est qualifié de la « Suisse du Proche-Orient ». Une bourgeoisie d’affaires et de finances équilibre les classes sociales en gestation : une société à parois horizontales semble se structurer. Mais les facteurs enrichissant s’enrayent les uns après les autres, et le pays plonge dans une guerre civile où s’affrontent les communautés confessionnelles en partie quadrillées par les idéologies révolutionnaires et les appétits économiques.

1990 : le développement du secteur secondaire (extraction /exportation/début de l’industrialisation) se poursuit entrainant un exode des ruraux vers les villes, l’extension des classes moyennes encore très frileuses vis-à-vis de l’armée, l’apparition d’une véritable classe ouvrière (ceci étant à apprécier selon chaque pays). Mais les lenteurs du développement, les faiblesses des idéologies proposées à la jeunesse (« fade ») Islam officiel, socialisme tiers-mondialiste, ou révolution/ réaction khomeiniste sont dépassés par la poussée démographique entrainant le chômage  des jeunes, ou « trabendistes » , ou « soutien de murs ». D’où en Algérie, leur révolte durement réprimée. Année d’aplomb, décennie : notre panarabe s’effondre et la reprise de la guerre entre « blancs » et « musulmans »  (Soviétiques en Afghanistan, Occidentaux dans le Golfe, pris en Afghanistan et en Irak) déterminent l’extension de l’islamisme de combat.

Dès lors les sociétés arabo-musulmanes se répartissent en trois grandes masses très dénivelées.

– Quelques millions de personnes, du chef d’Etat aux policiers de bases et aux bureaucrates du parti, avec leurs intellectuels ralliés, leur bourgeoise d’affaires, leurs investissements en Occident….qui tiennent le pouvoir  en répriment à la fois les tenants de l’Islam radical et les promoteurs des droits de l’homme.

– Quelques centaines de millions de personnes subissant sous et appelant contre la pression des gouvernements le retour à une politique plus morale, plus traditionnelle ; remontée de l’islamisation oblique à une vie tempérée  dans un environnement culturel et culturel apaisé.

– Quelques centaines de milliers de personnes aux deux extrêmes ; djihadistes forcenés, stratèges d’un terrorisme de destruction massive ; et musulmans néo-occidentaux chantres d’un islam des lumières souvent implantés en Occident, où ils propagent la figure d’un islam culturel, mystique, réduit à l’observance : devenant folklore ou festivité et soumettant les normes coraniques relatives au statut de la famille, à la condition féminine, aux châtiments corporels, au jugement de la contextualisation : c’est-à-dire à l’appréciation de leur applicabilité dans le monde contemporain – ce qui débouche un relativisme historique négateur de la révélation.

– 2011 : la progression démographique entrainant vers les villes côtières un afflux de ruraux devenant des néo-urbains produit par le nouvel enseignement des générations de jeunes gens légèrement « universitalisés », mais que le monde du travail ne peut absorber. Se pose le problème de l’adéquation entre la construction d’une nouvelle stratification sociale et le type d’activité dont elle pourra avoir besoin. Or une certaine proportion  de ces jeunes sont formés pour le secteur tertiaire : gestion, management, langues étrangères, informatique. Or ces matières sont statistiquement trop peu utilisables pour créer des emplois en masses. Tandis que les formations scientifiques et techniques se heurtent au trop lent développement industriel.

D’où ces manifestations de masse de jeunes adultes au chômage structurel, sautillant en faisant le V churchillien pour fêter le succès de leur équipe de football , se transformant en accompagnateurs des brancards portant les blessés et les morts causés par les répressions, se transformant en lanceurs de cocktails Molotov, enfin engageant des combats de rue, agissent-ils en révoltés. Ou initient-ils une véritable révolution arabe : éviction de « père » souverain , prise du pouvoir par une nouvelle classe sociale ? Avise le paradoxe : que les techniques nouvelles permettent une communication nationale et internationale mobiles et internet quasi-instantanée servant non pas d’intégration sociale et professionnelle, mais facilitent la contestation et la subversion.

Ces révoltes ont mis à bas les autocrates qui avaient persuadé les Occidentaux qu’ils les protégeaient contre les islamistes radicaux, ce qui les autorisait à concasser les éventuels partis d’opposition.

Certes cette n’a pas été prévue. En revanche la remontée de l’islam comme force idéologique et politique capitale du monde contemporain a bien été prévue dès avant l’explosion de Khomeiny et de sa révolution islamique, et il est symptomatique de constater que dans les pays dont les chefs d’Etat ont pratiqué la patrimonialisation de la richesse publique au profit de leurs familles, s’amorçait la constitution de quasi-dynasties au profit du fils : Tunisie de Ben Ali, Libye de Kadhafi, Egypte de Moubarak-outre, intervenue, Syrie d’El-Assad – à classes sociales évidentes mais se déclinent à travers ses vieilles parois verticales.

Il était dès lors prévisible que la masse de quelques centaines de millions de musulmans non djihadistes affirment leur islamité lors de nouvelles élections « libres » : Maroc, Tunisie, Libye, Egypte, Yémen ?

Or une véritable révolution exige la mutation de deux ensembles : un remplacement de philosophie politique et de légitimation idéologique (droit divin, généalogie ou souveraineté nationale), et l’accession d’une nouvelle classe sociale au pouvoir (gentry, bourgeoisie, prolétariat, paysannerie), et leur mise en forme par des intellectuels.  Qu’en est-il pour les sociétés arabes actuelles : la révolte  des jeunes adultes débouchera-t-elle sur une véritable révolution ?

Un simple changement dans le personnel politique,  l’éviction des titulaires du pouvoir et de leurs commissaires et privilégiés les plus marqués- ne constituent pas (encore) une révolution. Ainsi de la Tunisie, pays où s’est le mieux établie une société à parois horizontales, et aussi l’Egypte alors que la Libye, la Syrie, le Yémen et sous un certain aspect l’Irak, demeurent en partie des sociétés à parois verticales exaltant moins une révolution que des conflits sociétaires s’amplifiant en combats meurtriers, l’armée accomplissant des répressions policières. Les monarchies pétrolières de la péninsule arabique demeurent en transition. Alors si la disparition quasi-subite et simultanée de chefs d’Etat résulte bien d’une révolte, mais une véritable révolution arabe – arabo-musulmane – supposerait deux volets.

– Quant aux structures sociales et au pouvoir politique : accélération du passage d’une société à parois verticales en une société à parois horizontales, et plus précisément, organisation des classes moyennes sur lesquelles repose le jeu de la démocratie alternante en des partis structurés. Mais les militants des droits publics demeurent souvent plus préoccupés de leur défense « technique », antipolicière (torture), que l’élaboration de projets politiques généraux. La société civile existe, elle doit acquérir son autonomie politique et constitutionnelle à travers les diversités.

Le Printemps de Jasmin avait été précédé d’une autocritique personnelle : geste de désespérance négative, appel politique positif, contrepartie des islamokazes ? Martyre de croyant, sacrifice de militant, révolte singulière ou nouveau citoyen ?

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L’intervention suivante du recteur Gérard François DUMONT traite les enjeux des révolutions arabes. En effet, les révolutions arabes qui se sont déroulées en 2011 peuvent se résumer à quatre éléments. D’abord une révolte organisée essentiellement par des jeunes générations. D’ailleurs la date initiale, le 17 décembre 2010, est l’immolation d’un jeune Tunisien. Ensuite, les révolutions arabes se sont traduites par la mise à l’écart de chefs des régimes autoritaires antérieurs (Tunisie, Égypte, Libye, Yémen) ou l’aménagement des pouvoirs (Maroc), En troisième lieu, les élections, là où elles se sont déroulées, ont donné la victoire aux islamistes (Tunisie, Egypte et Maroc) selon lesquels les lois idéales sont celles dictées par Dieu et non discutés par les hommes. Enfin, point à ne pas oublier, lorsque les diasporas résidant l’étranger ont pu voter, donc dans le cas de la Tunisie, leur vote en faveur des islamistes a été aussi favorable que dans le pays.
Contrairement à ce qui a été asséné très souvent, aucune de ces évolutions n’était imprévisible, bien au contraire. En premier lieu, une des lois de la géopolitique des populations, la loi générationnelle, annonçait que lorsque le pois démographique absolu et relatif des 18-30 ans allait atteindre son maximum, le risque de révolte était élevé en cas d’insatisfaction de cette génération (Cf. Dumont, Gérard-François, Démographie politique : Les lois de la géopolitique des populations, Paris, Ellipses, 2007 ; et « Tunisie : si Ben Ali avait appris la géopolitique des populations », Population & Avenir, n° 702, mars-avril 2011). En deuxième lieu, les lois sociétales enseignent que l’élimination du chef est souvent une façon ou une tentative pour calmer les revendications. Concernant le troisième point, nombre de régimes arabes en place depuis des décennies avaient tout fait pour écarter les vraies démocrates, justifiant leur maintien au pouvoir vis-à-vis des Occidentaux sur le thème « moi ou le chaos islamiste ». D’où l’échec électoral des démocrates qui n’ont guère pu préparer les élections qui se sont déroulées en 2011. En revanche, les islamistes ont bénéficié de moyens financiers très importants venus d’autres pays du Moyen-Orient et ont bénéficié du changement de paradigme qui montait depuis plusieurs années (Cf. Dumont, Gérard-François, « Changement de paradigme au Moyen-Orient », Géostratégiques, n° 15, 2007). Enfin, l’importance du vote islamique au sein des diasporas témoigne de leurs difficultés d’intégration dans les pays du Nord.
Dans ce contexte, les enjeux des révolutions arabes peuvent être analysés à quatre échelles différentes. À celle des pays, les évolutions peuvent diverger en fonction de deux éléments : la capacité des nouveaux dirigeants à faire preuve d’efficacité économique ou de privilégier une idéologie religieuse visant à masquer les échecs économiques ; le rôle d’autres pays arabes qui cherchent à orienter les révolutions arabes dans le sens de la défense des intérêts de leurs propres régimes. À l’échelle de l’ensemble du monde arabe, aucun processus communautaire semblable à celui de l’Union européenne ne semble poindre. Il paraît plus probable que la conjugaison, d’une part, des nationalismes spécifiques à chacun des pays arabes et, d’autre part, de leurs influences extérieures différentes soient de nature à ne pas voir avancer réellement l’unité du monde arabe, en dépit des éventuels discours rhétoriques. À l’échelle nord-africaine et moyen-orientale, le risque de tensions accrues dans le conflit du Proche-Orient est réel, si les nouveaux régimes utilisent ce conflit comme dérivatif susceptible de masquer d’éventuels insuccès politiques ou économiques. Enfin, à l’échelle géopolitique du voisinage du monde arabe et plus particulièrement du nord de la Méditerranée, l’Union européenne risque d’être encore plus inaudible politiquement, économiquement et au plan des valeurs, puisque ses pays votent des lois sociétales jugées comme impies. Le risque, pour les pays arabes, d’une émigration croissante des jeunes ou de minorités insatisfaites de l’évolution de leur pays n’est pas à exclure.

Les révolutions arabes débouchent à ce jour sur un paradoxe. D’une part, la Méditerranée semble considérablement élargie compte tenu des écarts entre les référents politiques dominant au Nord et au Sud. D’autre part, la Méditerranée est extraordinairement étroite compte tenu de la croissance des diasporas arabes en Europe et de la très probable continuation de l’émigration du Sud vers le Nord.

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Pour ce qui concerne la cinquième intervention, Monsieur Jean-Michel SALGON nous expliqueles mouvements de contestations et les processus révolutionnaires qui ont marqué le monde arabe en 2011. Il constate qu’aucun pays n’a été véritablement épargné et que même dans les pays dans lesquels la contestation s’est révélée faible en intensité, comme l’Algérie et la Mauritanie, les régimes ont amorcé des réformes, une ouverture démocratique. Le modèle de l’assemblée nationale constituante a été unanimement célébré, réclamé. De très nombreuses formations politiques, à la durée parfois éphémère sont apparues lors de ces événements. Ce sont toutefois, systématiquement, les formations islamistes, qui ont bénéficié des processus électoraux (Égypte, Maroc, Tunisie) ou du climat d’instabilité (Libye) en cours. L’intervenant constate que ces révoltes ont révélé de profondes fractures au sein des sociétés concernées. Des revendications sociales, économiques témoignant d’un profond malaise ont provoqué de nombreux troubles et révèlent l’ampleur des attentes. Des fractures identitaires, car chaque révolte ou révolution a été marquée par des débats, parfois heurtés, sur l’identité arabo islamique, les rapports avec l’occident. Par ailleurs, des dissensions parfois très importantes sont apparues au sein même de la mouvance islamiste, sur fond de troubles à l’ordre public. Ces fractures sont durables, et seront à l’origine de nouvelles orientations politiques. Jean-Michel Salgon achève son intervention en abordant le jeu diplomatique du Qatar et de la Turquie, deux puissances désormais très influentes dans la région.

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L’intervention de Madame Ninou GARABAGHI portait sur les organisations internationales et régionales et les révoltes arabes. Partant d’une étude récente qu’elle a réalisée pour l’Académie de Géopolitique de Paris sur le cas des mouvements insurrectionnels en Afrique du Nord et au Moyen Orient et qui met en exergue les pièges et paradoxes du droit d’ingérence au regard de l’objectif de la paix universelle. Comme il ressort de cette étude, le fait marquant dans les révolutions tunisienne et égyptienne a été l’attentisme de l’Occident et le retrait des Organisations régionales locales en général. Si la Ligue des Etats arabes, le Conseil de Coopération du Golfe et l’Union africaine ont également réagi avec retard dans les cas de la Tunisie et de l’Egypte, ils ont aussi et surtout fait preuve d’une remarquable cacophonie dans leur réponse à la crise libyenne tandis que nous avons eu droit dans tous les cas au silence radio de l’Union du Maghreb arabe (UMA).
L’intervention militaire en Libye a été précipitée par les pays Occidentaux et notamment la France en réaction aux critiques suscitées quant à l’attentisme manifesté à l’égard du cas de la Tunisie. Les faits exposés dans l’étude réalisée dans le feu de l’actualité, mettent en lumière les pressions et l’influence décisive des pays occidentaux sur les prises de position de certaines Organisations régionales telles que la Ligue arabe. Les carences certes mais aussi et surtout les entraves apportées au rôle de médiation des Organisations régionales telles que l’Union Africaine sont clairement mises en évidence.
De la question de la légitimité du droit d’ingérence : Pistes de réflexion et d’action. A l’ère du mondialisme les risques d’effet papillon commandent une éthique de la responsabilité et de la vigilance permanente. Avant la montée irrésistible des mouvements religieux dans l’espace politique des pays du monde arabe postrévolutionnaire, j’ai eu l’occasion de soulever quelques questions de caractère proactif à titre de mise en garde :

  • Et si les révoltes arabes devaient déboucher sur la légitimation démocratique d’un « totalitarisme incontestable » mériteraient-elles toujours le qualificatif de « printemps arabe » ?
  • Et qu’advient-il si le droit d’ingérence des organisations régionales devait aboutir à des prises de position injuste et/ou inéquitable ?
  • Comment peut-on justifier qu’une intervention miliaire armée de la communauté internationale réalisée au nom du « devoir de protection  » puisse conduire à davantage de morts que l’alternative « non ingérence » ?

En ce qui concerne la première inquiétude, le risque majeur serait l’absence de pluralisme et de possibilité d’alternance consécutive au pouvoir exclusif du monde religieux dans l’espace public. Le soutien armé de l’OTAN aux révoltes arabes pouvant déboucher sur la légitimation démocratique d’un « totalitarisme incontestable » se pose alors la question de la légitimité de l’ingérence démocratique de l’Occident.

Ensuite, Monsieur Christophe REVEILLARD nous présentait une étude portant sur les Révoltes arabes et les problèmes économiques. Les pays du Maghreb et du Proche-Orient qui subissent les révoltes dites du printemps arabe ont eu à subir une sorte de double peine : à l’incapacité des dirigeants de créer les conditions d’une sortie de la stagnation économique en changeant de modèle de développement, s’étaient ajoutées les conséquences de la crise économique mondiale de 2007 qui avaient provoqué la chute des deux sources de revenus principales des économies non pétrolières : le tourisme et le transfert de revenus des migrants. La crise avait, de plus, entraîné une sérieuse révision à la baisse des programmes d’aide au développement dont certains de ces pays avaient pu bénéficier, celle des investissements directs à l’étranger ainsi que de l’accès au crédit. Or, la situation économique des pays touchés par la vague de révoltes arabes nourries des inégalités criantes et du chômage endémique des jeunes, n’a évidemment fait que s’aggraver dans le contexte d’instabilité actuel, et alors que les islamistes n’apportent aucune solution économique alternative (Cf. indice de Gini, taux de chômage des jeunes, IDE, taux de croissance, etc.). Au regard de critères tels que le nombre minimum d’emplois à créer, la pression démographique, les montants d’investissements nécessaires et le taux de croissance non seulement de rattrapage mais réel à atteindre, l’on peut craindre que l’instabilité ne fasse que commencer

 

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L’intervention de Monsieur Mohammed Fadel TROUDI portait sur la politique arabe et méditerranéenne de la France qui a toujours été une dimension de sa politique étrangère, c’est du moins l’orientation voulue par son initiateur, le général de Gaulle quand il disait dès 1958 «  tout nous commande, de reparaître au Caire, à Damas, à Amman et dans toutes les capitales de la région, comme nous sommes restés à Beyrouth : en ami et coopérant ». Le constat infligeant,  est que la France a perdu entre-temps le gros de son mythe pour reprendre l’expression d’un ministre français déniant à la France d’avoir jamais eu une politique arabe ou méditerranéenne, en assurant que cette dernière n’avait été qu’un mythe. Mythe auquel avait cru pourtant, l’homme d’Etat algérien Ferhat Abbas quand il écrivait : «  Je suis la France », le parlement égyptien quand il refusait à la Grande Bretagne, pendant la seconde guerre mondiale, de rompre les relations diplomatiques avec la France, ou encore les foules qui acclamaient de Gaulle dans les cinémas de Constantine en 1962. En somme un mythe, pris au sérieux et  auquel avait cru des milliers d’Arabes.
C’est une politique très ancienne et plus enracinée dans les fondements même de l’histoire diplomatique de la France. Généralement on établit l’acte de naissance des rapports franco-arabes au VIIe siècle avec l’alliance conclue entre le roi des Francs Pépin et le Calife de Bagdad Al-Mansour, plus tard en l’an 800, le roi Charles le Grand (Charlemagne) et le Calife Haroun Al-Rachid avaient même échangé des ambassadeurs et avaient signé un  traité d’amitié afin de faire face à l’Empire byzantin. Au XVIe siècle le roi François Ier choisit l’alliance avec l’empire ottoman contre l’empire Charles Quint et en 1587, la France ouvre à Paris la première chaire de la langue arabe. C’est cette page remplie de siècles d’amitié et de collaboration qui est à l’origine de la politique arabe de la France. Elle se distingue par quatre fondements essentiels: historique, perception géopolitique et géostratégique, réalités économiques et échanges culturels. En dépit de ses relations solidement ancrées dans l’histoire des deux nations, il y a eu néanmoins quelque chose qui s’est rompue en ce début des révoltes arabes, je veux parler du cas tunisien à en juger par la honteuse réaction de l’ancienne ministre des Affaires étrangères proposant de l’aide à la police tunisienne pour mater « proprement » la révolte tunisienne, savoir dit-elle « reconnue dans le monde entier ». Chemin faisant, elle a violée l’article 14 du préambule de la constitution du 27 octobre 1946, qui stipule : « la République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international. Elle n’entreprendra aucune guerre dans des vues de conquêtes et n’emploiera jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple ». En dépit des signes évidents de fuite en avant sécuritaire et dictatoriale de l’ancien régime policier, la diplomatie française a manqué de clairvoyance, préférant faire le pari de la stabilité politique et de la realpolitik. La France a d’autant plus failli qu’il s’agissait de la Tunisie, un pays si proche et si familier. Mais au-delà de cette mésaventure, la France se doit aujourd’hui de porter un nouveau message fort qu’elle veut faire désormais parti de l’avenir de la Tunisie après qu’elle a été absente de son présent. Pour se faire la France doit réorienter sa politique étrangère vers le soutien non plus des régimes et ceux qui leurs sont inféodés mais davantage vers les peuples et les sociétés civiles, ce qui signifie concrètement, sortir des schémas anciens et du court-termisme en adoptant une politique sur le long terme faite de respect mutuel, de véritable coopération et de partage, il y va de l’avenir et de la France, de l’Europe et bien évidemment des pays du sud de la Méditerranée.

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Enfin, Monsieur Pierre BERTHELOT vient clore la liste des intervenants en évoquant une interrogation sur la France et sa contribution pour une transition pacifique en Syrie. La France nourrit depuis près d’un siècle une relation ambivalente avec la Syrie faite de liens étroits et de tensions récurrentes. Alors que Nicolas Sarkozy avait contribué au retour en grâce de Bashar Al-Assad, ostracisé par les Etats occidentaux et leurs alliés arabes pour son rôle supposé dans l’assassinat en 2005 de Rafic Hariri, influent dirigeant politique sunnite libanais, il est en première ligne pour œuvrer à un changement de régime depuis le début de la contestation sans précédent que connaît la Syrie depuis près d’un an. Il est vrai que Paris, qui reste pour le moment sur une position « pro-occidentaliste », semble posséder des atouts importants pour tenter de jouer un rôle constructif dans ce conflit : des dirigeants influents du CNS, une coalition regroupant de nombreux opposants au régime baasiste, sont depuis longtemps liés à la France (où réside aussi d’anciens hauts dignitaires syriens) par ailleurs membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, tandis que l’intervention en Libye a permis d’éprouver les partenariats noués avec de nouveaux acteurs influents au Moyen-Orient comme le Qatar. Pourtant, il semble que les exigences du CNS (le départ non négociable de Bashar Al-Assad) tout comme celles du régime syrien (le renoncement à toute force de violence de la part des opposants et le rejet de toute ingérence extérieure) ne contribuent pas à l’apaisement et l’on semble s’orienter vers une guerre civile qui risque de ne connaitre aucun vainqueur et de briser l’unité du pays. On peut se demander si l’on n’assistera pas un changement de cap de la position française en cas d’éventuelle d’alternance ? Le parti socialiste a depuis longtemps des liens privilégiés avec le PSP (parti socialiste progressiste) du druze Walid Joumblatt qui pour le moment soutien la majorité pro-syrienne au pouvoir au Liban (et qui détient donc une partie des clés de cette crise syrienne), mais ne ménage pas ses critiques contre Bashar Al-Assad et reste attaché à la stabilité régionale tout en se méfiant de l’expansion de l’islamisme sunnite. Par ailleurs, un nouveau président français pourrait être tenté de se démarquer de « la politique arabe » actuelle en se rapprochant des positions des pays émergents (qui ont pour certains tenté de trouver une issue à la crise iranienne profondément associée au drame syrien) qui recoupent en partie celles de leur partenaire russe qui cherche à favoriser d’autres opposants, souvent membres de la société civile. Ces derniers refusent toute ingérence et prônent la non-violence et la désobéissance civile, le seul moyen, de leur point de vue, qui puisse permettre d’obtenir des concessions du régime et d’éviter une désintégration définitive du pays tout en contribuant à une transition progressive fusse-t-elle imparfaite comme cela a été observé au Yémen ou au Chili à une autre époque, tandis que les occidentaux se refusent à envisager que Bashar Al-Assad puisse conserver la moindre popularité.

 

 

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