La France … et … la Palestine

Bruno GUIGUE,

Haut fonctionnaire d’Etat français, essayiste et politologue, professeur de philosophie dans l’enseignement secondaire et chargé de cours en relations internationales à l’Université de La Réunion. Il est l’auteur de cinq ouvrages, dont Aux origines du conflit israélo-arabe, L’invisible remords de l’Occident, L’Harmattan, 2002, et d’une centaine d’article

RÉSUMÉ

À première vue, la politique de François Hollande au Proche-Orient se situe dans le droit fil de celle de Nicolas Sarkozy : mêmes alliances, mêmes inimitiés, des lignes de force qui paraissent identiques, et pourtant, si on y regarde de plus près, on voit bien que François Hollande accentue le tournant stratégique de son prédécesseur : ce sont les Palestiniens – et non les Israéliens – qui sont responsables de l’instabilité régionale.

C’est à dire, au lieu de prendre sa distance avec l’occupant contesté fortement, la politique française préfère regarder le Proche-Orient avec des lunettes israéliennes. Avec de tels dirigeants, sans culture et sans honneur, la politique étrangère de la France est devenue synonyme de soumission volontaire à des intérêts étrangers.

La France sait qu’elle n’a pas le pouvoir de changer la face du monde, mais quand elle le veut, elle peut faire entendre une voix souveraine. C’est cette voix que, malheureusement, l’on n’entend plus guère.

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Haut fonctionnaire d’Etat français, essayiste et politologue, professeur de philosophie dans l’enseignement secondaire et chargé de cours en relations internationales à l’Université de La Réunion. Il est l’auteur de cinq ouvrages, dont Aux origines du conflit israélo-arabe, L’invisible remords de l’Occident, L’Harmattan, 2002, et d’une centaine d’articles.

À première vue, la politique de François Hollande au Proche-Orient se situe dans le droit fil de celle de Nicolas Sarkozy. Mêmes alliances, mêmes inimitiés, des lignes de force qui paraissent identiques, et pourtant, si on y regarde de plus près, on voit bien que François Hollande enfonce le clou, qu’il accentue le tournant stratégique lancé par son prédécesseur.

Premièrement, et le symbole n’est pas mince, le président Sarkozy n’a jamais fait de «  visite d’Etat » en Israël. François Hollande, lui, l’a fait, en novembre 2013. Il se rend en grande pompe en Israël, mais ce n’est pas, comme François Mitterrand en 1982, pour parler d’un Etat palestinien devant la Knesset. La population de Gaza est privée d’électricité, elle étouffe sous le blocus, mais le président français, lui, vient fouler le tapis rouge déroulé par ses amis. Et, à Tel Aviv, il fait cette déclaration surréaliste : « J’aimerai toujours les dirigeants d’Israël ».

François Hollande, il est vrai, appartient à cette oligarchie française qui ne fait pas mystère d’une solidarité sans faille avec Israël. Il est familier de ces dîners où les dirigeants de la France, alignés en rang d’oignons, viennent célébrer les noces paradoxales d’une république laïque et d’une officine communautaire. Et depuis son élection, l’alignement diplomatique de Paris sur Tel Aviv, de fait, n’a cessé de s’accentuer, au point de frôler la caricature.

En juillet-août 2014, une offensive contre Gaza coûte la vie à 400 enfants palestiniens. Quelle est la réaction immédiate du gouvernement français ? Il réclame un cessez-le-feu ? Il demande qu’on épargne les civils palestiniens ? Il exige la levée du blocus imposé par Israël ? Non, il n’en fait rien. En revanche, il n’a pas de mots assez durs contre le Hamas, il fait le procès de la résistance palestinienne, il l’accuse d’avoir provoqué Israël en commettant des attentats terroristes.

Au fond, la France rend les Palestiniens responsables des horreurs qu’ils subissent, en oubliant que c’est la violence de l’occupation qui entraîne la résistance armée, et non l’inverse.

Cette partialité en faveur d’Israël, malheureusement, se paie du sacrifice de la Palestine. La France a versé 400 millions d’euros en cinq ans à l’Autorité palestinienne, mais cette contribution financière ne saurait constituer une politique. Depuis des années, la France, avec l’Union européenne (UE), met la main au portefeuille, généreusement, pour financer des infrastructures que l’armée israélienne s’acharne à réduire en poussière. Mais peu importe, la France est bonne fille, et elle n’incrimine jamais cet allié qui annihile sous les bombes le fruit de ses efforts.

Pour des raisons tout aussi obscures, la France refuse de reconnaître l’Etat de Palestine, alors même que 132 Etats n’ont pas attendu, pour le faire, de consulter les oracles. Si l’on écoute les dirigeants français, ce n’est jamais le bon moment. Avant la conférence internationale du 3 juin, c’était trop tôt, car il ne fallait pas vexer les Israéliens. Mais après cette conférence, manifestement, c’est trop tard, puisqu’on ne le fait pas non plus. Comment peut-on prendre nos dirigeants au sérieux, quand, au lieu d’accomplir un geste que tout le monde attend, ils invoquent de faux prétextes et multiplient les manœuvres dilatoires ?

Le gouvernement français a pris l’initiative de réunir, le 3 juin, une conférence internationale pour la paix. Mais les dirigeants israéliens n’en veulent pas, car ils ne voient aucun intérêt à négocier. Les dirigeants américains non plus, et pour les mêmes raisons. Pour Washington, la messe est dite : les Etats-Unis (ÉU) n’ont pas l’intention d’exercer la moindre pression sur leur protégé. Ils se mettent en retrait, et ils laissent à Israël le bénéfice d’une hégémonie qu’ils garantissent par leur droit de veto.

Avec Israël aux abonnés absents et Washington qui fait tapisserie, c’était donc couru d’avance. En adhérant à la politique des ÉU comme la moule au rocher, la présidence française s’est condamnée à faire chou blanc. Elle va faire feu de tout bois pour montrer qu’elle fait quelque chose, mais ce sera en pure perte. La presse occidentale a beau évoquer un espoir renaissant chez les Palestiniens, personne n’est dupe. Les Palestiniens savent bien qu’il est inutile de compter sur les puissances occidentales et qu’aucune conférence internationale ne volera à leur secours.

Comme les précédentes, cette nouvelle liturgie internationale a étalé  son insignifiance. On y a exalté avec emphase une solution à deux États à laquelle personne ne croit plus, on a fait comme si la politique israélienne ne l’avait pas tuée dans l’œuf en poursuivant la colonisation, on a fait semblant de croire aux vertus magiques d’une négociation à venir, mais le résultat final sera nul, et tout le monde le sait.

Pourtant la France, au lieu de mener cette politique en trompe-l’œil, pourrait agir si elle le voulait. Qu’est-ce qui l’empêche d’exercer des pressions sur l’occupant en refusant les produits importés des colonies, en mettant fin à une coopération culturelle qui sert d’alibi au gouvernement israélien ? Quel mystérieux impératif s’oppose à ce que la France encourage le mouvement pacifique d’origine palestinienne « Boycott, désinvestissements et sanctions », au lieu de le combattre et de le calomnier comme le font nos dirigeants ? Quelle force énigmatique réduit la France à l’impuissance sur la scène internationale, alors qu’elle devrait être en première ligne pour dénoncer les violations répétées du droit international dont Israël est coutumier ?

Aucune fatalité ne condamne la France à l’impuissance, et quand elle parle d’une voix indépendante, elle sait se faire entendre. Lors de la conférence de presse du 27 novembre 1967, le général de Gaulle résuma très bien le problème qui ne cesse d’empoisonner le Proche-Orient depuis un demi-siècle : « Israël organise, dans les territoires qu’il a pris, l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsions, et il s’y manifeste contre lui la résistance qu’il qualifie de terrorisme ».

Mais avec la novlangue bredouillante de la présidence actuelle, on est loin de ce franc-parler qui fit la réputation de la France gaullienne ! Refusant toute allégeance, la France conservait alors un certain crédit. Si on ne l’entend plus aujourd’hui, ce n’est pas parce qu’on ne veut pas l’entendre, mais c’est parce que ses dirigeants n’ont rien à dire.

Au lieu d’aller de l’avant pour faire bouger les lignes, la France marche à rebours de sa vocation historique. Elle devrait dialoguer avec les pays du sud en refusant toute subordination à la puissance dominante. Elle devrait rééquilibrer la balance au profit d’un peuple qui subit l’occupation. Elle devrait récuser l’impunité israélienne, ouvrir le dialogue avec la résistance palestinienne, faire rayer le Hamas et le Hezbollah de la liste des organisations terroristes.

Mais les dirigeants français font exactement le contraire. Au lieu de secouer le carcan atlantiste, ils mettent le bateau « France » dans le sillage du Titanic américain. Au lieu de prendre leurs distances avec l’occupant, ils préfèrent regarder le Proche-Orient avec des lunettes israéliennes. Avec de tels dirigeants, sans culture et sans honneur, la politique étrangère de la France est devenue synonyme de soumission volontaire à des intérêts étrangers.

La France sait qu’elle n’a pas le pouvoir de changer la face du monde, mais quand elle le veut, elle peut faire entendre une voix souveraine. C’est cette voix, malheureusement, qu’on n’entend plus guère.

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