Ivan Ilyine et la question ukrainienne

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Ilya Platov

Professeur des universités, INALCO, Paris.


Résumé : L’article présente l’analyse des textes du penseur émigré russe Ivan Ilyine, souvent cité aujourd’hui en Russie, consacrés à la question ukrainienne. En tant que partisan de la cause « blanche » de l’émigration, il défend l’idée d’une Russie impériale « une et indivisible ». La question ukrainienne, d’abord marginale, devient plus importante après l’arrivée d’Hitler au pouvoir. La question ukrainienne est ensuite examinée à l’aune de son idéal nostalgique de la Sainte Russie, et le mythe de l’Unité qui le sous-tend. Le rêve unitaire a pour corolaire la crainte du « démembrement » de la Russie et d’un complot, fondée également dans son expérience des deux guerres mondiales. La popularité de ses textes s’explique par l’alliage entre une analyse géopolitique et une composante métaphysique.

Mots clefs : Ivan Ilyine, Vladimir Poutine, Russie, Ukraine

Abstract: The article analyses of the texts of the Russian émigré thinker Ivan Ilyin, often solicited today in Russia, devoted to the Ukrainian question. As a supporter of the “white” cause within the Russian emigration, he was a staunch partisan of Russia “one and indivisible”. The Ukrainian question, initially marginal in his work, became more important after Hitler came to power. The Ukrainian question is then examined in the light of its nostalgic ideal of Holy Russia, and the myth of Unity that underlies it. The corollary of the unitary dream is the fear of the “dismemberment” of Russia and a international conspiracy, also based on his experience of the two world wars. The popularity of his texts is explained by the combination of geopolitical analysis with a metaphysical component.

Keywords: Ivan Ilyine, Vladimir Poutine, Russie, Ukraine


Ivan Ilyine est un penseur très sollicité aujourd’hui en Russie, souvent cité par Vladimir Poutine. Il est aussi dénoncé ou critiqué en Occident pour son apologie du pouvoir fort et de l’autoritarisme. Depuis les débuts de la guerre en Ukraine, ces invocations sont devenues plus fréquentes. Il est par conséquent nécessaire de faire une mise point concernant sa vision de la question ukrainienne, d’interroger ses textes et ses engagements politiques afin d’éviter les poncifs et l’anachronisme.

Introduction

« Et je voudrais conclure cette allocution sur les mots d’un véritable patriote, Ivan Aleksandrovitch Ilyine ‘Si je considère la Russie comme ma patrie, cela signifie que j’aime, que je contemple et que je pense comme un Russe, que je chante et que je parle comme un Russe ; que je crois aux forces spirituelles du peuple russe. Son esprit est mon esprit ; sa destinée est ma destinée ; sa souffrance est ma souffrance ; sa prospérité est ma joie’ »

C’est ainsi que s’achève le discours de Vladimir Poutine à l’occasion de la cérémonie d’annexion des 4 régions d’Ukraine le 30 septembre 2022, par une citation du penseur de l’émigration Ivan Aleksandrovitch Ilyine (1883-1954). Interdites en URSS, les œuvres d’Ilyine ont été souvent réédités après la chute du régime soviétique. À ce jour, 32 volumes de ses œuvres ont été publiées à Moscou entre 1996 et 2021.

Le recueil Nos tâches [Nachi Zadatchi] (1956) souvent qualifié de « testament politique » du penseur russe, est publié dès 1992. Depuis 2000, il acquiert progressivement la réputation de « philosophe favori » du président russe. En 2014, Nos tâches ont été distribuées aux gouverneurs des sujets de la Fédération de Russie en guise d’étrenne. Le « retour des cendres » en 2005 – le transfert des restes d’Ivan Ilyine, du général blanc Anton Denikine et de l’écrivain Ivan Chmeliov pour être inhumés au monastère Donskoï à Moscou – a donné lieu à une manifestation solennelle, patriotique et religieuse.

À Ekaterinbourg, un monument à Ilyine se dresse depuis 2012, entre l’école de commerce qui porte son nom et la cathédrale de l’Icône de la Mère de Dieu de Kazan. Pour ses partisans, Ilyine est la personnification de la « Russie que nous avons perdue », un parangon de sophistication intellectuelle et de probité morale qui exprime la nostalgie à l’égard de la Russie d’avant 1917. Son anticommunisme et son soutien indéfectible et véhément au général blanc Wrangel le place dans la proximité du mythe romantique et sentimental de la « Russie blanche », et il n’est pas surprenant que les monarchistes russes lui vouent un véritable culte.

Il y a certainement là une des clefs qui permettent de comprendre son succès actuel. Cette image d’Épinal se diffuse encore avec la montée en puissance des médias et réseaux sociaux tels que Facebook ou V Kontakte, où il est régulièrement cité par des groupes nationalistes ou orthodoxes.

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