François-Georges DREYFUS
Professeur émérite d’Études européennes à l’Université Paris IV Sorbonne. Ancien directeur de l’Institut d’Études politiques de Strasbourg, du Centre des études germaniques et de l’Institut des Hautes études européennes.
2eme trimestre 2011
Cette introduction consiste à comprendre la genèse de l’État dans le Maghreb. Il paraît nécessaire d’introduire par la complexité du problème de gouvernance de l’Afrique du Nord : dynastie, protectorat, colonialisme et rapports communautaires. Cette région va connaitre des changements brusques tout au long des XIXe et XXe siècles en constituant un espace d’enjeux géopolitiques importants pour la France.
Jhis introduction purports to penetrate the genesis of the state in the Maghreb. It seems ne-cessary because of the complexity of the problem of governance in North Africa: Dynasty, protectorate, colonialism and intercommunity relations. This region will undergo sudden changes throughout the nineteenth and twentieth centuries, becoming, in theprocess, an area of geopolitical importance to France.
Le MAGHREB CONSTITUE GÉOGRAPHIQUEMENT un ensemble homogène entre l’Atlantique et la Méditerranée, avec un massif montagneux, l’Atlas, laissant à l’ouest et à l’Est deux grandes plaines et découpé au nord en de multiples petits bassins. Depuis la plus haute antiquité à l’origine de l’Afrique, Gétules et Libyens constituent la population autochtone si l’on en croit la guerre de Jugurtha de Salluste1. En réalité, il s’agit d’un même ensemble les Berbères, les Gétules étant les populations de la région marocaine, les Libyens s’étendant de la Mulucha (Moulouya) jusqu’à la Vallée du Nil.
Première caractéristique de cet ensemble maghrébin, c’est qu’il a toujours été divisé et a connu des invasions depuis les temps les plus anciens. Ce furent d’abord les Phéniciens autour de Carthage, puis les Romains, les Byzantins, les Vandales et les Wisigoths. Aux VIIe et VIIIe siècles apparurent les cavaliers arabes qui vont donner à cet ensemble une unité religieuse en apportant l’Islam. L’installation arabo-musulmane dans ce qui se dénomme l’Ifriqiya conduit à une mainmise par les Arabes du Moyen Orient et par leurs dynasties successives, sur le Maghreb.
Au XVIe siècle débute l’occupation ottomane à laquelle succédera dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’administration française. Dans cet ensemble, une région demeurera toujours indépendante : celle qui s’étend entre Moulouya et l’Atlantique, le Maroc. La plupart du temps, ces diverses occupations apportèrent une certaine prospérité.
Carthage, ville et port fondés par les Phéniciens, fit du Maghreb oriental une région prospère par son agriculture (blé, orge et oliviers) qui permettait de ravitailler une ville importante. Jusqu’à l’occupation romaine, elle a été à la tête d’un réseau commercial considérable. Avec les Phéniciens, arrivent au Maghreb, les premières populations sémites, en particulier des communautés juives et phéniciennes.2
Carthage devenue romaine ne joua plus le même rôle, mais la province d’Africa (l’actuelle Tunisie) devint un grenier à blé et se couvrit d’un réseau de « villas » tout à fait imposant. L’Africa comme plus tard la Libye fut une région très prospère profondément romanisée ; en voie de christianisation dès le Ier siècle.
À l’Ouest de l’Africa s’organisèrent trois provinces: la Numidie, la Mauritanie césarienne et la Mauritanie Tingitane. La Césarienne ressemble économiquement à l’Africa mais elle est morcelée entre de petites plaines qu’entourent des massifs montagneux difficiles à parcourir qui furent souvent dans l’insécurité. C’est le centre des populations berbères3. Pour la protéger, les Romains construisirent un réseau de fortifications, constituant un limes particulièrement puissant bien étudié d’ailleurs par les archéologues français4 : il s’agissait d’empêcher les raids des Berbères du désert souvent soutenus par les Berbères des montagnes (Kabylie, Aurès,…). Très rapidement la jonction entre la Césarienne et la Tingitane se rompit, celle-ci devenant largement autonome et rattachée au commandement en Espagne. Ethniquement, la population de cette région est essentiellement berbère, les apports puniques furent limités, même si on y ajoute une petite communauté juive qui s’installe en particulier en Africa. Par contre cette région fut profondément romanisée et largement christianisée, fournissant à l’Eglise trois Papes et de grands théologues comme Augustin ou Tertillien ou même l’évêque Donat : celui-ci diffusa des positions hérétiques entraînant un grand débat à l’intérieur du christianisme africain qui dès lors va très vite céder aux attraits de l’Islam après qu’au VIIe siècle à la suite des Vandales et des Wisigoths apparurent les cavaliers arabes.
Les populations s’islamisent assez rapidement, et la puissance de l’invasion arabe se renforce considérablement. Tout le Maghreb dépend alors des dynasties arabes installées au Moyen Orient, passant d’ailleurs la Méditerranée, occupant l’Espagne, tentant d’envahir la Gaule (ce qu’ils ne réussirent pas : Poitiers 732).
L’implantation arabe se fit particulièrement sensible dans les plaines, les populations berbères demeurant maîtresse de leurs montagnes, adoptant d’ailleurs un islam réformé. Les villages de plaine demeurèrent cependant majoritairement berbères mais l’attraction de la ville voisine en fit des musulmans orthodoxes qui s’arabisèrent, peu à peu abandonnant leur langue qui très vite ne survivra jusqu’à nos jours que dans les montagnes.
Cette situation perdura du VIIIe au XVe siècle, laissant dans ces régions se multiplier de petites principautés plus ou moins autonomes. A la fin du XVe et au début du XVIe siècles apparaît le Turc ottoman qui occupe les actuelles Tunisie et Algérie, n’arrivant pas à s’installer au Maroc où un peu plus tard va se constituer le royaume alaouite qui existe encore aujourd’hui.
L’administration ottomane fut relativement légère et laissa se développer de petits domaines assujettis seulement au paiement d’un tribut. Très vite la ressource fondamentale sera la Course qui va faire la puissance d’Alger et de Tunis : il s’agissait d’attaquer les navires chrétiens, de capturer équipages et passagers vendus comme esclaves et de la main sur les cargaisons. Tout cela allait durer jusqu’au milieu du XVIIIe siècle avant de décliner devant les offensives des marines chrétiennes particulièrement françaises. Napoléon lui-même songea à une occupation d’Alger.
Humainement, c’est au XVIe siècle que cette région connaît une importante mutation. Après la Reconquista, les souverains espagnols, à la suite des Rois catholiques expulsèrent tour à tour les Juifs et les Morisques.
Les Juifs convertis d’origine berbère qui représentaient une part non négligeable de la population, émigrèrent dans trois directions : l’Europe occidentale (Bordeaux, Londres, Amsterdam), le Maghreb (pour un tiers au Maroc et deux tiers dans la région d’Alger) et enfin dans les grands ports de la mer Egée : Salonique et Smyrne. Ils apportent au Maghreb leur savoir faire artisanal, et y constituent des réseaux commerciaux vers l’Europe mais aussi vers l’Afrique noire. Ils apparaissent comme la classe moyenne des sociétés maghrébines, collaborant comme les Juifs de cour germaniques avec les gouvernements locaux.5
Vers 1550, les Morisques berbères arabisés à leur tour sont expulsés d’Espagne et s’installent au Maroc et dans la Régence d’Alger. Ils vont contribuer à renforcer l’arabisation des populations locales, ils constituent l’élément déterminant de la vie à l’Est de la Moulouya. Ils jouent en particulier un rôle souvent déterminant auprès du Dey à Alger et du Bey à Tunis. Le Maghreb est à l’époque une région riche qui exporte des produits alimentaires, en particulier du blé dont la France républicaine de la fin du XVIIIe siècle a fortement besoin. Paris s’endette auprès d’Alger ; les difficultés de remboursement aggravées par les filouteries des négociants juifs, les maladresses de notre consul à Alger conduisent Charles X à ordonner des raids sur Alger, qui finit par être occupé en juillet 1830.
La France et le Maghreb
Que va-t-il se passer ? La France va-t-elle se contenter d’occuper Alger ou va-t-elle occuper l’ensemble de la Régence ? S’appuyant sur les tribus hostiles au Dey d’Alger, Oran se rallie au Roi des Français et peu à peu Louis Philippe décide l’occupation de la Régence. La conquête est lente parce que difficile ; les tribus berbères se rebiffent et derrière Abd el-Hader tentent de rejeter les Français à la mer.
La prise de la Smala par le Duc d’Orléans associée à la sage politique du général Bugeaud fait que vers 1850 il y a un embryon de colonie en Algérie. Notons que c’est par un arrêté du ministre de la guerre de 1839 que le terme d’Algérie apparaît pour la première fois dans l’histoire. A la fin du règne de Louis Philippe, on peut dire que la côte est entièrement entre les mains françaises. Apparaissent quelques colons mais on aura du mal à peupler le pays d’Européens car la démographie française est en difficulté et de toute manière, le français aime son clocher.6 La seule émigration importante sera celle des condamnations à l’exil. Après les journées de juin 1848 et le coup d’Etat du 2 décembre 1851, les opposants sont envoyés en Algérie : ils feront souche. Les révolutionnaires du XIXe siècle sont les vrais ancêtres de ceux que l’on appelle au XXe siècle les « Pieds noirs ».
Napoléon III se rend parfaitement compte des difficultés d’assimiler ces populations arabo-berbères et musulmanes, qui sont protégées des exactions des colons européens par les « Bureaux arabes » créés dès le règne de Louis Philippe en 1844. Dépendant de l’armée, ils contribuent à assurer ordre et prospérité mais ils sont rejetés par les colons qui veulent étendre leurs domaines. Napoléon III s’engage dans la voie de l’empire arabe ; en février 1863 il écrit au gouverneur général : « L’Algérie n’est pas une colonie proprement dite mais un « royaume arabe », je suis aussi bien l’Empereur des Arabes que l’Empereur des Français7 » Napoléon III, qui n’avait pas l’intention de sacrifier les Arabes aux colons, créa un double statut pour les musulmans qui deviennent des sujets français sans perdre pour autant leur statut de musulmans. Les tribus essentiellement kabyles se voyaient garantir leurs propriétés. Les colons font désormais bloc contre une telle politique : la chute de l’Empire va leur permettre de l’emporter, il n’est plus question de «Royaume arabe » et les « Bureaux arabes » sont supprimés.
Dès 1871, cette politique renforcée par le décret Crémieux de 1870, faisant des juifs algériens des citoyens français de plein exercice, attisa les oppositions algériennes; ce fut la Révolte de Kabylie. De 1870 à 1920 presque tous les gouverneurs généraux seront radicaux-socialistes. On peut dire que depuis 1870, l’administration républicaine va jouer double jeu. Elle ne cesse de parler d’assimilation mais pratique une politique mettant les autochtones, arabes ou berbères, à l’écart.
En 1860, dans chacun des trois Conseils généraux des départements d’Alger, de Constantine et d’Oran siègent des musulmans, de la même manière qu’ils sont présents dans les tribunaux d’instance. En 1885 les indigènes ont disparu de ces institutions. On sait que Jacques Marseille8 a toujours considéré que l’Algérie avait toujours été un gouffre financier sur le plan comptable, il n’avait pas tort. Ce qui est beaucoup plus grave c’est que l’Algérie ne sera pas développée comme elle aurait pu l’être : la majorité du réseau ferré est à voie d’1 mètre ; il n’y aura pas de politique scolaire sérieuse avant 1940 ; ce n’est qu’à partir d’octobre 1940 que cherche à s’instaurer une politique de scolarisation à laquelle tous les ministres de l’instruction publique et de l’Education Nationale de la IIIème République n’avaient pas voulu songer, pour ne peiner ni les Européens ni les autorités musulmanes. L’agriculture se modernise lentement et l’industrialisation est presque inexistante9.
Politiquement apparaissent en Algérie des mouvements indépendantistes (Messali Hadj) ou autonomistes (Ferhat Abbas), mais de 1940 à 1944, Algérie reste parfaitement calme et 200 000 Algériens vont, à partir de 1942, combattre avec la Ière Armée Française. Or on refuse à la majorité d’eux l’accession à la nationalité française. Un statut de l’Algérie est adopté par le Parlement français. Il sera saboté par le nouveau gouverneur général M.E. Naegelen, député SFIO du Bas Rhin10. Dès lors s’engage le processus qui conduira à la guerre d’Algérie en 1954 et à l’indépendance en juillet 1962.
Les protectorats
Le Maroc et la Tunisie ne furent jamais juridiquement des colonies. C’était des protectorats. Juridiquement, ils devaient jouir de ce que Edgar Faure appellera en 1955 « l’indépendance dans l’interdépendance ». En réalité, ce ne fut pas le cas, car la France fit carrément de l’administration directe.
La Régence de Tunis était administrée par un Wali, représentant théoriquement le Sultan de Constantinople ; en réalité le pouvoir réel appartient au Bey de Tunis, descendant d’un officier Kouloughli (issu d’un Turc et d’une femme berbère)11 qui se proclame Bey et crée une dynastie qui gardera le pouvoir jusqu’en 1957. Se constitue alors une classe dirigeante formée par une aristocratie turque intégrant les notables indigènes. Ainsi s’installe un milieu dirigeant véritablement tunisien autour d’une monarchie presque « prénationale », s’appuyant sur ce noyau localement enraciné.
Au début du XVIIe siècle, le royaume du Maroc, après une longue période de conflits, voit entrer en scène la dynastie alaouite dont le fondateur est indigène du Tafilalet. À partir de 1664, les membres de cette famille prennent le pouvoir au Maroc , ainsi le contrôle de « la voie caravanière » partant des confins sahariens, aboutissant sur les côtes méditerranéennes dans la Basse Vallée de la Muluya. L’Etat marocain est reconstitué non sans troubles, à la fin du XVIIe siècle, mais le pouvoir se renforça, et se constitua un grand Maroc intégrant l’actuelle Mauritanie, protectorat de fait marocain. Dès lors, l’Etat marocain contrôle la route transsaharienne allant du Sénégal à la Méditerranée. À cette époque l’empire marocain atteint même pendant un terme la boucle du Niger ; l’Ouest saharien est sous contrôle marocain. Le Maroc sous les Alaouites instaure une course maritime dont le centre est à Salé. Cette course se développe essentiellement dans l’Atlantique, s’attaquant aux navires britanniques, néerlandais ou français. La grande revendication marocaine à l’époque est la récupération des enclaves espagnoles sur les côtes de l’Empire, Tetouan (ou Teutha) sur la côte méditerranéenne mais aussi à Ifni sur la côte atlantique. Pour cela il recherche l’alliance de la France qui refusa de s’attaquer à l’Espagne. Dès lors les relations avec la France et l’Espagne furent rompues au profit des commerçants britanniques.
Au XIXe siècle, la Tunisie se rapprocha de la France qui occupant Alger marquait de fait la fin de la main mise ottomane. Bien plus, l’alliance franco-tunisienne fut marquée par l’érection à la Goulette d’une statue de Saint Louis, mort comme on le sait, près de Tunis.
Au Maroc, le grand problème c’est le rapport entre les populations arabes et les populations berbères. De véritables rébellions berbères s’attaquèrent au Sultan, le forçant à abdiquer. Dès l’année 1830 « le Maroc arabe l’emporta sur le Maroc berbère » (Lugan).
Au début de la Troisième République, lors du Congrès de Berlin de 1878, Bismarck fit comprendre à la France qu’il ne verrait aucun inconvénient à ce que la France s’installe en Tunisie sur laquelle l’Italie avait des visées. En 1881 la France installa son protectorat sur la Tunisie par le traité du Bardo. La puissance protectrice, si l’on s’en tient au texte, n’avait à intervenir que sur la diplomatie et la défense de la Tunisie. En réalité se mit en place un système d’administration directe qui va durer jusqu’en 1954. La situation demeura stable, malgré l’apparition dès 1919 du parti Destour qui réclamait une plus grande participation de la population à la direction de l’Etat. Ce parti fut dissous en 1933. Un an plus tard naissait le Néo-Destour fondé par un ancien étudiant de Sciences Po, Habib Bourguiba. Le Néo-Destour réclamait l’indépendance de la Tunisie, accompagnée d’un traité d’alliance avec la France. Une véritable agitation se développa alors associée à de graves émeutes en 1938 à Tunis.
La Tunisie connut un développement certain pendant cette période, et 250.000 Européens y sont installés en 1936. La majorité était française, mais il y avait une forte minorité italienne que la France cherchait à naturaliser. Mussolini, s’appuyant sur cette minorité, revendiquera en 1938 la Tunisie. Economiquement, la Tunisie était prospère, l’administration française facilitant la remise en valeur de la grande plaine tunisienne produisant blé et huile d’olive, mais cela se fit au profit essentiel des colons français et italiens qui possédaient plus de 700.000 ha de terres : les propriétés françaises étaient majoritaires avec des dimensions importantes de l’ordre de 300 ha par exploitation.
Les quelques milliers d’agriculteurs italiens exploitaient des domaines d’une vingtaine de hectares. Mais la majorité des Européens étaient installés à Tunis et à Bizerte où s’implanta un réseau scolaire relativement important qui contribua à l’alphabétisation des populations tunisiennes urbaines. Il y avait aussi une importante minorité juive qui favorisa les relations entre Européens et Tunisiens. Quand on regarde l’administration tunisienne de 1938, apparaît dans les documents un Conseil des Ministres composé essentiellement du Résident Général, du Général commandant militaire et de Ministres qui pour la plupart sont de hauts fonctionnaires français. Théoriquement il existe un Grand Conseil, une chambre française et une indigène mais son rôle est secondaire. La Tunisie est de fait une colonie française, ce qui explique les revendications nationalistes.
La situation au Maroc est différente. Après de longues négociations, le droit de la France à s’installer au Maroc est reconnu par la conférence d’Algesiras en 1905. Après un conflit avec le Reich en 1911, l’occupation du Maroc se fait en 1912.
Le Maroc ne sera pas la Tunisie en raison de la nomination d’un Résident général particulièrement remarquable, le général Lyautey qui n’oubliera jamais que « jusqu’à ces dernières années, le Maroc faisait figure d’Etat constitué, avec ses fonctionnaires, sa représentation à l’étranger, ses organismes sociaux… » (Lyautey 1916). Tout au long de son mandat, Lyautey s’attacha à reconnaître et renforcer les prérogatives de l’Etat marocain et rejetait la centralisation et les conceptions qui régnaient à Alger et à Tunis. Lyautey va reconstituer la puissance de l’Etat marocain autour du Sultan, au point que l’un des chefs nationalistes en 1931 lui reprochait sa sagesse qui faisait de lui « le plus dangereux Français que le Nord de l’Afrique ait connu. » À la différence de l’Algérie et de la Tunisie, Lyautey créa des infrastructures modernes, routes, voies ferrées à écartement normal, et aussi des ports tel Casablanca. Il favorisa le développement agricole, et met en exploitation les mines de phosphates. Evincé en 1925 au profit du Maréchal Pétain, considéré comme plus républicain que lui, Lyautey eut, après Pétain, des successeurs à son image qui contribuèrent à faire du Maroc une des rares réussites françaises en matière coloniale.
La Seconde Guerre mondiale va mettre à mal la politique française au Maghreb. De 1940 à 1942 se développe une politique à la Lyuatey, même en Algérie et en Tunisie, grâce à la politique menée par le général Weygand. Le débarquement américain en novembre 1942 va bouleverser cette situation et enclencher le processus de décolonisation.
En 1945 les esprits des élites locales souhaitent une politique plus ouverte de la France. On ne rejette pas les liens avec la R2publique mais on veut une organisation plus démocratique laissant aux populations locales des pouvoirs réels. Malgré la très libérale Constitution de 1946, la TV™ République, longtemps dirigée par la gauche socialiste, refusera tout progrès. La Constitution de 1946 prévoyait une Union Française avec des Etats associés, en d’autres termes des Etats plus ou moins indépendants liés à la France et représentés à Paris. Cela reste lettre morte et l’on a vu comment le Statut de l’Algérie fut dévoyé par les dirigeants d’une gauche à l’esprit étroit et en définitive réactionnaire. Une autonomie large et conforme d’ailleurs aux traités fondateurs, un statut d’Algérie effectivement respecté auraient permis une évolution plus ou moins rapide mais pacifique vers l’indépendance souhaitée. Au lieu de cela régna la répression.
En Tunisie et au Maroc, l’action de Mendès-France ne put être menée à bien, faute de temps. Et les difficultés ne cessèrent de croître au Maroc jusqu’en 1956 ; en Algérie, c’est la guerre de l’indépendance, qui commence. Même si elle est gagnée militairement, cette guerre sanglante est une défaite politique de la France qui jusqu’en 1958 s’engagea dans ses départements algériens dans une politique d’assimilation qui n’avait aucune chance de réussir.
En tout cas, quand on regarde les données statistiques, on est étonné par certains résultats. De 1950 à 1960, le produit intérieur brut de l’Algérie a augmenté de 50%, et de 30% en Tunisie. Cette croissance des dernières années de la colonisation française ne se retrouve pas après l’indépendance. De 1960 à 2010, seules l’Algérie et la Tunisie progressent véritablement : la croissance tunisienne triple, l’algérienne double, la marocaine est relativement plus faible. Tout cela est dû à plusieurs raisons. D’une part la scolarisation dans ces trois Etats a été insuffisante, la France n’a jamais osé imposer l’enseignement primaire obligatoire dans le Maghreb, . pour ne pas déplaire aux colons mais aussi aux instances islamiques. La deuxième raison est l’expatriation du Maghreb durant les années ’60, d’une grande partie des élites vers la France ou l’Israël. Enfin, l’absence de la part de l’administration française, d’une véritable politique agricole moderne. Il suffit de penser à ce qu’aurait été l’agriculture maghrébine, si on avait utilisé des techniques mises en place par l’Etat d’Israël. Il est vrai que la France n’ayant jamais eu de politique agricole sérieuse ne pouvait pas faire outre mer ce qu’elle n’avait pas fait en métropole.
L’évolution du PIB par habitant (en $ de 1991) De 1950 à 2010, dans les trois Etats du Maghreb, et par comparaison avec la France (en $ constants de 1991)
Notes
- SALLUSTE, La guerre de Jugurtha, XVIII, 1.
- Actes des apôtres II, 5 à 11.
- CAMPS, Les Berbères, Paris 1987.
- Essentiellement J. BARADEZ, Fossatum Africae, Paris 1949 ; cf. aussi les articles de M. EUZENNAT.
- S. TRIGANO, Le monde sépharade, To.1, Histoire, Paris 2005.
- A la différence de la Grande Bretagne et de l’Allemagne, la population française stagne tout au long du XIXe siècle ; avec une démographie à l’allemande, il y aurait eu en France surpopulation donc émigration que l’Algérie aurait sans doute pu accueillir, constituant alors une population européenne analogue à celle des autochtones.
- J. FREMEAUX, Les « Bureaux Arabes », Paris 1993.
- Texte dans B. LUGAN, Histoire de l’Afrique,
- J. MARSEILLE, Empire colonial et capitalisme, 1984.
- C’est un élément que l’on ne prend pas en compte pour critiquer l’Armistice de 1940.
- Vincent Auriol, président de la République, avait suggéré le nom de Ferhat Abbas, mais le Secrétaire général de la SFIO, Guy Mollet s’y opposa fermement et imposa M.E. Naegelen ; cf. AURIOL, Journal d’un Septennat, 1961.
- C’est le terme qu’utilise B. LUGAN, cit.
- LUGAN, Histoire du Maroc, Paris 2000.