IMMIGRATION ET L’ESCALADE DE LA CRISE AMERICANO-MEXICAINE

Hall Gardner

Directeur des Études internationales American University of Paris

Trimestre 2010

L’ADMINISTRATION BUSH a laissé à la présidence Obama un certain nombre de « bombes à retardement » politiques. En plus de la « guerre globale contre le terrorisme » (guerres en Afghanistan et en Irak) couplée à la crise financière, il y a au moins deux autres « bombes à retardement » concernant les relations USA/ Amérique latine.

La première est l’actuelle guerre contre la drogue. La deuxième est la question toujours non résolue de l’immigration « illégale ».

L’administration Bush s’est peu préoccupée des problèmes de l’Amérique latine. Bush a visité la région tardivement, sept ans après le début de sa présidence, lors d’une visite éclair, et a été accueilli par des protestations considérables. Alors que le président Obama s’est rendu au Mexique dans sa première année de présidence.

Réforme de l’immigration

Le président Bush a adopté une position modérée que l’on pourrait appeller « conservatrice compatissante » (compassionate conservatism) quant à la question de l’immigration illégale vers les USA. L’administration Bush a été incapable d’établir un compromis entre les politiques anti-immigration dures et la position plus mo­dérée « conservatrice compatissante » adoptée par Bush lui-même.

Le président Bush a fortement soutenu l’approche « compréhensive » de la ré­forme de l’immigration par le Sénat, divisant ainsi les républicains plus modérés et les républicains conservateurs. De nombreux républicains conservateurs, ceux de la Chambre des représentants en particulier, ont fait valoir que la politique du Sénat sur l’immigration pouvait constituer une forme d’amnistie permettant à davantage d’étrangers de pénétrer le territoire US. Mais les opposants au projet de cette nou­velle loi et aux plans de Bush se sont érigés contre toute législation ou programme d’amnistie qui interviendrait avant le renforcement de la sécurité aux frontières.

En accord avec sa philosophie du « conservatisme compatissant », le président Bush a plaidé en faveur des émigrées qui « préfèrent travailler durement pour 5-7 dollars de l’heure aux États-Unis, contre 50 cents au Mexique », et a affirmé que « les valeurs familiales ne s’arrêtent pas au Rio Grande ». Mais l’effort du président Bush de parvenir à un compromis a, toutefois, été condamné par la fraction répu­blicaine dure comme une « amnistie » pour les immigrants « illégaux » et comme portant atteinte aux intérêts de ceux qui avaient appliqué la loi.

Projet de loi proposé

Il existe deux différentes lois qui ont été proposées par la Chambre des représen­tants et le Sénat. Cependant la loi la plus sévère a été votée par la Chambre de repré­sentants, concernant le contrôle de l’immigration illégale : Border Protection, Anti-terrorism, and Illegal Immigration Control Act of2005, HR 4437 (Sensenbrenner Bill).

Le Sénat a adopté une loi plus modérée : Border Protection, Anti-terrorism, and Illegal Immigration Control Act of2005, (109e congrès, 2005-2006) par le sénateur Arlen Specter [PA] le 7 avril 2006, plus les sénateurs Hagel, McCain, Kennedy, Graham, Brownback. Adoptée le 16 décembre 2005, par un vote de 239 à 182 (avec 92 % des oui républicains et 82 % des démocrates opposés à cette loi).

Un mur contre le trafic de drogue et l’immigration illégale

Aucun des projets de loi n’a été adopté et ils ont été abandonnés en janvier 2007. Mais un compromis partiel a été trouvé et a été adopté le 26 octobre 2006. La Chambre des représentants et le Sénat ont accepté la construction d’un mur contre le trafic de drogue et l’immigration illégale. La barrière est située dans les zones où le plus grand nombre de passages clandestins et où le trafic de drogue le plus important ont été observés dans le passé. C’est aussi une « barrière virtuelle », qui comprend un système de capteurs et de caméras contrôlés par les agents de la patrouille frontalière.

Face à un nouveau Congrès en majorité démocrate en 2007, l’administration Bush a proposé un nouveau plan de réforme de l’immigration. Un compromis au projet de loi de mai 2007 a été proposé pour permettre à la quasi-totalité des 12 millions d’immigrants sans-papiers entrés avant 2007 de faire une demande de visa « Z » (statut légal temporaire) après avoir en première lieu quitté le pays et en­suite payé les frais pouvant aller jusqu’à 5 000 dollars. Une politique d’immigration fondée sur la sélection des compétences, qui choisirait ses immigrants ainsi que les besoins des Américains en main-d’œuvre étrangère, a également été à l’ordre du jour.

D’autres propositions incluent :

  • la suppression de Chain Immigration qui permet aux ressortissants étrangers qui sont résidents permanents de bénéficier du regroupement familial ;
  • l’abolition de la loterie, avec obtention de 50 000 cartes vertes par an ;
  • la suppression de la citoyenneté de naissance qui offre automatiquement la citoyenneté aux enfants nés sur le sol américain, y compris aux sans-papiers ;
  • le Clear Law Enforcement for Criminal Alien Removal (CLEAR) Act of2009, visant à aider les « forces de l’ordre locales à arrêter et détenir des étrangers en situa­tion irrégulière dans leurs communautés ». La loi autoriserait le gouvernement fédé­ral à rembourser les États et les localités pour les coûts d’incarcération des étrangers en situation irrégulière avec un maximum de 400 millions de dollars ;
  • l’option « Attrition » : la loi SAVE est considérée comme la réponse modérée au problème de l’immigration clandestine. En opposition aux lois permettant des déportations massives ou même des légalisations de masse. La loi SAVE prendrait en charge l’attrition des immigrés par l’application de lois et de l’« autodéporta­tion ».

Illégaux contre émigres non autorises

Pratiquement 45 % des clandestins sur 4,5 à 6 millions arrivent aux États-Unis munis d’un visa de court séjour dont la date est vite dépassée. Le restant des clan­destins (6 à 7 millions) traversent les frontières illégalement, souvent au péril de leur vie. Toute législation future devrait prendre en considération le fait qu’il s’agit de deux différents types de clandestins.

L’ironie est que le mouvement contre les clandestins grandit alors que la situa­tion américaine, et particulièrement le chômage, a fait disparaître un grand nombre de clandestins qui n’ont plus de travail, et qu’il existe une vigilance plus accrue de la part des employeurs sur la validité des numéros de Sécurité sociale.

Le flux de devises

Après plusieurs années de croissance à deux chiffres, le flux de devises (remit-tences) des États-Unis vers le Mexique a diminué : la Banque centrale du Mexique a reçu près de 24 milliards en 2007, comparativement à 23,74 milliards de dollars en 2006.

L’État d’Oklahoma a adopté une taxe sur les transferts de devises vers le Mexique. Décrétés comme un « blanchiment de l’argent de la drogue et frais de transferts des fonds », faisant injustement l’amalgame entre immigration et trafic de drogue. Le Kansas envisage une même législation[1].

D’après Hillary Clinton (24 mars 2010) : « Le récent ralentissement de la crois­sance économique et des transferts de devises a aidé les trafiquants de drogue dans leur recrutement de jeunes. »

Impôts payés par les contribuables n’ayant pas de papiers d’identité

The Earnings Suspense File a été créé pour recueillir les montants de Sécurité sociale payés par les contribuables déclarant sous des faux noms. En 2005, ils at­teignaient 519 milliards de dollars, avec une augmentation d’environ 6 milliards par an La Social Security Administration (SSA) a tenté de trouver l’identité des déclarants, habituellement en communiquant avec les entreprises pour lesquelles ils travaillent[2].

La réforme de l’immigration et la loi sur le contrôle ont été adoptées en 1986, demandant aux employeurs d’exiger une pièce d’identité, pénalisant les entreprises qui emploient des immigrés illégaux. Cependant les sanctions contre les employeurs n’ont jamais été très sévères. Le résultat a été une forte augmentation des déclara­tions multiples utilisant le même numéro, l’utilisation de faux numéros et l’essor du commerce de numéros de Sécurité sociale volés ou frauduleux.

Si les travailleurs sans papiers utilisant de faux numéros de Sécurité sociale avaient tout à coup eu la possibilité de réclamer les montants qui leur étaient dus, le montant aurait été si élevé qu’il aurait pu servir à payer les frais de légalisation d’immigrants illégaux.

 

L’Arizona

L’échec de l’adoption par le Congrès de la Border Protection, Anti-terrorism and Illegal Immigration Control Act of2005 (HR 4437) a conduit l’Arizona à prendre ses propres mesures et à adopter des lois anti-immigration intransigeantes.

Le sénateur John McCain, qui a toujours été en faveur de la réforme de la loi sur l’immigration du Sénat plus modérée a maintenant soutenu l’approche la plus dure, représentée par l’Arizona.

Bien qu’elle ait été un sujet majeur dans l’élection présidentielle de 2008, la réforme sur l’immigration semblait avoir perdu de son importance jusqu’en 2010 et ceci en raison de la crise financière, de la réforme de la santé, de l’Irak et de l’Afgha­nistan. Pourtant, Obama ne peut plus ignorer la question en raison de la décision de l’Arizona en avril 2010 de faire passer la très dure loi sur les clandestins. Les républicains et les activistes de la Tea Party exploitent cette question pour affaiblir Obama.

La loi sur l’immigration du gouverneur de l’Arizona, Jan Brewer, a obligé la police à incarcérer des personnes suspectées d’être entrées dans le pays sans autori­sation, ainsi qu’à vérifier avec les autorités fédérales toute situation.

L’Arizona est le premier État à exiger des immigrants qu’ils aient constamment sur eux leurs pièces d’identité justifiant de leur présence sur le sol américain. Cela a été dénoncé par les groupes hispaniques américains et les autorités mexicaines, qui ont soulevé des protestations de délit de faciès. Il y a eu un boycott contre l’Arizona par les syndicats et les groupes de « gauche ».

En mai, le conseil municipal de Los Angeles a voté contre tous les contrats avec les villes de l’État d’Arizona pour protester contre cette loi dont les critiques di­sent qu’elle établit un profil racial. L’Arizona pourrait perdre 52 millions de dollars dans les contrats avec la ville de Los Angeles. La menace de boycott de l’Arizona a conduit un officiel de l’Arizona à menacer de couper l’électricité de Los Angeles. L’Arizona fournit plus de 25 % de l’électricité de la ville.

 

La frontière de 2 000 miles

La frontière de 2 000 miles dans la région Sud-Ouest, en incluant la réserve indienne américaine O’odham, est le principal point d’entrée des étrangers sans pa­piers venant du Mexique, de l’Amérique centrale, de l’Amérique du Sud. Ce point d’entrée est aussi le même pour la plupart des drogues.

En 2008, les douanes ont arrêté 792 321 personnes qui essayaient de pénétrer les USA par la frontière du Sud-Ouest. Les douanes ont également expulsé plus de 369 000 personnes. On estime que l’Arizona compte 460 000 immigrants illégaux. L’État de l’Arizona a une population de 6 595 778 habitants en 2009. Une quantité importante d’armes et d’argent liquide ont transité par cette région.

Le nombre de tunnels entre le Mexique et les États-Unis ne cesse d’augmenter. En 2008, les États-Unis ont découvert 16 tunnels souterrains, dont la majorité étaient dans la région de Tucson, Arizona. En 2009, les USA ont découvert 26 tun­nels : 20 étaient dans le secteur de Tucson et 5 en Californie, dans la région de San Diego.

Les coyotes, qui conduisent les immigrants illégaux à travers la frontière, payent souvent les cartels de drogue mexicains pour avoir le droit d’opérer le long de cer­taines routes dans quelques zones frontalières.

Environ 460 000 immigrants illégaux résident en Arizona. Tous ne sont pas des « Latinos » à la recherche d’un travail. Il y aussi des étrangers sans papiers venus de Chine, d’Afghanistan, d’Irak, d’Iran, du Pakistan. Certains sont des membres de gangs transnationaux, tels que le Barrio Azteca, Mara Salvatrucha (MS 13), Transnational Surenos (incluant la 18e Rue, Florencia et Los Wonders), et franchis­sent illégalement la frontière américano-mexicaine chaque année.

Un propriétaire de ranch dans le Sud de l’Arizona a été tué par un supposé trafiquant quelques semaines avant l’adoption par l’Assemblée législative du pro­jet mettant une pression politique sur le gouverneur Jan Brewer. Ironiquement, le gouverneur précédent, Janet Napolitano, avait opposé son veto à une loi similaire à plusieurs reprises en tant que gouverneur démocrate de l’État d’Arizona. Jan Brewer a ensuite été nommée ministre du Department of Homeland Security par le prési­dent Obama. Elle a questionné la validité de cette loi.

Le gouverneur Brewer a également annoncé un plan afin d’inciter le gouverne­ment fédéral à envoyer des troupes de la garde nationale à la frontière. Elle a exigé que les officiers de police, « lorsque cela est possible », détiennent les personnes qu’ils soupçonnent d’être clandestines[3].

En général, l’immigration « illégale » a trois principaux opposants, formant une alliance populiste. Le premier groupe est composé des électeurs à revenus élevés qui pensent que l’immigration clandestine augmente le fardeau fiscal. Le second voit les immigrés comme augmentant les risques de criminalité et de terrorisme. Le troisième comprend les électeurs les moins instruits, qui craignent que les immi­grants volent leurs emplois. John McCain, Sarah Palin et Tea Party encouragent les mesures sévères de l’Arizona.

 

Réactions

En mai 2010, le président Obama a annoncé qu’il allait envoyer jusqu’à 1 200 soldats de la garde nationale à la frontière sud-ouest. Il a dit qu’il exigerait également une augmentation des dépenses afin de lutter contre le trafic de drogue. Républicains et législateurs démocrates ont demandé que la sécurité des frontières soit resserrée.

Le sénateur John McCain maintient que cette nouvelle loi de l’Arizona « était une réponse au président et à l’échec de l’administration pour sécuriser nos fron­tières ». McCain, qui a sans cesse été critiqué pour la « faiblesse » de sa position sur l’immigration lors de sa difficile campagne électorale de l’Arizona, a appelé à l’envoi de 6 000 soldats de la garde nationale à la frontière sud-ouest, dont 3 000 pour l’Arizona. McCain a déclaré que 1 200 hommes ne suffiraient pas. McCain a été un temps le coauteur d’une législation qui offrait aux immigrés clandestins une voie vers la citoyenneté.

 

Nouvelle peur

La patrouille frontalière a été créée pour ne pas bloquer les Mexicains, mais les Chinois et les immigrants qui tentent d’éviter le National Origins Act (1882).

En 1954, l’INS a lancé l’opération Wetback, une série d’expulsions en masse de clandestins mexicains. Le but de l’opération a été d’expulser des milliers de tra­vailleurs sans papiers mexicains que les États-Unis ont encouragés à franchir la frontière pendant la Seconde Guerre mondiale. Des soldats américains revenant de la guerre aux États-Unis, de sorte que les travailleurs immigrés ont été expulsés pour faire place aux soldats américains de retour de la guerre.

Le Mexique a prévenu que l’adoption d’une loi d’immigration sévère a créé un climat politique négatif pour les communautés de migrants et pour les touristes mexicains.

En mai 2010, le président mexicain Felipe Calderon a condamné la nouvelle loi de l’Arizona sur l’immigration devant le Congrès : « Je suis convaincu qu’une réforme globale de l’immigration est également essentielle pour assurer notre fron­tière commune. Cependant, je suis fortement en désaccord avec la loi récemment adoptée en Arizona. »

 

Vol de surveillance

Les républicains conservateurs et le mouvement Tea Party ont déclaré que l’im­migration illégale, la drogue et le terrorisme étaient liés. Le mouvement a mis une pression politique sur Obama pour qu’il agisse avec force.

Dans la première semaine de juin 2010, un drone « Predator B » (fabriqué par General Atomics) a effectué son vol de surveillance à la frontière américano-mexi­caine dans l’Ouest du Texas et a commencé la collecte de renseignements. L’Arizona a également demandé l’envoi de 8 à 10 « OH-58 Kiowa », hélicoptères utilisés pour la reconnaissance militaire. À la mi-août, le président Barack Obama a signé un projet de loi de 600 millions de dollars qui servirait à financer quelque 1 500 nou­veaux agents de patrouille frontalière, des inspecteurs de douanes et autres respon­sables. Le gouvernement américain a prévu de superviser l’ensemble de drones aux frontières sud-ouest de 2 000 miles avec le Mexique.

On pourrait soutenir que les États-Unis ont confondu la frontière mexicaine avec la frontière avec le Pakistan, comme ils avaient confondu la guerre contre la drogue, le trafic d’armes et l’immigration clandestine. La présomption est que les moyens techniques aideront à résoudre cette crise qui représente les racines d’un problème socio-économique et politique bien plus profond.

[1]http://www.euroinvestor.fr/news/story.aspx?id=10986210&bw=20100408006883 Le Congrès mexicain appelle à des représailles…

[2]En savoir plus: http://www.consumeraffairs.com/news04/2006/02/ss_secret_stash.html ixzz0ncu0cQlpAs #

[3] http://www.nytimes.com/2010/04/24/us/politics/24immig.html

Article précédentReligions et politique aux États-Unis
Article suivantÉTUDES STRATÉGIQUES : LES DÉSENCHANTÉS DE LA STRATÉGIE DE LA DISSUASION NUCLÉAIRE GLOBALE

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.