Entre demandes de suspension et retraitement inexistant, laisser une chance à la paix

Ali Rastbeen

Président de l’Académie de Géopolitique de Paris

3eme trimestre 2013

Depuis les tragédies d’Hiroshima et de Nagasaki qui ont mis un terme à la Seconde guerre mondiale, l’arme nucléaire marque un point culminant projetant le monde dans une ère nouvelle : l’humanité s’est dotée des moyens de son propre anéantissement.

De nombreux gouvernants se sont préoccupés de l’avenir de l’humanité dans un monde nucléaire. Ces préoccupations portaient sur deux points : la survie du monde et la domination des grandes puissances — nucléaires -, sur les autres États. Le bombardement d’Hiroshima serait donc le point de départ d’une nouvelle ère de relations internationales, plutôt que la fin de la Seconde guerre mondiale.

Pendant la Guerre froide, les armes atomiques, par leurs puissances destruc­trices pratiquement illimitées, représentaient une rupture totale. Aujourd’hui, elles sont considérées comme un enjeu international de premier plan.

Les grandes puissances réalisent qu’elles disposent désormais de l’arme la plus terrible de l’histoire humaine, et qu’elles ne resteront pas longtemps ses seules détentrices.

L’idée qu’un traité empêche de nouveaux pays de se doter de l’arme nu­cléaire fut soutenue à l’unanimité par l’Assemblée générale de l’ONU en 1961. Aujourd’hui, le Traité de Non Prolifération Nucléaire est presque universel. Seuls trois États, possédant l’arme atomique, ont refusé de le signer : l’Inde, le Pakistan, Israël… La Corée du Nord a finalement préféré s’en retirer.

Le TNP pose trois principes fondamentaux : la prévention de la prolifération, le désarmement des États dotés de l’arme atomique, l’accès à la technologie du nucléaire civil.

Moyennant le renoncement des États à se doter du nucléaire militaire, les États qui sont pourvus de l’arme atomique s’engagent, d’une part, à mener des négociations en vue d’un désarmement nucléaire progressif et, d’autre part, à leur fournir toute assistance nécessaire pour le développement d’une généralisation de l’industrie à but pacifique.

Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU ont été auto­risés par le TNP à posséder l’arme nucléaire. Le but recherché n’était pas seule­ment de conserver le monopole de l’atome militaire, mais de laisser une chance à la paix.

Au cours des dernières décennies, la non-prolifération est devenue un pro­blème de sécurité majeur à l’échelle de la planète. Ce regain d’intérêt, dans notre monde, pour l’énergie nucléaire, impose de redoubler de vigilance car la prolifé­ration des armes de destruction massive n’est pas sans grands dangers. Elle ques­tionne l’homme sur sa responsabilité à l’égard de l’Univers.

Le choix de l’énergie nucléaire ne repose pas uniquement sur des considéra­tions purement énergétiques et économiques. Il vise des objectifs géopolitiques, stratégiques et politiques.

L’équation politique et stratégique actuelle est simple : des alliances et des coopérations nouvelles voient le jour aux niveaux régional et planétaire, dans un monde multipolaire où sont aujourd’hui contestées des politiques et idéologies jugées dominantes par certains.

On aurait tort de considérer l’affaire iranienne comme un cas isolé. Elle pour­rait au contraire préfigurer une situation qui risque de se développer à plus grande échelle. Par conséquent, il faudra trouver des solutions pour éviter la prolifération ou accepter que la boîte de Pandore ne s’ouvre sans qu’il soit possible de la refer­mer.

On admet couramment dans l’ensemble de la Communauté internationale qu’il faille lutter contre la prolifération des armes nucléaires. Ce fut, durant ces dernières années, l’objectif des prises de sanction. Toutefois, ces dernières peuvent être uti­lisées de manière unilatérale ou multilatérale, en tant que levier de pression sur d’autres pays. Ce type d’utilisation, aujourd’hui encore, est abusif, car détourné au profit d’intérêts politiques plus ou moins avérés. La prise de sanction dépasse parfois le cadre du Conseil de sécurité des Nations unies pour atteindre l’extraterri-torialité et elle devient unilatérale sur d’autres peuples.

Le colloque international, qui vient de se tenir au Sénat, a permis de poursuivre la réflexion dans ces domaines et d’approfondir un certain nombre de questions, telles que :

  • la portée et le degré d’efficacité de ces sanctions, en comparaison aux exi­gences et aux attentes réelles de ceux qui les ont décidées,
  • les effets économiques et sociaux des sanctions sur les pays et les peuples, leurs effets sur la souveraineté en général, l’indépendance politique et l’identité na­tionale, de même les conséquences néfastes de l’ajustement de l’Union européenne sur la politique américaine en matière de sanctions unilatérales,
  • l’application des sanctions unilatérales et extra-onusiennes par l’Union eu­ropéenne ou les États-Unis n’est pas en contradiction avec les droits des peuples visés…
  • outre leurs conséquences géostratégiques, ces sanctions ne constituent-elles pas un obstacle à la mondialisation et à la liberté du commerce ?

Dans le cas de l’Iran, la mise en place de vigoureuses sanctions à son encontre a-t-elle conduit à renforcer la non-prolifération ? L’intention des États qui les adoptent et décident de leur application n’est-elle pas également empreinte d’autres objectifs, notamment d’ordre
politique ?

Pourtant, s’agissant de l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire, la détermi­nation de l’Iran à emporter son droit inaliénable, sa résistance aux pressions qu’elle qu’en soient les formes — assassinat des savants atomiques, sanctions et menaces d’attaques militaires —, préviendrait l’utilisation de ces mêmes méthodes à l’égard d’autres pays en voie de développement, en particulier les pays non alignés.

Des politiques discriminantes et des positions de certains pays occidentaux ont été imposées à l’Agence Internationale de l’Energie Atomique. L’Iran a payé un lourd tribut en contrepartie de sa fermeté comme de son attachement aux principes inscrits dans sa loi constitutionnelle. Le refus de reconnaissance du droit inaliénable quant à l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire, entre autres l’enrichissement de l’uranium, en est un exemple flagrant.

Ces dernières années, d’interminables débats politiques concernant les activi­tés nucléaires de l’Iran ont créé un climat de tension mettant en danger l’esprit des négociations de Vienne et provoquant des fractions au sein des pays membres. Après dix ans de polémiques, il est temps que ce processus connaisse la voie du changement. Le dernier rapport du directeur général de l’AIEA — mai 2013 — fait état des observations suivantes :

  1. Dans le domaine de l’enrichissement de l’uranium, l’Iran agit de manière indépendante et efficace.
  2. Les activités nucléaires de l’Iran, dont l’enrichissement, se déroulent sans aucune entrave.
  3. L’Iran a obtenu des acquis technologiques en particulier dans les domaines d’esquisse, de production, d’expérimentation et de mise en marche de générations modernes de centrifugeuses.
  4. L’Iran a connu de grands progrès quant à la production des pièces nécessaires au réacteur d’eau lourde d’Arak, avec des standards élevés et continue à le compléter avec succès. Il est à noter que les malades atteints de cancer sont les premiers bénéfi­ciaires des thérapies spécifiques rendues possible par l’existence de ce réacteur tandis qu’un petit nombre de pays insistent sur la nécessité de son arrêt en se fondant sur des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies contestables.
  5. L’Iran a remporté des succès sur les autres composants du cycle du combus­tible nucléaire dont la découverte de l’uranium, la transformation et la production du combustible. Selon le directeur de l’Agence Internationale à l’Energie Atomique aucune activité de retraitement n’a été constatée en Iran. Dans ces conditions, le Conseil de sécurité peut-il justifier ses résolutions, notamment celles qui sollicitent la suspension d’un retraitement qui n’existe pas ?
  6. Toutes les activités nucléaires de l’Iran, concentrées sur seize unités d’instal­lations et neuf sites dépendants, sont contrôlées en vertu des principes du TNP.
  7. Il n’existe aucune preuve qui démontre la déviation des activités nucléaires de l’Iran vers des objectifs d’ordre militaire.
  8. L’AIEA assure qu’elle n’est pas entravée dans sa mission. Qu’en Iran, elle est en mesure de poursuivre ses activités de vérifications sur le terrain sans aucun obstacle.

Ainsi, le rapport du directeur de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique admet que malgré les entraves et la complexité de la situation, l’Iran a su préserver la constance. Que peut-on en conclure ? Apparaît un certain nombre d’évidences :

– Dans le domaine de ses activités nucléaires à visée pacifique, ce pays n’a pas cédé aux pressions.

– Pratiquement, à ce jour, les sanctions ont eu des effets pervers dans le domaine de la santé. Elles ont finalement frappé les malades iraniens (elles ont créé des diffi­cultés sérieuses d’accès aux soins…) et non pas les centrifugeuses en tant que telles, car toutes les pièces sont fabriquées en Iran. Par conséquent, les sanctions n’ont eu aucun effet sur la poursuite des activités. Bien au contraire, même accompagnées de pressions politiques, elles ont renforcé la motivation du peuple iranien à béné­ficier de son droit inaliénable, à prospérer selon l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire.

Ainsi, sortir de l’illusion d’une politique qui porte en elle-même sa propre indi­gence et devient stérile, admettre la vérité de chacun, suppose d’établir le climat propice à l’échange pondéré. Cela implique d’agir en divers points :

  1. Reconnaître officiellement le droit de l’Iran à l’enrichissement de l’uranium. Comme l’indiquait, en mars 2013, le dirigeant de la République islamique d’Iran : « Les Américains ne veulent pas résoudre la question nucléaire par le biais de négo­ S’ils veulent régler la question nucléaire de l’Iran, la solution est toute simple. Ils doivent admettre le droit de l’Iran à l’enrichissement de l’uranium pour des objectifs pacifiques ».
  2. Il est nécessaire de mettre un terme à l’intervention du Conseil de sécurité des Nations unies dans le dossier technique de l’AIEA, qui concerne les activités nucléaires de l’Iran. De mettre un terme aux actions belliqueuses à son encontre — dont les sanctions.
  3. Sans tarder, il faut entamer des négociations constructives entre l’Iran et le groupe des cinq plus un sur la base du respect mutuel et de l’égalité des
  4. La mission de l’AIEA est parfaitement claire : examiner la réalité des allé­gations iraniennes sur ses installations et sa production nucléaire. Son activité doit se maintenir dans le cadre des traités relatifs à l’activité nucléaire et non des infor­mations fournies par des services de renseignements et des groupes informels qui leur sont liés sous couvert de « sources libres ». Selon des sources officielles, durant la dernière décennie et dans le cadre des négociations, le secrétariat de l’AIEA n’a pas véritablement su faire la part des choses, ce qui a crée des malentendus. Ainsi, les rapports de l’agence onusienne, montrent qu’elle a usuellement outrepassé le cadre de ses attributions légales. D’autre part, elle n’a pas distingué entre les droits et obligations issus du TNP — ratifié par l’Iran —, et les diverses sollicitations d’ordre politique, les décisions des chefs d’État et de gouvernement, celles du Conseil de sécurité, qui n’entrent pas dans le champ de la simple application du Traité. Ce comportement a renforcé les complexités et provoqué, dans certains cas, des ten­sions entre les États membres.
  1. Le gouvernement iranien serait en mesure de prendre les dispositions néces­saires pour mettre un terme aux malentendus persistants, dans l’hypothèse où dans leur ensemble, ces propositions étaient satisfaites.

Pour l’AIEA — et une partie de l’opinion publique internationale —, la mise en œuvre d’un programme nucléaire par l’Iran à des fins militaires et non seulement civiles, reste une source d’inquiétude. N’est-il pas essentiel de dissiper présupposés et « schémas standards de pensée » qui assèchent le rapprochement ?

En effet :

  • Il semble que lors des négociations bilatérales, le secrétariat de l’Agence Internationale à l’Energie Atomique n’ait pas encore admis qu’il doive exercer sa mission dans la limite du cadre légal qui lui a été prescrit. Droits et obligations qui sont clairement définis, notamment le devoir de sauvegarder la sécurité de tous les États membres et, selon ses statuts, de garder les informations confidentielles.
  • Pour l’Iran, comme pour tout autre pays membre, il est impossible de négo­cier avec l’AIEA sur de simples allégations d’activités illicites sans avoir obtenu des preuves tangibles. Soumis en novembre 2011 après neuf mois de retard, le rapport du directeur général de l’Agence concernant les preuves d’une poursuite d’activités suspectes — litigieuses -, fut accueilli favorablement par l’Iran. Ce texte a été relancé par l’AIEA lors de la dernière entrevue du 15 mai 2013. Par conséquent, pourquoi reprocher à l’Iran de jouer sur la prolongation des négociations et d’entretenir la confusion ?
  • Bien qu’il n’y soit pas juridiquement tenu, l’Iran a accepté de négocier sur les éventuelles dimensions militaires de son programme nucléaire, afin de maintenir le climat de sérénité et d’efficience. Parce que rien ne peut se faire sans qu’un cadre ne soit préalablement défini, dès le début, et pour prouver sa bonne foi, l’Iran ne s’est pas opposé à la liste des conditions de la négociation proposée par l’AIEA, s’agis-sant notamment de Au cours des négociations de février 2012 à Téhéran, avant la conclusion des modalités, l’Iran était tout à fait disposé à accompagner le directeur de l’AIEA à Marivan (on prétendait qu’il y avait eu une forte explosion expérimentale) et proposait une visite du site de Parchin pour la semaine suivante.

Or, selon l’Agence elle-même, son directeur général a décliné cette offre parce qu’il a considéré qu’un tel déplacement n’était pas nécessaire. Plus tard, dans les années 2004-2005, de nouveaux examens furent effectués sur le site de Parchin. Là encore le directeur général de l’AIEA déclarait qu’il n’avait trouvé aucune trace de produits nucléaires.

Polémiques où propagande ? Selon des objectifs politiques, préjudiciables à une coopération menée dans la confiance… En tout état de cause, ces débats ne favo­risent pas le climat de sérénité qui doit permettre de poursuivre les pourparlers de manière professionnelle.

L’Iran permet l’accès au site de Parchin dans la mesure où l’AIEA reconnait le bien-fondé des positions qu’il a développées lors de la réunion du 15 mai 2013 à Vienne, et dans le cadre des modalités qui ont été définies.

La politique nucléaire iranienne est une question nationale détenant l’approba­tion du peuple. À plusieurs reprises, le dirigeant de la République islamique d’Iran a insisté sur le fait que l’arme nucléaire n’était pas une fin en soi et n’avait pas sa place dans la doctrine défensive de la Nation au point de vue religieux. Signataire du Traité de Non Prolifération Nucléaire auquel il a consenti, l’Iran ne remet pas ses engagements en cause. Toutefois, il considère que les décisions du Conseil de sécurité des Nations unies sont illégales. L’Iran a souvent fait la démonstration de ces irrégularités lors des réunions des chefs d’État.

Ainsi, le grand peuple iranien, fort de sa civilisation millénaire et disposant de lui-même, ne permettra à personne de priver ses générations actuelles et futures de leur droit inaliénable à utiliser l’énergie nucléaire, à des fins civiles et de manière pacifique.

L’Iran ne saurait se séparer du monde pour assurer son développement, le monde a besoin de l’Iran pour garantir sa stabilité et sa prospérité. Le peuple iranien porte, haut levé, le drapeau de la paix, celui de la coopération et de la croissance.

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