Développement et pétrole en Afrique du Nord

Claude DUVAL

Avocat international et ancien fonctionnaire international à la Banque mondiale.

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André PERTUZIO

André PERTUZIO

Consultant pétrolier international et ancien conseiller juridique pour l’énergie à la Banque mondiale.

3eme trimestre 2011

Le retard du développement économique au Maghreb est un des facteurs endogènes de la contestation populaire. Basé sur les travaux du PNUD, cet article démontre que le niveau de développement humain n’est pas nécessairement corrélé avec le niveau de re­venu. Ainsi, la valeur d’IDH de la Tunisie est du même ordre de grandeur que celui de l’Algérie ou de la Libye, quand bien même le niveau de sa production en hydrocarbures de ce pays ne permet pas de considérer qu’il bénéficie d’une rente pétrolière au même titre que les deux autres pays. Quant au Maroc, avec un PIB par habitant de seulement 3.200 USD, il est celui de ces quatre pays qui a connu, au cours des trente dernières années, le taux de croissance moyen annuel de l’IDH le plus élevé.

The delayed économie development in the Maghreb is one of the endogenous factors of po-pularprotest.s Based on UNDPs works, this article demonstrates that the level of human development is not necessarily correlated with the income level. Thus, the HDI value of Tunisia is in the same order of magnitude as that of Algeria or Libya, even though the level of oilproduction in Tunisia does not entitle us to say that it enjoys an oil revenue in the same manner as the other two countries. As for Morocco, with an annual GDP per capita of only $ 3,200, it is one of the four countries that experienced the highest average annual HDI growth rate over the last thirty years

Le développement de l’Afrique du Nord (Algérie, Libye, Maroc et Tunisie) mérite d’être examiné à l’aune des travaux du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), tout en prenant en considération la pro­duction pétrolière (lorsque production il y a).

Développement

Un bref rappel historique de quelques notions de base afférentes au concept de développement s’impose, avant de se focaliser plus précisément sur le développe­ment des quatre pays en question.

Les premiers travaux des pionniers du développement ne distinguaient pas entre, d’une part, développement économique et social et, d’autre part, croissance économique.

Le développement signifiait obligatoirement l’obtention d’une croissance économique sur une longue période, ce qui devait emporter immanquablement une amélioration du bien-être des populations et une diminution de la pauvreté. Les travaux s’intéressaient donc aux déterminants de la croissance et, dans le droit sillage du plan Marshall de 1947 et du discours du 20 janvier 1949 d’Harry Truman qui appelait à aider les pays sous-développés dans le cadre de la guerre froide, les premières politiques préconisées portaient sur un investissement massif de façon à sortir ces pays de leur sous-développement et mettre en œuvre un cercle vertueux qui, par le biais d’une augmentation du revenu par tête d’habitant, ne pouvait qu’être bénéfique pour les populations concernées : c’était le seul critère reconnu comme pertinent en matière de mesure des progrès sociétaux.

Cette vision économétrique du développement a commencé à être battue en brèche, à l’aube des années 1980, lorsqu’on s’est avisé qu’augmentation du revenu par tête d’habitant n’était pas nécessairement synonyme d’amélioration du bien-être des populations et de diminution de la pauvreté.

La notion de développement économique s’est alors élargie au social c’est-à-dire à la notion de capital humain, en insistant, notamment, sur la prise en compte de l’éducation et de la santé dans la notion de développement. Dans cette vision élargie, sont prises en compte des mutations positives (techniques, éducatives, sanitaires, démographiques, etc.) qui induisent, dans une société donnée, des transformations de structure et de « destruction créatrice » qui sont les marqueurs caractéristiques d’une société qui « bouge », qui se développe, c’est-à-dire où se manifeste un avancement sociétal.

En effet, en sens inverse, une simple croissance économique – sous l’effet de seuls dopants artificiels telle qu’une production pétrolière en forte augmentation-qui ne serait pas accompagnée de telles transformations sociétales risque de buter sur l’épuisement des ressorts de la croissance. Autrement dit, on fait alors face au phénomène classique dit du « cycle de vie », à savoir, émergence, expansion, pla­fonnement et, pour finir, déclin : telle fut la malédiction qui caractérisa certaines économies latino-américaines du XIXe siècle dont les agissements des bourgeoisies portuaires, de type « comprador », constituèrent un frein certain au développement de ces pays.

C’est pour mieux cerner un tel risque que de nouvelles mesures du développe­ment, qui ne soient pas économiques stricto sensu, ont été mises au point à partir de 1990. En témoigne le rapport sur le développement humain du PNUD dont la 20ème édition est parue en 2010 : au-delà d’un indice comme le revenu par tête d’habitant, y sont présentés tout une batterie d’indices qui, tout en restant simples, ne font pas l’impasse sur tout ce qui n’est pas revenu ou marchandises.

Cette démarche vise à prendre en compte, par le biais d’indices d’un type nou­veau, l’évaluation de la qualité de vie des populations : ainsi, le niveau d’éducation et la situation en matière de qualité des soins et de couverture médicale peuvent refléter cette qualité de vie.

Cela renvoie à une image plus concrète de la façon dont vivent les habitants dans les différents pays, ce qui devrait permettre de s’assurer que la croissance économique ne soit pas qu’un feu de paille sans lendemain et aider à piloter des politiques économiques dans le souci d’éviter une telle dérive : c’est au cœur même de la problématique actuelle de la mise en œuvre des politiques de développement.

Soulignons maintenant que l’indice de développement humain (IDH) du PNUD, dans sa version de base (qui s’est enrichie au cours des années), prend en compte le revenu monétaire, l’éducation et la santé, ces deux derniers éléments en constituant la dimension non monétaire.

Pour donner une image des variations extrêmes que peut revêtir l’IHD (il est étalonné de 0 à 1), il est intéressant d’observer que, en 2010, la Norvège occupait la première place avec un indice de 0, 938 et le Zimbabwe la dernière avec un indice de 0, 140.

Quant aux pays qui nous occupent, ils sont classés, pour l’Algérie, 84ème (avec un indice de 0, 677), pour la Libye 53ème (avec un indice de 0, 755), pour le Maroc 114ème (avec un indice de 0, 567) et pour la Tunisie 81ème (avec un indice de 0, 683).

En s’attachant à la valeur de l’IDH non monétaire (éducation et santé), les va­leurs ressortent à 0, 716 pour l’Algérie, 0, 775 pour la Libye, 0,594 pour le Maroc et 0, 729 pour la Tunisie.

Pour ce qui est de l’espérance de vie à la naissance, elle tourne autour de 73 ans dans les quatre pays concernés.

La durée moyenne de scolarisation, quant à elle, est d’environ 7 ans pour l’Algérie, la Libye et la Tunisie, le Maroc atteignant 4,5 années.

Enfin, pour la période 1980-2010, le taux de croissance moyen annuel de l’IDH a été de 1,42% pour l’Algérie, de 1, 49% pour la Tunisie et de 1,59% pour le Maroc, les données pour la Libye n’étant pas disponibles.

De tels résultats signifient que les quatre pays examinés ont connu un dé­veloppement humain plus ou moins de même amplitude au cours de la période 1980-2010, alors que le PIB par habitant peut varier du simple au quadruple d’un pays à l’autre : en effet, si ce revenu est de 11.630 USD en Libye, il n’est que de 3.200 USD au Maroc, la Tunisie se situant à 4.375 USD et l’Algérie à 4.187 USD.

De ces travaux du PNUD, qui font autorité en la matière, émanent des conclu­sions qui montrent que le niveau de développement humain n’est pas nécessaire­ment corrélé avec le niveau de revenu. Ainsi, la valeur d’IDH de la Tunisie est du même ordre de grandeur que celui de l’Algérie ou de la Libye, quand bien même le niveau de sa production en hydrocarbures de ce pays ne permet pas de considérer qu’il bénéficie d’une rente pétrolière au même titre que les deux autres pays. Quant au Maroc, avec un PIB par habitant de seulement 3.200 USD, il est celui de ces quatre pays qui a connu, au cours des trente dernières années, le taux de croissance moyen annuel de l’IDH le plus élevé.

Ces conclusions permettent donc de vérifier empiriquement que les pays dont le développement s’appuie essentiellement sur une rente de situation (en l’occur­rence le pétrole) éprouvent les plus grandes difficultés à se développer et à offrir à leur jeunesse les perspectives d’emploi qu’elle serait en droit d’attendre d’une bonne gestion des revenus de la rente qui se dégage dans leur pays : rappelons qu’en Algérie et en Libye près de 60% de la population a moins de 30 ans et que le chômage des moins de 30 ans affecte un tiers de cette population !

La raison en est, sans doute, que l’élite politico-administrative qui contrôle ces économies de rente est soucieuse de ne pas voir émerger une élite dont le pouvoir se fonderait sur une économie productive.

En effet, une économie autre que celle émanant de la rente, se développant en parallèle et permettant ipso facto l’émergence d’une élite autre que l’élite « rentière », pourrait, à terme, remettre en cause le monopole du pouvoir exercé par cette der­nière : il faut être tout à fait conscient que les pays de rente sont, pour l’essentiel, tenus politiquement par le biais d’un clientélisme s’appuyant sur la subvention des produits de première nécessité qui requiert, de la part de l’élite dirigeante, l’utilisa­tion de seulement une petite fraction des revenus de la rente.

 

Pétrole

La question de la « rente pétrolière » et de son incidence sur le développement est maintenant posée.

Une première réflexion s’impose, on ne peut faire du « développement hu­main » c’est-à-dire du « social » qu’avec des économies en bon état de marche mais ceci dépend de très nombreux facteurs. Il est certain que les peuples de l’ensemble de l’Afrique sont, à des degrés et à des stades d’évolution divers, dans un proces­sus de développement. Nous avons vu les très intéressants indices du PNUD qui s’appliquent aux quatre pays d’Afrique du Nord qui font l’objet de cette étude. Deux d’entre eux ne sont pas tributaires de la rente pétrolière et les deux autres, au contraire, de grands producteurs ce qui se traduit d’emblée par un PIB plus impor­tant relativisé par le nombre d’habitants.

Voyons donc le détail par pays des chiffres et des indices qui illustrent le déve­loppement économique de chacun de ces pays d’Afrique du Nord.

Le Royaume du Maroc est, pour des raisons historiques et religieuses, un élé­ment stable du Maghreb. Mais il manque d’hydrocarbures et la facture énergétique pèse sur son économie. Ses indicateurs sont éloquents à cet égard : un PIB par tête d’habitant de 3.200 USD, avec un taux de croissance de 4% annuel, le met dans une position convenable mais avec un déficit du commerce extérieur d’environ 17 milliards USD, soit 17% du PIB. Il n’occupe ainsi, comme rappelé ci-dessus, que la 114ème place mondiale en matière d’IHD, avec 0,567. L’augmentation des prix du pétrole brut, selon la conjoncture, est toujours une menace pour sa perfor­mance économique et donc pour les secteurs concernés par l’IHD (éducation et santé), car sa facture énergétique représente 82% de ses importations. Des efforts se poursuivent pour inciter la recherche pétrolière mais avec, jusqu’à ce jour, des résultats décevants.

Ancienne entité historique, la Tunisie représentait aussi un pôle de stabilité jusqu’aux récents soubresauts après les longues tenures de Bourguiba et de Ben Ali. Le résultat le plus immédiat est, pour l’instant, la baisse de l’activité touris­tique, l’un des secteurs de base de l’économie tunisienne. En revanche, le pays, s’il n’est pas un grand producteur d’hydrocarbures est presque autosuffisant avec une production de 4 millions de tonnes/an et une production gazière, quoique mo­deste, de 2,3 millions de m3 (équivalent de 2 millions de tonnes/an de brut, ce qui permet d’équilibrer à peu près sa consommation). Ce secteur essentiel de l’énergie ne représente donc pas une charge pour l’économie tunisienne dont le PIB par habitant est de 4.375 USD. Les exportations équilibrent, pour le moment, les im­portations de biens et services, mais ces dernières sont en voie d’augmentation. En l’état, l’IDH de la Tunisie est de 0, 683 et elle occupe la 81ème place mondiale. Un facteur important pour l’avenir consiste dans la survenance probable d’une rente pétrolière à un horizon relativement proche. En effet, l’augmentation des cours du pétrole, qui résulte, notamment, de l’instabilité politique des zones productrices de la Méditerranée et du Proche-Orient, permet aux opérateurs pétroliers de s’intéres­ser aux gisements de taille modeste, ce qui est le cas de la Tunisie. Il lui serait donc possible d’augmenter son taux de croissance de PIB. En matière gazière, il semble­rait que, selon l’US Geological Survey, ses réserves se monteraient au minimum à 600 millions de tonnes équivalent pétrole.

Enrichie depuis son indépendance des champs pétroliers du Sahara, l’Algérie est aujourd’hui un grand producteur avec 1.800.000 barils/jour, soit 90 millions de tonnes/an, et également de gaz naturel dont elle produit l’équivalent, soit 90 mil­liards de m3/an. Elle est l’un des principaux fournisseurs de la France en la matière.

Il faut insister sur l’importance de la rente pétrolière pour l’Algérie car l’économie du pays en est presque totalement dépendante, les hydrocarbures représentant 97% des exportations du pays ce qui permet de dégager un surplus commercial de 14 milliards USD. Le PIB, qui en est donc largement fonction, est actuellement de 4.187 USD par habitant compte tenu d’une population de 36 millions dont l’alimentation et, par tant, l’existence dépend entièrement des ressources pétrolières et gazières. Le taux annuel de croissance du PIB, à savoir 4%, est également lié à cette rente. En effet, selon les experts, le sous-développement de l’agriculture dû à un climat sec et aride et à une incapacité à y remédier entraîne un fort exode rural accompagné d’un accroissement démographique marqué et désormais urbain. C’est ainsi que l’Algérie doit importer environ 65 millions de quintaux de blé annuellement d’où l’impérieuse nécessité de la rente pétrolière qui permet à l’Algérie d’atteindre un IHD de 0,677, soit le 84ème rang mondial.

Si la survie alimentaire de l’Algérie très peuplée est liée à la rente pétrolière, c’est l’existence même de la Libye, entité étatique récente de 6 millions d’habitants, qui en est tributaire. Que l’on en juge par les chiffres : une production pétrolière ana­logue à celle de l’Algérie, soit 90 millions de tonnes/an mais pour une population presque six fois moindre, et un PIB, représenté à 99% par les exportations pétro­lières, qui donne un PIB de 11.630 USD par habitant, avec 7, 4% de la population sous le seuil de pauvreté bien que le PIB croisse annuellement de 8,5%. Ce sont de tels éléments qui expliquent que la Libye ait un IHD de 0,755 qui, on l’a vu, la classe en 53ème position mondiale.

Les derniers évènements politiques, guerre civile et intervention étrangère pas-
sée de « zone d’exclusion aérienne » à « zone d’intervention aérienne »………. marquent

un temps d’arrêt dans la production pétrolière et le développement du pays. De quoi demain sera-t-il fait? En tout état de cause, la rente pétrolière y jouera néces­sairement un rôle de premier plan.

Quels enseignements tirer de ce qui précède ?

L’influence de la rente pétrolière sur le développement des pays a été et continue d’être débattue, notamment en ce qui concerne l’Afrique sub-saharienne dont, il est vrai, le développement est en panne malgré, pour certains d’entre eux l’afflux de revenus pétroliers fort substantiels. Il s’agit là d’un problème qui mériterait une étude en soi.

Dans le cas de l’Afrique du Nord, les conclusions du PNUD, fondées sur un en­semble d’éléments soigneusement étudiés, montrent que le classement de ces quatre pays suivant les critères de l’IHD est identique à leur classement suivant le PIB par habitant, ce qui démontre, bien évidemment, le poids de la rente pétrolière dans la mesure de leur développement (lorsque le facteur monétaire est pris en compte dans l’IDH), le Maroc venant au dernier rang car il est dépourvu de toute ressource en hydrocarbures.

A titre de comparaison, suivant le classement du PNUD, la Norvège arrive en tête du classement mondial alors qu’elle était déjà un pays développé, à bien des égards, avant de bénéficier d’une forte rente pétrolière : son PIB alors modeste, car elle ne vivait que du produit de sa pêche, n’a donc jamais constitué un obstacle à ce qu’elle présentât les caractéristiques d’un pays développé comparable aux autres pays développés.

En définitive, les exemples de l’Afrique du Nord et de la Norvège prouvent que si la rente pétrolière peut être un facteur important de développement, ce n’est pas un facteur déterminant : d’autres facteurs jouent un rôle, comme la bonne gouver­nance politique et économique.

Bibliographie

Développement

PNUD. Rapport sur le développement humain 2010. Edition du 20ème anniversaire du RDH.

pétrole

Arab Oil and Gaz Directory.

Natural Gaz in the World (CEDIGAZ).

International Energy Agency, « World Energy Outlook », 2010.

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