De la stratégie à la géopolitique, quelques éléments d’une approche pluridisciplinaire.

Par Alexandre Del Valle
Mars 2001

Qu’est-ce que la stratégie ? D’après l’étymologie grecque, la stratégie signifie  » conduire l’armée « , Platon précisant d’emblée que la guerre, donc la stratégie, doit être soumise à la politique, l’art militaire à celui du gouvernement. Avant les Grecs, Sun Tzu (VIème siècle avant J.C.) est le premier théoricien reconnu comme tel de la stratégie, son Art de la guerre étant encore étudié par tous les stratégistes et stratèges, et conservant une surprenante actualité, notamment en raison de l’importance accordée par le penseur chinois aux moyens psychologiques et non militaires dans la guerre, phénomène qui caractérise plus que tout autre l’ère stratégique moderne du nucléaire. Il faudra toutefois attendre 1794 pour qu’apparaisse pour la première fois dans notre langue le mot stratégie, sous la plume du général prussien Friedrich Wilheim Bulow.

La stratégie est à fois une action déterminée par des actions contingentes, militaires, économiques, culturelles, sociologiques, et un discours, dimension considérablement renforcée avec l’avènement de la télématique et de l’Infowar, la guerre de l’information. La stratégie comporte des opérations intellectuelles et des opérations physiques,  » concrètes « , choisies parmi une palette d’actions réalisables et acceptables. De ce point de vue, la stratégie est d’abord un choix, une science de la décision.

D’après le Petit Larousse, la stratégie est l’art de coordonner l’action de forces militaires, politiques, économiques et morales impliquées dans la conduite d’une guerre ou la préparation de la défense d’une nation ou d’une coalition « , ou encore l' » art de coordonner des actions, de manœuvrer habilement pour atteindre un but « . Le Robert préfère la définition plus simple :  » art de gouverner les sociétés « .

Les définitions les plus courantes demeurent celles qui ont été élaborées par les grands stratégistes classiques, de Karl Von Clausewitz à Basil H. Liddell Hart et à Raymond Aron :  » L’art d’employer les forces militaires pour atteindre les résultats fixés par la politique  » (André Beaufre : Introduction à la stratégie), l’auteur remarquant lui-même que  » cette définition est […] étroite, puisqu’elle ne concerne que les forces militaires ». Aussi propose-t-il de lui substituer deux autres définitions :  » L’art de faire concourir la force pour atteindre les buts de la politique  » et, afin de souligner le caractère spécifique de l’action stratégique,  » l’art de la dialectique des volontés employant la force pour résoudre leur conflit « . D’après Clausewitz, la stratégie est un  » art de la guerre  » sachant que la guerre est la  » continuation de la politique par d’autres moyens « . La stratégie, comme  » art de commander  » est donc  » obligée de se soumettre et de souscrire aux objectifs politiques, reliée aux forces tactiques dont elle coordonne et organise l’action « , explique le général de la Maisonneuve. Cette relation hiérarchique entre les deux concepts est d’ailleurs confirmée par l’un des grands stratégistes classiques, Liddel Hart, qui définit la stratégie comme  » l’art de distribuer et de mettre en oeuvre les moyens militaires pour accomplir les fins de la politique « .
Mais la conception de la stratégie de Liddel Hart ou Clausewitz demeure encore exclusivement liée au domaine militaire. Or, nous verrons plus loin que, depuis l’avènement du feu nucléaire, les progrès technologiques en matière d’information et l’apparition de conflictualités non militaires (menaces transnationales, mafias, terrorisme, guerres économiques,  » nouvelles menaces « , etc), la stratégie a tendance à s’affranchir de plus en plus du domaine purement militaire. Toutefois, l’intérêt des définitions données par Clausewitz, Liddel Hart ou les stratégistes classiques en général est de mettre en évidence les liens qui unissent la stratégie à la politique et à la tactique.

Pour définir la stratégie, on le voit, il est donc préalablement nécessaire de la différencier d’une série de concepts et de disciplines qui lui sont étroitement associés mais avec lesquels elle ne doit pas être confondue, au risque de perdre de vue sa signification et son objet propres. Aussi articulerons-nous la première partie de ce travail sur la différence et les liens existant entre la stratégie, elle-même, la géopolitique, discipline connexe mais distincte, qui lui sert d’outil analytique et d’élaboration majeur mais non exclusive, la politique, qui la détermine, et la tactique, qui a pour fonction de permettre d’atteindre les objectifs fixés par elle. La géopolitique nécessitant une attention toute particulière en tant que démarche scientifique indépendante des phénomènes politiques et de la stratégie militaire, nous étudierons dans un premier temps les rapports entre politique stratégie et tactique.

Politique, stratégie et tactique.

– La politique est une triade qui comporte, comme l’explique le général Jean Salvan : le dessein que l’on veut réaliser (projet de société, idéologie), la lutte pour parvenir au pouvoir (national, impérial ou mondial) et s’y maintenir, c’est-à-dire  » l’art de gouverner  » et la projection de la puissance, et, enfin, la désignation des  » amis  » et des  » ennemis  » , les responsables politiques ayant en principe pour tâches premières de veiller à la concorde intérieure de l’unité politique, généralement la nation ou l’Etat – menacée de l’intérieur par des phénomènes désagrégateurs ou subversifs ( » ennemi internes « : mouvances sécessionnistes, désagrégatrices) – et à la sécurité extérieure de cette même unité, toujours potentiellement menacée de l’extérieur ( » envahisseurs « , hégémonies impérialistes, ennemis des valeurs fondamentales ou adversaires géoéconomiques, etc).

Pour Raymond Aron, la Politique est  » la recherche de l’intérêt national « , définition qui a le mérite d’exprimer clairement la relation entre la stratégie et la politique, puisque la stratégie, en tant qu’art de commander les forces destinées à défendre la nation, est l’émanation directe du pouvoir politique qui a pour mission première de préserver l’unité et la pérennité de l’unité politique existante. Plus concrètement encore, en cas de conflits, ce sont donc les responsables politiques qui définissent les stratégies et les buts de guerre. Il n’est d’ailleurs pas inutile de définir cette autre notion clé de la science géostratégique.

D’après nous – mais cette classification peut être contestée- les buts de guerre sont :  » le résultat précis, évaluable, permettant de concrétiser le succès d’une stratégie générale (définie par les Politiques) qui a justifié le déclenchement d’une guerre « . Les buts de guerre ne sont autre que la stratégie globale – ou générale – ramenée au théâtre de guerre et à l’aire géopolitique à laquelle ce théâtre appartient. Il y a donc deux niveaux de buts de guerre : premièrement, les  » buts de guerre  » ou  » objectifs tactiques  » des états-majors ; deuxièmement, les  » objectifs stratégiques  » à plus long terme ou  » buts de guerre stratégiques  » définis par les politiques à l’œuvre dans le contexte régional et général auquel appartient un théâtre donné. On retrouve la traditionnelle dichotomie entre le tactique et le stratégique.

Ainsi, la politique fixe les buts et mobilise les moyens nécessaires à la réalisation d’une stratégie. Les États sont la source de l’autorité stratégique, qu’ils délèguent pour une mission déterminée.  » Pour atteindre les buts de leur concept, les chefs politiques ont besoin d’une méthode et de moyens, c’est la stratégie  » , résume le général Salvan.

  • La stratégie ainsi comprise est par conséquent  » l’ensemble des méthodes et moyens permettant d’atteindre les fins exigées par le politique  » (Salvan) ou encore  » l’art de faire concourir la force à atteindre les buts de la politique  » (Beaufre). Dans cette acception  » haute « , étroitement liée et subordonnée au politique, on parle généralement de stratégie totale, terme sur lequel nous reviendrons ultérieurement. La stratégie est la conduite militaire d’une alliance politique en vue d’une action totale : ce n’est pas une pensée ou une réflexion abstraite, mais une action que la pensée éclaire, à partir d’objectifs politiques précis. Il faut toutefois bien préciser qu’aujourd’hui, la stratégie comme la notion de forces ne doivent pas être limitées à leurs acceptions militaire ou guerrière premières. Il existe également des stratégies culturelles (en particulier aux Etats-Unis), économiques, diplomatiques, voire même psychologiques et médiatiques. C’est d’ailleurs cette mutation liée aux progrès techniques et au processus de mondialisation qui conduit le stratégiste américain Edward N Luttwak à définir la stratégie comme  » toute action de force organisée ou menée face à une hostilité consciente « .
  • La tactique, quant à elle, est essentiellement  » l’art du combattant  » ainsi que  » l’emploi des moyens permettant de lutter contre un ennemi « . D’un point de vue militaire classique, la tactique opérationnelle vise les buts de la stratégie militaire, laquelle concourt à atteindre les objectifs de la stratégie totale. Plusieurs définitions peuvent également être données de la tactique. Pour Clausewitz,  » la tactique, c’est l’usage des forces armées dans le combat « . Pour Luttwak, elle est  » la combinaison des moyens techniques, des hommes sur le terrain (ou dans le milieu) précis face à un ennemi  » . D’après Le Petit Larousse, la tactique est  » l’ensemble des moyens habiles employés pour obtenir un résultat voulu ou la manière de combattre elle-même pendant la bataille « , ou encore  » l’art de diriger une bataille en combinant par la manoeuvre l’action des différents moyens de combats et effets des armes « . Enfin, pour le général Salvan, la stratégie est  » l’art d’employer des moyens et des hommes pour atteindre un objectif fixé par le stratège  » : on est par conséquent dans la tactique dès que des armes -classiques ou modernes – sont employées, y compris, bien sûr, contre des objectifs civils. Comme la stratégie dont elle dépend, la tactique est par conséquent fort diversifiée. Elle peut être militaire, révolutionnaire, de guérilla, classique, nucléaire, géoéconomique, etc.

Pour résumer la relation entre les trois notions, dont l’imbrication réciproque fait penser à un enclenchement de poupées russes, ainsi que l’explique le général Salvan, on peut dire que la stratégie vise à réaliser les buts politiques, que les objectifs stratégiques conditionnent la tactique, qui a quant à elle pour mission d’employer les armes pour les atteindre le plus efficacement possible. La tactique est donc, par essence, concrète. Elle vise des objectifs précis sur le terrain, qu’il soit militaire, économique, diplomatique, psychologique, etc. D’autres stratégistes modernes ont ajouté avec raison un autre élément fondamental à cette triade : la technique, qui, avec l’avènement du nucléaire, a véritablement révolutionné les données classiques de la stratégie et de la tactique.

Ainsi, dans son ouvrage Le paradoxe de la stratégie, Edward Luttwak explique qu’il existe une véritable architecture à cinq niveaux : au plus bas, le technique, qui consiste en la conception, la réalisation et la mise en oeuvre des moyens, de l’homme, de la quantité, et de l’emploi dans l’espace ; ensuite, la tactique, qui combine les moyens techniques des hommes sur le terrain précis face à un adversaire donné. Puis viennent deux niveaux intermédiaires, non mentionnés précédemment : l’opérationnel (terme très usité dans le langage militaire), qui fait intervenir le temps et la distance, et la stratégie de théâtre, qui combine le niveau opérationnel avec les constantes et variables géographiques et spatiales (d’où la pertinence du terme géostratégique) ; enfin la grande stratégie, qui gouverne et doit faire converger les efforts déployés aux quatre niveaux inférieurs (militaires et/ou civils) en cohérence avec les décisions du pouvoir politique. Enfin, dans une logique plus classique mais rendant également compte de l’enchevêtrement des différents concepts, on peut également citer l’amiral Castex qui, dans son Traité sur les théories stratégiques (1937), explique que  » la stratégie militaire est comme le spectre solaire. Elle a un infrarouge qui touche le royaume de la stratégie générale par lequel elle s’interpénètre avec la politique générale, et un ultraviolet qui interfère avec le domaine de la tactique « .

Les différents niveaux de stratégie

D’après nous, mais ce choix est discutable et non exhaustif, on peut distinguer trois grands niveaux de stratégie :

1/ la stratégie globale, terme utilisé par le général Lucien Poirier pour définir le plus haut niveau de stratégie, défini par le pouvoir politique. Dans la terminologie classique utilisée pour l’enseignement militaire supérieur français, la stratégie globale est appelée intégrale. Elle conçoit les desseins nationaux suprêmes et détermine la stratégie générale, qui fixe les buts à atteindre dans les domaines diplomatique, économique, culturel, psychologique, militaire, technologique, informationnel, etc. Elle est indifféremment nommée grande stratégie (Luttwak), stratégie nationale (Pentagone), ou encore stratégie totale (Beaufre, Salvan), par allusion à l’engagement total, terme qui définit bien les guerres modernes  » totales  » (voire totalitaires) et les processus d’hégémonie globale dont le leadership américain est l’exemple contemporain majeur.

2/ la Stratégie des moyens, par laquelle un Etat ou un groupe d’Etats décide de se doter de moyens : technologiques, militaires, industriels, etc, (ex : arme nucléaire ; satellites, etc) lui permettant d’exercer sa puissance ;

3/ les stratégies régionales ou stratégies particulières (Salvan), déclinaisons locales de la stratégie globale – suivant les aires géoéconomiques et civilisationnelles – fixant les objectifs opérationnels et les échéances.

Comme on le voit, la stratégie conduit inévitablement à la géopolitique, les deux démarches étant extrêmement imbriquées – parfois même confondues – et analysant les mêmes phénomènes : les guerres et les différentes formes de conflictualités opposant entre elles les nations ou les entités géopolitiques.

Géostratégie : de la stratégie à la géopolitique.

Si la stratégie est au départ  » l’art du combat « , la géopolitique, quant à elle, comme la géographie dont elle découle,  » sert d’abord à faire la guerre « , ainsi que l’a expliqué le chef de file de la pensée géopolitique française moderne, le géographe Yves Lacoste (1967). C’est seulement ensuite, comme la stratégie, qu’elle s’est peu à peu émancipée des cellules de prospectives militaires et des champs de bataille pour devenir une discipline propre, issue de la science géographique mais également liée aux autres disciplines des sciences sociales, notamment la science politique.

D’après Yves Lacoste, le terme géopolitique désigne une démarche intellectuelle et scientifique plus qu’une science à proprement parler, une façon de voir les choses qui privilégie les configurations spatiales et géographiques (géopolitiques) des différents types de phénomènes qui relèvent de la catégorie du politique. Ainsi définie, la géopolitique prend en compte les rivalités de pouvoirs dans la mesure où celles-ci portent sur des territoires, le contrôle (ou la possession) du territoire étant un moyen d’exercer une autorité ou une influence sur les hommes et les ressources qui s’y trouvent. Il s’agit par conséquent non seulement des rivalités entre les États sur des espaces qui peuvent être de très grande envergure, mais aussi des conflits ou de concurrence entre d’autres types de forces politiques, et sur des territoires qui peuvent être de relativement petites dimensions, y compris dans le cadre d’une ville. On le voit, le lien entre la géopolitique, comme démarche scientifique, et la stratégie, en tant qu’art de la guerre, est quasiment consubstantiel, puisque la géopolitique est l’outil conceptuel et analytique fondamental du stratège comme du stratégiste. L’statement géostratégique ne fait en fin de compte que retranscrire cette réalité. Ce néologisme permet par ailleurs de souligner l’ouverture de la stratégie moderne aux domaines non exclusivement militaires ainsi que la possibilité de cet art de la guerre de servir également d’outil d’observation, au service d’une démarche scientifique géopolitique analysant les conflits et guerres et leurs motivations politiques.

Pour certains stratégistes  » puristes « , l’statement géostratégie serait une redondance dans la mesure où la stratégie utilise nécessairement et par essence les catégories de la géographie et de la géopolitique. Mais nous pensons quant à nous qu’elle est heureuse en ce sens qu’elle traduit l’évolution sémantique et polémologique de la stratégie vers une discipline scientifique.

Quant à la géopolitique, elle est une approche pluridisciplinaire, à chreview sur la stratégie, les constantes et variables géographiques, économiques et climatiques, la science politique et l’étude des civilisations. Depuis quelques années, l’importance de l’économie et des conflictualités économiques, voire même la substitution de celles-ci aux guerres militaires classiques au sein du monde occidental, a fondé l’apparition d’un autre néologisme également étroitement lié à la stratégie et la géopolitique, la  » géoéconomie « .

En France, deux grands géopolitologues ont contribué à réhabiliter cette discipline, jadis surtout étudiée en Allemagne, en Russie et dans les pays anglo-saxons : le premier est au départ un stratège, le Général Pierre Marie Gallois, initiateur de la  » force de frappe nucléaire française  » et de la théorie de la  » dissuasion du faible au fort « , véritable révolution dans la stratégie. Pour lui, la géopolitique étudie essentiellement  » l’influence du milieu sur l’homme « . Le second est le géographe Yves Lacoste, pour qui la géopolitique a essentiellement pour objet  » l’étude des rivalités territoriales de pouvoirs et leurs répercussions dans l’opinion  » . Paradoxalement, le général Pierre Marie Gallois accorde une place plus centrale à la géographie et au milieu qu’Yves Lacoste, lequel défend une conception moins géographiquement déterministe et plus proche de la science politique. Pour le célèbre géographe, en effet, il  » ne s’agit pas d’une science (…) mais d’un savoir-penser l’espace terrestre et les luttes qui s’y déroulent, pour essayer de mieux percer les mystères de ce qui est en train de se passer afin d’agir plus efficacement « . Toujours est-il que la différence et la complémentarité entre les deux approches géopolitiques telles que définies par Gallois ou Lacoste illustre bien la pertinence de la notion de géostratégie.

Stratégie, géopolitique et  » guerre des représentations.  »

Dans un soucis de désoccultation, et en tant que démarche scientifique analysant les raisons profondes des conflits, la géostratégie, comme la géopolitique moderne, analyse tout particulièrement les  » représentations « , qu’Yves Lacoste définit comme des  » forces motrices de l’histoire « . Celles-ci président à l’élaboration, par les responsables politiques des différents camps belligérants, des processus de mobilisation, dont la pierre d’achoppement est, la plupart du temps, une rivalité de pouvoirs quant à des territoires, des ressources et des stratégies d’influence, et parfois même des enjeux idéologiques, notamment lorsque, fanatiques (exemple des islamistes talibans, du GIA, des réseaux Bin Laden, du Gamaà islamiyya égyptien, etc), ceux-ci supplantent momentanément les impératifs géo-économiques. Nous avons précisé momentanément, car non seulement il est assez rare que les considérations purement idéologiques ou religieuses pèsent plus lourd que les considérations économiques et géostratégiques  » concrètes « , mais on constate que l’idéologie et la religion sont souvent instrumentalisées par les politiques à des fins de mobilisation dans le cadre de stratégies de puissances et de rivalités de pouvoirs. Mais cela ne veut aucunement dire, contrairement à ce que pensent nombre de géopolitologues ou stratégistes hostiles au  » paradigme civilisationnel « , que les représentations religieuses et identitaires soient négligeables ou superficielles, c’est-à-dire de simples prétextes. Comme le rappelle Yves Lacoste, les représentations identitaires, civilisationnelles et idéologiques sont bien réelles, quand bien même elles sont instrumentalisées, car elles  » font sens  » pour des milliers d’être humains qui vont mourir pour elles et parce qu’elles ont des conséquences géopolitiques réelles. Loin d’être de simples leviers de mobilisations, les représentations géopolitiques désignent  » l’ensemble des idées et perceptions collectives d’ordre politique, religieux ou autre qui anime les groupes sociaux et qui structure leur vision du monde  » .

Reconnaissant le rôle primordial des représentations, bien qu’étant hostile au paradigme des civilisations développé par le professeur américain Samuel Huntington (The Clash of civilisations), le géopoliticien français François Thual, analyse quant à lui la nature de cette pierre d’achoppement à travers le concept de  » conflit identitaire « , au sein duquel les  » représentations  » sont l’élément central puisqu’elles construisent et légitiment les revendications d’un camp (supposé être  » antérieur  » ou  » pur « , donc  » propriétaire légitime « ), face au camp adverse,  » ultérieur « ,  » usurpateur « ,  » infidèle « , voire  » envahisseur « , donc illégitime. Aussi les  » représentations  » sont-elles destinées à légitimer le  » désir de territoire  » , la  » volonté de puissance  » du  » camp Ami « , et donc à disqualifier les motivations et revendications du  » camp Ennemi « .

Considérant qu’avec l’avènement des moyens télématiques modernes et le regain général des conflits identitaires, consécutif à la fin de la guerre froide et au retour du refoulé identitaire, conséquence et réaction à la mondialisation, les représentations font plus sens que jamais, nous pensons quant à nous que l’statement guerre des représentations est plus heureuse que jamais pour désigner ce type de phénomènes inséparables de la guerre psychologique et médiatique.

Du point de l’analyse médiologique et psychologique, en effet, la guerre des représentations revêt également une dimension psychologique et subversive. Pour Laurent Murawiec, spécialiste des nouvelles formes de guerre, la guerre de l’information (Information Warfare : InfoWar), la  » cyberguerre « , la guerre psychologique et la guerre des représentations sont autant de notions voisines et interdépendantes incluses dans ce qu’il nomme génériquement la  » guerre informationnelle « . Née d’une triple révolution technologique : électronique, informatique et télécoms, l’InfoWar ne fait que reprendre et rendre plus efficaces les vieilles recettes de propagande, de stratégie subversive et de manipulation décrites depuis Sun Tzu.

Dans ce contexte, la guerre des représentations consiste prioritairement à démoraliser l’ennemi , distordre son contact avec le réel en implantant chez lui une pseudo réalité, une fausse représentation des évènements d’autant plus apparemment  » vraie  » et incontestable, qu’elle semble irréfutablement prouvée, voire même vécue en direct par le spectateur médusé par la  » réalité  » des images. Les progrès technologiques dans les domaines du  » virtuel  » ont donc incontestablement contribué à briser la frontière entre le réel et l’imaginaire, de sorte que les stratégies de manipulation collectives au services du pouvoir et de la guerre n’ont jamais été aussi redoutables qu’aujourd’hui, au sein même de sociétés dites démocratiques.

Mais parallèlement à l’avènement de la télématique, qui a permis une utilisation moderne extrêmement efficace et inédite des stratégies subversives et des phénomènes de guerre psychologique et informationnelle, une attention toute particulière doit être accordée à l’avènement de l’arme nucléaire, laquelle a non seulement engendré une véritable révolution géostratégique, mais a considérablement renforcé la portée des formes de guerres représentatives et psychologiques précédemment étudiées, la guerre classique devant partiellement s’effacer devant d’autres formes de guerre du fait du caractère dissuasif de la force de frappe nucléaire et de ses conséquences.

Géostratégie et ère nucléaire.

Avec le nucléaire, une nouvelle question stratégique et polémologique se pose : comment désormais penser la géostratégie et la guerre sachant que celle-ci est dorénavant potentiellement apocalyptique et définitive ? Paradoxalement, cette possibilité latente de l’holocauste nucléaire final comme conséquence probable de la guerre, cette potentialité destructrice extrême de l’action guerrière, conduira les acteurs stratégiques détenteurs du feu atomique à repenser de manière différente, moins exclusivement militaire, la manière de résoudre leurs conflits, tout recours effectif à cette arme étant à juste titre perçu comme collectivement suicidaire. » L’irruption de l’atome dans le domaine politico-stratégique entraîne une rupture brutale entre la période de la guerre classique et le nouvel âge balistico-nucléaire, écrit le général de la Maisonneuve. L’explosion de la première bombe atomique à Hiroshima, le 16 août 1945, provoque la coupure fondamentale. En stratégie, il y a un avant et un après Hiroshima.

L’utilisation de l’atome à des fins militaires a en effet révolutionné la stratégie, tant par la formidable puissance de feu instantanément disponible que par la difficulté de s’en servir du fait de la démesure de ses effets. La menace dispense de l’emploi. La finalité de la stratégie n’est alors plus seulement d’engager habilement les moyens pour gagner la guerre, mais de dissuader l’adversaire de l’entreprendre. Alors que les armes construites jusqu’alors étaient fabriquées pour s’en servir, les armes nucléaires seront faites pour intimider, phénomène propre à la guerre psychologique et subversive, et leur emploi serait la marque de l’échec de leur finalité. Ceci n’empêche que l’intimidation n’existe que si toutes les conditions de l’emploi sont effectivement réunies.

La terreur peut-elle alors faire place à l’espoir, et le monde est-il enfin devenu pacifique grâce à l’existence de ces armes si puissantes qu’elles interdisent la guerre ? Il est loin, malheureusement, d’en être ainsi. L’existence des arsenaux nucléaires a certes empêché un affrontement majeur entre l’Est et l’Ouest durant la  » guerre froide « . Mais les luttes n’ont pas manqué entre nations non nucléaires, et le nombre des guerres ou autres crises employant des armes dites conventionnelles a même eu tendance à augmenter un peu partout dans le monde depuis la guerre froide, les deux principaux détenteurs du feu nucléaire les alimentant, dans le cadre d’une guerre par procuration qui n’impliqua jamais un affrontement direct entre eux.

L’arme nucléaire n’est donc pas une arme comme les autres : elle constitue une arme de dissuasion contre une agression majeure et non pas une arme dans un conflit limité. Par ailleurs, l’armement nucléaire n’assure que partiellement la sécurité. Il n’est viable et stratégiquement efficace que s’il est prolongé par des forces conventionnelles crédibles. Une véritable défense efficace repose donc sur la complémentarité de moyens et outils de nature différente, à la fois conventionnels et atomiques, c’est-à-dire stratégique et tactique, ainsi que la terminologie militaire désigne cette dichotomie.

La dissuasion nucléaire : une révolution géostratégique.

L’apparition de l’arme atomique inaugure une ère nouvelle de la polémologie. Elle implique une neutralisation, voire même d’une évacuation partielle de la guerre militaire classique du champ des conflictualités, la dissuasion nucléaire et  » l’équilibre de la terreur  » conduisant les nations détentrices du feu nucléaire à repenser complètement leur stratégie et privilégier des systèmes d’affrontements différents ou plus biaisés.

C’est en vertu de ce constat que le principe de la dissuasion, conséquence directe de la révolution militaro-stratégique atomique, deviendra l’un des éléments clés de la pensée stratégique de l’ère atomique.  » A partir de cette situation inédite, et proprement révolutionnaire dans la polémologie, va s’élaborer une théorie de la non-guerre – la stratégie nucléaire – fondée sur la seule menace de l’emploi, en réalité sur la peur, c’est-à-dire sur une autre forme de guerre : la guerre psychologique « . Nous reviendrons au cours des lignes qui suivent sur le thème selon nous central, en matière de géostratégie, de la guerre psychologique et de son complément, la guerre  » informationnelle « .

Comme le remarque le général Jean Salvan, on pourrait objecter que la stratégie classique de dissuasion remonte aux Romains, inventeurs du célèbre  » si vis pacem, para bellum « . Mais cette conception diffère nettement du concept de dissuasion nucléaire dans la mesure où à l’époque des Romains jusqu’à l’apparition de l’atome, la dissuasion ne reposait pas sur une stratégie de l’imaginaire et de la virtualité de l’emploi des armes, les armes nucléaires ayant pour fonction stratégique première de ne pas produire d’effets physiques réels (sauf en cas d’échec de la stratégie dissuasive qui la fonde) mais plutôt d’agir sur les esprits des décideurs adverses en termes d’anticipation et de dissuasion.  » De ce fait, explique Salvan, les puissances nucléaires ne sont pas entièrement en positions antagonistes, mais aussi des partenaires. Elles ont un intérêt commun : que leurs politiques et stratégies ne contiennent pas en germe un risque d’escalade nucléaire (voir R. Aron). C’est donc une stratégie de consensus en temps de paix pour maintenir la paix, mais qui laisse subsister des possibilités de conflits limités : guerres civiles, terrorisme, prises d’otages, ou de guerre classique  » .

La dissuasion nucléaire n’a donc pas pour finalité première de gagner une guerre mais tout simplement de l’empêcher. Deux conditions majeures doivent être réunies pour qu’il y ait réellement dissuasion : posséder un outil d’une réelle qualité, c’est-à-dire ni contournable ni naturalisable ; le responsable politique doit être réellement capable de prendre la décision de déclencher le feu nucléaire.

Les généraux Poirier et Gallois et  » la dissuasion du faible au fort . »

Pour le général Pierre Marie Gallois, auteur de nombreux essais relatifs au nucléaire et d’un désormais classique : Géopolitique les voies de la Puissance, comme pour le général Lucien Poirier, qui a exposé la plupart de ses conceptions géostratégique dans son Essai de stratégie théorique (1981) et dans son ouvrage Les grandes voix de la stratégie (1985), il y a véritablement une coupure entre le passé et l’époque contemporaine du nucléaire en matière de théorie stratégique. Aussi la France, nation désormais  » moyenne « , doit-elle pour ces deux concepteurs de la dissuasion française savoir tirer parti de cette mutation stratégique qui relativise d’une certaine manière les rapports de force et bouleverse les lois de la puissance militaire. Dans un contexte de décolonisation et de baisse de la puissance stratégique de la France, la stratégie de la dissuasion nucléaire sera l’occasion pour la France de tenter de survivre parmi le club des  » grands  » et de préserver son indépendance stratégique, objectif majeur de Charles De Gaulle et des généraux Poirier et Gallois.

C’est ainsi que, désireuse de demeurer indépendante, notamment vis-à-vis des Etats-Unis et de l’Otan – tout en demeurant parmi les Alliés – et de pouvoir dissuader à elle seule l’Ennemi soviétique sans forcément avoir à recourir à l’Alliance occidentale, la France de De Gaulle mettra en oeuvre un programme nucléaire – inauguré, comme le rappelle à juste titre le général Gallois, durant la IVème République – en vertu de ce que Poirier et Gallois ont appelé la stratégie de dissuasion du faible au fort. Celle-ci repose sur l’idée que le  » faible  » est capable de menacer un agresseur éventuel « fort  » d’une sanction exorbitante par rapport à l’enjeu, c’est-à-dire risquant d’infliger à l’agresseur, bien plus fort, des pertes non acceptables destinées à le dissuader ex ante de procéder à une attaque. Désormais membre du club des puissances atomiques, la France deviendra alors pour les Anglo-américains, dans le contexte de la guerre froide, un perturbateur de premier ordre, coupable, du point de vue de l’Otan et de Washington, d’ouvrir la boîte de Pandore de la prolifération nucléaire.

Ainsi, par extension, dans le contexte général de prolifération nucléaire au profit « d’Etats parias  » dont les nations occidentales craignent l’armement atomique, la stratégie de  » dissuasion du faible au fort  » connaîtra non seulement une postérité dans le monde non-occidental, mais également une nouvelle variante, plus récente, celle que certains ont appelée  » du fou au fort « , statement désignant des Etats (non ou anti-occidentaux) susceptibles, du point de vue de la prospective stratégique ( » nouvelles menaces « ), d’exercer une sorte de chantage au terrorisme nucléaire . Car la vulnérabilité des nations démocratiques réside à la fois dans le fait que les vies humaines y revêtent une importance primordiale et dans le fait que l’opinion publique peut facilement être utilisé par des acteurs terroristes tentant de faire plier un Gouvernement via l’opinion publique et les médias dont il doit tenir compte.

La prolifération nucléaire.

Indissociable du premier concept, celui de prolifération nucléaire désigne tant l’accroissement du nombre d’États qui disposent d’un arsenal nucléaire indépendant (prolifération horizontale) que l’accumulation excessive de stocks d’armes atomiques par certaines puissances (prolifération verticale).

Jusqu’en 1955, les États-Unis et l’Union soviétique parvinrent à maintenir le secret de la conception et de l’utilisation de l’arme nucléaire. Mais au cours des vingt années suivantes, les connaissances furent progressivement dévoilées et transmise (prolifération). Dans ce contexte, l’Organisation des Nations unies créa, en 1957, l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) chargée de promouvoir les utilisations pacifiques de cette nouvelle énergie et de surveiller les risques de détournement de ces technologies à des fins militaires.

Au cours de cette seconde période d’extension du savoir nucléaire militaire au delà du cercle initial des deux grands, quatre nations procédèrent à des essais nucléaires : Royaume-Uni en 1952, France dès 1960, Chine en 1964, et Inde en 1974. Depuis lors, ces quatre nations se sont pourvues d’un armement nucléaire. Durant la troisième phase, ce sera au tour du Pakistan et de la Corée du Nord de se doter également de la force de frappe atomique relativement fiable. Mis à part ces quatre Etats, on sait que plusieurs autres pays détiennent des armes nucléaires sans avoir pour autant effectué d’essais détectés : Israël, Iran, Algérie, peut être même Libye et Afrique du Sud.

L’inquiétude des deux grands – qui voyaient leur leadership militaro-stratégique en quelque sorte concurrencé – ainsi que de la  » communauté internationale  » face aux risques croissants de dissémination et de prolifération se traduisit, à partir des années 70, par un certain nombre de projets et accords de limitation dans le cadre de l’ONU C’est dans ce contexte que sont nées, à l’initiative des États-Unis et de l’Union soviétique, les négociations d’un traité de non-prolifération (TNP), entré en vigueur en 1970. Par ce traité, les puissances nucléaires s’engageaient solennellement à ne pas transmettre leurs savoir militaire stratégique aux États non encore dotés d’arsenal nucléaire. Quant à ces derniers, ils renonçaient et s’engageaient à ne pas s’en doter.

D’une certaine manière, le TNP constitue, pour les nations  » non nucléaires « , une sorte de renonciation de souveraineté, ce qui poussa un certain nombre d’Etats d’importance moyenne à refuser d’y adhérer, y voyant une atteinte à leur souveraineté et liberté. Aussi est-il possible à tout pays signataire de se retirer à tout moment du TNP, dès lors qu’il considère que ses intérêts suprêmes sont menacés. Mais les essais atomiques effectués par l’Inde en 1974 ayant mis en évidence les lacunes de ce système international de non-prolifération, des mesures complémentaires furent introduites depuis afin de tenter de garantir plus efficacement la non-prolifération.

Parmi ces mesures, on peut mentionner les conditions extrêmement restrictives d’exportation de certains réacteurs utilisant de l’uranium fortement enrichi, ou même susceptibles de produire du plutonium, tout comme les matériels servant à enrichir l’uranium ou retraiter les combustibles nucléaires et en extraire le plutonium.

Sur la base des motivations qui leurs sont prêtées et des signes d’activité éventuellement décelés, divers observateurs ont classé les États en catégories. Dans un premier groupe, on trouve des États qui s’intéressent activement à l’atome : d’abord l’Inde, Israël et le Pakistan, qui auraient atteint ou dépassé le seuil de détention d’un arsenal, puis, notamment, la Corée du Nord, l’Irak, l’Iran (qui développe de façon intense son programme nucléaire civil en coopération avec la Russie), avec une ambition nucléaire importante, enfin, l’Afrique du Sud, l’Argentine, le Brésil, Taiwan, qui, après avoir manifesté un grand intérêt pour les armes, semblent abandonner cet objectif (sous la contrainte pour ce qui est de l’Irak). Un deuxième groupe de pays auraient la capacité de se doter d’armes mais n’en manifestent pas l’intention, du moins pour le moment, ce qui est le cas de l’Allemagne, de l’Australie, du Canada, du Japon, et de la Suède. Une troisième catégorie regroupe des États fort disparate que l’atome ne laisse pas indifférents pour des raisons diverses. Ceux-ci s’efforcent de garder l’option ouverte sans franchir le rubicon. D’évidence, pareille classification schématique demeure d’autant plus contestable qu’elle varie selon les critères choisis et évolue avec le temps.

La décennie de 1970 est celle des premières conversations entre Soviétiques et Américains sur leurs arsenaux nucléaires. Il s’agit des fameux accords SALT (Strategic Arms Limitation Talks). Les accords SALT-1 aboutissent à deux textes. Le premier prévoit certaines limitations des armes offensives. Le second impose de limiter à un seul site la protection anti­missiles, le reste des deux territoires étant volontairement maintenu en état de vulnérabilité. Le traité de Moscou du 26 mai 1972 (connu sous le nom de traité ABM. (Anti-Balistic-Missiles), confirme et entérine cette limitation réciproque de la capacité de défense. Précisons en passant qu’avec la relance de ce que l’on a appelé à tort  » la nouvelle guerre des étoile « , c’est-à-dire le projet de défense antimissile (National Missile Defence) développé actuellement par l’Administration Bush jr, les Etats-Unis ont pris la décision de faire fi des traités internationaux d’interdiction et de limitation nucléaire, à commencer par le traité ABM de 1972. Par cet acte, ils risquent de relancer une course aux armements, car la seule solution pour les pays incapables de poursuivre un tel projet, extrêmement coûteux, est de multiplier les charges et le nombre de têtes nucléaires dans une stratégie de compensation et de saturation, le système de défense anti-missile n’étant pas capable de détruire simultanément un grand nombre de charges.

Quant aux accords SALT-2, ils auront pour objectif de plafonner le nombre des missiles à longue portée. Mais la limitation ne prenant pas en compte les améliorations qualitatives, comme le nombre de têtes par lanceur, l’accord sera aisément être tourné. Aussi, le traité, signé à Vienne le 15 juin 1979, ne sera finalement pas ratifié par le Sénat américain, les Soviétiques venant d’envahir l’Afghanistan.

Stratégie nucléaire, guerre froide et  » guerre des étoiles.  »

Parallèlement, c’est sur le débat de déploiement des euromissiles que s’ouvrira la décennie de 1980 en matière de stratégie nucléaire et de prolifération. Malgré tous ses efforts, l’Union soviétique n’arrivera pas à l’empêcher. Pendant la même période, les États-Unis lancent l’Initiative de Défense Stratégique (IDS), médiatiquement baptisée  » guerre des étoiles « , qui propose un vaste programme de recherche pour, à terme, restaurer l’invulnérabilité du ciel américain.

D’évidence, les Soviétiques acceptent difficilement l’état de fait : le territoire américain devenant inviolable et des euromissiles menaçant l’URSS. En 1986, à Reykjavik, Gorbatchev propose à Reagan de retirer les SS-20 en échange du renoncement américain aux euromissiles de 1 000 à 5 000 km de portée et à l’Initiative de Défense Stratégique, ce qui n’est pas sans susciter une certaine analogie avec le refus actuel des Chinois et des Russes de voir se développer le nouveau programme anti-missiles américain cher à l’Administration Bush. Comme Bush jr aujourd’hui, trop conscient de la suprématie que la maîtrise du ciel et la l’issue économique fatale – pour les russes et les Chinois – que constituerait toute course aux armements, Reagan refuse à cause de cette dernière clause. Peu après, Gorbatchev n’en fait plus un impératif immédiat et propose le retrait des missiles de 1 000 à 5 000 km option zéro et de ceux de 500 à 1 000 km option double zéro. Le président Ronald Reagan accepte et signe, le 7 décembre 1987, le traité de Washington.

Quant à la politique d’interdiction des essais préconisée par les  » deux Grands  » depuis 1992, on sait qu’elle n’est pas réellement pénalisante pour ces derniers dès lors qu’ils sont capables de réaliser des essais par simulation, ce qui est surtout le cas des Etats-Unis. Elle apparaît en revanche totalement inacceptable pour les Etats ne maîtrisant point cette technicité hautement sophistiquée, notamment l’Inde et le Pakistan, qui ont continué leurs essais en 1999, et même la France de Jacques Chirac, qui, en 1995, trois années après la décision d’interdire les essais, inaugura la nouvelle présidence par une série d’essais nucléaires d’ailleurs fort controversés y compris au sein des  » Alliés  » américain et européens de la France.

Après cette esquisse résumant quelques aspects de la prolifération  » horizontale « , mentionnons à présent la prolifération  » verticale  » : l’évolution quantitative des arsenaux des puissances nucléaires. L’article 6 du TNP condamne la course aux armements nucléaires et propose que soit négocié un désarmement complet. Les négociations (START, INF, etc) entre les deux Supergrands puis la chute de l’Union soviétique étaient destinés à aboutir à une première réduction de moitié du nombre des charges stratégiques (passage d’environ 12 000 à 6 000 de part et d’autre), pratiquement entièrement réalisée, ainsi qu’à une seconde réduction dans des proportions équivalentes. Toutefois, depuis la désintégration de l’URSS et à la faveur de la phase difficile de transition qui caractérisa la décennie post-Gorbatchev et le déclin économique de la Russie, un véritable problème stratégique se pose en Russie et dans les Républiques de l’ex-Union soviétique où une véritable hémorragie de cerveaux spécialistes en matières fissiles ont décidé de se mettre au service d’Etats désireux de rentrer officieusement au sein du club nucléaire et de moderniser leur arsenal déjà existant : Iran, Irak, Libye, Pakistan, Corée du Nord et bien sûr Chine.

Puissance nucléaire et vecteurs : l’enjeu stratégique.

Le fait de disposer du feu atomique n’est vraiment efficace, en matière de dissuasion, que s’il existe des moyens de les acheminer sur leurs objectifs et cibles, c’est-à-dire que si l’Etat détenteur de telles armes est parvenu à se doter de vecteurs. Traditionnellement, en stratégie militaire, l’évaluation de la puissance atomique prend donc en compte à la fois la puissance des charges explosives et leurs vecteurs à, courte, moyenne, ou longue portée, qu’il s’agisse d’aéronefs ou de missiles classiques ou intercontinentaux. Aussi l’évaluation de la puissance nucléaire et stratégique d’une nation intègre-t-elle le nombre de lanceurs, le nombre de têtes par lanceur et l’allonge des trajectoires, tout en évaluant les probabilités de survie à une attaque et les différents scénarios possibles. On peut classer les armes nucléaires en plusieurs catégories, suivant que l’on se place du point de vue militaire ou politique.

D’un point de vue strictement militaire, il faut distinguer les armes anticités, ayant pour objectifs les centres économiques de l’adversaire, des armes antiforces, lesquelles menacent plus spécialement son appareil militaire. Les premières impliquent de fortes puissances susceptibles de pouvoir atteindre de vastes cibles, objectif qui réduit considérablement le degré de précision. La puissance escomptée est obtenue pour un vecteur soit par tête unique, soit par têtes multiples, ces dernières permettant de mieux couvrir les objectifs étendus et de saturer les défenses. En revanche, les armes antiforces ont comme caractéristique essentielle d’être précises dans la mesure où elles doivent atteindre des cibles précises et compactes. Du point de vue militaire toujours, les armes stratégiques peuvent également être classées en fonction du lieu de lancement. On les nomme  » sol-sol « , lorsqu’elles sont lancées à partir de silos ou de véhicules terrestres, comme les SSBS (sol-sol-balistique-stratégiques). Elles sont baptisées  » mer-sol  » si elles sont lancées à partir de navires de surfaces ou sous-marins, ce qui est le cas des Mer-Sol-Balistique-Stratégiques (MSBS). Elles sont enfin appelées  » air-sol  » si elles sont lancées depuis des aéronefs, comme c’est la cas des Air-Sol-Moyenne Portée (ASMP).

D’un point de vue plus politique, cette fois, on distingue trois catégories d’armes nucléaires : les systèmes centraux, les euromissiles et les armes tactiques. Les systèmes centraux regroupent les armes d’une nation atomique capable d’atteindre le territoire adverse à partir de son propre sol national ou à partir des sous-marins, donc du domaine maritime. Concernant les États-Unis et la Russie, on a affaire à des missiles intercontinentaux de portée supérieure à 5 000 km ainsi qu’à des missiles de sous-marins, même si l’on sait que la Russie s’oriente vers une restriction des lanceurs sous-marins, pour des raisons de réformes militaires et d’économie (grave crise traversée par l’armée russe depuis une dizaine d’années). Pour ce qui est de la France, qui a choisi au contraire des Russes de privilégier les lanceurs aéronefs, on considère que des portées moindres sont suffisantes, ce qui concerne les missiles des SNLE (Sous-Marins Nucléaires Lanceurs d’Engins).

De la stratégie de la dissuasion nucléaire à la  » stratégie intégrale  » : l’exemple américain.

Parce qu’elle supprime partiellement l’affrontement militaire direct, la révolution stratégique opérée par l’atome va réhabiliter les formes de guerre non militaires (notamment la guerre psychologique) et élargir le domaine de la conflictualité bien plus que la supprimer ou même la réduire. A partir de là,  » la stratégie s’échappe en quelque sortes du champ de bataille  » (J.P Charnay), car elle devient  » l’art de toutes les formes de guerres  » (de la Maisonneuve), militaires et non militaires : psychologiques, informationnelle (info-war), médiatique, subversive, économique et même  » représentative « .

Aussi est-ce à la faveur de cette mutation que le terme de conflit (comme d’ailleurs celui de crise) tendra progressivement à remplacer, dans les sociétés occidentales, celui de guerre, le premier recouvrant une palette plus large, non exclusivement militaire, des phénomènes conflictuels.  » La guerre classique – opposition de deux armées, confirme le général de la Maisonneuve, fait figure d’exception, alors que se multiplient et se développent les guerres non-militaires : guerres civiles, culturelles, économiques, autrement dit l’humanité est entrée dans l’ère du conflit global  » . Et donc, corrélativement, de la stratégie totale ou  » intégrale « , puisque la stratégie est l’art de la guerre et des conflits menés par des pouvoirs politiques ou des puissances transnationales ou économiques.

A cet égard, la stratégie nationale globale des Etats-Unis mérite une étude particulière dans la mesure où, Superpuissance – pour l’heure incontestée – bénéficiant d’une supériorité dans tous les domaines de la puissance, l’Amérique est la seule nation du monde disposant d’une stratégie dite  » intégrale  » ou  » totale « .

La stratégie totale des Etats-Unis.

D’après le stratège français Hervé Couteau-Bégarie, Président de l’Institut de Stratégie Comparée, la stratégie intégrale (ou totale) américaine est remarquablement cohérente et s’organise autour de trois axes : stratégie générale économique, stratégie militaire et stratégie générale culturelle. Ainsi, la domination incontestée, pour l’heure, de Washington sur le Reste du monde, est fondée sur la concordance des quatre principaux domaines de la puissance globale : puissance militaire, bien sûr, les Etats-Unis contrôlant terres et mers et sans lesquels peu de conflits armés dans le monde ne semblent pouvoir se résoudre ; puissance culturelle et informationnelle, la  » force de frappe culturelle  » de Washington étant fondée sur une maîtrise quasi totale des moyens de communication télématiques et satellitaires planétaires ; la puissance technologique, pas un ordinateur au monde ne pouvant fonctionner sans un logiciel américain ni même communiquer sur Internet ; et surtout, enfin, une extraordinaire puissance économique, l’Amérique étant, de loin, le pays le plus riche du monde, (un tiers du PNB mondial), et les entreprises américaines occupant la première place mondiale dans de nombreux secteurs d’activité (automobile, agro-alimentaire, aéronautique, banque, nouvelles technologies, audiovisuel, etc). Rappelons en passant que le marché financier américain concentre près de deux tiers des placements mondiaux.

Etroitement liée au concept de Révolution dans les Affaires Militaires (RMA), la nouvelle doctrine stratégique américaine part du constat que, depuis la seconde guerre mondiale, la stratégie ne se situe plus seulement dans la guerre (le militaire), mais également dans l’économique (d’où l’intérêt de la  » géoéconomie « ), le culturel,  » l’informationnel  » (Information Warfare), et même  » l’humanitaire « .

Particulièrement explicite, Zbigniew Brzezinski explique ce qu’est la  » stratégie totale  » américaine :  » l’exercice de la puissance ‘impériale’ américaine dérive (… ) d’une organisation supérieure, de la capacité à mobiliser sans délais d’importantes ressources économiques et technologiques à des fins militaires, de la séduction, floue mais importante, qu’exerce le mode de vie américain, ainsi que du dynamisme reconnu des élites politiques « . En bref, aucune puissance ne peut prétendre rivaliser dans les quatre domaines clés – militaire, économique, technologique et culturel – qui font une puissance globale  » .

C’est en fait parce qu’elle est polymorphe, intégrale, diffuse, notamment à travers sa dimension médiatico-culturelle et non exclusivement militaire, apparemment neutre, que l’hégémonie américaine est une forme nouvelle d’impérialisme.  » A mesure que ce modèle gagne du terrain dans le monde, il crée un contexte propice à l’exercice indirect et apparemment consensuel de l’hégémonie américaine, précise Brzezinski. L’hégémonie des Etats-Unis implique une structure complexe d’institutions et de médiations conçues pour engendrer le consensus (… ) la suprématie mondiale des Etats-Unis est unique tant par sa dimension que par sa nature (… ) il s’agit d’une hégémonie d’un type nouveau. L’Amérique est devenue la nation indispensable à la planète  » . On le voit, les stratèges américains expriment à leur manière l’idée fameuse de la  » destinée manifeste  » des Etats-Unis, toujours profondément ancrée dans la mentalité américaine depuis que John Sullivan l’a lancée en 1850. C’est ainsi que le Président Eisenhower pouvait dire :  » Parmi les nations vouées à la justice et à la liberté, le destin nous a assigné le rôle de diriger les autres  » . Aussi la caractéristique de l’hégémonie américaine réside-t-elle dans la certitude selon laquelle le  » mode de vie américain « , les conceptions économiques et politiques américaines, et même les actions coercitives des Etats-Unis (raids,  » frappes aériennes « , embargos, etc) constituent des  » bienfaits  » pour l’humanité toute entière. Ecoutons plutôt Richard Nixon :  » Dieu veut que l’Amérique dirige le monde « , ou encore Robert Kagan :  » l’hégémonie bienveillante exercée par les Etats-Unis est bonne pour une vaste partie de la population mondiale  » . Ainsi, les intérêts Etats-Unis (économiques, idéologiques, stratégiques, etc) se  » confondant  » avec ceux de l’Humanité, défendre ceux-ci par la force brute revient à servir l’Humanité elle même et à garantir les  » Droits de l’Homme « .

Dans son essai La stratégie américaine et l’Europe (Economica, 1998), le géostratège français Bruno Colson explique que, depuis la guerre froide, les objectifs stratégiques de la politique étrangère des Etats-Unis d’Amérique demeurent inchangés : anéantir ou affaiblir les ennemis, rivaux ou concurrents potentiels afin de garder le plus longtemps possible leur statut de Superpuissance unique. Qu’ils soient  » Occidentaux  » ou non. Qu’ils soient d’anciens membres du Pacte de Varsovie ou de proches  » alliés  » de l’Otan. Cette doctrine stratégique intégrale ou globale de Washington apparaît clairement dans le concept américain de  » Stratégie Nationale de Sécurité « , dont le contenu fut révélé au grand public à l’occasion de la parution, en mars 1992 du Defence Planning Guidance du Pentagone élaboré en liaison avec le  » Conseil National de Sécurité  » (NSA), plus haute instance américaine de Sécurité et de politique internationale. On y apprenait que les Etats-Unis devaient tout faire pour « dissuader d’éventuels rivaux, parmi les pays avancés et industrialisés, de défier notre domination, ne serait-ce que d’aspirer à un rôle plus grand à l’échelle mondiale ou régionale (…). La mission des Etats-Unis sera de s’assurer qu’il ne soit permis à aucune puissance rivale d’émerger en Europe occidentale, en Asie ou sur le territoire de la CEI « . Pour Washington, il s’agit en fait d’empêcher l’Europe et le Japon,  » alliés  » relativement dociles, ainsi que la Russie, affaiblie, mais encore redoutée, de relever la tête et de porter un jour ombrage au leadership américain, en fait à la formidable puissance économico-commerciale américaine.  » Ce qui est important, poursuit l’auteur du rapport, c’est le sentiment que l’ordre international est en fin de compte soutenu par les Etats-Unis, lesquels doivent être en position d’agir indépendamment lorsqu’une action collective ne peut pas être orchestrée « . Plus récemment, un autre document américain officiel émanant de la Communauté Nationale du renseignement (NIC), rendu public en janvier 2001 et intitulé Global trends 2015, donne les grandes lignes de l’état du monde et confirme les orientations du rapport du Pentagone. Rédigé sous la direction de John Gannon, ce document réitère la priorité stratégique américaine de demeurer l’unique Superpuissance et de dissuader tout concurrent ou alliance  » anti-hégémonique « . Parmi les pays susceptibles de constituer une menace majeure car enclins à s’opposer au  » leadership  » de Washington, le rapport mentionne le triangle Russie-Chine-Inde, bien que des réserves soient émises sur les capacités – et non les velléités – du gouvernement de Vladimir Poutine à redresser le cap. En fait, ce rapport est à mettre en parallèle avec la nouvelle stratégie internationale de l’Administration républicaine de Bush jr, marquée par le retour de vétérans de la guerre froide et des acteurs clés de la guerre du Golfe, comme Colin Powell, Condoleezza Rice ou Donald Rumsfeld, auteur d’un rapport (1998) dénonçant la volonté des  » Etats-voyous  » (Iran, Irak, Corée du Nord, Soudan, Libye) de se doter d’arsenals balistiques. Rice et Rumsfeld ne manquent d’ailleurs pas de dénoncer une Russie coupable de rompre son encerclement stratégique en se rapprochant de la Chine, de l’Iran et de l’Inde, et de renouer avec les puissances communistes comme Cuba ou la Chine. Pour la nouvelle Administration républicaine, la Russie demeure donc une menace pour les Etats-Unis et l’Occident dans son ensemble, et l’hostilité du Président Poutine à l’élargissement de l’Otan aux Pays Baltes constituant un  » défi  » envers la Superpuissance étatsunienne.

Désignant à la fois les Etats-parias (rogue states) et les puissances nucléaires eurasiatiques (Chine, Russie, Inde) récalcitrantes comme les dangers majeurs, Global Trends 2015 confirme l’orientation unilatérale de la Stratégie Nationale de Sécurité des Etats-Unis qui doivent pouvoir agir sans être limités par les organisations internationales et poursuivre le projet de défense anti-missile en violation des traités de non-prolifération. On comprend mieux, à la lumière des différents rapports stratégiques américains, pourquoi les Etats-Unis agissent sous mandat de l’ONU en Irak (1990-1991), lorsque les résolutions des organisations internationales correspondent aux intérêts américains strictement nationaux, mais passent outre en ex-Yougoslavie (1999) ou à nouveau en Irak (1998-2001), quand  » l’internationalisme  » ne peut plus être utilisé comme façade stratégique du nationalisme géoéconomique américain. Les dirigeants états-uniens n’en continuent pas moins d’affirmer que la  » suprématie globale  » de leur pays est  » nécessaire  » à l’Humanité, puisqu’elle est censée  » garantir la Démocratie et la Paix  » dans le monde et la  » sauvegarde de l’économie de marché « . On a bien affaire ici, on le voit, à une stratégie totale, en ce sens que la stratégie nationale des Etats-Unis est autant intégrale qu’intégrée, autant victorieuse qu’absolue, et que l’hégémonisme américain de fait est justifié et intériorisé par une idéologie légitimante, forgeant des représentations valorisantes et morales des Etats-Unis et de son leadership  » bienfaisant « .

Stratégie totale, mondialisation et économie de combat.

De même que certains spécialistes de stratégie contestent la pertinence de l’statement  » guerre de l’information « , d’autres récusent celle de  » guerre économique « , la guerre étant exclusivement liée, selon eux, à l’emploi de forces armées et engendrant inéluctablement la perte de vies humaines.  » La guerre n’est pas la même chose que la concurrence ou les rivalités, commerciales  » ou autres, explique Laurent Murawiec, directeur de Géopol Services. En conséquence, on ne peut pas parler de guerre à tort ou à travers  » . D’autres en revanche, notamment le Général Pichot-Duclos et Nicolas Harbulot, en France, créateurs d’une  » Ecole de Guerre économique « , ou encore Edward Luttwak, chef de file de la pensée stratégique américaine, estiment que la guerre économique est l’une des principales formes de la conflictualité moderne.

On peut définir la guerre économique comme le processus par lequel des Etats ou groupes d’Etats déploient des moyens régaliens (force militaire, ministères, cellules de renseignements, aides financières étatiques, lois, arsenaux juridiques, diplomatie, services spéciaux, etc) et obliques (médias, organismes internationaux, ONG, etc) pour conquérir ou conserver des marchés, au profit d’entreprises nationales. Dans le contexte de la globalisation et de la concurrence acharnée entre trois des pôles majeurs de la puissance économique : pays industrialisés d’Asie – y compris le Japon et la Chine – ; Etats-Unis (et plus largement l’ALENA) ; et Europe occidentale, l’statement de la puissance ne se calcule plus seulement en nombre de têtes nucléaires, comme l’a compris à ses dépend Moscou depuis la chute de l’Union soviétique et les interventions de l’OTAN en Irak et en ex-Yougoslavie, mais surtout en parts de marchés et en taux de croissance. Aussi le concept de guerre économique témoigne-t-il du fait que ce ne sont plus les blocs idéologico-politiques qui s’affrontent dans le monde, mais des Etats ou blocs géoéconomiques (ce qui n’exclut nullement qu’ils soient également géocivilisationnels) antagonistes, concurrents ou rivaux.

Loin de permettre l’édification d’une société planétaire unifiée, la globalisation a en définitive donné naissance à un redéploiement des forces économiques, l’unification se limitant seulement aux marchés, c’est à dire au champ de bataille et non aux acteurs, puisque l’objectif est la conquête totale du marché. Même élevé au rang d’optimum de second rang (les unions économiques régionales), voire de premier rang (les marchés intégrés sous la bannière de l’OMC), le marché continue d’opposer des acteurs qui agissent dans un cadre de concurrence exacerbée, d’autant plus féroce, qu’il n’existe plus de marchés protégés et que l’enjeu n’est plus de conquérir une part respectable sur un produit donné, à l’instar de ce qui s’envisageait encore dans les années 80, mais d’être le premier, à l’exclusion de tous les autres, comme l’illustre le cas Microsoft dans le domaine de l’informatique. Dans l’esprit des décideurs américains et de leurs représentants à l’OMC, et n’en déplaise aux offices anti-trust qui s’agitent en Amérique même, un marché est considéré  » ouvert  » et donc  » libéral  » en présence de  » monopoles de fait « , dès lors que la possibilité théorique de les remettre en cause est reconnue. Ce nouveau modèle libéral hégémonique permet de comprendre l’âpreté des Américains à imposer, dans le cadre de l’OMC, les produits agricoles transgéniques, nouvelle norme alimentaire de demain qu’ils maîtrisent parfaitement, laissant aux Européens le marché contestataire et marginal des produits  » bio « . C’est dans ce contexte de faillite du libéralisme concurrentiel traditionnel, où les théories du libre échange et le droit de la concurrence ne sont plus que des armes de rhétorique à destination des Européens et des nouveaux pays industrialisés, qu’émerge le concept nouveau d' » économie de combat « , le stratège américain Edward Luttwak expliquant que les Etats-Unis sont appelés, s’ils veulent conserver la première place, à transformer leur système de production en machine de guerre économique.

Mais la guerre économique n’est pas séparable des autres formes de guerre : militaire,  » informationnelle « , psychologique, subversive, etc. Loin de se substituer aux conflits armés, elle les accompagne, ainsi qu’on l’a vu lors de la guerre du Golfe.

Stratégie totale et guerre informationnelle.

Traduit par l’statement américaine Information Warfare, la guerre de l’Information sous-tend  » technologie de l’information « ,  » guerre informationnelle  » ou  » cyber-guerre  » (électronique et informatique) et  » guerre psychologique « , explique Laurent Murawiec, directeur de Géopol Services . Or, les américains ont compris depuis longtemps que les opérations traditionnelles de guerre psychologique, consistant à  » faire perdre le Nord à la population adverse « , peuvent parfaitement être adaptées aux nouvelles technologies de télémission directe et de guerre électronique et informatique (cyberwar). Aussi existe-t-il depuis plusieurs années déjà, aux Etats-Unis, une université (la  » National Defense University « ) qui délivre des diplômes de  » Guerriers de l’information  » ( » Infowarriors « ). On y enseigne les méthodes pluri-disciplinaires et extrêmement élaborées visant à  » implanter de fausses réalités et induire des mouvements psycho-culturels  » et politiques allant dans le sens des  » intérêts nationaux  » américains.

En réalité, aux Etats-Unis, les Opérations psychologiques ( » PsyOps « ) et « l’ Infowar « , ne sont pas qu’un outil parmi d’autres. Elles ont autant, voire plus, d’importance que les opérations militaires classiques, puisqu’elles fondent et précèdent celles-ci. Sommairement, les  » Opérations psychologiques  » sont décidées par la Maison-Blanche elle-même, puis conçues et gérées par le bureau Central de Renseignements et la Direction des Opérations psychologique du Pentagone ; la NSA ; la CIA ; le Département d’Etat ; ainsi que l’Agence d’Information Américaine (US Information Agency, USIA), avec toutes ses ramifications (liaisons satellitaires internationales, stations de radio et de télévision. Aussi la  » guerre informationnelle  » est-elle autant une guerre offensive que défensive, de sorte que toutes les armées américaines disposent aujourd’hui de cellules de  » cyberguerre « , qu’il s’agisse de l’Air Force Information Warfare Center, situé sur la base aérienne de Kelly, au Texas, du 609ème escadron de Guerre Informationnelle de l’Armée de l’Air américaine, du Groupe d’Opérations psychologiques de l’Armée de l’Air basé à Fort Bragg, en Caroline du Nord, du Centre de Guerre Informationnelle de la Marine (FIWC), ou encore du Commandement de Cyberguerre Interarmes Unifié (Joint Services Information Warfare Command, JSIWC) de Norfolk, en Virginie.

Avec le développement des moyens de communication moderne et la globalisation de l’économie,  » la maîtrise des réseaux de télécommunication, la production de puces informatiques ou même celle de feuilletons audiovisuels importent davantage que la possession de puits de pétrole « , remarque Philippe Cohen. Ainsi la domination classique (hard) cède-t-elle le pas à l’hégémonie douce (soft). Or depuis la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis ont progressivement acquis une  » force de frappe immatérielle  » (J. M. Gaillard), qui leur confère une supériorité absolue en matière de puissance et d’influence culturelle.

La guerre informationnelle repose en fait en grande partie sur les moyens spatiaux, principale méthode moderne de recueil, de transmission et de distribution de l’information. Lors des opérations de coordination, de renseignement et de frappes menées par l’OTAN au Kosovo entre mars et juin 1999, plus de 50 satellites étaient directement été impliqués. Au moins 15 à 20 systèmes spatiaux différents furent utilisés dans la préparation et l’exécution des attaques. Le renseignement spatial est donc devenu un multiplicateur de force à trois niveaux : stratégique, tactique et opérationnel, au seul profit de la puissance qui maîtrise les technologies spatiales : les Etats-Unis. Car si le renseignement est à la base de toute stratégie et de toute action militaire, force est de constater que les moyens de renseignement spatiaux non américains durant la guerre du Kosovo étaient insignifiants. Avec un seul satellite en orbite non utilisé par les Etats-Unis pendant la guerre, les Européens participèrent à une intervention armée en qualité  » d’aveugles opératifs « , dépourvus de toute vision globale du théâtre dont dispose au contraire le commandement américain.  » La capacité de l’Europe à disposer de son destin passe par l’existence d’une puissance militaire européenne qui ne verra pas bientôt le jour. Mais une étape préliminaire décisive vers la restauration d’une autonomie de décision à tous les niveaux serait la mise sur pied d’une force militaire spatiale intégrée, tout de même plus facile à créer qu’une force de combat intégrée « , explique Jacques Blamont, conseiller du Directeur général du centre national d’études spatiales (CNES).

Géostratégie et paradigme civilisationnel.

Notre étude sur la géostratégie et les nouvelles formes de conflictualité demeurerait incomplète si nous ne consacrerions pas une place toute particulière au paradigme des civilisations, pour reprendre l’statement du professeur américain Samuel Huntington. Nous avons certes expliqué précédemment que ce paradigme doit être utilisé avec précaution dans la mesure où les représentations identitaires et civilisationnelles – comme celles idéologiques -sont souvent instrumentalisées par les responsables politiques aux fins de mobiliser l’opinion et les masses des différents camps belligérants en faveur de l’entreprise conflictuelle, guerrière, irrédentiste, etc. Mais nous avons également rappelé que les représentations identitaires  » font sens « , qu’elles que soient leur degré de véracité historique et d’instrumentalisation.

En dépit des lieux communs relatifs au  » village mondial  » et à une hypothétique  » conscience planétaire  » définitivement pacifiée, conséquence ultime de la  » mondialisation heureuse « , le paradigme des civilisations n’en demeure pas moins recevable, puisque les  » représentations identitaires », qu’elles soient assises sur des faits authentiques ou des mythes,  » font sens  » au sein des masses et des acteurs géopolitiques. Qu’on le veuille ou non, elles poussent quantité d’êtres humains de toutes civilisations, depuis des temps immémoriaux, à accepter de mourir pour leur religion, leur nation, leur identité ou leur appartenance civilisationnelle. Dans le cadre de la démarche géostratégique, qui analyse toute forme de conflictualité humaine, elles doivent donc être passées en revues, quand bien même Marx aurait eu raison d’affirmer que seuls les rapports de forces économiques et matériels déterminent la marche de l’Histoire.

Les chocs civilisationnels, nouveau paradigme de l’après guerre froide.

Pour Samuel Huntington, auteur de l’essai retentissant, fortement controversé, intitulé le Clash des civilisations,  » une civilisation est le mode le plus élevé de regroupement et le niveau le plus haut d’identité culturelle dont les humains ont besoin pour se distinguer des autres espèces, elle se définit par des éléments à la fois objectifs, comme la langue, l’histoire, la religion, les coutumes, les institutions, et par des éléments subjectifs d’auto-identification, les civilisations sont le plus gros  » nous  » et elles s’opposent à tous les autres  » eux  » . La civilisation ainsi définie est la réponse à La question fondamentale, ontologique, que se pose l’homme, à savoir, « qui suis-je ? », « d’où viens-je ? ». De là découle la dimension religieuse des civilisations, puisque les  » valeurs fondamentales suprêmes « , partagées par les membres d’une même civilisation, sont fondées sur des principes transcendants, sacrés, absolus.

Pour Huntington donc, l’Après Guerre froide serait caractérisé par une résurgence des phénomènes identitaires et religieux, trop longtemps  » frustrés  » par les cadres de pensée idéologiques hérités de l’affrontement Est-Ouest et exacerbés par la globalisation. Non seulement cette dernière aurait renforcé les contacts entre les peuples d’une même civilisation, grâce au moyens de communications, mais elle aurait simultanément provoqué de violentes réactions de rejet anti-occidentales, car en dehors de  » l’Occident « , globalisation ou mondialisation riment inéluctablement avec  » néo-impérialisme « . En dépit de la  » fin de l’Histoire « , célébrée par Francis Fukuyama, proclamant le triomphe définitif de  » l’hégémonie bienveillante  » de la démocratie américaine, le système international aurait cessé de tourner autour du seul Occident, en phase de déclin démographique et moral, selon Huntington, pour devenir multicivilisationnel ou multipolaire. Les grandes idéologies du XXème siècle (libéralisme, socialisme, anarchisme, corporatisme, communisme, social-démocratie, conservatisme, nationalisme, fascisme, démocratie chrétienne, etc) seraient désormais épuisées. L’Occident perdant de son influence, ces différents systèmes, symboles de son hégémonie, seraient sur le chemin du déclin.  » Leur place est prise par les religions et d’autres formes d’identité et d’engagement reposant sur des bases culturelles (…). Ainsi,  » le choc intracivilisationnel entre idées politiques incarné par l’Occident est en train d’être supplanté par le choc intercivilisationnel des cultures et des religions « , explique Huntington.

Samuel Huntington dénombre sept principales civilisations contemporaines: occidentale, confucéenne, japonaise, musulmane, hindoue, slavo-orthodoxe, latino-américaine ( » excroissance  » de l’occidentale), et peut être huit avec « l’africaine ». Pour l’auteur du Choc des civilisations, les principaux conflits actuels et futurs résulteront du choc opposant ces différentes civilisations entre elles, conflits souvent très anciens, mais réapparaissant avec violence un peu partout depuis la fin de la guerre froide, laquelle avait en quelque sorte  » gelé « , différé, ces conflits. Parmi ces sept civilisations, Huntington en distingue quatre susceptibles d’acquérir ou de pérenniser une hégémonie internationale ou encore de contrecarrer, à terme, l’hégémonie de l’une d’entre elles, principalement de l’Occident : l’Occident et l’Islam, d’une part, deux civilisations ayant une même  » prétention à l’universel « ; l’Hindouisme et la Chine (ou monde confucéen), d’autre part, de tradition non universaliste, mais en pleine expansion et capables, au siècle prochain, de remettre en question l’hégémonie occidentale ou de résister aux assauts prosélytes et conquérants de l’Islam, en pleine phase de renaissance. Au sein de ces principales  » puissances géo-civilisationnelles « , deux principaux angles de  » conflictualité globale  » apparaissent : l’un autour du choc civilisationnel majeur Islam / monde non musulman ; l’autre autour de l’opposition, tout aussi prégnante, entre, d’une part, l’Occident hégémonique (la  » Supersociété  » occidentale à prétention universelle dominée par les Etats-Unis), et d’autre part, le  » Reste du monde  » non occidental émergeant ou non-industrialisé: principalement la civilisation asiatique  » sino-confucéenne « , l’Islam et l’Inde, ces trois civilisations dépassant chacune le milliard d’habitants.

Le mythe de la  » mondialisation.  »

Contrairement à certaines idées reçues, la  » globalisation  » n’est pas un phénomène nouveau et il ne conduit pas nécessairement vers une  » suprasociété planétaire  » unifiée et harmonieuse. Processus neutre, donc indépendant des projets idéologiques précités, la globalisation date en fait des XVI et XX ème siècles et a été initiée par le commerce international et les échanges maritimes. On peut la définir comme la  » mise en relation immédiate et la création de réseaux relationnels, stratégiques, économiques, scientifiques et financiers transnationaux « . Pour le philosophe Jurgen Habermas, comme pour Francis Fukuyama ou Fouad Ajami aux Etats-Unis, ou encore Jacques Attali et Guy Sorman en France, la globalisation signifierait la mort des nationalismes, des religions traditionnelles et des identités civilisationnelles. Elle scellerait l’avènement d’une  » communauté internationale  » pacifiée, voire d’un  » gouvernement mondial  » (ONU, OMC, OSCE, Tribunal Pénal International de La Haye, etc). D’après cette conception, les Etats-nations seraient les véritables obstacles au bonheur du genre humain, que seul le mondialisme pourra permettre, en instaurant l’harmonie universelle. Aussi les guerres seraient-elles mauvaises non par nature, mais seulement lorsqu’elles sont motivées par la défense d’intérêts nationaux, vecteurs de  » haine  » entre les peuples, le concept même de nation étant banni. Elles sont en revanche justes et légitimes si elles sont menées au nom de principes moraux universalistes ( » droit d’ingérence « ,  » intervention humanitaire « ) et si elles ont pour but, comme ce fut le cas de l’opération Force Alliée au Kosovo, de contester le principe de souveraineté nationale, au profit du  » droit des minorités  » à disposer librement d’elles mêmes.

Forts de ces douces certitudes, les adeptes de l’internationalisme moderne fustigent les défenseurs du  » paradigme civilisationnel  » et affirment que le  » choc des civilisations  » est improbable puisque les moyens de communication modernes tendent à créer une nouvelle forme d’appartenance  » planétaire « . Pourtant, Internet et les satellites n’ont aucunement fait disparaître les civilisations et les identités des peuples. Ils ont au contraire permis à ces dernières de sortir du cadre restreint et souvent historiquement artificiel de l’Etat national, pour accéder à une  » conscience civilisationnelle « , transnationale, certes, mais non cosmopolite.  » L’explosion des médias, explique François Thual, notamment télévisuels et visuels, permet encore plus que par le passé de densifier la revendication, d’exaspérer les hantises et d’intensifier les menaces. La conductibilité interne et externe des thèmes identitaires a été accélérée par les progrès techniques de communication (…). Les médias transforment l’identitaire en un torrent émotionnel de sons et d’images « .

Si l’internationalisme philosophico-politique n’est globalement partagé que par les Occidentaux eux-mêmes, l’idéologie  » mondialiste  » à proprement parler, que Huntington a baptisé la  » Culture de Davos « , ne concerne qu’une infime partie de la planète (1% de l’humanité environ). En réalité, la mondialisation en questions est perçue par les autres civilisations – qui forment, elles, les 4/5ème du globe – comme un avatar et un  » masque hypocrite  » de  » l’impérialisme occidental « . Dès lors, le phénomène irréversible de globalisation, qui désigne les techniques modernes et planétaires de communication, ne doit pas être confondu avec l’idéologie de la mondialisation et les structures, exclusivement occidentales, de ladite  » Communauté internationale « .

Les limites de la globalisation.

Quant à la globalisation elle-même, en tant que phénomène neutre, elle ne touche qu’une part relativement modeste des activités humaines, sociales ou économiques. Elle n’empêche pas l’économie américaine de ne fonctionner qu’à 12 ou 13 % sur des échanges extra­continentaux, ni les exportations françaises, italiennes ou allemandes d’être d’abord à destination européenne dans leur grande majorité. Ainsi, en ce qui concerne la France, 3ème ou 4ème exportateur mondial selon la conjoncture et l’un des pays les plus ouverts au monde, il convient de noter que la part des ses échanges courants avec l’extérieur n’atteint pas 25 % du PIB, en très lente progression depuis le début du siècle, et que ceux-ci sont réalisés à 80 % avec ses voisins proches de l’Espace Economique Européen (Union européenne + AELE). Les économies ne sont pas beaucoup plus ouvertes aujourd’hui qu’elles ne l’étaient au début du siècle, et l’intégration économique globale tant célébrée est encore loin d’être réalisée. Dans la sphère financière, tout d’abord, la convergence des taux d’intérêts réels est inférieure à ce qu’elle était sous le régime de l’étalon-or. Pour ce qui est des multinationales, les trois-quart environ de leur valeur ajoutée proviennent de leurs pays d’origine, de sorte que les firmes  » globales  » conservent toujours une base nationale. Ceci s’explique par le fait que les délocalisations de certaines de leurs branches d’activité concernent précisément des branches non rentables à faible valeur ajoutée.

Les entreprises, en dépit de leurs internationalisations croissantes, demeurent attachées à leur nation d’origine par leur capital, leur culture et leurs principaux dirigeants. Dans Globalisation in Questions (1996), Paul Hirst et Graham Thompson contestent avec force le concept même de mondialisation, entendu comme phénomène irréversible conduisant à la suppression des frontières et barrières de toute sorte entre les hommes. Selon eux, parler de globalisation au sens de mondialisation signifierait que l’économie mondiale  » est dominée par des forces globales incontrôlables et (que) les principaux acteurs du changement sont des firmes authentiquement transnationales ; (que) ces dernières n’ont pas de devoir d’allégeance envers aucun Etat-nation en particulier et choisissent leur lieu d’implantation en fonction du critère de l’avantage maximal « , autant de conditions que la réalité ne confirme pas. Aussi la doctrine économique libre-échangiste anglo-saxonne exigeant, sous couvert d’OMC ou d’AMI la suppression des frontières – surtout en dehors des Etats-Unis, d’ailleurs – au nom de la croissance économique mondiale et du bien-être universel, s’avère-t-elle être également un contrat léonin ne profitant qu’au plus fort, c’est-à-dire aux Etats-Unis, dont les firmes bénéficient des plus importantes économies d’échelle et dont les législations internes maintiennent un fort protectionnisme de fait.

Dans son ouvrage Jihad Versus Mc World (1996), le sociologue américain Benjamin Barber avait montré que les phénomènes désagrégateurs modernes, comme les violences urbaines et néo-tribales, les réactions identitaires particularistes (sexismes, régionalismes, séparatismes, etc), ou encore les intégrismes religieux, ne sont que l’autre face de Janus du processus de globalisation, producteur d’anomies et de déracinements, donc de réactions identitaires particularistes compensatoires et violentes.

Partout, en effet, les blocs ethno-religieux, les particularismes, les séparatismes et les conflits identitaires de toutes sortes se renforcent. La vision d’un monde idyllique où tous les peuples cohabiteraient en paix peut séduire, mais elle demeure, hélas, largement irréaliste. Seules les intelligentsias d’Europe et d’Amérique du Nord, qui elles-mêmes ne représentent qu’une partie de l’élite intellectuelle et économique de ces continents, proclament l’avènement inéluctable de l’Harmonie universelle. Certes, le melting pot, les mariages inter-communautaires,  » l’antiracisme « , sont des phénomènes observables au sein des sociétés occidentales, quoiqu’ils s’effectuent souvent dans un contexte de paupérisation et de  » ghéttoïsation  » des intéressés (zones à fortes concentration de communautés immigrées). Mais quoi qu’on en dise, la culture du cosmopolitisme et l’idéologie typiquement occidentale dite du  » Politiquement Correct  » et de la  » discrimination positive  » ne concerne en fin de compte que les riches sociétés  » blanches  » vieillissantes représentant à peine 15 % de l’humanité, si l’on englobe les pays de l’Est européen à la démographie tout aussi déclinante.

Corrélativement à ce phénomène semblant attester  » la fin de l’histoire  » et annoncer la  » citoyenneté universelle « , on observe une progression des peuples prolifiques et pauvres du Sud vers les contrées riches démographiquement déclinantes de l’hémisphère Nord, phénomène qu’Alfred Sauvy et le Général Gallois ont nommé la  » montée inéluctable des peuples du Sud vers le Nord « , rendue inexorable (mais non nécessairement inévitable) par les décalages de richesses et la pression démographique. Force est donc de contester que l’idéalisme  » pluri-ethniciste  » encensé par les partisans du Village global est à sens unique. Certes, la présence d’immigrés non-Européens est de plus en plus acceptée et importante en Europe. Mais l’immigration de masse, loin d’être le signe d’une Harmonie universelle, témoigne avant tout du décalage des richesses et de l’inégalité économique entre les nations, phénomène explosif, du point de vue de la prospective géostratégique, qui risque un jour de provoquer des guerres et des drames humains.

Parallèlement, au sein des civilisations non-occidentales, c’est plutôt le phénomène inverse à celui du melting pot qui est constaté, surtout depuis la décolonisation et le départ des Européens des anciennes colonies. En Afrique de l’Ouest, les riches européens et les commerçants libanais,  » blancs « , sont de plus en plus contraints de quitter les lieux, comme les minorités chinoises victimes de pogroms en Asie du Sud-Est, tandis que les touristes occidentaux sont régulièrement pris en otage et parfois même égorgés de l’Algérie au Cachemire, en passant par la Tchétchénie et l’Egypte. En Inde, même, les expatriés occidentaux protestants sont menacés physiquement cependant que dans les provinces chinoises, les  » Occidentaux arrogants  » sont aussi indésirables que les  » diables noirs  » (Africains) ou les Catholiques, la culture chinoise ayant toujours considéré les autres civilisations comme barbares, au sens grec du terme.

Partout dans le monde, à la faveur d’une véritable fièvre nationaliste ou religieuse, les violences identitaires opposent entre elles les nations, principalement celles du tiers-monde, et sont à l’origine de terribles massacres, du Cachemire au Soudan, en passant par l’Indonésie ou le Nigeria. La tolérance raciale et religieuse ne fait pas plus recette en Turquie – où les Kurdes sont persécutés, près d’un siècle après le génocide arménien, toujours nié par Ankara, et le renvoi des Grecs – qu’en Arabie Saoudite, Etat officiellement esclavagiste, fondamentaliste et raciste, ou même en Afrique noire, où ethnies et tribus ennemies continuent de s’entre-déchirer dans le sang, comme on a pu le voir ces dernières années en Sierra Leone, au Rwanda, au Burundi ou ailleurs.

Les chantres du mondialisme occultent en outre le fait que la pauvreté montante, la raréfaction de certaines ressources vitales et stratégiques (pétrole et eau principalement), ainsi que les turbulences climatiques, ne peuvent qu’activer les conflits géopolitiques entre nations ou aires géo-civilisationnelles. Par conséquent, l’occidentalisation-universalisation, soi-disant en cours dans le monde entier, et célébrée à travers ce que Guy Sorman ou Alain Minc nomment  » la mondialisation heureuse « , demeure largement illusoire.

La globalisation renforce en définitive les  » appartenances civilisationnelles « , notamment à la faveur de constitutions de pôles transnationaux géoéconomiques et civilisationnels cohérents : Accords de Libre Echange du Nord de l’Amérique (ALENA-Etats-Unis-Canada-Mexique), Union européenne (les  » Quinze  » pouvant devenir  » les Vingt  » ou  » les trente « ), zone chinoise, zone panturque, monde arabo-islamique (OCI, Ligue Islamique Mondiale), etc.

Aussi le concept de transnationalisme n’est-il aucunement synonyme de mondialisme ou cosmopolitisme. Bien au contraire, une union géopolitique transnationale d’Etats appartenant à une même civilisation, comme l’espace chinois, l’aire hindouiste, les Etats d’Europe ou du monde islamique, peut très bien s’inscrire dans le cadre d’une remise en question de l’universalisme planétaire anglo-saxon, ce que craignent à juste titre les Etats-Unis lorsqu’ils tentent d’empêcher la constitution de  » coalitions géo-civilisationnelles anti-hégémoniques  » risquant de contester les valeurs de la  » communauté internationale  » et le  » leadership  » américain qui en est le garant. D’où par exemple, l’insistance américaine à promouvoir l’entrée d’un Etat du monde islamique, la Turquie, dans l’Union européenne, afin que l’UE ne devienne pas un  » Club judéo-chrétien « , en fait une entité géocivilisationnelle cohérente et forte susceptible de concurrencer Washington. Aussi les composantes essentielles des civilisations que sont les traditions culturelles et les religions, surtout dans leurs versions prosélytes et théocratiques, peuvent être des remparts contre une  » mondialisation  » perçue comme occidentalo-centrée, néo-coloniale et hégémonique, donc éradicatrice des  » identités culturelles « . Si l’Occident est tant contesté par d’autres  » blocs géo-civilisationnels » montants, c’est autant parce qu’il est éradicateur d’identités traditionnelles, que parce qu’il constitue une forme nouvelle d’impérialisme,  » cosmopolite  » certes, mais portant directement atteinte aux modèles indigènes multiséculaires.

 » L’Occident  » en question et le Reste du Monde.

Si le paradigme géostratégique de la Guerre froide est mort, comme l’explique Huntington, en tout cas tel que nous l’avons connu, une nouvelle forme d’affrontement bipolaire risque de réapparaître au cours des années à venir sur la scène internationale, opposant cette fois-ci l’Occident hégémonique aux puissances émergeantes coalisées au sein d’alliances  » anti­hégémoniques « , pour reprendre l’statement consacrée par Zbigniew Brzezinski dans son ouvrage Le Grand Echiquier. Telle est la thèse défendue par le Général (CR) Pierre Marie Gallois, pour qui la guerre du Kosovo peut s’analyser comme les prémisses d’un  » Choc global  » entre le  » Super-Occident  » industrialisé, dominé par les Etats-Unis, et le Reste du Monde, non-occidental et ex-communiste : Russie, Inde, Chine, Corée du Nord, etc. Pour l’initiateur de la  » Force de frappe  » française, le bombardement de l’ambassade de Chine, pendant l’opération Force Alliée, peut être analysé comme un  » avertissement  » lancé à Pékin au cas où la Chine songerait à constituer, avec la Corée du Nord ou Moscou, une  » alliance anti­hégémonique  » contre les Etats-Unis. Aussi les stratèges américains redoutent-ils par dessus tout l’apparition de coalitions récalcitrantes au leadership américain : alliances Russie-Inde-Irak ; Russie-Inde-Iran, Iran-Chine-Corée du Nord-Russie, etc).

Loin de contredire les théories  » civilisationnelles  » de Huntington, la conception géoéconomique et cynique de la politique internationale, défendue par Gallois, apparaît plus complémentaire qu’antagoniste, car la géostratégie, à l’image de l’Homme lui-même, ne peut être réduite à l’une ou l’autre des deux grandes composantes de l’être humain : la matière (qui correspond à la géoéconomie et à la géographie en général, aux constantes et variables  » concrètes « ), et l’esprit, l’immatérialité (qui renvoie aux phénomènes idéologico-religieux, psychologiques et représentatifs,  » abstraits « ).

La théorie du  » tout civilisationnel  » surévalue, certes, le rôle des religions et des cultures, tout en niant les rapports de force technologico-économiques et les constantes géopolitiques, mais celle du  » tout géoéconomique « , à l’instar du marxisme, participe d’une forme de matérialisme et nie les phénomènes représentatifs et abstraits qui, de toutes façons, font sens : culturels, idéologiques, psychologiques et religieux. En fait, le nouveau paradigme de l’après-guerre froide intègre les deux champs d’étude, les chocs civilisationnels peuvent parfaitement être doublés de chocs géoéconomiques, comme cela est déjà le cas entre l’Extrême-Orient (monde  » sino-confucéen  » pour Huntington) et l’Occident.

D’après Samuel Huntington, le choc entre  » l’Occident globalisé » et le  » reste du monde « , principalement islamique, confucéen, et hindouiste, serait un  » choc civilisationnel « , dans le cadre duquel  » l’universalisme arrogant de l’Occident  » susciterait l’hostilité grandissante des ères civilisationnelles réfractaires, le prétendu  » universalisme  » étant désocculté comme  » le masque  » d’un nouvel impérialisme. Huntington remarque, non sans pertinence, que, dans sa prétention à l’universalité, l’Occident tient pour évident que les peuples du monde entier devraient adhérer aux valeurs, à la culture et aux institutions occidentales censées constituer le mode de pensée  » le plus élaboré, le plus lumineux, le plus libéral, le plus rationnel, le plus moderne « . Or dans un monde traversé par les conflits ethniques et les chocs entre civilisations,  » la croyance occidentale dans la vocation universelle de sa culture  » a trois défauts majeurs, selon l’auteur :  » elle est fausse, elle est immorale et elle est dangereuse « . Aussi la théorie réaliste des relations internationales  » prédit que les Etats phares des civilisations non occidentales devraient se rapprocher pour contrebalancer la puissance dominante de l’Occident, (…) l’universalisme occidental est dangereux pour le reste du monde parce qu’il pourrait être à l’origine d’une guerre entre Etats-Phares de civilisations différentes, et pour l’Ouest parce qu’il pourrait mener à sa propre défaite « .

Huntington redoute par conséquent que la politique étrangère  » coercitive  » des Etats-Unis, la  » diplomatie des bombardements et des embargos  » (Gallois), instaurée depuis la guerre du Golfe, et poursuivie par la nouvelle Administration américaine, en dépit des professions de foi non-interventionnistes de Condoleezza Rice et de Colin Powell, ne renforce, à terme, la perception hostile de l’Occident dans le monde, réactivant à jamais un choc de civilisation entre le Nord et le Sud d’autant plus global qu’il se nourrit du terrible déséquilibre des richesses.

Ce choc réactif,  » anti-hégémonique  » – prévu et craint également par Zbigniew Brzezinski, opposerait irréductiblement  » l’Occident globalisé  » au  » traditionalisme du tiers-monde », nommé également monde en voie de  » ré-indigénisation « . Par ce terme, Huntington désigne le phénomène de revanche post-coloniale contre « l’Occident impérialiste », qui anime la seconde génération d’hommes politiques du tiers-monde, spécialement musulmans, hindous et chinois. Cette  » ré-indigénisation  » serait consécutive à la faillite idéologique générale des modèles idéologiques occidentaux. Le monde en voie de développement procéderait ainsi à une  » seconde décolonisation « , intellectuelle et idéologique, paradoxalement favorisée par la démocratie, puisque les Islamistes ou les fondamentalistes hindouistes remportent désormais des élections démocratiques, même si celles-ci sont souvent encore régulièrement annulées ou empêchées par les régimes  » laïques  » ou militaires en place (Algérie, Turquie, Tunisie).

La  » ré-indigénisation  » passerait donc essentiellement par la réappropriation de modèles socio-politiques non-occidentaux. Citons seulement Ali Ben Hadj, leader intellectuel du FIS algérien, exprimant sa vision fondamentaliste et anti-occidentale du monde dans les colonnes de la revue Politique internationale en septembre 1990 :  » mon père et ses frères en religion ont expulsé physiquement la France oppressive de l’Algérie, moi je me consacre, avec mes frères, avec les armes de la foi, à la bannir intellectuellement et idéologiquement et à en finir avec ses partisans qui en ont tété le lait vénéneux (…). Les relations avec les Etats et les peuples tiers se fondent, à nos yeux, sur une ferme conviction : répandre l’islam dans le monde, et parmi toutes les nations et tous les peuples. (…). Notre relation avec les Juifs ne peut être que la guerre, le Jihad : point final « .

A la lumière des récents événements survenus en Tchétchénie, en Macédoine (irrédentisme des nationalistes albanophones de l’UCK), en Côte d’Ivoire, en Indonésie, au Nigéria ou encore en Afghanistan, force est de constater que nombre d’êtres humains tuent ou acceptent d’être tués pour défendre ce qu’ils conçoivent comme étant leur identité, leur idéologie ou leur religion. Souvent, ces représentations sont instrumentalisées par les responsables politiques et motivés par des intérêts économiques. Mais dans d’autres cas, notamment celui des Islamistes (ultra-fondamentalistes talibans en Afghanistan décidés à effacer toute trace de civilisation pré-islamique), nous avons affaire à des phénomènes idéologico-religieux totalitaires d’une rare violence. Quasiment autonomes, c’est-à-dire débouchant sur une praxis sans être une simple émanation rhétorique d’intérêts concrets ou extérieurs (ou échappant à ceux-ci, le cas échéant), ces phénomènes géostratégiques de type idéologique et géocivilisationnel contredisent les lois de l’économie et du pouvoir politique moderne. Car plutôt que de conclure un attractif accord de construction de pipelines avec la compagnie américaine Unocal et d’être reconnus par la communauté internationale – à la seule condition de livrer le terroriste islamiste Oussama Bin Laden – les Talibans ont préféré l’isolement international, la paupérisation, et même la dégradation progressive avec leurs alliés stratégiques, l’Arabie saoudite et le Pakistan. A la realpolitik pragmatique, les ultra-fondamentalistes sunnites, qu’ils soient talibans,  » néo-wahhabites « , etc, préfèrent parfois le chaos total, ce qui n’est pas sans rappeler l’apocalypse national-socialiste. Ces phénomènes qui échappent à la rationalité utilitariste et même à la vision cynique de type machiavélienne autant qu’au bon sens, la géostratégie contemporaine des phénomènes totalitaires ne peut pas ne pas les prendre en considération.

Discipline objective, la géostratégie analyse sans tabous toutes les formes de conflictualités, y compris ce type de conflictualité idéologico-religieuse à connotation (ou même à prétention) civilisationnelle. Le paradigme du choc des civilisations, analysé sereinement aux Etats-Unis dans le cadre d’un véritable débat, dont témoigne l’œuvre de Samuel Huntington, autant respectée outre-atlantique que conspuée au sein des sociétés du Vieux Continent, surtout en France, semble être frappé, en Europe, d’une forme de tabou méthodologique et d’une disqualification de principe, au nom, tantôt d’une conception étroitement stato-nationalitaire des relations internationales, tantôt, au contraire, en vertu d’un postulat internationaliste et pacifiste  » politiquement correct  » qui disqualifie tout discours décrivant les potentialités bellicistes de telle ou telle doctrine religieuse.

Or, l’idéologie inhibitrice dite du  » politiquement correct « , totalitaire à sa façon, en supprimant la dichotomie traditionnelle étranger/autochtone et en niant par principe les dimensions identitaires et civilisationnelles, tend à disqualifier de facto la démarche géostratégique et la recherche scientifique en matière de défense, pour la simple raison que l’évaluation des menaces et des moyens de défense destinés à contrer ces menaces, analysées par la géostratégie, impliquent la prise en compte, par le stratégiste et le géopolitologue, des variables et constantes idéologiques, économiques, psychologiques, géographiques, ethnoculturelles, religieuses, et donc civilisationnelles, qui opposent et différencient inévitablement les nations et les civilisations entre elles. Le géostratégiste, comme le militaire, le géopolitologue, et même le polémologue, sont donc a principio  » politiquement incorrects

Note biographique

* Alexandre del Valle, chercheur en Géopolitique à Paris II et à l’Institut International d’Etudes Stratégiques (IIES), est l’auteur d’un essai préfacé par le général P.M Gallois:  » Islamisme et Etats-Unis (L’Age d’Homme, 1997) et collabore à différentes revues de géopolitique (Hérodote ; Stratégique, Géostratégiques, Quaderni Geopolitici) ou d’actualité politique (Figaro Magazine, Spectacle du Monde, Panoramiques, etc).

Dans son dernier ouvrage,  » Guerres contre l’Europe : Bosnie, Kosovo, Tchétchénie  » (2001, Editions des Syrtes), Alexandre del Valle dresse un tableau général de l’échiquier mondial de l’après Guerre froide puis actualise et confirme les analyses développées dans son premier essai et exposées dans le présent article.

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