Mohamed Troudi
« En Israël, ne pas croire aux miracles n’est pas réaliste », disait David Ben Gourion (1896-19/3), considéré comme l’incontestable créateur de l’Etat hébreu moderne d’après les principes énoncés en 1896 par le théoricien du sionisme Théodore Hertzl dans son ouvrage intitulé « l’Etat juif ». Dans cet ouvrage Théodore Hertzl préconisait l’instauration d’un véritable «Etat colonial », mono-ethnique, religieux et théocratique. Un Etat exclusivement juif, entièrement débarrassé de toute présence arabe. En somme la reconstitution du royaume de David.
L’échec du plan de partage de la Palestine structure l’histoire de la région depuis. En effet, une seule partie de la résolution 181 se matérialisa*1‘. Elle procura aux Juifs l’Etat que réclamait le mouvement sioniste depuis un demi-siècle et conféra à Israël sa légitimité internationale. Crée en 1948, cet Etat se voulait la patrie de tous les Juifs dispersés de par le monde. C’est cette puissante immigration des Juifs d’Europe entre 1945 et 1960 et le fort taux de natalité des juifs nouvellement installés sur la terre promise qui ont permis la création et l’imposition de l’Etat d’Israël plus que la guerre de 1948.
En revanche, l’Etat arabe ne vit jamais le jour. En face, les Arabes ont ressenti la création de cet Etat comme un « pieu dans la chair » des nations arabes. Pour les peuples de la région, c’était une grande injustice et une épine plantée au cœur du monde arabe. C’est ce que les Palestiniens appellent la « Nekba » communément traduit « jour de grande tristesse. Une grande partie de la population palestinienne vit depuis l’exil entamant un long calvaire que le Proche-Orient paya et paie encore d’un cycle infernal de guerres, de terreur et de haine réciproque. Deux peuples pour une seule terre, la situation était et reste explosive, les relations d’Israël avec ses voisins arabes étaient et restent conflictuelles en dépit des signatures de paix séparée avec quelques Etats arabes -souvent sur le dos des Palestiniens- et en dépit des relations diplomatiques officieuses entretenues par d’autres..
Pas moins de cinq guerres marquent l’histoire des relations israélo-arabes : la guerre d’Indépendance en 1948 et son cortège de réfugiés palestiniens, la crise de Suez en 1956, la guerre des six jours en 196/, celle de Kippour en 19/3 et la guerre du Liban en 1982. A ces cinq guerres se rajoutent les deux Intifada palestiniennes celle de 1987 et celle plus récente de 2000 provoquée par la visite de l’actuel Premier ministre israélien Ariel Sharon sur l’esplanade des mosquées déclenchant une réaction en chaîne et qui a eu pour effet de radicaliser l’opinion publique chez les Palestiniens et dans l’opinion publique arabe.
Les périodes de paix comme celle après la signature d’Oslo en 1993 n’ont jamais duré très longtemps puisque non suivies d’effet sur le terrain en l’absence de réelles perspectives politiques. Au regard de cette situation qui peut encore croire aux miracles ?
Les relations avec la Syrie : ni guerre ni paix
Avec la signature du traité de paix israélo-égyptien en 19/9, la Syrie devenait l’élément le plus puissant de ce qui restait des pays arabes du « front de confrontation » avec Israël. Non seulement une partie de son territoire national est toujours sous occupation israélienne depuis la guerre des six jours soldée par une victoire écrasante de l’Etat hébreu sur ses voisins arabes, mais aussi le régime de Damas, du fait de son idéologie panarabiste, s’accorde une place de premier rang dans l’effort de libération de la Palestine.
L’histoire de la Syrie indépendante c’est celle d’une lutte acharnée contre Israël. Membre de la Ligue arabe, la Syrie participe à la guerre de 1948 opposant les Arabes à l’Etat israélien fraîchement crée.
Pour soutenir son effort de guerre, le pays se rapproche de l’ex-Union soviétique. Les attaques militaires conjointes de la Grande-Bretagne de la France et d’Israël contre l’Egypte en 1956 et la politique américaine de « contaïnement» ou endiguement du communisme, renforcent le choix syrien en matière de politique étrangère. Cette politique va se poursuivre sous la présidence de Hafez al-Assad, dès son accession à la présidence de la République syrienne en mars 19/1, en dépit de quelques ouvertures diplomatiques notamment à travers le rétablissement en 19/4 des relations diplomatiques avec les Etats-Unis rompues en 196/.
Le fait le plus marquant de sa présidence, outre son caractère bassiste et panarabiste,est indéniablement l’occupation du Liban que les Syriens considèrent comme historiquement relevant du territoire de la Grande Syrie. Au plus fort de la guerre civile libanaise, la Syrie intervient militairement et occupe une partie du territoire libanais, officiellement pour protéger le Liban de l’ennemi commun et de ses visées territoriales selon la terminologie syrienne. Les accords de Taëf en 1989, consacrent la tutelle de fait de la Syrie sur le Liban.
La signature en mai 1991 d’un traité d’amitié et de coopération entre les deux pays va dans le même sens. Pour détourner l’attention internationale de l’occupation du Liban, alors que le pays se trouve dans le collimateur, accusé d’encourager et d’abriter des mouvements terroristes selon la terminologie américaine, le président Hafez al-Assad, va définitivement rompre avec l’isolement diplomatique de son pays et cherchera à reconquérir une certaine respectabilité internationale en joignant la coalition anti-irakienne durant la guerre du Golfe. Elle va d’ailleurs contre son opinion publique farouchement anti-américaine. Cette participation vaut à la Syrie un regain d’intérêt des investisseurs occidentaux, encouragés par de nouvelles mesures d’ouverture économique. Et comme pour mieux réchauffer ses relations avec Israël, le raïs fera un nouveau geste en autorisant le départ de plus de 4000 Juifs de Syrie vers les Etats-Unis.
Sur le plan diplomatique, la situation évolue en 1994 vers une timide volonté des deux côtés d’aller vers une paix négociée. En cette même année, la Syrie accepte de négocier avec Israël sur le statut du Golan occupé en 196/ et annexé en 1981. La situation se dégrade cependant avec la signature en février 1996 d’un accord de coopération militaire entre Israël et la Turquie auquel s’est associé la Jordanie , scellant un partenariat stratégique entre ces pays. La Syrie considère cet accord comme une manœuvre d’encerclement qui menace la sécurité du pays. Pire cet axe Ankara-Tel Aviv -ce qui est culturellement parlant un comble – , donnerait les mains libres à l’Etat hébreu pour affirmer son hégémonie sur toute la zone. Cherchant à contrecarrer cet axe, la Syrie se rapproche de nouveau de la Russie et le raïs va jusqu’à prendre l’initiative d’un rapprochement tactique avec son frère ennemi, l’Irak, avec qui Damas n’entretenait plus de relations officielles depuis 1980.
Depuis la conférence israélo-arabe de Madrid, le 30 octobre 1991, quatre dossiers font l’objet de tractations entre la Syrie et Israël : en premier, le retrait israélien du plateau du Golan ; en second, les arrangements de sécurité ; en troisème position, la normalisation entre les deux pays et le calendrier d’application. Il faut y ajouter un quatrième et non des moindres, celui de l’eau une denrée rare dans cette région, qui relève tour à tour des problèmes de frontières, de sécurité et de normalisation. Néanmoins c’est la question du Golan qui pose un réel problème au rapprochement entre les deux parties, de par l’affrontement de deux antagonismes quasiment inconciliables.
L’épineuse question du Golan
C’est évidemment l’avenir du Golan(2) qui a longtemps formé la pierre d’achoppement la plus lourde. Les officiels israéliens ont toujours mis en avant le caractère « vital » de ce plateau pour la sécurité du pays, ce qui est d’ailleurs le même argument tenu pour le désert du Sinai dans les années 19/0. Par ailleurs, tout retrait israélien est compliqué par le fait qu’il n’existe pas une ligne de séparation tranchée entre les deux belligérants mais trois : la frontière tracée en 1923 par la France et le Royaume-Uni(3) ; les limites fixées par les accords d’armistice de 1949 et le front du 4 juin 196/, veille de la guerre de six jours. La Syrie a toujours mis en préalable à la reprise des négociations, le retrait de l’armée israélienne sur ses positions du 4 juin 196/, alors que l’Etat hébreu se réclame de la frontière de 1923. Il faut dire qu’entre les deux se trouve un « petit » territoire d’à peine vingt kilomètres carrés mais qui détermine l’accès au lac de Tibériade et à la haute vallée du Jourdain.
Les pourparlers ont échoué en 2000 sur la question du retrait total d’Israël du plateau. La Syrie avait alors refusé la proposition israélienne de garder sous son contrôle une bande de terre longeant le lac de Tibériade, qui aurait permis à l’Etat hébreu de maintenir sa souveraineté sur sa principale réserve en eau. Car l’eau reste l’un des dossiers difficiles, tant l’ensemble du Proche-Orient frappé depuis quelques années par une terrible sécheresse, en manque.
Ces vingt kilomètres carrés feront-ils échouer la négociation ? Dans un contexte de paix, ce dossier ne semble pas insoluble d’autant que Damas est prêt à garantir qu’il n’arrêtera pas le flot d’eau du Golan vers le lac de Tibériade et le Jourdain. Comme l’expliquait le ministre syrien des affaires étrangères, M. Farouk El Chareh, lors de son discours à Washington, le15 décembre 1999, ceux qui refusent de rendre les territoires occupés font de l’affrontement entre Arabes et Israéliens «un conflit existentiel (…) et non un conflit de frontières qui peut se terminer dès que les protagonistes ont obtenu leurs droits».
Ces droits sont les quelques 1150 kilomètres carrés occupés et annexés par Israël en vertu d’une loi de la Knesset datant du 14 décembre 1981, déclarée «nulle et non avenue» par les Nations unies.
Comme à Jérusalem- Est, la législation israélienne s’y applique, ainsi on passe d’une annexion de fait à une annexion de droit. Là aussi Israël a mené une politique des faits accomplis sur le terrain en colonisant progressivement le plateau et en y implantant plus de 18.000 colons
Outre son importance en eau, le Golan représente pour Israël plusieurs intérêts notamment militaires, car situé à la frontière de la Syrie et du Liban, il surplombe les trois pays et offre à l’Etat hébreu la possibilité de détecter chaque mouvement militaire syrien voire de la résistance libanaise et notamment du Hezbollah.
Autre sujet brûlant entre les deux pays, la sécurité : Israël souhaite obtenir une large bande démilitarisée et garder le contrôle de la station d’écoutes installée sur le mont Hermon, la Syrie préfère une présence internationale dans cette zone.
Les deux autres dossiers -normalisation et calendrier d’application
– ne présentent pas de complications particulières même si quelques divergences existent entre les deux parties notamment au sujet du retrait israélien qui devait intervenir rapidement du point de vue syrien alors qu’Israël exige quelques années et établit un lien entre les étapes du retrait et celles de la normalisation.
Le Liban devait à son tour normaliser ses relations avec son puissant voisin. En effet le Hezbollah ne devrait pas s’opposer à une décision stratégique syrienne et poursuivra sa transformation en parti politique.
L ‘avancée syrienne sur la voie d’une paix éventuelle avec Israël, devait se faire en parallèle avec le dossier libanais, puisque Beyrouth refuse une paix séparée avec l’Etat hébreu en dépit du retrait partiel(4) israélien du sud Liban en mai 2000. En effet, les avantages pour Israël d’un double traité de paix avec les deux voisins syriens et libanais sont éclatants.
Il mettra fin aux affrontements meurtriers au Liban et clôturera le cercle de la paix autour de l’Etat juif, qui aura ainsi des relations diplomatiques avec tous ses voisins. Il contribuera également à la normalisation avec le reste du monde arabe. Enfin la paix accroîtra encore la colossale aide économique et militaire américaine et renforcera ses relations avec l’Europe.
La Syrie devait également tirer d’énormes bénéfices : d’abord la restitution du Golan -objectif central depuis trente ans du président défunt Assad- et la confirmation de l’hégémonie de la Syrie sur le Liban.
Les Etats-Unis devraient effacer la Syrie de la liste des «pays soutenant le terrorisme» et lui accorder avec l’Union européenne, une assistance économique nécessaire au modernisation du pays.
Visiblement les deux pays ont raté une occasion de faire la paix et de tourner une page ouverte par la première guerre israélo-arabe de 1948-1949. La mort de Hafez al-Assad en juin 2000, l’arrivée au pouvoir de son fils cadet Bachar porteur d’un espoir d’ouverture, de réformes économiques et de modernisation. Cependant au terme de quelques mois de pouvoir, il semble revenu à la ligne politique de son père. En Israël l’élection d’un gouvernement de droite dirigé par Ariel Sharon(5) en février 2001, ont éveillé des craintes sérieuses quant à la montée des tensions entre Israël et la Syrie. Ces craintes se sont avérées fondées puisque pour la première fois depuis 1982, Israël vise une position syrienne au Liban en riposte à une attaque anti-israélienne du Hezbollah libanais. L’assassinat d’un cadre du Hamas récemment en Syrie ne fait que rajouter au scepticisme et aux craintes d’une détérioration durable des relations entre les deux pays. La résolution 1559 exigeant le retrait syrien du Liban et les pressions américaines continues sur la Syrie, ne laissent pas présager une quelconque normalisation tant les positions se sont éloignées.
Et pourtant la Syrie à tout intérêt à faire preuve d’ouverture. Après la guerre en Irak, le renoncement de la Libye aux armes de destruction massive et l’acceptation par l’Iran de se soumettre aux contrôles de l’Agence internationale de l’énergie atomique en dépit de quelques réserves, les critiques américaines se sont depuis concentrées sur Damas -comme en témoigne les sanctions contre le gouvernement syrien approuvées par le Congrès américain en décembre 2003- qui constitue avec Téhéran les prochaines cibles potentielles américaines. Une reprise prochaine des négociations entre les deux pays n’aura plus rien de commun avec les anciens pourparlers . Elle sera marquée du sceau des exigences américaines envers une Syrie extrêmement affaiblie. Le président Bachar Al-Assad risque de devoir accepter des négociations sans conditions en faisant fi de son opinion publique anti-américaine dans sa grande majorité. De son côté Israël ne se sent pas par contre obligé de reprendre les négociations en dépit des avantages que le pays peut tirer d’une normalisation de ses relations avec l’ensemble de ses voisins arabes. Le front du Golan est calme et l’Etat hébreu sait bien que la Syrie est totalement incapable de récupérer son territoire par la force tant la suprématie militaire israélienne est écrasante(6).
Le ton belliqueux du Hezbollah libanais n’inquiète plus l’Etat hébreu surtout depuis son désengagement d’une grande partie du sud Liban et depuis que la Syrie sous la contrainte commence à lâcher son mentor. Quant aux partis palestiniens représentant le front du refus, basés à Damas, ils ont finalement bien peu de poids dans la lutte actuelle en Cijordanie et à Gaza et s’avèrent un fardeau plutôt encombrant pour Damas. Par conséquent la Syrie est bien dans l’obligation de normaliser ses relations avec l’autorité palestinienne. Car c’est précisément leur désamour qui permet à Israël de négocier des agendas séparés. Un autre préalable impératifconcerne la présence syrienneau Liban. Celle-ci perpétuellement légitimée par les besoins « d’unité face à l’ennemi » ne résiste plus à la réalité sur le terrain depuis le retrait – même partiel- de Tsahal du sud liban.
Les relations israélo-libanaises
Longtemps considéré comme un pont entre le monde arabe et le monde occidental, le Liban carrefour de civilisations, est resté un microcosme de la société ottomane, superficiellement recouvert d’un virus de modernisme constitutionnel. Ayant hérité de la faiblesse de l’empire ottoman décadent, le Liban a laissé s’exprimer toutes les contradictions de la société arabe moyen-orientale. Le point de départ de la désintégration du Liban est le dernier acte de la longue agonie de l’Empire ottoman qui a fait autrefois trembler la chrétienté et l’Occident. Le Liban est en proie depuis 19/5 à une guerre civile aux dimensions régionales incontournables. En fait la complexité du conflit libanais tient avant tout à sa nature kaléidoscopique en ce sens que depuis 19/5, ce n’est point une guerre qui se livre au Liban, mais plusieurs s’emboîtant puis se désemboîtant dans toutes les combinaisons possibles. S’y affrontent la résistance palestinienne présente au Liban depuis son départ de Jordanie en 19/0-19/1 et les troupes syriennes et israéliennes. Le Liban s’est trouvé rapidement dans l’engrenage du conflit israélo-arabe, le rôle maléfique de la Syrie et d’Israël voire de l’Iran et de la Libye et particulièrement l’aveuglement d’une politique américaine de soutien inconditionnel à Israël ont été les ingrédients ayant permis la déstabilisation et la fragilisation du Liban d’hier et d’aujourd’hui en dépit d’une apparence de paix retrouvée(7).
Pour mettre de l’ordre dans toutes ces approches, il faut donner à chaque facteur son poids dans le conflit. Pour cela il faut partir des facteurs locaux, car les guerres des autres sur le territoire libanais et Libanais interposés n’auraient pas été possibles si les responsables libanais avaient gardé leur pays loin des immixtions étrangères. C’est-à-dire s’ils n’avaient pas utilisé les Maronites pour la défense de l’Occident et la garde des frontières d’Israël, des sunnites et des Druzes pour la défense de l’OLP et de l’arabité et enfin les chiites pour défendre la cause de l’Islam .
C’est l’instrumentalisation à outrance du système confessionnel très complexe – pas moins de 1/ confessions- qui a permis le déclenchement de la guerre ravivant la haine entre les différentes composantes de la société libanaise, haine encore perceptible aujourd’hui. En effet, la déchirure libanaise de 19/5, n’est pas un simple épiphénomène, mais a préfigurée les autres schismes du monde arabe comme la mise au ban de l’Egypte après les accords de Camp David ou encore les guerres du Golfe et bien évidemment le conflit israélo- palestinien.
Pour Israël, le Liban est important à deuxtitres au moins : miner l’assise territoriale de l’OLP en dépit de son départ précipité en 1985. L’autre intérêt est dicté par l’importance des ressources hydrauliques du pays et la présence syrienne.
La signature de paix séparée avec l’Egypte le 26 mars 19/9 et la normalisation des relations entre les deux pays, vont aller de pair avec une politique d’interventionnisme d’Israël dans le monde arabe et en particulier au Liban sur qui les visées israéliennes sont plus anciennes(8).
Ce fus le cas en Irak avec la destruction de la centrale nucléaire de Tammouz en juin 1981, le raid israélien contre des bases de l’OLP à Tunis en 1985 ou encore la tentative d’assassinat de responsables islamistes palestiniens en Jordanie. Cette stratégie de paix en direction de l’Egypte contraste avec l’adoption de mesures unilatérales (proclamation de Jérusalem unifiée capitale éternelle d’Israël en juillet 1980, annextion du Golan en décembre 1981) qui bien que condamnées par l’ONU, sont désavouées mollement par les Occidentaux et l’administration américaine au premier chef.
C’est à la lumière de ce traité et du processus d’annexion des territoires occupés qu’il convient d’apprécier la décision israélienne d’envahir le Liban. Elle se fonde sur la conviction du gouvernement Begin qu’il est possible pour Israël d’avoirà la fois « la paixet les territoires » conviction aujourd’hui largement démentie par le caractère plus que jamais instable de la région et la crainte que suscite en terme de développement du terrorisme et d’instabilité internationale.
L’intervention au Liban répond à l’objectif essentiel que sont : la paix et la normalisation des relations avec le Liban. Le 29 juin 1982, l’actuel premier ministre israélien déclarait : « Nous sommes au seuil d’une période de paix, car trois pays riverains de la Méditerranée (Egypte, le Liban et Israël) pourront bientôt constituer un triangle de paix ». On a coutume à Tel Aviv de penser que si l’on ignorait quel serait le premier Etat arabe à faire la paix avec l’Etat hébreu, on savait que le Liban serait sûrement le second.
Pour les dirigeants de Tel-Aviv, une paix entre Israël et le Liban, déboucherait à terme sur l’isolement de la Jordanie et de la Syrie contraintes de gré ou de force de rejoindre tôt ou tard le fameux « triangle de la paix » dont parlait les stratèges israéliens. L’instauration d’un Etat libanais fort, sous hégémonie maronito-phalangiste pro-occidental et allié d’Israël, tel est l’objectif de la paix entre l’Etat hébreu et le Liban comme le laisse supposer les thèses défendues en son temps par Ariel Sharon.
Cette thèse sharonienne d’un Liban fragmenté et sous hégémonie maronite, facilement contrôlable par son voisin méridional reste encore aujourd’hui plus que jamais d’actualité. Le mouvement sioniste n’a en effet jamais dissimulé que le Sud-Liban était pleinement intégré dans son projet territorial. La guerre de 196/ et plus particulièrement l’agression de juin 1982 (dite opération Galilée), ont permis à l’Etat hébreu de matérialiser son ambition sur le Sud-Liban nourrie de longue date. Les relations entre le mouvement sioniste (puis Israël) et le Liban sont passées par trois phases historiques matérialisant ainsi la stratégie israélienne d’abord d’ingérence puis de colonisation rampante.
- La cristallisation du projet annexionniste : lors de la conférence de la paix ouverte à Paris en 1919, les délégués du mouvement sioniste avaient présenté aux alliés un mémoire fixant les limites souhaitables du foyer national juif en Palestine. Au nord, celle-ci englobait une large fraction du territoire libanais. Les délégués sionistes avaient à l’esprit les potentialités économiques du fleuve Litani. Le chef du mouvement sioniste Chaîm Weizmann allait jusqu’à demander à la Grande Bretagne d’inclure les régions (Mont Hermon, le Jourdain et le fleuve Litani) dans les limites de la Palestine. Devant le refus de la France notamment, le mouvement sioniste va maintenir cette revendication et la formulera à plusieurs reprises. Au milieu des années 1950, la déstabilisation du Liban est déjà une hypothèse soulevée par les dirigeants d’Israël
- La phase dite d’ingérence (1968-1975) : à partir de 1968, les activités militaires des organisations palestiniennes se multiplient dans le Sud-Liban. Dans la même année Tel-Aviv déclenche sa première grande opération de représailles contre le Liban dont le point culminant, la destruction au sol de la quasi-totalité de la flotte aérienne civile libanaise. Ce qui a fait prendre conscience auxLlibanais que le mythe de la neutralité est désormais dépassé. Le Liban devient désormais l’un des théâtres d’opération du conflit israélo-arabe. Les accords du Caire du 3 novembre 1969 entre l’Etat libanais et la résistance palestinienne permettent aux Palestiniens de mener des attaques contre Israël à partir des bases palestiniennes au Liban. Ces accords même s’ils contiennent une close introduite par les adversaires de la présence palestinienne indiquant le strict respect de la souveraineté libanaise ont favorisé le déclenchement de la guerre civile libanaise. Elle marquera un changement notable de la stratégie israélienne au Liban passant d’une phase d’ingérence à une phase purement et simplement d’annexion.
♦ La phase d’annexion rampante
Mars 19/8, juillet 1981 et juin 1982 sont les périodes clés de l’agression permanente israélienne contre son voisin. Israël est face à un Etat libanais en pleine décomposition et est fort de la division du monde arabe incapable de fixer une ligne de conduite commune illustrée en 1981 par l’échec du sommet de Fès et par la polarisation engendrée par le conflit Iran-Irak. Israël est assuré du soutien indéfectible des Etats-Unis (qui couvrent son activisme non seulement au Liban mais aussi dans toute la région (annexion du Golan syrien en 1981, destruction du réacteur irakien de Tammouz, accélération de la colonisation sioniste et durcissement de la répression dans les territoires occupés, l’invasion du Liban en 1982 en était le coup de grâce). La Syrie considèrant Liban comme le prolongement historique du territoire de la Grand Syrie, intervient à son tour avec 35.000 hommes qui contrôlent les deux tiers du territoire. La signature en 1989 des accords de Taëf mettant fin à la guerre civile et le 22 mai 1991 du traité de fraternité et de coopération entre Syriens et Libanais, confirment la mainmise syrienne sur le Liban. Néanmoins Israël reste un acteur à part entière dans le champ libanais grâce à trois leviers : des contacts politiques et militaires avec les partis chrétiens , le dialogue de dissuasion et aujourd’hui de menaces voilées contre la Syrie, et l’instauration d’une zone de sécurité sur les hameaux de Chebaa après son retrait du Sud-Liban où se trouve un important centre de renseignement israélien. L’espace aérien violé en permanence par les avions de guerre israéliens et les menaces à peine voilées d’une réoccupation du Sud-Liban si la sécurité d’Israël était menacée, viennent rappeler aux Libanais la fragilité de leur pays face à son puissant voisin.
Sur un plan plus particulier, Israël mène une relation de satellisation économique envers le Liban et particulièrement dans la partie sud. Les dirigeants israéliens sont partisans disent-ils de « frontières ouvertes » entre Israël et ses voisins arabes par la libre circulation des hommes et des biens. Les échanges économiques avec les territoires occupés traduisent une véritable aliénation et la désorganisation des circuits d’échanges traditionnels comme le montre le nombre très élevé de Palestiniens travaillant en Israël, sans parler de la spécialisation fonctionnelle de l’économie des territoires occupés qui aujourd’hui travaille essentiellement pour le marché israélien. Ce sont des relations du même type (centre-périphérie ou plutôt métropole-colonie) que Tel -Aviv semble avoir installé avec le Sud-Liban qui a pris toute son ampleur avec l’invasion de juin 1982. Le Liban en garde aujourd’hui encore les séquelles douleureuses dans divers secteurs de l’économie libanaise notamment dans le secteur bancaire et agricole.
Le retrait unilatéral de l’armée israélienne, intervenu précipitamment en mai 2000 (prévu initialement pour le / juillet 2000), montre à quel point cette occupation est devenue impopulaire aux yeux de l’opinion publique israélienne. Du point de vue strictement militaire, cette occupation ne garantie plus la sécurité du pays tandis que le retrait relance d’un autre côté la possibilité d’un accord avec la Syrie.
Si le retrait met fin à 22 ans d’occupation, reste à régler le mandat de la FINUL dans la zone, le sort des hommes de l’armée du Sud-Liban (ALS), les compensations demandés par le Liban pour les années d’occupation, l’avenir des réfugiés palestiniens au Liban, la libération de tous les prisonniers libanais réclamée par le Hezbollah et le tracé des frontières entre le Liban ,Israël et la Syrie. Autant de questions sans réponse.
S’agissant du stationnement des forces syriennes au Liban, le Président Bachar Al-Assad vient de lever le secret sur ce sujet brûlant en déclarant : « … les événements qui se déroulent à l’intérieur de la Palestine occupée exigent de dépasser les frictions entre Damas et Beyrouth afin de ne pas servir les intérêts d’Israël »(9). Les images de la réplique musclée des forces israéliennes à la deuxième intifada dite d’Al Aqsa et l’opération désastreuse appelée « jour de repentir » menée à Gaza, sont largement diffusées sur les chaînes de télévision libanaise. Il est également difficile d’oublier la puissance militaire israélienne déployée sur les hameaux de Chebaa encore occupé.
Dès lors qu’elle est élaborée une stratégie de défense libano-syrienne paraît dans ces conditions incontournables. Le Liban continuera encore de servir d’une carte aux mains des Syriens, qui ne manqueront pas de l’utiliser pour l’amorce d’une possible et prochaine négociation avec Israël sur la base de la récupération totale du Golan syrien et le lac de Tibériade.
Les relations israélo-jordaniennes
Membre fondateur de la Ligue arabe, la Jordanie a choisit très tôt le camp occidental. En effet son armée n’occupe qu’une place modeste dans l’équilibre militaire de la région. Rapidement le roi hachémite est apparu comme soumis aux pressions occidentales avec une population jordanienne sensible aux appels panarabes. Cette contradiction interne explique les crises qui vont secouer le régime, celles de 1956-5/ et de 1965-196/, en opposition à l’OLP . Au paroxysme de ces crises, la liquidation de la présence armée palestinienne en 19/0 (septembre noir).
Bien que de facto en guerre depuis 46 ans, bien qu’elle a pris position contre les accords de Camp David et soutenue l’Irak en 1990-91, la Jordanie profitant de la nouvelle donne ouverte par la Conférence de Madrid renoue avec le camp occidental et signe un traité de paix avec Israël le 26 octobre 1994.
En vertu de ce traité chaque pays s’engage à s’abstenir de tout acte de belligérance, à faire en sorte qu’aucune menace de violence vis-à-vis de l’autre partie n’émane de son territoire, à œuvrer à la prévention du terrorisme et agir avec l’autre pour assurer sécurité et coopération au Moyen-Orient en remplaçant l’état d’alerte militaire par des mesures de mise en confiance.
D’autres dispositions du traité concernent la répartition des ressources en eau, la liberté de passage pour les ressortissants des deux pays, des efforts pour alléger le problème des réfugiés et la coopération pour le développement de la vallée du Jourdain. La frontière internationale tracée dans le traité remplace les lignes de cessez- le- feu de 1949 et se réfère à la frontière du mandat britannique (1922-1948).
Avec la ratification du traité de paix, des relations diplomatiques ont été établies. Pas moins de 15 accords bilatéraux dans les domaines économique, scientifique et culturel, témoignent de la mise en œuvre du traité de paix jordano-israélien et constituent les fondements de relations pacifiques normales entre les deux pays. Ces nouvelles relations sont illustrées de façon significative par les Z.I.H (Zones industrielles habilitées) qui permettent à la Jordanie, dans le cadre de la coopération avec Israël, d’exporter vers les Etats-Unis sans limitations de volume et sans droits de douane à concurrence de 200 millions de dollars. Néanmoins ces relations ont connu un certain refroidissement depuis le déclenchement de la deuxième intifada palestinienne dite «d’Al Acqsa ».
En s’éloignant du panarabisme, la Jordanie a pris le risque de lier son développement économique et sa stabilité politique, première priorité du jeune roi Abdellah II, à une paix fragile, allant jusqu’à participer à l’alliance militaire israélo-turque dénoncée par les régimes arabes et particulièrement par la Syrie, première concernée par cette alliance.
Le pays touché par la crise n ‘a pas récolté les dividendes de la paix. Son partenariat économique avec l’Irak qui a souffert de l’embargo, a carrément disparue avec la fin du régime de Saddam Hussein. Quant à ses relations commerciales avec l’Etat hébreu, elles n’ont jamais décollé en dépit de bonnes intentions et son économie reste très tributaire de l’aide américaine et internationale.
Sur le plan intérieur, la situation ne se présente guère mieux. Le problème de la Jordanie est de savoir comment gérer une nation jordanienne composée en majorité de Palestiniens ? Ces derniers gardent des relations très étroites avec les Palestiniens des territoires et ne manquent pas une occasion de rappeler leur soutien à la résistance palestinienne et irakienne. Leur slogan favori « Palestine-Irak même combat » en dit long sur le fossé qui se creuse de plus en plus entre gouvernants et citoyens en Jordanie comme dans l’ensemble du monde arabe. Le gouvernement jordanien est devant un dilemme.
D’un côté les officiels savent que cette population à majorité palestinienne ne peut se désintéresser de ce que subissent les « cousins » outre-jourdain, et de l’autre le gouvernement n’accepte pas de laisser les habitants manifester librement de peur que ces manifestations ne tournent aux invectives contre le pouvoir central.
S’il n’est pas question pour la Jordanie de rompre les relations avec Israël, le gouvernement cherche néanmoins à canaliser la colère populaire, ce qui est loin d’être évident. L’autre incertitude concerne la position de l’organisation islamique des frères musulmans, très influente en Jordanie et jusque là alliée de la monarchie hachémite, mais pour combien de temps encore ?
Les relations israélo-égyptiennes : de la guerre à la paix
« Pas de guerre au Moyen-Orient sans l’Egypte » disait en 19/3, l’ancien secrétaire cTEtat américain Henri Kissinger. La région rentrait alors dans un quatrième conflit israélo-égyptien en moins d’un quart de siècle. Si l’armée égyptienne n’a gagné aucune guerre, elle a cependant démontré lors de la guerre du Kippoursa valeur militaire en traversant, notamment le canal de Suez. Fort de ce demi-succès qui a redonné confiance au peuple égyptien
et appuyé par le secrétaire d’Etat américain Henri Kissinger, le président Sadate ouvre les pourparlers avec Israël qui aboutissent à la signature du traité de paix dit de « Camp David » en 19/9. La mise en œuvre de la paix entre les deux pays comprenait un certain nombre d’éléments majeurs notamment la fin de l’état de guerre ainsi que de tous actes ou menaces de belligérance, l’établissement de relations diplomatiques, économiques et culturelles et le retrait de la péninsule du Sinaî achevé en 1982. Par cette paix, l’Egypte obtient une substantielle aide américaine.
Avec 2,1 milliards de dollars par an, l’Egypte est le deuxième pays au monde à bénéficier de l’aide américaine après Israël. En revanche, elle perd sa place au sein du monde arabe par le transfert du siège de la Ligue arabe du Caire à Tunis. Accusé de traîtrise par les plus intransigeants des dirigeants arabes, Sadate est devenu la cible des islamistes qui exploitent également la crise sociale et économique pour s’attaquer au pouvoir central. C’est dans ce contexte qu’Anouar al-Sadate est assassiné au cours d’une parade militaire commémorant la guerre du Kippour. A sa prise du pouvoir en 1981, Hosni Moubarak confirme le choix stratégique de la paix avec l’Etat hébreu, maintient l’Egypte dans le camp occidental et consacre ses efforts à améliorer les relations avec les pays arabes. Il n’a eu de cesse de voir replacer son pays au cœur du dispositif diplomatique régional pour faire du plus peuplé de tous les Etats arabes (avec plus de 60 millions d’habitants, un Arabe sur quatre est Egyptien) un partenaire incontournable.
En janvier 1984, l’Egypte réintègre la Conférence islamique et le siège de la Ligue arabe qui avait été transféré à Tunis, est réinstallé au Caire au début des années 1980. L’ostracisme est définitivement levé en 1989, lorsque l’Egypte est à nouveau acceptée au sein de la Ligue arabe. Cette politique modérée permet au pays de jouer un rôle important dans le règlement du conflit israélo-arabe.
Attaché au processus de paix au Proche-Orient, le raïs fait de la solidarité arabe son principal objectif dans la reconquête du leadership régional. L’Egypte se place à nouveau comme le véritable pilier du monde arabe. Pilier géographique d’abord puisque le pays est situé le long du Nil, entre les deux entités géopolitiques arabes que sont le Maghreb (de la Mauritanie à la Libye) et le Machrek (du Sinaï à l’Irak). Pilier politique ensuite, tant il semble évident qu’aucune décision d’échelle régionale ne peut être prise sans un accord du Caire. Véritable moteur des guerres qui furent menées hier contre Israël, l’Egypte joue aujourd’hui un rôle de pivot régional dans toutes les décisions politiques ou économiques que connaît le Proche-Orient. La diplomatie égyptienne tente avec un certain succès d’aplanir les divergences de ses voisins, particulièrement sur la question du soutien au processus de paix ou pour débarrasser la région des arsenaux nucléaires.
Un chemin semé d’embûches
Attaché au processus de solution négociée au conflit israélo- palestinien et à la paix comme un choix stratégique, la mort du président de l’Autorité palestinienne Yasser Arafat, place l’Egypte plus que jamais comme un véritable stabilisateur dans cette région du monde. La fragilisation de la position israélienne auprès des chancelleries occidentales par l’arrivée au pouvoir de la droite israélienne en la personne de Natanyahu et d’Ariel Sharon après, a permis à l’Egypte de retrouver de la crédibilité et de renforcer sa position de partenaire incontournable dans les négociations menées entre Arabes et Israéliens.
L’Egypte demeure pour les Américains un allié clé, ne serait-ce que par ses propos mesurés à un moment où plus que jamais l’absence d’une solution politique au conflit israélo-palestinien enfonce encore un peu plus la région dans un avenir incertain. Alors que le monde reste concentré sur l’Irak, l’Egypte tente de montrer avec un certain succès qu’elle est prête à jouer un rôle moteur dans la résolution du conflit. Pour Le président Moubarak, la décision d’Ariel Sharon de se retirer de Gaza est une occasion à saisir. Les intentions égyptiennes, si elles sont sincères, sont motivées par la crainte de voir Gaza, territoire frontalier, être contrôlé par le mouvement islamiste Hamas. La stabilité du régime semble surtout préoccuper davantage le raîs égyptien, en dépit des critiques de l’opposition qui réclame une réelle ouverture démocratique et la fin de la loi martiale en vigueur dans la pays depuis plus de 20 ans.
Si l’Egypte a réussi à conforter sa position internationale et récemment encore sur la scène irakienne où elle cherche à relancer son rôle régional en acceptant d’accueillir à la demande américaine, la conférence internationale sur l’Irak qui doit se tenir vers la mi-novembre, sa situation interne présente davantage un facteur d’inquiétudes. La stabilité politique, qui a permis les réalisations sur le plan international, s’est aujourd’hui muée en immobilisme. La bureaucratie reste pléthorique, le pouvoir autocratique et archaïque et les tensions sociales et confessionnelles sont des plus vives.
Deux graves problèmes se posent à l’Egypte aujourd’hui : la situation économique et la confrontation entre le pouvoir et les islamistes. L’Islam politique a fini par s’imposer au cours de ces dix dernières années comme la principale force d’opposition aux pouvoirs en place en perte de légitimité.
Le président Moubarak n’a su contenir les mouvements islamistes qu’au prix du blocage de toute évolution démocratique. L’éventail des stratégies étatiques de répression, d’endiguement, de cooptation ou d’alliance déployée constitue-t-il la réponse appropriée à la crise de légitimité profonde que traversent les régimes arabes et notamment en Egypte ? Dans quelle mesure la nature de la relation entre l’Etat et l’islamisme détermine-t-elle l’évolution des structures du pouvoir, de sa relation avec la société civile et de ses choix politiques internes comme externes, en un mot sa stabilité ? Dans un tel contexte d’incertitude, tout changement est nécessairement lourd de risques car il ne peut que remettre en cause les fragiles équilibres d’une société longtemps bloquée.
L’autre incertitude, en dépit des apparences, concerne le degré d’importance que conservera le Caire pour la diplomatie américaine, une fois que tous les pays arabes auront signé la paix avec Israël. La recherche de nouveaux axes à la diplomatie égyptienne et le récent rapprochement avec le Soudan témoignent du souci de l’Egypte de ne pas négliger sa dimension africaine. L’Egypte parviendra-t-elle à jouer le rôle de stabilisateur auquel elle aspire sur la scène régionale ? Il lui faut pour cela assurer la solidité de son propre régime.
Conclusion
Aujourd’hui une page se tourne, celle ouverte avec la disparition de Yasser Arafat. Sharon cherchera-t-il un autre prétexte pour ne pas négocier la création inévitable d’un Etat palestinien ? Il existe en vérité en Israël et aux Etats-Unis deux tendances : celle qui a toujours refusé l’idée même d’un Etat palestinien à côté de l’Etat hébreu, jugé trop dangereux pour sa sécurité. Les tenants de cette doctrine, trouverons d’autres prétextes à l’avenir pour empêcher si non retarder l’avènement d’un Etat palestinien viable et durable. Une autre tendance juge incontournable la création d’un foyer palestinien et la présente comme la condition sina qua non à la fin de la violence dans la région et à l’inauguration d’un dialogue de civilisations respectueux et constructif et ce en dépit des difficultés. Parlant de ces embûches, Charles Enderlin(10) écrit « …on a mesuré le chemin parcouru non le chemin qui reste à parcourir. »
On n’est pas obligé de partager cette évocation quasi-idyllique, mais il est vrai que durant plus de cinquante ans, le conflit israélo-arabe a structuré la région et les alliances, défini les identités et les loyautés, séparé les amis des ennemis. En parcourant ce demi-siècle de guerre force est de constater que le conflit israélo-arabe a permis de définir l’unité arabe plus qu’il ne l’a empêchée. La disparition de Yasser Arafat
– 122 -verse dans le même sens car c’est la seule alternative offerte aux Palestiniens en dépit de leurs divisions.
Quant à Israël, privé d’ennemi extérieur, désormais enserré dans les frontières de la Palestine mandataire et débarrassé d’ennemi intérieur avec la mort d’Arafat présenté comme l’obstacle majeur à la paix, comment redéfinira-t-il son identité entre intégrisme religieux et nationalisme juif ?
En dépit de sa pugnacité, de sa formidable force militaire, l’Etat-bunker résistera-t-il aux peuples musulmans qui l’entourent de plus en plus nombreux en l’absence d’une solution politique du conflit111‘ ?.
Mohamed TROUDI chercheur à l’Université Paris XII – Val de Marne
NOTES
- Grech Alain et Vidal Dominique « Palestine 47 : un partage avorté » Edition Complexe.
- La déclaration en décembre 2004 du ministres de l’agriculture israélien à propos du plan de construction de 900 maisons dans 9 nouvelles colonies sur le plateau de Golan, illustre bien la difficulté à avancer sur ce sujet. Il s’agit ici d’un message clair : le Golan fait partie, intégrante de l’Etat d’Israël . Si une majorité israélienne est favorable au retrait des colonies dans les territoires palestiniens, ils sont plus de 56% selon un sondage publié en 2004 par Maariv à s’opposer à un retrait du Golan.
- C’est en 1916 que les diplomates français François Georges-Picot et britannique Mark Sykes répartissent entre leurs deux pays les zones d’influence au Proche-rient, partage en partie repris ensuite dans le tracé des frontières. Le tracé frontalier de 1923 et la ligne de cessez le feu de juin 1967 entre Israël et la Syrie sont des enjeux des négociations de paix. La Syrie a toujours exigé un retrait de l’armée israélienne sur ses positions du 4 juin 1967 alors que Tel-Aviv se réclame de la frontière de 1923. Entre les deux, se trouve l’accès au lac de Tibériade et à la vallée du Jourdain.
- En effet, Israël a gardé sous son contrôle la zone des hameux de Chebaa où est implanté un important centre de renseignement.
- La biographie de M. Sharon est très évoquatrice. C’est un « faucon » parmi les « faucons » surnommé le « bulldozer ». Sioniste partisan
de la tnese nertzenenne. rengageant aans rarmee a 1/ ans, il Tinit avec le grade de général. Ministre de la défense en 1982, il ordonna l’invasion du Liban. Son nom reste lié au massacre du village palestinien de Sabra et Chatila perpétré par une milice chrétienne agissant sous contrôle de Tsahal. A la suite d’une commission d’enquête sur sa responsabilité indirecte dans ce massacre, il dut démissionner. Depuis le 6 février 2001, il est a la tête du gouvernement israélien, impulsant une politique de colonisation dans les territoires palestiniens et au Golan syrien.
- Israël reste incontestablement la puissance militaire dominante de la région, tant sur le plan quantitatif que sur le plan stratégique. L’Etat hébreu consacre plus de 11% de son PIB a sa sécurité devançant de loin les autres pays de la zone. A titre indicatif, le Syrie n’en consacre que 6,3% de son PIB, la Jordanie 6,4% et l’Egypte encore moins, 4,3%. Sources : Jane’s assessment * L’état du monde.
- Au sujet du conflit libanais, voir Georges Corm : Géopolitique du conflit libanais. Edition la Découverte. Voir aussi, Troudi Mohamed : These de troisième cycle portant sur « La crise libanaise : problèmes sociologiques et géopolitiques » sous la direction de M. Le Professeur Pascal Chaigneau.
- Au milieu des années 1950, la déstabilisation du Liban est déjà une hypothèse soulevée par les dirigeants israéliens. Dans son journal Moshe Sharett alors ministre des Affaires étrangères, relève l’attitude de Ben Gourion qui en février 1954 évoquait l’éventualité pour les maronites de proclamer un Etat chrétien au Liban. Dans cette lettre datée du 2/ février, Ben Gourion précise que l’éventuelle création d’un Etat maronite postulerait une redéfinition des frontières du Liban.
- Déclaration faite au quotidien libanais « As Safir ».
- Charles Enderlin « Paix ou guerre. Les secrets des négociations israélo-arabes 1917-1997 » Edition Stock 1997.
- C’est le scénario de la guerre de partisans, théorisée par Clausewitz et surtout Carl Schmitt dans la notion de politique, théorie du partisan (traduit de l’allemand), préface de Raymond Aron, Calmann-Lévy, 1976. Pour Carl Schmitt, le « combattant partisan irrégulier » est plus efficace que le « soldat officiel », à condition que des Etats extérieurs lui apportent aide et soutien secrètement. Israël redoute un scénario à la vietnamienne, où les Palestiniens de plus en plus nombreux, auraient des bases arrières dans les pays musulmans et que les Américains ne puissent ou ne veuillent l’empêcher.