LES PARAMETRES GEOPOLITIQUE DU MOYEN-ORIENT

Le recteur Gérard-François dumont

Professeur à l’Université Paris IV-Sorbonne, Président de la revue Population & Avenir.

Février 2009

La géopolitique peut se définir comme l’étude de l’ensemble des conditions géographiques qui influencent la situation et l’action des États, des groupes hu­mains ou des groupes diasporiques, ainsi que leurs relations. Ces conditions rele­vant des différents champs de la géographie, il convient notamment, sans prétendre être complet, d’examiner la géographie historique, la géographie du peuplement, la géographie économique, la géographie ethnique et la géographie religieuse.

La géographie historique nous enseigne d’abord le caractère relativement récent1 du terme « Moyen-Orient » (Middle East) puisque ce dernier est employé pour la première fois en 1902, par Alfred Mahan, dans un article de la NationalReview, pu­bliée à Londres. Puis, sous l’influence des Anglais, l’expression Moyen-Orient s’im­pose rapidement, se définissant comme l’ensemble des pays de l’Asie de l’Ouest et du Sud-Ouest, de la Turquie à l’Iran et de la Transcaucasie à la péninsule Arabique, ensemble qui comprend en outre l’Égypte. Néanmoins, cette région est d’abord un espace géographique qui préexistait à cette conceptualisation anglaise.

Les paramètres géohistoriques

La géographie historique de cette région permet de relater, selon les périodes, la primauté de telle ou telle domination, même si celle-ci ne s’exerce pas nécessairement sur la totalité du territoire. Il s’agit des Perses (655-1055), des Turcs Seldjoukides (1055-1198), des Mongols de Tamerlan (1387-1401), puis, à compter de 1534, de l’empire ottoman. Au XIXe siècle, ce dernier voit son pouvoir se restreindre, notam­ment en raison de l’importance que l’Europe, devenue industrielle, attache à l’isth­me de Suez. En effet, le 19 mai 1855, Ferdinand de Lesseps fonde la Compagnie de Suez, dont le nom est encore porté au XXIe siècle par un groupe industriel2. Quatorze ans plus tard, le 15 août 1869, s’effectue la jonction des eaux entre la mer Rouge et la Méditerranée3. Lesseps proclame à cette occasion : « Au nom de son Altesse Mohammed Saïd, je commande que les eaux de la Méditerranée soient intro­duites dans le lac de Timsah, par la grâce de Dieu !». Au terme des travaux, le canal traverse l’isthme sur une longueur de 162 km, et compte 54 mètres de largeur et 8 mètres de profondeur. Cette réalisation fait naître des villes nouvelles : Port-Saïd sur la Méditerranée (ainsi nommée en l’honneur du khédive) et Suez sur la mer Rouge, ainsi qu’Ismaïlia, entre les deux. En 1869, l’inauguration par l’impératrice Eugénie de Montijo, épouse de Napoléon III, est largement relatée par des périodiques dans le monde entier. En évitant de contourner le continent africain, le canal permet d’abréger de 8 000 km la navigation entre Londres et Bombay. Désireuse de proté­ger la nouvelle route maritime qui mène à sa principale colonie, l’Inde, l’Angleterre ne tarde pas à imposer sa protection à l’Égypte, qui était jusque-là une province de l’empire ottoman d’Istanbul et, en 1875, les Britanniques rachètent le canal.

La géographie historique contemporaine du Moyen-Orient retient aussi 1908, première année où l’on découvre du pétrole, précisément en Iran. Ce pays, com­me la Turquie, écarte la domination occidentale qui, parallèlement à la souverai­neté soviétique sur la Transcaucasie, s’élargit à la place de l’empire ottoman, de l’Égypte à l’ensemble des territoires centraux et méridionaux du Moyen-Orient. Sur ces territoires, après la Première Guerre mondiale, s’installent des protectorats britanniques et français décidés par la Société des Nations4. Puis, sur une partie du Moyen-Orient, le XXe siècle marque le temps des indépendances. Mais la carte politique actuelle de la région montre clairement à quel point les décisions fronta­lières ont été, pour l’essentiel, prises par des puissances dont le centre politique est extérieur au Moyen-Orient. Le regard constate certes une frontière non rectiligne dont on imagine qu’elle est le résultat d’une longue histoire, celle entre l’Irak et l’Iran. Effectivement, cette frontière, définitivement fixée en 1639, résulte de l’issue sur le terrain des rapports de force entre des territoires à majorité perse et d’autres à majorité arabe. Mais cette frontière, ni totalement ethnique, surtout dans sa partie nord-ouest, ni totalement religieuse, illustre en fait la complexité territoriale des situations géopolitiques et de leurs conséquences. Ailleurs sur la carte politique du Moyen-Orient, le regard est alerté par ces traits rectilignes séparant le sultanat d’Oman de l’Arabie Saoudite ou des Émirats Arabes Unis, ces derniers de l’Arabie Saoudite, celle-ci de l’Irak ou de la Jordanie, et ces deux derniers pays de la Syrie, ou enfin l’Égypte du Soudan.

D’autres frontières politiques auraient pu naître, par exemple si un Kurdistan indépendant avait été créé comme l’avait prévu le traité de Sèvres de 1920, mais, tandis que le Congrès des États-Unis versait dans l’isolationnisme en refusant l’ad­hésion du pays à la Société des Nations, les articles de ce traité se sont trouvés balayés par le traité de Lausanne5, en 1923. L’année précédente, en 1922, l’Égypte était de­venue un État souverain et indépendant. En 1928, la Jordanie accède à l’indépen­dance, mais la défense et les finances restent sous la tutelle de la Grande-Bretagne. En 1932, l’indépendance de l’Irak est reconnue par la Société des Nations. D’autres indépendances des pays du Moyen-Orient sont plus récentes, ne datant que de la seconde moitié du XXe siècle : 1961 pour le Koweït, 1971 pour Bahreïn, Qatar et les Émirats Arabes Unis.

Le Moyen-Orient se compose donc à la fois de nations très anciennes comme l’Iran6, de pays dont l’indépendance ne date que de la moitié du XXe siècle (même si leur territoire est l’héritier de riches civilisations ayant laissé de nombreuses traces patrimoniales, architecturales ou écrites) comme l’Irak ou l’Égypte, et d’États très jeunes dont la profondeur historique est donc moindre, même lorsqu’ils portent les témoignages d’un peuplement ancien, comme les Émirats Arabes Unis avec, par exemple, les richesses archéologiques d’Al Ain, la deuxième ville la plus peuplée de l’émirat d’Abu Dhabi.

Les paramètres géodémographiques

Parallèlement aux accès à l’indépendance rappelés ci-dessus, le Moyen-Orient prend ou reprend, au XXe siècle, une dimension nouvelle dans la mesure où le poids démographique de ses pays s’accroît nettement, en raison de la transition démogra-phique7, c’est-à-dire du recul de la mortalité qui permet de multiplier les effectifs des populations. C’est ainsi qu’en 2007, les dix-neuf pays du Moyen-Orient tota­lisent 366 millions d’habitants, soit 5,5 % de la population dans le monde. Mais, en réalité, 60 % de la population du Moyen-Orient vivent dans les trois pays qui forment les larges sommets du triangle géographique moyen-oriental : la Turquie, l’Égypte et l’Iran8, qui comptent chacun autour de 70 millions d’habitants. Puis quatre pays, soit dans l’ordre décroissant de population, l’Irak, l’Arabie Saoudite, le Yémen et la Syrie, comptent entre 20 et 30 millions d’habitants. Ensuite, dix pays s’échelonnent entre 2,7 millions (Oman) et 8,6 millions (Azerbaïdjan) d’habitants. Enfin, deux États, Qatar et Bahreïn, comptent moins d’un million d’habitants.

Ces effectifs de peuplement ne sont pas nécessairement corrélés aux superficies puisque le pays le plus vaste, l’Arabie Saoudite, qui dispose de près de 30 % de l’ensemble des terres du Moyen-Orient, n’occupe que le cinquième rang par la population. En revanche, hormis Bahreïn, les deux pays à la plus faible superficie, le Liban et les Territoires palestiniens, comptent chacun environ 4 millions d’habi­tants. Au total, le Moyen-Orient s’étend sur 7 359 milliers de km2, soit 5,5 % des terres de la planète.

Au vu des données précédentes, nous pouvons nous attendre à de fortes diffé­rences de densité, ce qui est effectivement le cas entre celles, fort élevées, de Bahreïn, des Territoires palestiniens, du Liban ou d’Israël, et celles, inférieures à la moyenne mondiale (49 habitants/km2), de l’Arabie Saoudite et d’Oman.

Mais ces paramètres géodémographiques doivent être analysés en prenant en compte l’importance de l’immigration, composée dans plusieurs pays de person­nes qui ne peuvent avoir accès à la nationalité. Selon la définition de l’ONU9, qui classe comme immigrant toute personne qui réside dans un pays autre que celui où elle est née, les pays du Moyen-Orient totalisent 23,4 millions d’immigrants, soit 6,4 % de leurs habitants et 12,3 % des immigrants du monde, total estimé à 191 millions (en 2005). Mais la nature de ces immigrations est fort différente. En effet, dans une large mesure, les immigrants des Territoires palestiniens, d’Israël, du Liban ou de Jordanie sont de nature géopolitique10. Le pays où ils demeurent est le résultat de migrations s’expliquant notamment par le conflit du Proche-Orient11 et ses conséquences, et tout particulièrement les guerres de 1948 et 1967. L’existence de l’État d’Israël y explique l’importante immigration israélienne12, qui s’est parti­culièrement renforcée, certaines années, de juifs venus de l’ex-URSS. Concernant l’immigration en Jordanie, il convient en outre de citer la guerre d’Irak de 2003 et ses suites, engendrant notamment une nouvelle augmentation de la population d’Amman. De même, l’immigration au Yémen tient notamment à l’instabilité po­litique et aux conflits civils en Somalie, tout comme l’immigration en Egypte s’ex­plique notamment par les conflits internes au Soudan, particulièrement la guerre du Darfour.

En revanche, près de 14 millions d’immigrants du Moyen-Orient, soit une grande moitié de leur total, relèvent d’une immigration de travail, et ce dans des pays riches en hydrocarbures ou ayant besoin de main-d’œuvre pour la diversifica­tion de leur économie. Ces immigrants, venus essentiellement des pays asiatiques13 (Pakistan, Inde, Chine, Philippines…), sont généralement présents dans ces pays de façon temporaire, qu’il s’agisse de jeunes adultes célibataires ou de personnes ma­riées dont la famille vit toujours dans le pays d’origine, recevant régulièrement les remises que leur versent ces travailleurs immigrés14. En proportion de la population totale, les pourcentages d’immigrants sont parfois très élevés, dépassant nettement les deux tiers de la population aux Emirats Arabes Unis et au Qatar. Le pourcentage est plus faible en Arabie saoudite (23%) mais ce pays, compte tenu de sa popula­tion, présente le chiffre absolu le plus élevé d’immigrants, soit plus de 6 millions.

Ces paramètres géodémographiques liées à l’immigration concourent à in­fluencer les paramètres économiques, mais de façon très variable, notamment en fonction du degré d’intégration des immigrants dans l’économie productive des différents pays. Il convient donc de prendre en compte d’autres éléments, comme la capacité à exploiter les ressources du sous-sol, celle à diversifier l’économie, celle à s’inscrire dans l’économie de la connaissance ou celle liée à la sécurité, sans laquelle l’essor économique se trouve obéré, pour appréhender la diversité des paramètres géoéconomiques.

Les paramètres géoéconomiques

Au regard des situations économiques des différents pays du Moyen-Orient, une typologie est possible, même si elle ne fait que résumer des situations plus comple­xes et masque de fortes différences économiques infranationales, par exemple entre la basse Egypte et la moyenne Egypte ou entre certaines régions littorales de Turquie et d’autres territoires turcs montagneux, essentiellement peuplés de Kurdes. Des contras­tes saisissants peuvent aussi se constater entre certains quartiers presque huppés de Tbilissi ou d’Erevan et des régions en forte difficulté de Géorgie ou d’Arménie, tandis qu’en Jordanie, le développement d’infrastructures portuaires ou de loisirs à Aqaba et de résidences hôtelières près du Jourdain contrastent fortement avec des régions sou­vent en difficulté situées à l’est d’Amman. Dans cette capitale, comme dans nombre d’autres villes, une quasi-dualité économique s’établit également entre la partie Ouest, avec ses nombreuses et riches villas ou ses activités bancaires financières, et la partie Est où s’entassent les réfugiés ou leurs descendants vivant dans des conditions difficiles. Sous ces réserves, la typologie économique suivante peut être proposée.

Dans les quartiers Ouest d’Amman, la bourse symbolisant la montée d’Amman dans l’économie financière internationale

© Cliché Gérard-François Dumont – 2007.

Un hôtel de luxe à Aquaba, symbolisant l’industrie touristique en Jordanie

© Cliché Gérard-François Dumont – 2007.

Un pays riverain de la Méditerranée orientale, Israël, présente une économie développée, car il comporte des emplois stratégiques (appelés aussi emplois mé­tropolitaine supérieurs) dans une proportion significative du total des emplois : ces emplois regroupent des ingénieurs et des cadres dans des fonctions d’anima­tion, de direction ou d’encadrement au sein des branches d’activités suivantes : art, banque-assurance, commerce, commercial dans l’industrie, gestion dans l’industrie, information, informatique dans l’industrie, recherche, services aux entreprises, télé­communications et transports.

Une deuxième catégorie géoéconomique du Moyen-Orient regroupe des Etats, disposant d’une façade maritime sur la façade occidentale du golfe Persique, Etats rentiers mais poursuivant plus ou moins rapidement la diversification de leur éco­nomie. Ces Etats exportent donc des quantités importantes d’hydrocarbures, ce qui leur assure des recettes très élevées : Arabie Saoudite, Koweït, Emirats Arabes Unis, Bahreïn et Qatar. Néanmoins, ces pays entreprennent de se diversifier soit parce que leurs réserves d’hydrocarbures s’amenuisent, comme l’émirat de Dubaï, soit parce qu’il faut créer des emplois face à la forte augmentation de la population active (Arabie Saoudite), soit parce qu’il faut songer à l’après-pétrole, soit au nom « d’objectif de croissance économique et industrielle », permettant des « progrès dans un large éventail de domaines, dont ceux de la santé, de l’éducation et de l’aide sociale »15. Par exemple, en 2006, le secteur des hydrocarbures des Emirats Arabes Unis, qui provient essentiellement de l’émirat d’Abu Dhabi, a contribué au PIB nominal à hauteur de 37,3 % (sachant que le pétrole s’est trouvé en moyenne à 63,5 dollars le baril) et, donc, le secteur non pétrolier y a contribué à hauteur de 62,7 %, pourcentage résultant d’une hausse de la contribution au PIB de tous les secteurs : agriculture, industrie, commerce, transports, immobilier, entreprises financières… Les pays de cette catégorie sont entrés très tôt à l’Organisation mondiale du com­merce (OMC), marquant par là leur volonté d’ouverture économique et décidant en conséquence d’appliquer les règles de cette organisation : l’Arabie Saoudite le 11 décembre 2005, Bahreïn le 1er janvier 1995, les Emirats Arabes Unis le 10 avril 1996, Qatar le 13 janvier 1996 et Koweït le 1er janvier 1995.

La troisième catégorie géoéconomique comprend deux pays du Moyen-Orient riverains de la mer Caspienne : l’Azerbaïdjan et l’Iran. Il s’agit de pays rentiers en hydrocarbures, mais qui connaissent une moindre diversification économique, soit en raison de leurs choix politiques, soit en raison de l’importance des budgets consacrés aux dépenses globales de sécurité, intérieures ou extérieures. Les deux pays de cette catégorie ne sont d’ailleurs pas membres de l’OMC, ce qui témoigne de réglementations économiques non conformes aux yeux de cette organisation et d’une situation limitant leur ouverture économique. L’Azerbaïdjan a certes déposé une demande d’adhésion en 1997 et le Groupe de travail de l’accession à l’OMC de l’Azerbaïdjan, établi dès le 16 juillet 1997, a tenu sa première réunion en juin 2002. Des négociations bilatérales sur l’accès au marché sont en cours sur la base d’offres révisées concernant les marchandises et les services. Le second pays de cette catégo­rie, l’Iran, a également déposé une demande d’accession à l’OMC le 19 juillet 1996. Mais il a fallu attendre neuf ans pour établir le Groupe de travail sur l’accession de l’Iran, lors de la réunion du Conseil général du 26 mai 2005. Et, fin 2008, l’Iran n’a pas encore présenté d’aide-mémoire sur son régime de commerce extérieur ; le Groupe de travail ne s’est donc pas encore réuni.

Le quatrième type économique concerne un seul pays rentier en hydrocarbures, l’Irak, mais avec une économie fragilisée par l’insuffisance de stabilité politique. Concernant l’OMC, l’Irak a certes déposé une demande d’accession le 30 septem­bre 2004 et un groupe de travail chargé d’examiner la demande de l’Irak a été établi à la réunion du Conseil général du 13 décembre 2004. Ce Groupe de travail a tenu sa deuxième réunion en avril 2008, au cours de laquelle il a poursuivi l’examen du régime de commerce extérieur de l’Irak.

Plusieurs pays forment une cinquième catégorie car ils disposent d’économies dont au moins quelques pans marquent un décollage. Il s’agit de la Turquie, dont l’économie se trouve stimulée par les accords avec l’Union européenne, par l’im­portance du nombre de consommateurs dont elle dispose et par les remises de ses diasporas. Mais son essor économique est freiné par le poids du secteur militaire et par l’insuffisance de l’Etat de droit, ce qui explique des pratiques encore répan­dues non seulement de corruption, mais même de nature maffieuse. L’Arménie, par ailleurs membre de l’OMC depuis le 5 février 2003, bénéficie, malgré un fort enclavement, des réseaux économiques mis en œuvre par les diasporas arménien­nes qui contribuent à un décollage économique, même si ce dernier s’effectue à partir d’une situation de départ caractérisée par un faible PIB ainsi que par un fort héritage de pauvreté, les difficultés et surcoûts liés à l’enclavement ou à un marché intérieur dont le nombre de consommateurs est faible et même en diminution. La Jordanie, membre de l’OMC depuis le 11 avril 2000, enregistre de véritables succès sur certains pans de son économie, par exemple en matière bancaire et financière, ou en matière touristique, même si ce dernier secteur demeure sensible aux évo­lutions géopolitiques. Mais elle reste pénalisée par les conséquences des conflits moyen-orientaux (Proche-Orient et Irak notamment), même si, à l’inverse, son économie profite d’une stabilité politique remarquable et donc, indirectement, de l’instabilité beyrouthine.

Un sixième type économique regroupe deux pays confrontés à de forts besoins de reconstruction pour des raisons assez voisines, mais avec une histoire écono­mique différente. Le premier, le Liban16, subit encore l’héritage de quinze ans de guerre civile (1974-1990) et n’a toujours pas retrouvé la stabilité politique, ce qui l’empêche de valoriser complètement la qualité professionnelle, en moyenne élevée, de ses ressources humaines. En outre, sa diaspora, qui pourrait exercer un rôle de démultiplicateur de l’économie libanaise, se trouve contrainte d’assurer une fonc­tion d’amortisseur des difficultés économiques du pays, héritées des problèmes po­litiques. Le second est la Géorgie. Début 2008, ses infrastructures n’étaient déjà pas suffisantes pour permettre une forte stimulation économique17. Mais la guerre avec la Russie de juillet 2008 conduit à la situation d’une économie à reconstruire, ne serait-ce qu’en raison des bases détruites par la guerre précitée. En outre, le contexte d’un pays dont les institutions politiques ne sont pas stabilisées et qui ne gère pas toujours habilement la question des groupes humains minoritaires est un obstacle à une rapide envolée économique.

Deux autres pays se trouvent aussi devant la nécessité de construire leur re­dressement économique, moinsen raison d’héritages conflictuels qued’anciennes politiques économiques peu propices au développement. Il s’agit pour eux de tour­ner le dos ou de continuer à tourner les dos à des méthodes économiques passées inadaptées et d’en effacer les conséquences. L’Egypte, pourtant membre de l’OMC depuis le 30 juin 1995, n’a toujours pas digéré l’héritage du nassérisme, avec sa politique économique soviétique attentatoire à l’innovation et sa politique de pu­rification ethnique qui a fait perdre au pays des populations parfois implantées depuis l’origine (Grecs à Alexandrie18) et, souvent, depuis près de deux millénaires (juifs d’Egypte), avec les réseaux formés par ces populations, qui constituaient de réels atouts au développement. Cette politique d’exclusion par émigration forcée de certaines ressources humaines, conduite autoritairement en 1956, semble se re­nouveler sous des formes indirectes, dans les années 2000, à l’égard de la minorité copte. De son côté, la Syrie a longtemps gardé une politique économique fermée, expliquant son absence à l’OMC non seulement comme membre mais comme observateur. Depuis 2006 ou 2007, elle semble effectuer un début d’ouverture19 pouvant déboucher sur des progrès économiques accrus.

Enfin, le Moyen-Orient compte un septième type économique ne comptant qu’un pays, le Yémen, dont le PIB par habitant est particulièrement faible : 2 200 dollars en parité de pouvoir d’achat20, soit douze fois moins qu’Israël et 22 fois moins que le Koweït. Son économie peut se définit comme sous-développée, ce que confirme aussi le niveau sanitaire avec un taux de mortalité infantile fort élevé, estimé à 77 décès d’enfants de moins d’1 an pour mille naissances en 2008.

Cette typologie économique doit être complétée par l’approche des paramètres ethniques.

 

Les paramètres géoethniques

En effet, même si le Moyen-Orient se trouve composé de populations arabes, il serait erroné de penser que les Arabes y sont très largement dominants. D’abord, deux des trois pays les plus peuplés comptent des populations non arabes : l’Iran est composé majoritairement de Perses et la Turquie composée majoritairement de Turcs. Néanmoins, ces deux pays comportent aussi nombre de minorités.

La Turquie compte ainsi des Kurdes, des Arabes, des Arméniens, des juifs, des Grecs. Le groupe humain minoritaire le plus nombreux en Turquie est celui des Kurdes, au moins six millions, qualifiés par les autorités turques de « Turcs des mon­tagnes », car leur spécificité culturelle et linguistique est largement niée. Pourtant, les Kurdes sont majoritaires dans une douzaine de départements du Sud-Est, terri­toires en continuité avec les régions irakiennes et iraniennes peuplées en majorité de Kurdes. La question kurde, au centre d’un conflit qu’Ankara et l’armée turque traitent essentiellement avec des moyens militaires, perdure en dépit de l’émigra­tion rurale qui a fait d’Istanbul la première ville kurde, ainsi que des déplacements forcés de population kurdes.

Après les Turcs et les Kurdes, la troisième communauté ethnique en Turquie est formée d’Arabes, qui vivent notamment dans les régions proches de la Syrie, dont le Sandjak d’Alexandrette, territoire de 4 700 km2, correspondant globalement à l’ancienne principauté d’Antioche et formant l’actuelle province turque du Hatay. Cette présence arabe au sein de la Turquie est le résultat d’une décision territoriale française. Sous l’empire ottoman, le Sandjak d’Alexandrette fait partie de la pro­vince d’Alep. Lors du génocide arménien de 1915, les populations arméniennes locales tentent de résister à l’oppresseur turc ; une partie de cette population par­vient à échapper au génocide grâce à des bâtiments de guerre français qui assurent leur évacuation. En 1918, la frontière nord de la Syrie est fixée à la ligne jusqu’où s’était avancée l’armée anglaise venant d’Egypte, incluant le Sandjak. Après 1918, le Sandjak est placé, à l’instar de l’ensemble de la Syrie, sous mandat français. Sa population est alors composée d’une majorité arabophone et d’une minorité turco-phone (environ un tiers). Les Arabes du Sandjak sont majoritairement musulmans, dont 65 % d’alaouites et 20 % de sunnites, et comptent une minorité chrétienne (15 %). Intégré à l’Etat syrien avec un statut spécial, le Sandjak fait partie des ter­ritoires de la République syrienne sous mandat français et jouit d’un régime auto­nome au point de vue administratif et financier. Comme territoire de la République syrienne, il participe aux élections législatives et ses députés siègent à la chambre syrienne de Damas. Quelques-uns de ces députés font même partie de certains cabinets syriens en qualité de ministres de l’économie nationale.

Mais la Turquie n’accepte pas que ce territoire, où vit une minorité turque, passe sous le contrôle d’un Etat syrien ayant vocation à devenir indépendant21, et s’intéresse surtout aux ressources en eau descendues des montagnes du Taurus. Des affrontements sont provoqués entre kémalistes et autonomistes prosyriens, tandis la Turquie organise l’installation de Turcs dans la région. À l’analyse des élections du 20 mai 1937, 47 % de la population sont désormais turcs. Continuant sa pé­nétration, Ankara s’emploie à faire monter davantage ce pourcentage, notamment par la violence ou des transferts de population. Un accord franco-turc du 23 juin 1939 rattache officiellement, mais d’une façon qui apparaît illégitime, le Sandjak à la Turquie le 23 juillet 1939. Le nom d’Alexandrette est changé en Iskenderun et le territoire devient province turque du Hatay. L’intention cachée de la France semble d’obtenir l’accord de la Turquie pour l’implantation de bases aériennes en vue d’éventuelles opérations aériennes sur Bakou en cas de guerre avec l’Union soviétique.

Mais les conditions de ce rattachement et la présence, malgré tout maintenue, d’un groupe arabe, certes devenu minoritaire, dans le territoire désormais turc du Hatay reste un sujet de discorde entre la Turquie et la Syrie. Celle-ci considère que cette région lui a été volée, et des cartes la figurent encore comme faisant partie de la Syrie. Ce conflit diplomatique concerne aussi le monde arabe : en 1985, l’Arabie Saoudite décide de ne pas attribuer de visa aux personnes nées dans le Hatay. En 1989, un avion du service topographique turc volant au-dessus du Hatay est abattu par les forces syriennes, acte suivi de déclarations martiales de chaque côté. Ce li­tige, qui resurgit périodiquement entre la Syrie et la Turquie, est attisé par le fait que les Alaouites, soit plus de la moitié des arabes du Hatay, sont une minorité pauvre et méprisée, alors que les dirigeants syriens sont Alaouites.

Outre les Kurdes et les Arabes, la Turquie comporte un autre groupe humain devenu très minoritaire, les Arméniens. Ils ne sont plus qu’environ 60 000 dans les années 2000, mais étaient, au début du XXe siècle, sans doute plus de 2 millions, soit 15 à 20 % de la population de l’époque sur le territoire actuel. Le pouvoir jeune Turc, au moment de l’Empire ottoman déclinant, prétextant que les Arméniens de l’Empire seraient prêts à se ranger du côté des Russes, décide de déporter les popula­tions arméniennes de l’est de l’Anatolie vers les déserts de Mésopotamie et de Syrie. Après l’arrestation, le 24 avril 1915, de l’élite arménienne d’Istanbul, soit 2 345 personnes le même jour, c’est l’ensemble de la population arménienne qui est décimée suite au premier génocide du XXe siècle22. Le nombre de victimes est considérable. Les autorités turques actuelles reconnaissent 300 000 morts arméniens, mais par­lent d’affrontements et réfutent tout « génocide », alors que la décision d’éradiquer la minorité arménienne est officiellement prise par le gouvernement, comme l’attes­tent des textes de 1915 signés par le ministre turc de l’intérieur, Talaat Pacha. Selon les historiens, le chiffre du génocide se situe dans une fourchette comprise entre 1 et 2 millions de morts. Aujourd’hui, les descendants des survivants de la minorité arménienne vivant en Turquie ne sont plus estimés qu’à 60 000 personnes23.

Comme la Turquie, l’Iran comporte divers groupes humains minoritaires qui vivent pour la plupart dans les régions périphériques du pays. Plus généralement, toute analyse fine de la géographie ethnique du Moyen-Orient met en évidence uneLes autres groupes humains minoritaires de Turquie sont encore moins nom­breux que les Arméniens. Il faut compter, concentrées à Istanbul et à Izmir, environ 25 000 juifs, 25 000 Assyro-Chaldéens et 20 000 personnes d’autres ethnies, dont seulement 3 000 Grecs, suite à un processus qu’on ne peut qualifier que de purifi­cation ethnique.

Comme la Turquie, l’Iran comporte divers groupes humains minoritaires qui vivent pour la plupart dans les régions périphériques du pays. Plus généralement, toute analyse fine de la géographie ethnique du Moyen-Orient met en évidence une diversité beaucoup plus grande que celle souvent imaginée, qu’il s’agisse, en Irak, de la présence kurde au nord du pays, en Géorgie des minorités arméniennes au Sud et Azéris à l’Est, en Azerbaïdjan des Talyches au Sud-Est, des Lesguines et des Tates au Nord-Est… Ces diversités ethniques se doublent d’une diversité religieuse qui ne les recoupe pas nécessairement.

Les paramètres géoreligieux

L’Irak offre un premier exemple éclairant de ce constat puisque les Kurdes ira­kiens sont majoritairement sunnites, tandis que les Arabes irakiens se partagent entre musulmans sunnites et musulmans chiites.

Reprenons l’exemple de la Turquie pour appréhender les diversités religieuses. En effet, ce pays ne paraît guère a priori en connaître : sa proportion de musulmans est de 99,8 %, contre 99 % en Iran, 95 % au Pakistan, 90 % en Egypte, 88 % au Bangladesh, 87 % en Indonésie24… Mais, en réalité, le pourcentage doit être com­menté en constatant que le régime turc n’apprécie guère la diversité religieuse et organise un islam d’Etat avec une instance-clef, la direction des affaires religieuses (« Diyanet Isleri Bakanligi »), une institution directement rattachée au Premier ministre. Ainsi, par exemple, le silence est-il de règle sur les Alevis25. Rappelons que l’alévisme est une communauté hétérodoxe, dont la définition hésite entre religion, mouvement spirituel et courant philosophique. Il recouvre un système de croyan­ces et de pratiques qui associe, à l’origine, un islam proche du chiisme (« alévi » fait référence au calife « Ali », encore que certains Alévis ne se considèrent pas comme musulmans), des usages paléochrétiens anatoliens, un chamanisme à connotation turcique, des références zoroastriennes et mazdéennes. La spécificité alévie s’illustre de façon multiple : non-observation du jeûne du ramadan et des prières quotidien­nes de l’Islam, organisation de cérémonies fermées associant hommes et femmes (Cem), lieux de culte particuliers (les « Cemevleri »), usage rituel du vin, de la danse ou de la musique. Autrement dit, l’alévisme se distingue, par son non-dogma­tisme, des dogmes religieux dits « orthodoxes » comme le sunnisme et le chiisme.

Or, bien que les alévis forment sans doute 15 % de la population de la Turquie, dans les livres d’écoles, il n’y a aucune référence à l’islam alevi tant pour la croyance que pour l’histoire ou la littérature. Actuellement, le gouvernement au pouvoir continue à nier l’islam alevi, pourtant composante de la culture turque, situation préoccupante qui crée un malaise dans la société turque. D’ailleurs, les alévis ont massivement manifesté, le 9 novembre 2008, à Ankara. Plus de 50 000 personnes, venues de tout le pays, ont participé à un rassemblement de protestation, considéré comme le plus important jamais organisé par cette communauté, en Turquie. Pour attirer l’attention sur les discriminations dont ils sont victimes, les manifestants ont défilé sur des mots d’ordre hostiles à l’AKP, le parti au pouvoir.

La Turquie comporte aussi un groupe humain minoritaire orthodoxe, dont l’évolution du tient à différents éléments, à commencer par des mouvements de population résultant d’une guerre perdue. En effet, en 1920, l’armée grecque tente l’annexion des territoires ottomans de l’Asie mineure, notamment ceux des litto­raux, encore largement peuplés d’orthodoxes. Mais au cours des années 1921-1922, les troupes de Mustafa Kemal Atatùrk l’emportent et le conflit conduit au traité de Lausanne de 1923. Celui-ci reconnaît des déplacements massifs de population : 1,3 million de Grecs orthodoxes doivent abandonner leur terre d’origine pour aller habiter dans les frontières de l’Etat grec, tandis que 300 000 Turcs vivant sur ces ter­ritoires partent vivre à l’intérieur de la Turquie. Le traité de Lausanne prévoit éga­lement l’acceptation par la Turquie de l’existence de minorités non musulmanes et l’assurance d’une liberté de culte, d’éducation et d’expression, tout particulièrement à Istanbul, ville alors à minorité musulmane, où devait régner la liberté religieuse. En conséquence, les puissances de l’Entente évacuent Istanbul le 2 octobre 1923 et, le 6 octobre, les kémalistes entrent à Istanbul. Puis l’engagement n’est nullement tenu. À la suite d’une sorte de volonté d’épuration, la politique liberticide menée par Ankara provoque l’exode progressif des orthodoxes. En 1971, le pouvoir turc ferme le seul séminaire orthodoxe existant encore, le collège théologique de Haiki, île proche d’Istanbul et en interdit tout autre. Or les 12 métropolites, qui élisent en synode le patriarche, doivent tous être de nationalité turque et sortir de ce collège. Dans les années 2000, les Turcs de confession orthodoxe ne sont donc plus qu’une poignée, environ 3 000, même s’ils comptent parmi eux le patriarche œcuménique de Constantinople26. En conséquence, l’Etat turc a considérablement homogénéisé sa population par rapport à la diversité religieuse existant auparavant.

Néanmoins, au sein du Moyen-Orient, la situation n’est pas nécessairement semblable à celle de la Turquie27, mais différenciée, la diversité religieuse étant bien évidemment tout particulièrement présente au Liban, avec 18 confessions recon-nues28.

En outre, dans des pays du Moyen-Orient longtemps faiblement peuplés et totalement islamisés, certaines contraintes économiques poussent parfois à recourir à un minimum de diversité religieuse. Considérons les Emirats Arabes Unis et le Qatar : ils se sont longtemps considérés comme des terres exclusivement musul-manes29 où la prise en compte d’une autre religion, a fortiori la liberté religieuse, n’avaient pas de sens. En outre, ces pays savent que la première cause de la rébellion de Ben Laden contre les dirigeants du Golfe a été la présence de « chrétiens » sur le territoire de l’Arabie Saoudite du fait de l’installation de militaires américains lors de la guerre du Golfe de 1990-1991.

Néanmoins, pour satisfaire leurs besoins de main-d’œuvre, ces deux pays se sont trouvés obligés de faire venir des populations non seulement de pays à forte majorité musulmane, comme le Pakistan, mais aussi de pays à forte majorité chré­tienne, comme les Philippines, ou de territoires où coexistent des musulmans, des chrétiens, ainsi que d’autres religions, comme l’Etat indien du Kerala. Malgré l’ab­sence de caractère protecteur du droit qui lui est applicable, cette main-d’œuvre a, dans ces pays, une présence diasporique peu vindicative, en dépit de conditions de travail souvent rudes, compte tenu de son souci primordial d’envoyer de l’argent aux familles restées au pays. Néanmoins, pour limiter les difficultés pouvant advenir avec les populations immigrées, les Émirats Arabes Unis et le Qatar se sont sentis obligés de mettre un bémol au principe de « terre musulmane ». Ainsi existe-il dans la ville d’Abu Dhabi un lieu de culte chrétien, certes discret, puisque qu’il ne fait apparaître aucune croix à l’extérieur, mais témoignant cependant de l’existence d’une diaspora chrétienne.

Avant 2008, la situation au Qatar était encore plus fermée dans la mesure où ce pays est wahhabite, comme l’Arabie Saoudite voisine, ce qui implique l’interdic­tion de tout culte chrétien sur la totalité du territoire. Mais, parmi les nombreux immigrants de travail résidant dans ce pays, l’on compte entre 100 000 à 150 000 personnes de confession chrétienne, principalement originaires des Philippines. Le Qatar s’est donc décidé à autoriser, dans la banlieue de Doha, la construction d’une église Notre-Dame du rosaire et a permis qu’un premier culte public y fût rendu le 14 mars 2008 par un envoyé spécial du pape, le cardinal Ivan Dias, préfet de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples. Malgré les menaces des islamistes, 10 000 fidèles ont participé à cette première messe. Certes, par cette mesure, les dirigeants qataris veulent aussi plaider pour « la construction de davantage de mos­quées et de centres islamiques en Occident », selon la déclaration de Abdallah ben Hamad al-Attiyah, vice-Premier ministre du Qatar. Néanmoins, en l’absence de diaspora chrétienne sur le sol qatari, la construction d’une église n’aurait en rien été justifiée, et le principe wahhabite n’aurait pas été adapté.

Réalité géographique, mais non ensemble géopolitique

Finalement, l’étude des paramètres géopolitiques du Moyen-Orient, dans ses différentes catégories géohistoriques, géodémographiques, géoéconomiques, géoeth­niques et géoreligieuses, ne débouche guère sur une claire définition d’un ensemble géopolitique. Certes, le Moyen-Orient est une région dont les territoires sont en continuité spatiale et exercent notamment une fonction de trait d’union entre l’Asie et l’Europe via la Turquie, entre la Russie et l’Asie via le sud Caucase, entre l’Asie occidentale et l’Asie du Sud-Est via l’Iran, ou entre l’Asie et l’Afrique via l’Égypte. Cette région, qui s’inscrit dans une dénomination entrée dans l’histoire depuis le dé­but du XXe siècle, est, comme tout territoire, analysable en termes géopolitiques.

Mais elle ne semble guère posséder de critères communs lui donnant vocation à apparaître ou à devenir un acteur géopolitique global, ce qui supposerait l’exis­tence d’au moins un facteur d’homogénéité, voire de plusieurs. Le Moyen-Orient apparaît plutôt comme une région éclatée, marquée par des facteurs de conflits au sein de son périmètre ou par des forces centrifuges divergentes selon ses pays. Les éléments d’homogénéité propres à telle ou telle partie de ses dix-neuf pays ne donnent guère l’impression de pouvoir s’élargir à la totalité de son aire. Ainsi, l’arabité, qui s’étend sur une large moitié du Moyen-Orient, n’est-elle pas parvenue à mettre en place un acteur géopolitique significatif en raison du manque d’inté­gration au sein de la Ligue arabe, même si cette dernière est officiellement présente dans diverses instances, dont l’Union pour la Méditerranée créée en 2008. De son côté, le Conseil de coopération des États arabes du Golfe, incontestable succès de globalisation régionale, concerne un espace qui ne paraît pas devoir s’étendre à d’autres pays. Autrement dit, considéré dans son intégralité, le Moyen-Orient, tra­versé d’une multiplicité de paramètres géopolitiques souvent différenciés, n’est pas un acteur géopolitique global, même s’il est une réalité géographique dont le péri­mètre est reconnu.

 

Notes

  1. Bien que cette région soit un « berceau de l’humanité », cf. Dumont, Gérard-François, « Le Moyen-Orient, espace géographique et géopolitique », Géostratégiques, n° 6, 1er trimestre 2005, http://www.strategicsinternational.com/7_article2.pdf
  2. Désormais associé, depuis 2007, à GDF (Gaz de France).
  3. En réalité, l’idée d’un canal est ancienne : un bas-relief égyptien montre Séthi 1er, pharaon de la XIXe dynastie (vers 1300 avant Jésus-Christ), revenant de la guerre et longeant ce qui devait être un embryon de canal entre le Nil et la mer Rouge. Ce canal s’interrompait au lac Amer, au milieu de l’isthme de Suez. Vers 600 avant Jésus-Christ, le pharaon Nechao II (XXVIe dynastie) tenta de prolonger le canal jusqu’à la mer Rouge mais il dut y renoncer (le même pharaon, plein d’imagination, avait aussi financé une expédition de marins phéniciens autour de l’Afrique). Un siècle plus tard, le canal fut désensablé et remis en état par le roi des Perses, Darius Ier. Son fils Xerxès ouvrit un modeste chenal jusqu’à la mer Rouge. Le canal fut enfin élargi et même doté d’une écluse par le roi d’Égypte Ptolémée 1er (-285 à -247). L’empereur romain Trajan, cent ans après Jésus-Christ, le remit à nouveau en état et le canal prit son nom : «fleuve de Trajan». Les conquérants arabes, à leur tour, le réhabilitèrent. Il fut définitivement fermé en 776 par le calife al-Mansour, qui craignait peut-être qu’il ne servît à des opposants ou des infidèles. Plusieurs voyageurs de l’Antiquité (Diodore, Strabon, Pline l’Ancien) ont laissé des descriptions de ces infrastructures.
  4. Dans laquelle le poids de la Grande-Bretagne est prépondérant.
  5. Précisément, en face de la Turquie, les signataires de l’entente sont : Empire britannique, France, Italie, Japon, Grèce, Roumanie, État serbe-croate-slovène.
  6. Dumont, Gérard-François, « La France et l’Iran : des nations si lointaines et si proches », Géostratégiques, n° 10, décembre 2005,http://www.strategicsinternational.com/10_Dumont. pdf ; « L’exception iranienne », Géostratégiques, n° 18, 2008, http://www.strategicsinternational. com/18_edito.pdf.
  7. Dumont, Gérard-François, Les populations du monde, Paris, Éditions Armand Colin,
    deuxième édition, 2004.
  8. Dumont, Gérard-François, « l’Iran, puissance régionale ? », Population & Avenir, n° 685, novembre-décembre 2007, population-demographie.org.
  9. International migration 2006.
  10. Dumont, Gérard-François, Démographie politique. Les lois de la géopolitique des populations, Paris, Ellipses, 2007.
  1. Une première définition du Proche-Orient inclut l’ensemble des États riverains de la
    Méditerranée orientale, de la Turquie à l’Égypte, en passant par la Syrie, le Liban, Israël et
    les Territoires palestiniens. Le terme ici utilisé se rapporte à une définition étroite incluant le
    Liban, Israël et les Territoires palestiniens.
  2. Dont celle de juifs originaires d’autres pays du Moyen-Orient ou du Maghreb.
  3. Sans oublier ce que j’appelle les « migrations entrepreneuriales », plutôt originaires d’Europe ou d’Amérique du Nord.
  1. Dumont, Gérard-François, « Les transferts de fonds des migrants : une géographie
    diversifiée », Population & Avenir, n° 688, mai-juin 2008, www.population-demographie.org.
  2. Les Émirats Arabes Unis, 2008, p. 5.
  3. Dumont, Gérard-François, « Le Liban, géopolitique et populations », Outre-Terre, n° 13, Editions Érès, 2006
  4. Petit symbole de ses insuffisances, par exemple : la belle ville de Tbilissi ne disposait même pas d’un office du tourisme.
  5. Ville créée par les Grecs en 333 avant J.-C.
  6. La décision, en 2008, d’un échange d’ambassadeurs entre la Syrie et le Liban doit certainement être interprétée comme entrant dans cette logique d’ouverture.
  7. « La population des continents et des États », Population & Avenir, n° 690, novembre-décembre 2008, population-demographie.org
  8. Une indépendance que le général Catroux va déclarer le 27 septembre 1941, mais qui n’est complète que depuis le 17 avril 1946, avec l’évacuation définitive de l’armée française.
  9. Reconnue comme tel par le Parlement français en janvier 2001.
  10. Mais le nombre de Turcs ayant du sang arménien est certainement plus élevé, sans oublier les Arméniens qui, pour sauver leur vie et celle de leurs enfants, se sont turquisés et islamisés.
  11. Dumont, Gérard-François, « Les religions dans le monde : géographie actuelle et perspectives pour 2050 », in : Dupâquier, Jacques, Laulan, Yves-Marie, L’avenir démographique des grandes religions, Paris, François-Xavier de Guibert, 2005.
  12. Dans des blogs, on trouve ce genre de texte : je suis « Fière d’être in alevi de race
    turkmen,Turk ».
  13. Actuellement Sa Sainteté Bartholomeos 1er, né en 1940, titulaire depuis 1972.
  14. Même si les Chrétiens d’Irak subissent, au fil des années, des forces de repoussement ; cf. Dumont, Gérard-François, « La mosaïque des chrétiens d’Irak », Géostratégiques, n° 6, 2e trimestre 2005, http://www.strategicsinternational.com/14.pdf
  15. Dumont, Gérard-François, « Le Liban : une mosaïque de populations », Population & Avenir, n° 673, mai-juin 2005,population-demographie.org.
  16. Dar al-islam (« la demeure de l’Islam »).
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