Turquie : les fractures de la société civile face au pouvoir totalitaire Quelle sera la réponse de la génération des réseaux sociaux ?

Philippe KALFAYAN

Philippe Kalfayan est juriste et consultant en droit international public, et expert accrédité auprès du Conseil de l’Europe pour les affaires juridiques et les droits de l’homme. Chercheur associé au Centre de Recherche des Droits de l’Homme de l’Université Paris 2 Panthéon-Assas, son sujet de recherche actuel est la question de la réparation des crimes de masse du passé. Il vient de publier une monographie sur La France et l’imprescriptibilité des crimes internationaux (Ed. Pedone, 2015). Membre du Bureau International de la FIDH depuis 1995, il en a été le Secrétaire Général de 2001 à 2007. Spécialiste des pays d’Europe Orientale et d’Asie Centrale post-soviétiques et de la Turquie, il a réalisé de nombreuses missions d’enquête ou d’observation judiciaire dans cette région. Il s’est notamment intéressé à la question et aux droits des minorités dans la Turquie moderne.

Avril 2016

Évoquer la société civile en Turquie et surtout son rôle relève du défi, tant la situation en Turquie a évolué rapidement ces dernières années, surtout ces vingt-quatre derniers mois. Alors qu’on a assisté entre 2000 et 2013 à une libéralisation dans tous les domaines : économique, politique, religieuse, et observer des concessions positives vis-à-vis des minorités, notamment kurde mais pas seulement, le pays vient de basculer dans l’inconnu, entraînant de facto la fragilisation du pouvoir d’une société civile divisée, dont la structuration et l’environnement sont influencés par le pouvoir exécutif.

La Turquie vit une crise multidimensionnelle aigue. Au-delà de la nécessité de définir la société civile, en remontant dans l’histoire jusqu’au xixe esiècle, puis de brosser son tableau récent (à par­tir des années 1990, nous exposerons sa structuration, son environnement politique, ses valeurs, et son pouvoir réel. Ensuite nous analyserons la nature des crises vécues actuellement et les consé­quences sur une société aux multiples lignes de fracture : constitutionnelle (entre Turcs musul­mans et minorités non-musulmanes), confessionnelle (entre sunnites et alévis), sociale (entre laïques et non laïques), économique (entre les grandes métropoles occidentales et les régions du sud-est), géopolitique (de la politique du « 0 » problème avec les voisins à des conflits avec la plupart de ses voisins) et politique. Depuis la dérive autoritaire et la personnalisation du pouvoir de Monsieur Erdogan, le pays se fracture au sein même du parti majoritaire, l’AKP, en plus de l’opposition frontale entre Gùlen et Erdogan, ce qui a des répercussions importantes au sein des grands corps régaliens de la Justice, de l’Armée, et de la Police.

La structuration de la société civile est le reflet des mutations historiques, de l’arrivée au pouvoir de l’AKP, de l’islamisation de la société, et des lignes de fractures évoquées.

Les droits et libertés sont les grands perdants de cette crise grave. Et les minorités, et notamment les Kurdes seront les victimes de ce raidissement et de cette dérive. En effet, le nationalisme reste une idéologie forte, transcendant l’idéologie des partis traditionnels et ne faiblit pas causant des fractures plus graves encore, qui débouchent sur des arrestations massives de militants ou élus kurdes depuis quelques mois, des embargos et destructions de lieux de peuplement kurde, des meurtres.

La société civile, tout comme la religion, subit un contrôle étroit et administratif de l’État. Si elle est occasionnellement consultée sur certaines réformes, ses organisations ne sont pas en mesure d’influer de manière structurée sur les processus législatifs et politiques : il n’existe aucun méca­nisme pour cela. L’allocation des fonds publics, qui repose sur des règles non établies et peu transparentes, favorise la fracture entre organisations de la société civile et fragilise donc le contre-pouvoir, déjà bien faible, qu’elle est censée incarner.

évoquer la société civile en turquie et surtout de son rôle effectif relève du défi, tant la situation en Turquie a évolué rapidement ces dernières années, sur­tout ces vingt-quatre derniers mois, et encore ces dernières semaines. Le 15 janvier 2016, 21 universitaires qui avaient signé une pétition pour demander la cessation des crimes commis contre les Kurdes et le retour à la table des négociations22 — 1128 universitaires ont signé cette pétition — ont été interpellés à leur domicile23. Ils sont accusés d’insulte à la nation turque (article 301 du code pénal turc ; article fourre-tout, dont l’usage cible des personnalités ou des opinions gênantes24) et de propa­gande terroriste. Cette vague d’arrestations intervient seulement quelques heures après un discours présidentiel enflammé qui a qualifié de traîtres ces universitaires, les accusant de former une « cinquième colonne » au sein du pays en relation avec des puissances étrangères. Un discours inquiétant au regard des antécédents histo-riques[1].

Alors que l’on a assisté entre 2000 et 2013 à une libéralisation dans tous les domaines : économique, politique, religieuse, et que nous avons pu observer des concessions positives vis-à-vis des minorités, notamment kurde mais pas seule-ment[2], le pays bascule à nouveau dans l’inconnu, entraînant de facto la fragilisa­tion du pouvoir d’une société civile divisée, dont la structuration et l’environne­ment sont influencés par le pouvoir exécutif et l’islamisation rampante initialisée par l’AKP[3].

La Turquie vit une crise multidimensionnelle aigue.

Au-delà de la nécessité de définir la société civile, en remontant dans l’Histoire de la Turquie, puis de brosser son profil récent (à partir des années 1990), nous comprendrons mieux sa structuration, son environnement politique, ses valeurs, et ainsi mesurer son pouvoir réel.

Une société civile marquée par le religieux

L’Histoire de la société civile dépend de la définition qu’on lui donne. Si on la considère sous l’angle de la vie associative, alors entre 1850 et 1918, l’Empire Ottoman avait vu naître de nombreuses structures, les fameuses « Vakif », fonda­tions religieuses[4], à la fois musulmanes et non musulmanes (le nombre des fonda­tions turco-islamiques s’élevait à plusieurs dizaines de milliers sous l’Empire otto­man, alors que les fondations non-musulmanes créées avant la République étaient au nombre de 168)[5]. Constituées à la faveur de firmans impériaux, sans autre formalité d’autorisation, elles ont dû se réenregistrer administrativement à partir de 1936, en listant tous leurs biens et propriétés[6]. Elles se distinguent par leur activité philanthropique et développent des solutions aux problèmes sociaux, économiques et culturels auxquels l’État n’a pas le temps ou les moyens de répondre. Les fonda­tions administrent le culte et les biens leur appartenant.

Sous la République, toutes les démarches et la gestion relatives aux fondations sont transférées à la Direction générale des fondations, dépendant du bureau du Premier ministre (1924). Le principal devoir de cette Direction est de s’assurer que toutes les fondations poursuivent leurs activités conformément à leurs statuts, de perpétuer la notion de fondation qui est l’expression de l’entraide et de la solidarité institutionnalisées et de les transmettre aux futures générations.

Pendant toute la période kémaliste de modernisation de l’État (1923-1945) et durant la période de démocratie pluri-parlementaire (1945-1980), les organisations de la société civile n’ont pas pu participer à la vie publique, dans son acceptation moderne, à savoir comme un secteur de la société contribuant à la vie publique et à la démocratisation. L’État était omnipotent et l’unique moteur de la vie publique. Il contrôlait intégralement la vie associative.

Cet obstacle de participer à la vie politique était même constitutionnel. L’article 33 de la Constitution turque de 1982 stipulait que les associations de­vaient être reconnues par les autorités administratives et leurs activités ne pas être en infraction avec l’article 13 de la Constitution. Ce dernier protégeait l’unité de l’État et de sa Nation, la souveraineté nationale, la République, l’ordre public, la paix générale, la morale, la santé et le bien publics ; l’interprétation potentielle­ment large de ces provisions représentait une véritable menace à la raison d’être des organisations de la société civile qui est d’intervenir dans les débats politiques, économiques et sociaux. La réforme constitutionnelle de 1995 annulera ces dispo­sitions.

Il faut attendre les années 1980 et le début des années 2000 pour voir émer­ger une société civile moderne et assister à son expansion. Une nouvelle période commence pour les ONG[7] grâce aux développements législatifs et au changement de mentalité qu’imposent les réformes et les mesures d’harmonisation avec l’acquis communautaire européen, ce qui aura pour finalité de renforcer le rôle de la société civile[8]. En 2005, le nombre d’associations actives s’élève à 80 750[9]. La moitié ont des activités à but social dans des domaines tels que la culture, la santé, la solidarité sociale, les femmes et le commerce, 3 056 à but culturel, 13 468 à but caritatif, 5 748 à but éducatif et 13 992 à but sportif. Le nombre de fondations est lui de 4 500. Les autres organisations de la société civile structurée sont les coopératives (58 100) et les chambres professionnelles (4 750). Le nombre total de membres d’organisations de la société civile, en y incluant les adhérents des syndicats, s’élève à près de 8,5 millions, dont la moitié pour les associations[10].

Paradoxalement, cette époque des années 1980-2000 est celle de la résurgence de l’islamisation de la société à la faveur de l’arrivée au pouvoir de partis politiques revendiquant et prônant les valeurs islamiques. Cet élément a favorisé le développe­ment d’une société civile nouvelle, certes active dans la vie publique, mais qui a été un instrument d’accompagnement du processus d’islamisation de la population et des structures représentant les différents secteurs de la société civile.

La création et la montée en puissance des ONG « islamiques »[11] se sont pro­duites dès le retour sur la scène politique de Necmettin Erbakan (Refah Partisi ou « parti de la prospérité »)[12], maître idéologique de l’actuel Président Erdogan, ou de l’arrivée au pouvoir de l’AKP[13].

On peut citer pour exemples :

— Ak-Der (Association des femmes contre la discrimination), créée en 1999, qui, officiellement, vise à lutter contre la discrimination dans les domaines de l’éducation, du travail, de la carrière, etc., mais se résume dans les faits au respect du droit des femmes à porter le foulard.

  • Ozgùr-Der (Association pour la liberté de pensée et les droits éducatifs), créée en 1999, qui, officiellement, lutte pour la promotion et la défense des droits éduca­tifs, mais se bat ouvertement contre le modernisme féminin et en particulier pour le droit au port du foulard.
  • Mùsiad (Association des Industriels et Commerçants Indépendants), créée en 1990, qui regroupe 35.000 sociétés et 7.500 membres dans 71 villes, est composée de la nouvelle bourgeoisie patronale islamique (même si elle ne revendique pas cette qualité), et s’oppose sur certains sujets au puissant Tùsiad (les grands patrons turcs), par exemple en adoptant une attitude complaisante vis-à-vis de la violence de la ré­pression des manifestations du parc de Gezi en mai-juin 2013[14] ou bien pour la justi­fication des mesures décidées contre les universitaires pétitionnaires susmentionnés.
  • Mazlum-Der (Association pour les droits de l’homme et la solidarité avec les peuples opprimés), créée en 1991 en réaction à la laïcité militante de la grande ONG des droits de l’Homme, IHD[15], qui avait adopté une position hostile au port du foulard dans la vie publique et au sein de son association.

Si les deux premières ONG sont absolutistes d’un point de vue idéologique et défendent plus des valeurs morales, les deux autres sont relativistes et donc beaucoup plus ouvertes sur le politique et soucieuses d’agir selon leur objet statutaire.

Il convient de constater que ces organisations ont pris part au débat public mais qu’en même temps leur création et leur activité ont contribué au renforcement et au soutien de la politique gouvernementale mise en œuvre par le parti au pouvoir.

Il convient bien sûr d’indiquer que ce phénomène n’est pas spécifique à la Turquie, car dans la plupart des pays dans le monde, il existe peu d’organisations strictement indépendantes défendant des valeurs et des principes de manière constante et objec­tive.

Cette profusion d’ONG a même investi le champ de la politique étrangère de l’AKP. L’ONG Insani Yardim Vakfi (IHH, « Fondation pour l’Aide Humanitaire »), d’inspiration musulmane, est devenu acteur de référence dans le domaine de l’action humanitaire. L’IHH mène des actions pour venir en aide aux personnes en difficulté en Turquie et à l’étranger. C’est l’IHH qui a organisé et mené la flottille du Navi Marmara au-devant des côtes de Gaza pour venir en aide aux populations palesti­niennes soumises au blocus israélien.

Les contradictions de la société civile facilitent sa mise sous tutelle et entravent son influence sur la vie publique

Les organisations de la société civile en Turquie sont tiraillées par de multiples contradictions et rien ne garantit qu’elles puissent former un tiers pouvoir capable de transgresser les clivages sociopolitiques qui minent la Turquie. Tigrane Yegavian distingue trois groupes distincts : les associations laïco-nationalistes, les ONG affiliées à plusieurs tendances de l’Islam politique et les associations héritières de l’ancienne gauche révolutionnaire[16].

Elles connaissent un développement dynamique mais la réalité de leur influence sur la vie publique semble limitée, en raison des fractures sociales, économiques, politiques culturelles et religieuses qui sont présentes entre elles, d’une part, et de l’inadéquation de leurs compétences et ressources, d’autre part.

Les exemples donnés supra illustrent l’annulation des forces de contrepouvoir de la société civile dès lors que de nouvelles ONG, soutenues directement ou discrète­ment par le gouvernement, s’opposent aux autres.

D’autres paramètres viennent contrecarrer la reconnaissance et l’effectivité de la société civile.

En premier lieu, la fragilité de l’État de droit (dont le respect des règles avait pourtant fait un bond qualitatif important entre 2003 et 2013), la corruption sys-témique et une administration très centralisée, qui, tous paramètres réunis, em­pêchent la société civile de s’épanouir et de participer pleinement à la vie publique.

Par ailleurs, à l’image du pouvoir exécutif, les organisations de la société civile sont peu adeptes des principes de tolérance, de démocratie interne, et de bonne gouvernance.

Quant aux activités de ces organisations, on peut dire, d’une manière géné­rale, que peu d’entre elles mènent des actions en faveur de thèmes généraux tels la réduction de la pauvreté ou contre les inégalités sociales. Les secteurs qui se sont développés entre 2000 et 2013 concernaient la promotion des droits de l’homme, l’égalité des genres, la promotion de la non-violence (diminution de la torture et des mauvais traitements par les forces de l’ordre ou dans les centres de détention), et le développement durable.

Par ailleurs, l’environnement juridique, financier, et administratif est défavo­rable au développement de la société civile, notamment celle qui pourrait précisé­ment nuire ou représenter un contrepouvoir à la politique gouvernementale ou à ses dirigeants.

Les ONG sont soumises à un contrôle disproportionné de l’État qui affecte leurs opérations courantes et n’encourage pas les donations privées, notamment celles émanant de fondations étrangères ; les ONG les plus en vue évitent les aides ou subventions venant de l’extérieur du pays pour ne pas prêter le flanc à des accu­sations de manipulations par les « ennemis de l’extérieur ». Le ministère de l’Inté­rieur est responsable de l’enregistrement des ONG, de leur contrôle fiscal, et de la prévention d’activités illicites, ce qui lui donne un pouvoir exorbitant.

Les fonds publics destinés à ce secteur de la société sont sujets à des règles d’allo­cation et d’affectation peu transparentes, sans critères clairement établis. Les fonds publics sont alloués à travers les ministères et des mécanismes de partenariat, mais rarement sous forme de subventions, aides ou contrats.

L’État a toujours joué un rôle de contrôle dans les sphères de la vie associative à vocation éducative, culturelle et religieuse. L’article 14 de la Constitution prévoit que l’Education morale et religieuse doit être conduite sous le contrôle et la supervision de l’État. Le Diyanet, Présidence des Affaires Religieuses, figure à l’article 136 de la Constitution. Cette Administration, mise en place par Ataturk le 3 mars 1924, gère aujourd’hui 100 000 fonctionnaires[17] et 77 500 mosquées. Elle finance uniquement le culte musulman sunnite (les cultes non-sunnites doivent assurer un fonctionne­ment financièrement autonome, quand ils ne rencontrent pas d’obstacle administra­tif à ce même fonctionnement, ce qui est le cas des Alévis, de rite chiite anatolien). Les Alévis représentent 10 à 12 millions d’individus. Lors de la récolte de l’impôt, tous les citoyens turcs sont égaux. Le taux d’imposition n’est pas fonction de la confession religieuse. Toutefois, à travers la « Présidence des affaires religieuses » ou Diyanet, les citoyens turcs ne sont pas égaux devant l’utilisation des recettes. La Présidence des affaires religieuses, qui est dotée en 2016 d’un budget de 6,5 milliards de TL (soit 2 milliards €)[18], est une sorte d’État dans l’État. Le budget alloué au Diyanet a dépassé celui de 12 ministères ; il est 40 % plus important que celui du ministère de l’intérieur et équivalent en valeur à la somme des budgets des affaires étrangères, de l’énergie, de la culture et du tourisme combinés[19].

L’empreinte de l’Islam sur la Turquie ne serait-il pas un frein idéologique à la constitution d’un contrepouvoir sur le modèle de la société civile laïque de type occidental ? Ayçe Kadioglu cite les travaux d’Ernest Gellner sur la relation entre Islam et Société Civile, dans laquelle l’Islam se pose comme rival au concept même de société civile[20].

En somme, la société civile se développe dynamiquement, mais elle est plus que jamais divisée, contrastée, directement ou indirectement sous le contrôle de l’État et l’Islam politique et social fait concurrence au concept de société civile, avec des moyens politiques et financiers considérables au travers de la Présidence des affaires religieuses[21]. Enfin, il n’existe toujours pas de mécanismes de coopération institu­tionnelle avec le gouvernement qui offrent un cadre de consultation systématique des ONG sur les projets de réforme législative.

La fuite en avant inquiétante du Président Erdogan

Depuis début 2014, nous assistons à une attaque en règle de différents pans de la société civile du secteur libre mais aussi et surtout dans le service public. Il en résulte une dégradation des droits et libertés et une atteinte au principe de la séparation des pouvoirs.

Ce sont les allégations de corruption contre des proches de Recep Tayyip Erdogan en décembre 2013 (il était alors premier ministre) qui ont déclenché les fureurs et la dérive autoritaire de ce dernier, accusant les protagonistes de tentative de coup d’État, et donnant le coup d’envoi d’une chasse aux sorcières contre les adeptes du mouvement de Fettulah Gùlen[22] (ou « Fetullahci »), accusés d’être à l’origine de ces fuites. Cet épisode a relancé l’ingérence de l’exécutif sur la Justice et sur la Presse.

Le Président, au nom de la lutte contre les « structures parallèles »[23], figurant en bonne place de l’agenda du Conseil national de sécurité[24], a procédé à de nom­breuses mises à pied dans les secteurs du service public, notamment ceux de la police, du renseignement et de la justice. Le pouvoir exécutif a déjà repris le contrôle effectif de la magistrature et de son Haut Conseil des Juges et Procureurs[25], ce qui lui permet de muter ou démettre les procureurs ou juges récalcitrants.

Le Conseil national de sécurité, autrefois dirigé par les militaires laïco-kéma-listes, avait désigné l’Islam comme le premier ennemi intérieur de la Turquie[26]. Après la prise de contrôle de cette institution en 2007 (arrestations affaire Ergenekon et épuration des militaires de haut rang laïco-kémalistes), Erdogan et l’AKP procèdent maintenant à une deuxième épuration, celle des « gùlenistes ».

En parallèle, le Président Erdogan continue de menacer la liberté de la presse ou d’emprisonner les journalistes. Les cas de Can Dùndar, rédacteur en chef de Cumhuriyet, et de son représentant à Ankara, Erdem Gùl[27], les plus récents, sont emblématiques mais loin d’être les seuls[28]. Ces journalistes sont en détention depuis le 26 novembre 2015 pour avoir révélé le trafic d’armes du MIT[29] vers la Syrie ; ils sont accusés d’« espionnage », de « divulgation de secrets d’État » et de « soutien à une organisation terroriste »[30] et risquent la prison à vie.

Les procureurs en charge de l’enquête sur ce trafic d’armes entre la Turquie et l’organisation de l’État Islamique viennent eux aussi d’être relevés de leur charge le 14 janvier[31].

Enfin, les atteintes à la liberté scientifique dans les universités qui ont com­mencé en décembre 2015, notamment par une campagne contre la Middle East Technical University (METU)[32], accusée de ne pas respecter la liberté religieuse, se poursuivent aujourd’hui par une atteinte grave à la liberté d’opinion du monde universitaire, comme relatée en introduction supra.

Le revirement de la politique du Président Erdogan est brutal et déconcertant. Il est difficile de discerner les motivations profondes de ses décisions.

Premièrement, il a mis fin à des initiatives judiciaires qu’il avait incitées lui-même quelques années plus tôt. Certains membres du groupe Ergenekon sont remis en liberté[33]. Le procureur en charge des affaires relatives à l’assassinat d’Hrant Dink a été relevé il y a quelques jours[34] alors même qu’il avait donné son accord le 9 décembre 2015 pour poursuivre 26 officiers de police d’Istanbul et de province. Les charges contre des officiers et fonctionnaires de plus haut rang avaient toutefois été abandonnées dans cette affaire[35].

Ces dispositions déconcertent car aucune stratégie n’est perceptible si ce n’est celle de protéger son pouvoir et ses intérêts, mais surtout elles sont destinées à inti­mider et terroriser à dessein tous ceux qui seraient tentés de ne pas les respecter. Elles conduisent naturellement à une autocensure de la presse, et à une neutralisation des fonctionnaires du service public (enseignants, magistrats, policiers, etc.) soucieux de leur emploi, de leur promotion et de leur carrière.

En 2015, malgré la tenue d’élections législatives en juin, dont le déroulement du scrutin a été relativement respectueux de la démocratie, la campagne s’est dérou­lée dans cet environnement liberticide et discriminatoire : attaque sur les media et les journalistes, sur les partisans et bureaux de campagne du parti HDP[36] dans le sud-est. Malgré cela, l’AKP a perdu sa majorité parlementaire, ce qui a rendu le Président Erdogan furieux. Il s’est alors engagé dans une politique de rupture. Il a mis fin unilatéralement aux négociations avec le PKK et le HDP pour le règle­ment de la question kurde, a déclenché une véritable guerre contre les militants du PKK, puis il a décrété la tenue de nouvelles élections au 1er novembre 2015. La loi fondatrice du processus de règlement de la question kurde du 11 juin 2014 a volé en éclats et les objectifs de stabilité et de protection des droits de l’homme recher­chés par cette loi avec.

Cette manœuvre est délibérément meurtrière pour intimider et influencer les différents notables kurdes en cruel besoin de budgets pour gérer leurs régions ou leurs collectivités, abandonnées économiquement et où la population est sujette au chômage et à la pauvreté. L’objectif était de faire revenir les électeurs sur le choix AKP, qui se poserait comme seul rempart contre l’insécurité et le chaos.

La grossièreté de la démarche n’a pas empêché sa réussite. En parallèle, et en sus de cette offensive militaire, le pouvoir politique, en conséquence des attentats terro­ristes, attribués à l’État Islamique[37], a renforcé son discours sécuritaire et la conduite d’une politique anti-terroriste, porte ouverte à l’arbitraire.

Enfin, l’utilisation des ressources de l’État par le parti au pouvoir, et l’impli­cation personnelle du président dans la campagne en faveur de l’AKP ont fini par avoir raison du choix des électeurs et l’AKP a retrouvé sa majorité absolue à l’issue du scrutin du 1er novembre 2015.

La discrimination et le discours de haine sont revenus en force avec comme boucs émissaires les minorités, les LGBT, le féminisme.

Le processus de réforme constitutionnelle est en panne. Il y a un profond dé­saccord entre l’AKP et le reste des acteurs au sein du Comité parlementaire de conciliation.

Certains barons de l’AKP ont pris leur distance vis-à-vis du Président Erdogan[38].

La politique étrangère ambigùe de la Turquie et notamment sa relation avec l’organisation de l’État Islamique, la destruction d’un chasseur de combat russe, son alliance avec l’Arabie Saoudite et Israël contre l’influence régionale de l’Iran, son immixtion dans le différend opposant l’Arménie et l’Azerbaïdjan, et sa volon­té de renverser coûte que coûte le régime de Bachar el Assad, ont réduit à néant la politique du « 0 problème » [avec les pays voisins] chère, un temps, à Ahmet Davutoglu[39]. Au contraire cette politique a créé d’autres tensions. Ne serait-ce pas là une stratégie voulue de créer des menaces extérieures pour mieux réprimer les voix discordantes intérieures, qui deviennent dès lors des menaces à la sécurité natio­nale ?

Les nouvelles lignes de fracture de la société civile et leurs conséquences

La nature des crises vécues actuellement ne fait que rajouter aux lignes de frac­tures traditionnelles qui sont constitutionnelle (entre Turcs musulmans et minori­tés non-musulmanes), confessionnelle (entre sunnites et alévis), sociale (entre laïcs et non laïcs), économique (entre les grandes métropoles occidentales et les régions du sud-est).

Depuis la dérive autoritaire et la personnalisation du pouvoir de Monsieur Erdogan, le pays se fracture au sein même du parti majoritaire, l’AKP, en plus de l’opposition frontale entre Gùlen et Erdogan, ce qui a des répercussions impor­tantes au sein des grands corps régaliens de la Justice, de l’Armée, et de la Police.

Les droits et libertés sont les grands perdants de cette crise grave. Et les mino­rités seront les victimes de ce raidissement et de cette dérive. En effet, le nationa­lisme reste une idéologie forte. Rappelons le premier alinéa du préambule de la Constitution turque (« Affirmant l’existence éternelle de la mère patrie et de la nation turque et l’indivisibilité du sublime État turc, cette Constitution, en confor­mité avec le concept de nationalisme instauré par le fondateur de la République de Turquie, Atatùrk, le leader immortel et le héros non rivalisé, et ses réformes et principes »). Le nationalisme fortement présent dans cette affirmation transcende l’idéologie des partis traditionnels et ne faiblit pas, causant des fractures plus graves encore, qui débouchent sur des arrestations massives de militants ou élus kurdes depuis quelques mois, des embargos et destructions de lieux de peuplement kurde, des assassinats non élucidés et une véritable guerre à l’arme lourde contre les rebelles du PKK.

Les minorités non-musulmanes (Arméniens et Juifs) et la minorité kurde, et à travers eux, les puissances occidentales, sont de nouveau la cible d’un discours de haine car suspectées d’être derrière cette prétendue déstabilisation.

Quelle va être la capacité de résilience de la société civile structurée ?

L’événement créé par l’attaque contre les universitaires signataires de la péti­tion du 11 janvier a des répercussions sur plusieurs cercles de la société civile. En réaction 1000 autres universitaires ont signé la pétition, mais aussi 500 journalistes viennent de signer une pétition en soutien aux universitaires, suivis par plus de 2000 avocats de différents barreaux du pays, les producteurs de films, les cercles littéraires, les comédiens, les psychologues[40]. Mais le segment de la société civile, précisément non structuré, et très certainement le plus important dans cette bataille engagée contre l’excès d’autoritarisme, qu’il faudra surveiller est celui des étudiants. Le 18 janvier, déjà 30 000 d’entre eux ont signé une pétition de soutien aux uni­versitaires menacés.

Le formidable dynamisme et la modernité de cette jeunesse des grandes métro­poles de Turquie fera-t-elle fléchir le Président Erdogan, comme en mai-juin 2013 à Gezi ? Ce dernier bénéficie de l’appui du conservatisme nationaliste et islamique des provinces, dont certains pans de la population ont déjà investi les grandes mé­tropoles. Le risque de conflit socio-politique est bien réel. Le sacro-saint nationa­lisme constitutionnel pourra-t-il surmonter les fractures multiples que le régime en place occasionne à la société civile ?

Pour le sociologue Mustafa Poyraz, le mouvement de contestation de la jeunesse turque à Gezi exprimait une aspiration à la liberté et à la dignité, dans un pays qui tente de concilier libéralisme économique et conservatisme sur le plan des mœurs et des libertés publiques. Après avoir neutralisé le pouvoir de l’armée et la bureau­cratie kémaliste, le pays se cherche de nouveaux contre-pouvoirs séculiers et laïcs. Aujourd’hui, les jeunes estiment que ces contre-pouvoirs aux forces conservatrices et religieuses ne fonctionnent plus et qu’ils sont les seuls à être capables de défendre cette aspiration à la modernité ; aspiration commune à de nombreux Turcs au-delà de leurs différences politiques ou confessionnelles. La gauche, l’extrême gauche, les écologistes, les autonomistes kurdes et même certains islamistes se retrouvent soudain autour des valeurs communes de liberté et de démocratie et appliquant une tolérance vis-à-vis des autres mouvements. On assiste à l’émergence d’une société civile qui exerce et construit des forces d’opposition de manière légale[41].

Richard LABEVIERE

[1]Les mêmes mots furent prononcés par les dirigeants du Comité Union et Progrès en 1915 avant de procéder à l’extermination et à la déportation de la population arménienne d’Anatolie.

[2]Le Président Erdogan ou le Premier ministre Davutoglu ont eu des paroles apaisantes à l’intention des Arméniens, reconnaissant et partageant leurs souffrances pour les événements tragiques de 1915, dont ils avaient été victimes.

[3]« Adalet ve Kalklnma Partisi », le parti présidentiel au pouvoir.

[4]Le premier document écrit relatif à la création d’une fondation en Anatolie date de 1048.

[5]Chaque lieu de culte était l’objet d’une fondation.

[6]En 1974, à la faveur d’une campagne de rejet de « l’étranger » et de désignation d’« ennemis de l’intérieur » (crise de Chypre), les biens acquis, reçus en dons ou en legs par les fondations non musulmanes, ont été confisqués par voie de justice car non-enregistrés en 1936. Ces décisions contestées en justice, y compris devant la Cour européenne des droits de l’homme en 2007, le gouvernement turc a fait machine arrière et en 2011 il a signé un décret mettant fin à cette situation et déclarant l’intention de restituer ces biens moyennant certaines formalités administratives particulièrement contraignantes.

[7]Organisation non gouvernementale, expression utilisée dans notre article au sens d’organisation de la société civile.

[8]Environ 1 650 ONG participeront au dialogue Union Européenne-Turquie.

[9]Statistiques du Ministère de l’Intérieur, Département des associations et fondations, 2005. Voir l’étude réalisée par la Fondation TUSEV « Civicus civil society index country report for Turkey », TUSEV Publications N° 42, December 2006.

[10]Ibid.

[11]Lire à ce propos l’article « Civil Society, Islam and Democracy in Turkey: A Study of Three Islamic Non-Governmental Organizations », Ayçe Kadioglu, Sabanci University, Istanbul, Turkey.

[12]Necmettin Erbakan était un politicien turc, pionnier de l’islam politique en Turquie, pays dont il fut le premier chef de gouvernement islamiste de juin 1996 à juin 1997, avant d’être brutalement contraint à la démission pour non-respect du principe de laïcité inscrit dans la Constitution.

[13]En 2002.

[14]Les violences provoqueront 4 morts et 4000 blessés.

[15]Association des droits de l’homme de Turquie.

[16]Voir article de Tigrane Yegavian « Turquie : une société qui s’interroge sur elle-même et son histoire » dans Afrique-Asie n°9, janvier-février 2011, pp.42-47.

[17]Le Diyanet a recruté 10.000 personnes par an entre 2010 et 2015, mais le nombre total d’employés reste le même car il reclasse ses employés dans d’autres institutions.

[18]http://www.hurriyetdailynews.com/intelligence-religious-affairs-set-to-take-huge-share-of-turkeys-2016-budget–.aspx?pageID=238&nID=89761&NewsCatID=344

[19]https://www.foreignaffairs.com/articles/turkey/2015-05-17/turkey-casts-diyanet

[20]Ernest Gellner, Conditions of Liberty: Civil Society and its Rivais (Hamish Hamilton, London, 1994). Gellner claims that Islam displays unique characteristics as a religion in terms of its immunity to secularization. Since secularization is viewed as the only way to generate liberal individuals who are the sine qua non of civil society, this view rules out the possibility of its existence in the absence of secularization. Therefore, Islam appears to be the « other » or the « rival » of civil society.

[21]http://www.todayszaman.com/national_religious-affairs-directorate-used-as-tool-for-govt-favoritism_348039.html

[22]Président de la confrérie éponyme, exilé aux États-Unis.

[23]Voir le document de travail de la Commission européenne sur la Turquie. EU enlargement strategy report, Brussels, 10.11.2015, SWD(2015) 216 final.

[24]Instance de décision la plus importante de Turquie, pour les dossiers ayant trait à la « sécurité nationale », et dont certains sont traités dans le secret.

[25]Equivalent du Conseil Supérieur de la Magistrature en France

[26]Décision du 28 février 1997

[27]http://www.hurriyetdailynews.com/jailed-journalists-in-turkey-say-arrest-aimed-at-gagging-press.aspx?pageID=238&nID=94085&NewsCatID=339

[28]La Turquie est 149e sur 180 au classement RSF de la liberté de la Presse en 2015, malgré 40 journalistes libérés mais en conditionnelle : les poursuites sont maintenues. RSF constate l’aggravation de la cybercensure, des poursuites judiciaires, des licenciements de journalistes critiques, l’interdiction de publier sur certains sujets. Ebranlé par un vaste scandale de corruption présumée, l’exécutif aura tout fait pour l’étouffer et contrer l’influence de son nouvel ennemi numéro un, la confrérie Gùlen.

[29]Service secret turc.

[30]Voir le site de Reporters Sans Frontières.

[31]http://www.todayszaman.com/national_all-prosecutors-in-weapons-truck-probes-dismissed-from-profession_409611.html

[32]Voir Today’s Zaman du 29 décembre 2015.

[33]Notamment le Colonel de Gendarmerie Veli Kuçuk, accusé d’être le pivot du groupe Ergenekon, qui aurait commandité, entre autre, l’assassinat de Hrant Dink.

[34]http://www.agos.com.tr/en/article/13970/gokalp-kokcu-the-prosecutor-of-dink-case-dismissed-from-the-investigation

[35]http://www.hurriyetdailynews.com/26-police-officers-to-stand-trial-in-dink-case.aspx?pageID= 238&nID=92594&NewsCatID=509

[36]Halklarin Demokratik Partisi ou « Parti démocratique des peuples », parti pro-kurde.

[37]Il convient de noter qu’aucun des attentats commis en 2015 (Suruç, Ankara) et début janvier 2016 à Istanbul n’ont été revendiqués par « Daech ». Aucune enquête sérieuse n’a été diligentée et les journalistes ont été empêchés de mener leurs travaux d’investigation sur ces affaires.

[38]Bùlent Arinc, Abdùllah Gùl.

[39]Alors ministre des affaires étrangères.

[40]http://bianet.org/english/human-rights/171097-academics-for-peace-we-stand-by-our-signatures

[41]http://www.injep.fr/article/les-jeunes-font-emerger-une-societe-civile-legale-et-democratique-en-turquie-point-de-vue-de

Au Moyen orient la mise en rapport dialectique des société civiles et leurs confrontations avec les appareils d’état ramène fatalement a des situations de crises anciennes, durables et récurrentes. Ce retour de confrontation société civile appareil d’état génère des situations de crise qui sollicitent la lecture et l’analyse géopolitiques plus larges régionales et internatio­nales et l’éviction de cet ethnocentrisme des sociétés françaises de plus en plus fermées via des presses unilatérale qui nous ramène à une sorte de narcissisme proprement fran­çais qui fait connaître de moins en moins l’histoire des sociétés proches et moyen orientales. De ce point de vue, on avait mi en cause la rédaction française privée ou des services publiques sur l’idolâtrie qu’on a pu faire dans notre pays des ong. Cette idéalisation naïve appelant d’affirmer une bonne volonté pour qu’elle s’impose dans l’histoire nous a amené à des contresens incroyables parmi lesquelles s’inscrit le printemps arabe ou la révolution arabe. Sommes nous face réellement à une révolution ? est-ce que cette révolution porte sur des revendications sur par exemple la posi­tion de la femme ? car les femmes sont souvent des indicateurs, des baromètres des sociétés des libertés civiles. Mais évidemment il n’y a rien de tel chez Jabhat Al Nosra ou Daesh… Aux Proche et Moyen Orient les catégorie de l’État ou de la société civile appareils d’état ne sont pas transposables avec les approches de Weber ou autre. Prenant exemple du Liban où l’on serait en présence d’un jeu des puissances économiques et politiques qui s’expriment en marge du fonc­tionnement des appareils de l’État qui font du Liban un État faillite où il n’y a pas de président de la république depuis mai 2014 et cela n’a pas l’air d’inquiéter les uns et les autres si ce n’est les partenaire internationaux qui essayent de régler les crise en Syrie et en Irak ou ailleurs. cette confrontation permanente société civile/appareil d’état ramène invariablement à des crises où la pertinence la plus aigue et la plus ténue de la société civile se trouve en Palestine avec une société civile récurrente qui, indépendamment des fatigues de l’autorité et de la casse du mouvement national palestinien entre le Fatah et le Hamas pour essayer de casser l’OLP…

The current mortal situation in the Near and Middle-East is deeply rooted in former and recent crises that are as durable as recurrent. And many indigenous solutions are generally devoid of terms such as

Il s’agit de mettre en rapport dialectique les sociétés civiles dans le monde arabo-musulman dans leur confrontation avec les appareils d’état. Ce retour ramène fatalement à des situations de crises anciennes, durables et récurrentes, opposant le monde shiite et sunnite depuis des décennies. Ce retour d’une confrontation entre la société civile et l’appareil d’état génère des situations de crise qui sollicitent une l’analyse géopolitique un peu plus large, au plan régional et international. En ce qui concerne le regard européen, s’agit-il de celui du Parlement, de la Commission, du Conseil ou des sociétés financières ? Pour ma part, je ne parlerai qu’en mon nom, en évitant seulement cet ethnocentrisme à la française propagé par une presse unidimensionnelle, nombriliste et hexagonale.

De ce point de vue, nous sommes entrés dans les années 80, dans une ère d’ido­lâtrie sans réserve des ONG par les media. Alors que ces ONG peuvent aussi bien être infiltrées par de services de renseignements ou financées par des puissances extérieures. On les a idéalisées auprès de l’opinion, sans s’interroger sur leur agenda politique, leurs financements, leurs priorités, cette cela nous a amené à nombre de contresens incroyables dans l’analyse du printemps arabe ou de la révolution arabe.

Justement, avec le Printemps arabe, sommes-nous réellement face à une révolution, du type de celle des Sandinistes par exemple à Managua, avec son cor­tège de réformes ? À cet égard, les droits des femmes sont souvent des indicateurs, des baromètres de l’état des libertés civiles dans les sociétés aussi bien en Amérique latine, en Afrique ou ailleurs. Mais évidemment il n’y a rien de tel chez Jabhat Al Nosra ou Daesh…

Aux Proche et Moyen Orient, les catégories d’appareil d’état et de société civile ne sont pas appréhendables selon les approches de Weber ou autre. Prenant exemple du Liban où l’on serait en présence d’un jeu autonome des puissances économiques et politiques qui s’expriment en marge du fonctionnement des appareils de l’État, faisant du Liban un État faillite où il n’y a pas de président de la République depuis mai 2014. Sans que cela n’inquiète les uns et les autres si ce n’est les partenaires internationaux qui essayent de régler les crises en Syrie et en Irak ou ailleurs…

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