Taiwan entre l’independance et l’annexion

Recteur Gérard-François DUMONT

Septembre 2007

TAIWAN ENTRE L’INDEPENDANCE ET L’ANNEXION

GÉOGRAPHIQUEMENT ÉloiGNEE des deux principaux pôles économiques mondiaux que sont les États-Unis et l’Union européenne, Taiwan se trouve en Asie orientale et demeura longtemps appelée Formose par suite du nom que lui avaient donné les Portugais au XVIe siècle : Ilha Formosa, la « belle île ». Cette île1, qui ne bénéficie guère des ressources les plus prisées en ce début de XXIe siècle, comme les hydrocarbures, se trouve dans une situation géopolitique paradoxale. D’une part, il est indéniable que ses institutions politiques sont devenues démocratiques depuis le début des années 1990. D’autre part, la démocratie taiwanaise n’est pratiquement pas reconnue au plan international puisque seulement une minorité d’États entre­tient des relations diplomatiques avec elle. Le nombre de pays déléguant un ambas­sadeur à Taipei est même de moins en moins grand2 depuis que la démocratie y a remplacé un régime autoritaire. Autrement dit, Taiwan apparaît comme une démo­cratie gênante, moins prisée que le régime chinois à parti unique dont le pays pro­fite de « la loi du nombre »3. Pour comprendre cette situation, il convient d’abord de comprendre quel est l’intérêt géopolitique de cette île. Puis nous examinerons les spécificités de sa géopolitique interne, très liées à son histoire démographique, avant de proposer différents scénarios prospectifs.

Située en Asie orientale, au large de la Chine continentale, Taiwan est assez éloignée des côtes chinoises, précisément à 160 Km, ce qui l’a longtemps tenue à l’écart des grands circuits commerciaux continentaux. En outre, le peuplement de l’île semble devoir se limiter en raison d’un vaste territoire montagneux, l’habitat n’étant relativement aisé que dans la frange littorale occidentale4, tandis que l’est de l’île n’offre pratiquement pas de plaines littorales. L’accès de la capitale Taipei à une large partie de l’île s’effectue plus commodément en avion, en raison de la présence de ces reliefs, où la réalisation d’infrastructures autoroutières ou ferroviaires coûte fort cher, tout en portant atteinte aux paysages. Comme, de plus, Taiwan n’a guère de ressources naturelles5, ni ces hydrocarbures tant recherchés ni des minerais très convoités, on pourrait penser que l’intérêt géopolitique de l’île est mince.

Une démocratie « gênante »

Mais une analyse plus approfondie met en évidence l’importance politique, éco­nomique et stratégique de l’île au XXIe siècle. Taiwan se présente en effet comme un pays qui gêne, au moins sur le plan symbolique, le régime de parti unique qui gouverne la Chine continentale depuis 1949. Car Taiwan non seulement représente une terre considérée comme chinoise par le parti communiste de Chine, terre que Mao n’est pas parvenu à conquérir, mais encore témoigne qu’un pays dont la grande majorité des habitants est d’origine chinoise peut conjuguer démocratie et réussite économique. Par son existence même, Taiwan nargue, à son corps défendant, une Chine continentale qui demeure un empire centralisé dont le pouvoir politique persiste à gouverner sans des élections libres qui, seules permettraient un choix démocratique des gouvernants locaux et nationaux. L’existence même de Taiwan est donc « insupportable » pour son grand voisin puisque son évolution institu­tionnelle prouve qu’un régime autoritaire, comme l’était celui de Tchang Kaï-chek, peut laisser place à un régime qui instaure des libertés. Par exemple, le principal parti ayant permis la démocratisation du pays, le parti démocratique progressiste, organise chaque année une sorte de fête nationale alternative, en commémorant « l’incident 2-2-8 » de 1947 – February 28, selon la date à l’américaine, er-er-ba en chinois. La répression exercée par les troupes nationalistes, envoyées du continent par le maréchal Tchang Kaï-chek, qui régnait encore sur la Chine continentale, fit quelque 28 000 victimes, pour la plupart des Taïwanais d’origine. Ce 28 février 1947 marque le début de la «terreur blanche» et l’application de la loi martiale qui ne sera levée qu’à la fin des années 19806. La démocratie taiwanaise diffère donc de la Chine sur de nombreux points : la liberté religieuse y est respectée, les libertés universitaires sont largement reconnues…

Des atouts économiques

Réussite politique de démocratisation, Taiwan est aussi une réussite économi­que étonnante dans la mesure où le refus d’une économie collectiviste et le déve­loppement d’une économie de marché, fondée sur de fortes dépenses éducatives, ont permis au pays de financer à la fois les « canons » et le beurre7. En effet, même si Taiwan a évidemment bénéficié d’aides occidentales, c’est bien son armée qui a empêché sa conquête par la Chine communiste et s’est opposée à ses multiples pressions militaires de, notamment sur les îles Quemoy, qui ne se trouvent qu’à 2,3 km du continent. En 1958, par exemple, Taiwan reçut 500 000 obus tirés du continent mais parvint à abattre 39 avions communistes et à couler 19 torpilleurs. Malgré les coûts de la défense, le pays a su mettre en œuvre une efficace politique de développement dont les résultats peuvent être comparés avec ceux de la Chine communiste. Compte tenu de son existence, rarement connue au plan interna­tional, le produit intérieur brut par habitant de Taiwan n’est guère divulgué dans les statistiques des organisations internationales8. Pourtant, selon les données de la CIA, le PNB de Taiwan est, en 2006, le 17e du monde et, rapporté à la population (22,8 millions d’habitants9) ce PNB est de 27 500 dollars par habitant, plaçant le pays au 33e rang (notamment parce qu’il est alors devancé par des États rentiers), soit quatre fois plus que celui de la Chine continentale, chiffré à 6 800 dollars par habitant (122e rang dans le monde).

Ces chiffres montrent que, malgré ses progrès économiques depuis les réformes mises en œuvre à compter des années 1990, le communisme chinois a largement obéré l’amélioration des conditions de vie en Chine continentale. Pour cette Chine, Taiwan présente donc à la fois un inconvénient et un avantage économique. D’une part, elle atteste que la politique économique collectiviste de la Chine de Mao a conduit à une impasse10 mais, d’autre part, et à l’inverse, les richesses économi­ques de Taiwan présentent un avantage par les investissements directs (ou indirects) taiwanais en Chine continentale et par le pouvoir d’achat élevé qui est celui des Taiwanais. D’un strict point de vue économique, l’union de Taiwan représenterait pour la Chine continentale un apport incontestable.

L’importance stratégique

Outre sa dimension politique et économique, Taiwan un intérêt stratégique, pour deux raisons. La première, évidente, est que la puissance et le savoir-faire mi­litaires de Taiwan ne sont pas négligeables, comme son histoire l’a montré depuis 1949. Taiwan dispose notamment de certains équipements et matériels militaires qui ont de quoi faire rêver certains généraux chinois. La seconde tient à la géogra­phie. En effet, Taiwan ferme le détroit qui porte son nom et par lequel naviguent de nombreux bateaux reliant le troisième pôle de la triade, le Japon, ainsi que la Corée du Sud, ou des ports chinois à l’Asie du Sud-Est, à l’Inde ou, plus loin, au Moyen-Orient et à l’Afrique. L’île se trouve au cœur de grands échanges maritimes dans une mer de Chine très convoitée, tout en bornant précisément le nord de la mer de Chine méridionale. Or, cette mer pose tout particulièrement un problème stratégique à la Chine continentale. En effet, en droit international, les zones mari­times exclusives de la Chine sont limitées.

D’une part, en face du Vietnam, l’archipel des îles Paracel se situe approxima­tivement à un tiers de la distance qui sépare le Vietnam, du nord des Philippines. Il est constitué d’environ 130 îlots coralliens inhabitées, répartis sur une zone de 250 km de long sur 100 km de large. En 1932, les Français prennent possession de l’île principale pour y installer une station météorologique. Après son indépen­dance, le Nord-Vietnam y maintient une présence jusqu’à ce que la Chine les en chasse en 1974. Depuis cette date, une petite garnison chinoise occupe, hors de toute reconnaissance internationale, la place, et les îles restent revendiquées par le Vietnam comme par Taiwan.

D’autre part, toujours dans la mer de Chine méridionale, plus au sud, les îles Spratley, situées à la jonction des frontières maritimes du Vietnam, de la Malaisie, de Brunei, des Philippines, de Taiwan et de la Chine Continentale, sont revendi­quées par tous ces pays, d’autant qu’elles sont riches en ressources halieutiques, mais aussi en gaz et pétrole. Les îles Spratley se trouvent donc au centre d’un conflit im­pliquant plusieurs États. En particulier, l’existence d’un État taiwanais exerçant sa souveraineté sur diverses îles non seulement contrarie les revendications maritimes chinoises sur les zones maritimes correspondantes, mais aussi limite l’accès direct de la marine chinoise aux zones océaniques et, donc, la zone maritime exclusive de la Chine.

En outre, il faut tenir compte des caractéristiques maritimes de cette région. Les profondeurs moyennes de la mer de Chine orientale sont de 190 m et celles de la mer de Chine méridionale de 1 200 m, contre plus de 4 000 m pour le Pacifique11. En conséquence, les profondeurs de la mer de Chine méridionale rendent difficile l’emploi de sous-marins lanceurs d’engins (SNLE) que les Chinois aimeraient mul-tiplier12. L’« invulnérabilité » de tels sous-marins repose en effet sur la capacité à les déployer sans qu’ils soient pistés par une flotte adverse, notamment par des sous-marins nucléaire d’attaque (SNA). Aujourd’hui, la Chine ne peut guère utiliser de SNLE dans un espace maritime en même temps restreint et peu profond, et donc au sein duquel les sous-marins peuvent difficilement passer inaperçus. Une solution consiste certes à emprunter un détroit vers le Pacifique, mais cela implique la pos­sibilité de se faire repérer.

 

L’accès militaire de la Chine continentale au Pacifique, au delà des mers de Chine méridionale et orientale, se trouve donc limité. D’une part, la mer de Chine orientale est fermée par les Ryu Kyu, où se trouve la grande base états-unienne d’Okinawa, d’autre part, la mer de Chine méridionale est, quant à elle, bordée par les Etats archipélagiques et Malacca. Elle est de plus restreinte du fait des zones ma­ritimes des États de la région. La meilleure preuve de l’importance de cette question stratégique est fournie par les cartes chinoises qui présentent unilatéralement les zones maritimes exclusives des îles Paracel, des îles Spratley et de Taiwan comme leur appartenant. D’un point de vue stratégique, assurer sa souveraineté sur Taiwan et la faire reconnaître internationalement constituerait, aux yeux de la Chine, une solution pour disposer d’un accès direct et autonome au Pacifique, notamment pour ses SNLE.

Ce qui précède montre les multiples intérêts politiques, économiques et straté­giques de Taiwan pour la Chine continentale et explique la quasi-unanimité (2 896 voix et 2 abstentions) du vote de la loi anti-sécession du 14 mars 2005 par le par­lement de la république populaire de Chine13. Cette loi, qui insiste sur la nécessité d’unifier la Chine, limite le caractère spécifique de Taiwan aux seuls événements s’étant déroulés entre 1946 et 1949, année de la fin de la guerre civile. Elle autorise le gouvernement de Pékin à utiliser la force contre Taiwan dans certaines conditions, dont une éventuelle déclaration d’indépendance de Taiwan. Or cette loi, adoptée sans consultation du peuple taiwanais, s’est donc trouvée rejetée par les autorités taiwanaises et, le 26 mars 2005, de nombreuses manifestations se sont déroulées à Taiwan pour la dénoncer.

Ces événements montrent que la question de Taiwan est fort différente de ques­tions apparemment semblables qui se sont réglées selon le droit des peuples à dis­poser d’eux-mêmes. C’est ainsi que la Sarre rejoignit la République fédérale d’Alle­magne en 1955, que la République démocratique allemande se réunifia avec cette même république fédérale car son peuple vota d’abord pendant quatre décennies avec ses pieds, puis avec ses voitures trabans en 198914, que des communes alpines votèrent en 1947 pour le rattachement avec la France.

Mais la question taiwanaise s’inscrit aussi dans d’autres logiques politiques, his­toriques et démographiques. Historiquement, la Chine s’est très longtemps désin­téressée de Taiwan, qui fut périodiquement un lieu de refuge pour des minorités chinoises s’opposant au pouvoir de Pékin.

 

Un refuge de minorités persécutées

La place actuelle de Taiwan dans la géopolitique mondiale15 contraste avec sa faible présence historique16. Cette île, traversée par le tropique du Cancer, n’est longtemps habitée que par des populations aborigènes, sans doute d’origine in­donésienne ou malaise, et n’intéresse guère l’empire continental voisin. Certes, on trouve quelques traces de Chinois installés sur un site à l’époque de la dynastie des Tang (618-907), puis, au XVIe siècle, un peu d’occupation chinoise sur quel­ques points, due à l’arrivée de Chinois du Nord persécutés sur le continent17. Ces Chinois forment les « Hakkas », groupe ethnique regroupant des Chinois ayant immigré au fil des siècles, à l’exception des deux grandes vagues migratoires signa­lées ci-après. Les Hakkas qui habitent Taiwan continuent d’y préserver leur identité culturelle spécifique.

 

L’importance commerciale de l’île ne commence qu’avec sa « découverte », en 1544, par les Portugais qui la nomment (cf. ci-dessus) Ilha Formosa, la belle île. La position de l’île, pouvant servir de relais dans les routes maritimes du Pacifique, prend de l’importance. En 1624, la Compagnie Unie des Indes Orientales, hollan­daise, s’établit dans le Sud-Ouest de l’île, y construisant deux forts, l’un à Anping (Fort Zeelandia) et l’autre à T’ai Nan (Fort Providentia). En 1629, les Espagnols installent un fort et un comptoir à l’embouchure du fleuve Tamsui mais, en 1642, ils sont chassés de Formose par les Hollandais.

 

Une importante vague migratoire au XVIIe siècle

La première grande vague migratoire de Chinois s’effectue à partir de 1661 avec l’arrivée du général Zeng Chenggong (« Koxinga » pour les Occidentaux) (1624-1662) qui, fidèle à la dynastie des Ming, refuse la dynastie mandchoue des Ts’ing. Ce général chasse les Hollandais, se proclame roi et escompte reconquérir la Chine continentale. Mais, en 1683, les Mandchous prennent le contrôle militaire de l’île, qui est alors considérée sous souveraineté chinoise. Néanmoins, dans les décennies suivantes, ce sont des Chinois hostiles aux Mandchous qui émigrent à Formose, venant principalement des provinces côtières de la Chine du Sud (Fujian et Guangdong), tout en conservant des liens avec leurs provinces d’origine. Cette immigration d’une ampleur significative concourt au peuplement de l’île, refoulant

les aborigènes dans les montagnes et dans quelques petites îles. Aujourd’hui, les descendants de ces immigrants se considèrent comme des « Taiwanais de souche ».

De la fin du XVIIe siècle à la fin du XIXe siècle, comme les routes maritimes restent, pour un pouvoir chinois qui se considère essentiellement comme un empire continental, une préoccupation secondaire, l’île de Taiwan est administrativement rattachée à la province de Fujian. La Chine ne la fait accéder au rang de province qu’en 1886.

Au cours du XIXe siècle, les velléités de conquête des Européens n’atteignent pas leur but. En 1895, neuf ans après la décision de Pékin de conférer à Taiwan un statut de province, les Japonais annexent l’île, alors qu’elle compte moins de trois millions d’habitants, non pour la peupler, mais pour sa position stratégique et ses ressources (charbon, minerais, riz, sucre, thé.). La colonisation japonaise contribue au décollage économique de l’île et à de premiers investissements édu­catifs. Les Japonais exportent à Taiwan leurs méthodes d’irrigation et développent les transports. Ils déplacent le principal pôle d’activité vers le nord, à Taipei et au port de Keeling, plus proches de leur archipel. Pendant le demi-siècle d’occupation japonaise, des étudiants taiwanais sont formés dans les universités de l’empire du soleil levant.

Lorsque prend fin la Seconde Guerre mondiale, l’île compte six millions d’habi­tants, dont plus de 90 % de Hakkas et de « Taiwanais de souche », les 10 % restants regroupant les aborigènes et les Japonais. Mais, dès 1945, ces derniers sont rapatriés au Japon. La densité de population de Taiwan est alors de 166 habitants/km2, ce qui est déjà l’une des plus élevées du monde, car les progrès économiques et sanitaires enregistrés sous l’occupation japonaise ont permis une forte croissance démogra­phique correspondant à la première étape de la transition démographique18, avec un important recul des taux de mortalité.

 

À la fin des années 1940, le peuplement de Taiwan s’accroît considérablement sous l’effet d’une seconde grande vague migratoire.

 

L’installation des « continentaux »

En Chine continentale, après la capitulation du Japon, la guerre civile entre nationalistes et communistes reprend et tourne au désavantage des nationalistes. Suite à la proclamation de la République populaire de Chine par Mao Tsé-tong le 1er octobre 1949, l’armée nationaliste, qui compte plusieurs centaines de milliers de militaires, et son chef Tchang Kaï-chek s’installent à Taiwan. Avec des civils, fonctionnaires, universitaires et membres du Kuomintang refusant le régime com­muniste, Taiwan accueille 1,2 million de personnes, qui font beaucoup plus que compenser le départ des Japonais19. Cette minorité, que les « Taiwanais de souche » appellent les « continentaux », installe autoritairement son pouvoir, qu’elle consi­dère comme représentatif de l’ensemble de la Chine. Ce point de vue est d’ailleurs celui de l’ONU, dont le siège permanent de la Chine au Conseil de sécurité reste occupé par le gouvernement installé à Taipei jusqu’en 1971.

Portées par l’apport migratoire, les années 1950 enregistrent les plus fortes croissances démographiques naturelles du XXe siècle en raison des effets de la tran­sition démographique, alors à leurs maximums, et de la volonté de procréation des « Occidentaux » comme des « Taiwanais de souche ». Le taux d’accroissement naturel dépasse alors 3 %, cumulant les conséquences d’une forte fécondité (plus de six enfants par femme) et de l’abaissement de la mortalité qui accompagne les progrès économiques et sanitaires.

 

Les « continentaux », qui imposent une main de fer, ne parviennent pas à leur objectif politique, reconquérir la Chine continentale. Mais ils réussissent à résister au rouleau compresseur de la Chine communiste et, malgré un isolement diplomatique croissant et le maintien d’un considérable effort militaire face à la volonté annexion­niste de Pékin, multiplient les victoires20 économiques. En raison de la mobilisation politique des Taiwanais de souche, un véritable processus de démocratisation se met en oeuvre au milieu des années 1980. Cette évolution est symbolisée en 1990 par l’arrivée à la Présidence de la république de Lee Teng-hui, qui est un Hakka : il orga­nise pour la première fois, en 1991, des élections complètes, les vieux parlementaires élus sur le continent plus de quatre décennies auparavant devant démissionner.

 

Peuplement et politique

En raison de l’apport direct et indirect des différentes immigrations, le Taiwan du début du XXIe siècle compte un peuplement diversifié et exceptionnel. La population se répartit en cinq catégories principales. Les plus nombreux sont les « Taiwanais de souche » qui s’identifient davantage avec l’île qu’avec la Chine et qui forment 46 % de la population. Viennent ensuite les « continentaux », 35 % de la population. Quant aux Hakkas, on les estime à 15,7 % et ils ressentent encore plus leur identité taiwanaise que les « Taiwanais de souche ». Enfin les aborigènes, 1,7 % de la population, sont répartis en une dizaine de tribus parmi lesquelles les trois principales avoisinent 85 % de cette population.

 

3. La répartition de la population
de Taiwan
50% n 46,0%
40% – 35,0%
30% –
20% – 15,8%
10% -0% – 1,7% 1,5%
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© Gérard-François Dumont – chiffres 2003

 

Même si les « Hakkas », « Taiwanais de souche » ou « continentaux » sont pres­que tous originaires du continent, l’histoire migratoire de l’île continue à produire des effets. Grosso modo, les deux premiers ont plutôt un comportement de « grou­pe humain »21. Ils sont plus enclins à souhaiter proclamer l’indépendance de l’île, position qui serait considérée par Pékin comme un casus belli. Les troisièmes se considèrent plutôt comme une « diaspora »22 et attachent davantage d’importance à exercer une influence sur la Chine continentale. Mais les trois sont conscients des avantages économiques du commerce avec la Chine, même s’il faut, pour des raisons politiques, l’organiser de façon indirecte, et s’intéressent de près aux zones libres chinoises, contribuant par exemple au développement de Shanghai.

 

Vieillissement constaté et dépopulation projetée

Mais une autre question prend une importance croissante : le vieillissement de la population. Taiwan a connu une population extrêmement jeune, les moins de 20 ans représentant plus de 50 % de la population dans les années 1950 et 1960. En donnant priorité à l’éducation de cette nombreuse jeunesse, Taiwan est parvenue à un essor économique remarquable et compte encore aujourd’hui un pourcentage important de population active, résultat des générations très nombreuses nées dans les années 1950 et 1960. Depuis, Taiwan a parcouru à très grande vitesse la seconde étape de la transition démographique, caractérisée par la baisse de la natalité et du taux d’accroissement naturel.

Entre 1956 et 1983, l’indice de fécondité s’abaisse de 67 % (de 6,5 enfants par femme à 2,2 enfants) et le taux de natalité de 54 %. Pendant cette seconde étape de la transition démographique (1956-1983), le taux de natalité diminue moins (54 %) que l’indice de fécondité (67 %) en raison de l’augmentation de la pro­portion des femmes en âge de procréer. La proportion de femmes dans la tranche d’âge 20-34 ans passe en effet de 11,3 % de la population totale en 1956 à 13,6 % en 1983.

 

  1. La fécondité à Taiwan

 

En 1983, Taiwan termine sa transition démographique et entre dans la période post-transitionnelle, avec une fécondité qui devient inférieure au seuil de rempla­cement des générations. Depuis 1984, la fécondité oscille entre 1,55 et 1,85 enfant par femme et les effets de la surfécondité traditionnelle des années du dragon (1976, 1988, 2000), considérées comme fastes pour les naissances, semblent s’estomper. Comme les flux migratoires n’influencent guère les évolutions démographiques, le taux d’accroissement total est, depuis le milieu des années 1990, nettement infé­rieur à 1 %. La proportion des moins de 20 ans baisse considérablement, passant en dessous de 30 % depuis 1999, tandis que la proportion des personnes âgées s’accroît.

Compte tenu des évolutions en cours et des effets de vitesse acquise, la crois­sance projetée de Taiwan pour le XXIe siècle est sans commune mesure avec celle enregistrée au XXe siècle (une multiplication par plus de sept de la population). L’Onu, qui établit des projections pour tous les pays du monde, exclut Taiwan de ses publications puisque ce pays n’en fait pas partie. La dernière projection, celle du Population Reference Bureau, réalisée en 2006, annonce une augmentation de population à 23,6 millions d’habitants en 2025, puis une baisse d’ici 2050 selon les hypothèses moyennes.

 

Les incertitudes sur les effets politiques du vieillissement

Ces chiffres impliquent un important vieillissement. Les 65 ans ou plus for­maient 2,5 % de la population en 1956 et encore seulement 3 % en 1971. Cette proportion double au début des années 1990 et atteint 10 % en 2006, puis pourrait dépasser 20 % dans la seconde moitié des années 2030. Ce vieillissement s’effectue parallèlement à une forte augmentation du nombre des personnes âgées, ce que nous avons appelé la gérontocroissance23. Par exemple, les effectifs des 65 ans ou plus ont plus que doublé entre 1990 et 2007, passant de 1,038 million à 2,3 mil­lions tandis que, dans le même temps, les effectifs de jeunes de moins de 15 ans se sont abaissés de 5,5 à 4,4 millions.

 

  1. Le vieillissement de la population de Taiwan

Même si son intensité exacte n’est pas certaine, ce vieillissement est inévitable sous le triple effet d’une fécondité fortement abaissée, de l’avancée en âge des géné­rations nombreuses des années 1950 et 1960, et de l’augmentation de l’espérance de vie des personnes âgées. Le taux de dépendance des personnes âgées est appelé à augmenter considérablement.

En outre, le vieillissement va concerner la population active, dont le dynamisme est une des causes du succès taiwanais. Un changement majeur va se produire puis­que les effectifs de la population active risquent de diminuer, même dans l’hypo­thèse de l’allongement du nombre d’années de travail.

Si les effets du vieillissement sur l’économie peuvent être approchés, reste la question des effets politiques et géopolitiques dans les relations entre Taiwan et Pékin. Taiwan étant devenu, au fil de son rôle de réceptacle migratoire, un symbole passionnel – de signification opposée des deux côtés de son détroit – l’évolution géopolitique de cette région, et plus généralement de la zone Pacifique, dépendra en partie du comportement du corps électoral taiwanais, qui va vieillir.

 

Un corps électoral politiquement divisé

Or, celui-ci, résultant de ces flux migratoires historiquement et politiquement différenciés, est clairement divisé en deux tendances matérialisées par exemple lors des élections présidentielles du 20 mars 2004, avec 50,1% pour Chen Sui-bian, du parti démocrate progressiste, dont le sentiment est celui des Taiwanais de souche, donc s’inscrivant dans cette loi de la géopolitique des populations que j’ai dénom­mée « la loi des groupes humains »24, contre 49,9% à son adversaire Lien Chan du Kuomintang, parti dont la doctrine politique s’inscrit plutôt dans la logique de la « loi des diasporas ». En effet, le Kuomintang reste porteur de l’idée de l’apparte­nance de Taiwan à la Chine, soutenue par Pékin. Les dirigeants communistes préfè­rent donc les héritiers de Tchang Kaï-chek, dont certains prétendent encore25, mal­gré une évolution récente, représenter le gouvernement légitime de toute la Chine, aux indépendantistes taïwanais, qui refusent l’existence d’« une seule Chine ». Ces derniers, qui se reconnaissent dans le parti démocrate progressiste, sont donc par­tisans d’une désinisation ou d’une « détchankaïchekisation » de Taiwan. En 2006, l’aéroport international de Taipeh, qui portait le nom de l’ancien dictateur, a été dé­baptisé. Et le service du courrier qui s’appelait encore «poste chinoise» est devenu, en 2007, « poste de Taiwan ».

 

Des scénarios possibles

Dans ce contexte, différentes échéances se préparent. 2008 sera une année cru­ciale pour Taiwan. D’une part, les élections pourraient donner la présidence au Kuomintang, qui a gagné les élections régionales du 3 décembre 200526. D’autre part, Pékin pourrait se sentir les coudées plus franches après les Jeux olympiques de 2008, tandis que, dans le même temps, ses moyens financiers s’accroissent.

 

En conséquence, il est loisible de réfléchir à plusieurs scénarios géopolitiques. Les trois premiers supposent une évolution réduite à des rapports entre la Chine et Taiwan. Nous les appelons : l’union pacifique, l’union-annexion et l’annexion militaire, ces deuxième et troisième pouvant déclencher des effets boomerang dans la géopolitique interne de la Chine. Les trois autres incluent le contexte régional et mondial, à commencer par le quatrième scénario qui serait une annexion prenant une dimension régionale conflictuelle. Enfin, il convient d’examiner les scénarios de déclaration d’indépendance par Taiwan ou celui du statu quo.

 

Les scénarios se déroulant sans interférences internationales

Le premier scénario, qui serait circonscrit à une géopolitique dont le périmètre se limiterait aux espaces chinois et taiwanais, consisterait en une réunion pacifique de Taiwan à la Chine. Les conditions de réalisation d’une négociation entre la Chine et Taiwan et les garanties apportées par la Chine feraient que l’union de Taiwan à la Chine s’effectuerait dans un contexte pacifique, à la suite d’un accord entre Pékin et un gouvernement de Taipei sans doute issu du Kuomintang. Ce dernier accepterait un rattachement progressif à la Chine, tout en préservant certains aspects d’une autonomie taiwanaise, par exemple selon le principe déjà appliqué pour Hong Kong27 et formulé dès 1984 par Deng Xiaoping : « un pays, deux systèmes ». Un tel scénario n’est possible que si ces conditions sont telles qu’elles puissent être très largement acceptés par l’opinion taiwanaise ou si cette dernière fait preuve d’une sorte de lassitude, conforme à ce que nous avons appelé « la loi de langueur »28.

 

Dans le cas contraire, il se pourrait aussi, deuxième scénario, également circons­crit aux relations de la Chine avec Taiwan, que cette union de Taiwan à la Chine soit vécue par une partie des Taiwanais, soit à l’origine soit à terme (en raison de la mise en œuvre de ses modalités) davantage comme une annexion que comme une union (d’où notre intitulé d’union-annexion). Par exemple, un accord d’union qui voudrait brûler les étapes sans donner du temps au temps serait sans doute inacceptable pour une partie importante de la population de Taiwan, celle qui se sent taiwanaise et non chinoise. D’ailleurs, les événements survenus à Hong Kong depuis la rétrocession à la Chine en 1997 invitent les Taiwanais de souche à la pru­dence, car il apparaît que le maintien de deux systèmes semble, au moins partiel­lement, selon la formule consacrée, une promesse qui n’engage que ceux qui y ont cru. Le risque d’une formule d’union de Taiwan à la Chine qui s’accompagnerait de brutalités existe donc, selon ce deuxième scénario. Pourraient se dérouler à Taiwan des manifestations, encore plus imposantes que celles constatées à Hong Kong, depuis 1997, contre ce que certains considéreraient comme une pure et simple an­nexion, la Chine s’appropriant les richesses économiques et les avantages de Taiwan en imposant la révision de lois conformes à un régime de libertés. Des événements violents pourraient s’ensuivre, avec des mesures de répression susceptibles de durcir encore l’opposition au processus d’union-annexion.

 

Un troisième scénario possible serait celui d’une annexion militaire de Taiwan par la Chine, toujours sans réelle intervention d’autres pays. Un tel scénario n’est possible que si l’on se trouve dans une période historique où les États-Unis auraient, comme cela est arrivé dans leur histoire, choisi l’isolationnisme et où le Japon se trouverait affaibli. Une autre hypothèse serait que ces pays restent neutres en raison de diverses contreparties qu’ils jugeraient plus importantes que leur implication dans le conflit entre la Chine et Taiwan.

 

Les risques d’effets boomerang

Mais alors que le premier scénario, qui écarterait tout conflit civil, n’aurait sans doute pas d’incidence pour le régime politique chinois, les deuxième et troisième scénarios pourraient avoir des conséquences sur des évolutions géopolitiques inter­nes propres à la Chine continentale. Une union mise en œuvre de façon trop bru­tale ou une annexion effectuée par des moyens militaires pourraient avoir des effets boomerang déstabilisant le régime chinois selon deux schémas possibles.

Le premier fait référence à l’affaire des Malouines, que les dirigeants argen­tins voyaient comme un moyen de renforcer leur pouvoir interne, ou à l’affaire de Chypre, avec les colonels grecs escomptant les mêmes avantages. Dans ces deux cas, non seulement l’objectif interne visant à renforcer le pouvoir en place n’a pas été atteint, mais les dirigeants, qui s’étaient lancés dans une escalade militaire, ont dû céder le pouvoir. Même si un tel schéma n’est pas certain selon ces deuxième et troisième scénarios, si l’union ou l’annexion de Taiwan, entreprise plus ou moins rapidement faisait face à de grandes difficultés, par exemple en raison d’une mobi­lisation des Taiwanais de souche se lançant dans une sorte de guerre asymétrique, le régime de Pékin s’en trouverait dévalorisé.

Selon un schéma complémentaire du premier, l’effet boomerang tiendrait à ce que la résistance de Taiwanais de souche à un pouvoir chinois qui se voudrait trop absolu suscite des attitudes semblables dans plusieurs régions de la Chine continen­tale. Là encore, à vouloir trop écharper Taiwan, les dirigeants de Pékin perdraient de l’autorité.

L’examen des deuxième et troisième scénarios et de leurs conséquences éven­tuelles conduit à la réflexion suivante. En 2007 comme les années précédentes, le parti communiste qui gouverne la Chine a la chance, au travers de ses différentes tendances, d’être uni au moins sur un point : la volonté de considérer Taiwan com­me chinoise. Cette doctrine, qui contribue à cimenter le parti, perdrait beaucoup d’intérêt unitaire le jour où la question de Taiwan se trouverait réglée par sa réunion ou son annexion par la Chine.

 

Les scénarios avec implications internationales

Mais on ne peut se limiter à des scénarios circonscrits dans une aire chinoise et taiwanaise. Taiwan se trouve en Asie orientale et son évolution géopolitique ne peut laisser indifférents ni les pays proches, comme la Corée du Sud ou le Japon, ni les autres pays du Pacifique, dont les États-Unis, ni, plus généralement, le reste du monde dans un contexte de globalisation. Un quatrième scénario est donc possible, selon les réactions internationales à une main-mise de la Chine continentale sur Taiwan. En donnant des moyens stratégiques, militaires et économiques supplé­mentaires à la Chine, cette situation affaiblirait relativement et considérablement le Japon, la Corée du Sud, les États-Unis et même le Vietnam ou les Philippines, sans oublier la Russie, dont les territoires orientaux sont déjà menacés par leurs déséqui­libres démographiques avec la Chine.

Alors que Pékin poursuit un programme militaire d’envergure, le reste du monde peut-il accepter un renforcement considérable de la puissance géopolitique chinoise, avec un contrôle total par ce pays du détroit de Taiwan et un large accès militaire de la Chine au Pacifique ? On le comprend, le risque d’une nouvelle guerre du Pacifique ne peut être exclu, une guerre pouvant s’élargir à d’autres régions du monde en fonction des décisions géopolitiques des différents pays. Selon ce quatriè­me scénario, la pleine souveraineté de la Chine sur Taiwan serait jugée inacceptable. Elle serait refusée au plan légal par la communauté internationale et le déclenche­ment d’opérations militaires par les pays riverains du Pacifique serait possible, sans que l’on puisse préciser jusqu’où l’enchaînement des violences pourrait aller.

 

L’indépendance inacceptée

Un cinquième scénario viendrait d’une déclaration unilatérale d’indépendance de Taiwan dont la situation géopolitique apparaît anachronique : c’est un État de fait, et même une démocratie, mais l’Onu et de nombreux pays refusent de la re­connaître en raison de la loi du nombre29. Taiwan est donc une démocratie qui, en raison de l’opposition persévérante de la Chine, se trouve écartée de nombreuses organisations internationales et n’est même pas observateur à l’Organisation mon­diale de la santé (OMS) alors qu’y figurent de nombreux pays ne respectant ni règles humanitaires ni déontologie médicale. Sont aussi observateurs tous les mouvements de libération reconnus par l’Union africaine. Cette absence de Taiwan à l’OMS est apparue particulièrement absurde en raison de la lutte contre la grippe aviaire qui, elle, se moque des frontières géopolitiques. Néanmoins, une déclaration unilatérale d’indépendance soulèverait une question interne et externe. En interne, un réfé­rendum à ce sujet laisserait sans doute l’opinion très divisée, surtout si le régime de Pékin accentue son ouverture, même relative, et dispose de rapports de force favorables en raison des moyens dégagés par sa croissance économique. Par compa­raison, le succès du référendum du Monténégro, succès d’ailleurs obtenu en dépit d’une forte minorité d’opposants, n’a sans doute été possible que dans le contexte d’un État serbe qui n’avait pas trouvé les ressorts permettant de dépasser les drames des guerres de l’ex-Yougoslavie. En externe, la loi précitée de Pékin prévoit, dans le cas d’une déclaration d’indépendance de Taiwan, des «moyens non pacifiques», Pékin pouvant s’appuyer sur une partie de l’opinion taiwanaise. Une déclaration unilatérale d’indépendance équivaudrait selon Pékin au franchissement d’une ligne jaune. Ce serait peut-être aussi l’avis de nombre d’États qui, par realpolitic, soignent le régime de Pékin. Mais personne ne peut dire comment se terminerait l’utilisation de « moyens non pacifiques » car les capacités de riposte de l’armée taiwanaise ne sont pas négligeables et pourraient bénéficier, même en cas d’absence de soutiens officiels, de l’appui indirect de certains pays du Pacifique. Les risques d’effets boo­merang étudiés ci-dessus se retrouvent dans les quatrième et cinquième scénarios.

 

Un sixième scénario est celui du statu quo, autrement dit le maintien d’une sorte de guerre froide maintenant à la fois l’indépendance de facto de Taiwan et l’absence de sa reconnaissance internationale.

Concernant les scénarios s’accompagnant de conflits militaires, rappelons qu’ils s’effectueraient aujourd’hui dans un contexte international particulier en ce qui concerne la vente d’armes. En 1989, à la suite de la dure répression des émeutes de TienAnmen, l’Union européenne a décidé un embargo sur les ventes d’armes à la Chine. Depuis, ce pays ayant abandonné sa conception économique autarcique, est devenu un champ économique majeur dans la compétition entre les entreprises, et des chefs d’État cherchent à en faire bénéficier leurs entreprises nationales. C’est sans doute pourquoi, en 2004, lors d’une visite officielle en Chine, le Président de la république française, Jacques Chirac, a souhaité une levée de l’embargo de l’Union européenne sur la vente d’armes en Chine. Il est probable que la pression chinoise va continuer d’œuvrer dans ce sens, avec d’éventuels nouveaux atouts si les Jeux olympiques se révèlent parfaitement organisés et se déroulent sans incident majeur. La Chine pourrait alors se sentir les coudées plus franches vis-à-vis de Taiwan, mais on a vu que les initiatives chinoises comportent aussi des risques pour son régime.

Finalement, l’avenir de Taiwan s’inscrit dans la logique de l’analyse géopolitique éclairée par les lois de la géopolitique des populations. Son futur tient à la combi­naison de deux ensembles d’éléments. D’une part, les évolutions de sa géopolitique interne sont fortement marquées par les différences de sensibilité nationale entre les populations qui la composent et par les effets du vieillissement de sa population sur les sentiments géopolitiques des individus. D’autre part, les différents paramètres qui font évoluer sa géopolitique externe sont dépendants de variables sur lesquelles les Taiwanais n’ont pas nécessairement prise, dont l’importance démographique de la Chine continentale.

 

* Professeur à l’Université de Paris-Sorbonne, Président de la revue Population & Avenir.

 

Notes

  1. À l’île principale qui compte 35 580 km2, s’ajoutent 21 petites îles de l’archipel de Taiwan, plus les 64 îles de l’archipel de Penghu, à l’ouest de la grande île, soit 126 km2, ainsi que Kinmen (Quemoy) et ses îlots, à 2,3 kilomètres du continent, soit 153 km2, et enfin Matsu (28,8 km2) et 19 îlots comptant ensemble 10,4 km2. L’ensemble approche donc 36 000 km2, soit 3,3 fois la superficie du département français de la Gironde.
  2. Le 6 juin 2007, le Costa Rica est devenu le 170e État à ne pas entretenir de relations diplomatiques avec Taiwan. Le président Oscar Arias a annoncé la rupture des relations diplomatiques avec Taiwan pour se rapprocher de la Chine et afin de « renforcer les liens commerciaux et attirer les investissements étrangers » ; Le Monde, 8 juin 2007.
  3. Dumont, Gérard-François, Démographie politique. Les lois de la géopolitique des populations,

Paris, Ellipses, 2007.

  1. Souvent sous condition d’importants aménagements.
  2. La ressource la plus significative est sans doute le nickel, pour lequel Taiwan se place au 18e rang dans le monde. S’y ajoutent les ressources forestières, diverses mines dont celle de marbre, et différentes productions agricoles (canne à sucre, riz, pastèque…).
  3. Vernet, Daniel « Taiwan et le 60e anniversaire de «er-er-ba» », Le Monde, 28 février 2007.
  4. Situation peu courante. Cf. Dumont, Gérard-François, « Pour le développement humain : le beurre ou les canons ? » Population & Avenir, n° 675, novembre-décembre 2005.
  5. Par exemple, l’ONU ne donne aucune chiffre, même de population, concernant Taiwan.
  6. « La population des continents et des États », Population & Avenir, n° 680, novembre-décembre 2006.
  1. Illustrée par exemple par les années noires ayant connu une forte surmortalité. Cf. Dumont, Gérard-François, Les populations du monde, Paris, Éditions Armand Colin, deuxième édition, 2004.
  1. Selon une note rédigée par Christophe Logette dans le cadre du séminaire géopolitique et démographie dirigé par Gérard-François Dumont au Collège interarmées de défense, février 2007.
  2. En 2007, la Chine n’en posséderait sans doute qu’un seul.
  3. Un autre exemple de la position chinoise se trouve dans le nouveau traité d’amitié sino-russe de 2001 qui réaffirme également les nombreux engagements souscrits par la Russie et la Chine concernant la préservation de la souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale. La Russie y indique de manière non équivoque dans l’article 5 que la Chine est « l’unique gouvernement légitime représentant l’ensemble de la Chine » et que « Taiwan est une partie indivisible de la Chine ». Elle y souligne également son opposition à « l’indépendance de Taiwan sous quelque forme que ce soit ». Cette mention revêt une importance particulière aux yeux des dirigeants chinois, inquiets des bonnes relations qu’avaient nouées les démocrates et ultra-nationalistes russes avec Taiwan dans les années 1990. Cf. Elizabeth Wishnick, « Les relations sino-russes dans le nouveau contexte international », Perspectives chinoises, n° 72, juillet-août 2002.
  1. Dumont, Gérard-François, Les migrations internationales, Les nouvelles logiques migratoires, Paris, Éditions Sedes, 1995.
  2. Que nous avons classé comme l’un des trois  » conflits latents à dimension internationale « . Cf. Dumont, Gérard-François,  » Les inégalités des populations face aux risques « , in : Moriniaux, Vincent, Les risques, Nantes, Editions du temps, 2003.
  3. Nous reprenons ici, en les mettant à jour, certaines analyses effectuées dans : Cf. Dumont, Gérard-François, « Géopolitique et populations à Taiwan », Monde chinois, n° 1, printemps 2004
  1. Mooney, Paul, Taiwan, Hong Kong, Paddy Booz, 1991.
  2. Dumont, Gérard-François, Les populations du monde, Paris, Éditions Armand Colin, deuxième édition 2004.
  3. Et qui apportent notamment les joyaux de l’art chinois, actuellement visibles au musée de Taipei.
  4. Gamblin, André, Taiwan, la victoire du dragon, Paris, Sedes, 1992.
  5. notamment notre lexique dans : Dumont, Gérard-François, Démographie politique. Les lois de la géopolitique des populations, op. cit.
  6. Dumont, Gérard-François et alii, Les territoires face au vieillissement, Paris, Ellipses, 2006.
  7. Dumont, Gérard-François, Démographie politique. Les lois de la géopolitique des populations, op. cit.
  8. Comme l’atteste son souci de ne pas adapter la constitution de la Chine impériale, toujours appliquée à Taiwan.
  9. Courmont, Barthélémy, « Taiwan à l’heure de la campagne présidentielle », Iris, avril 2007.
  1. Qui a le statut de Région administrative spéciale (RAS). Le système politique et judiciaire est distinct de celui de la Chine continentale. Le droit de résidence permet par exemple des facilités de déplacement à l’étranger ou d’échapper à la politique démographique coercitive chinoise, qui n’est donc pas appliquée dans l’ancienne colonie britannique.
  2. Dumont, Gérard-François, Démographie politique. Les lois de la géopolitique des populations, op. cit.
  3. Même si la Chine connaît un ralentissement démographique. Cf. Dumont, Gérard-François, Les populations du monde, Paris, Éditions Armand Colin, deuxième édition, 2004.
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