RUSSIE EN AFRIQUE : LE GRAND RETOUR

Gilles TRÛUDE

Docteur en Histoire contemporaine

Octobre 2009

Loin est le temps où l’Union Soviétique était omniprésente en Afrique, avec 40.000 « conseillers » répartis dans plus de 40 pays. A l’époque de la guerre froide, à la faveur de la décolonisation, l’U.R.S.S. soutenait les mouvements anti­occidentaux, tout d’abord dans l’Egypte du colonel Nasser en finançant le fameux barrage d’Assouan refusé par la Banque Mondiale, puis en Algérie en soutenant le F.L.N. à l’O.N.U. dans sa lutte pour l’indépendance, et en équipant sa nouvelle ar­mée après 1962. Ses sous-marins nucléaires faisaient escale dans l’ex-base française de Mers-el-Kébir, lâchement abandonnée par un pouvoir gaulliste vieillissant.

En Afrique Noire, elle ouvrait une ligne aérienne directe reliant Moscou à Bamako et Conakry, après que le Mali de Modibo Keita et la Guinée de Sékou Touré aient eu seuls l’audace de voter « non » au référendum organisé par le général de Gaulle sur l’Union Française.

Plus tard, en Afrique australe, lors de la guerre civile en Angola (1970-1975), l’U.R.S.S. intervenait militairement par l’intermédiaire des régiments cubains (20.000 hommes) envoyés par son allié Fidel Castro pour soutenir les mouvements anti-occidentaux en Angola ( M.P.L.A. marxiste contre UNITA nationaliste).

En Mozambique, après la déclaration d’indépendance de 1975, l’U.R.S.S. sou­tenait le régime socialiste à parti unique, le FRELIMO de Samora Machel, qui déclarait la guerre à la Rhodésie voisine. En Namibie (ex-Sud-Ouest Africain), elle aidait avec les Cubains le SWAPO dans sa lutte contre l’Union Sud-Africaine alors dirigée par la minorité d’origine européenne (régime de Xapartheid). Les militaires cubains et les conseillers soviétiques ne quittèrent la Namibie qu’en 1988, à la suite à l’intervention des Nations Unies, et l’indépendance ne fut obtenue qu’en 1990.

Dans la corne de l’Afrique, en Somalie, l’Union Soviétique soutenait d’abord le régime révolutionnaire du général Ziyad Barré, porté au pouvoir par le coup d’état du 21 octobre 1969. Mais en Ethiopie, après la révolution qui avait renversé le ré­gime du Négus Haïlé Sélassié en 1974, l’U.R.S.S. prenait le parti du lieutenant-co­lonel Mengitsu Haïlé-Maryam, ce qui amenait rapidement les Somaliens à réagir : en 1977, la Somalie rompait avec Cuba et dénonçait le traité d’amitié qui la liait à Moscou, expulsant les quelque 6.000 experts soviétiques séjournant dans le pays.

Le président éthiopien Mengitsu se rendait à Moscou, et Fidel Castro visitait la corne de l’Afrique, tandis que le président Ziyad Barré partait pour un voyage of­ficiel en Chine, pays qui se proposait de remplacer l’Union Soviétique en Somalie. Mais la lutte était par trop inégale, et en mars 1978, l’Ethiopie, bénéficiant du matériel militaire envoyé par l’U.R.S.S. et de l’aide des « experts » cubains leur en enseignant l’emploi, chassait les forces somaliennes de l’Ogaden, laissant sur le ter­rain de nombreux morts et plus de 50% de leur équipement lourd.

Bref, à l’époque où l’armée américaine, disposant sur place de 545.000 hommes (sans compter les contingents australien, sud-coréen et thaïlandais), après dix ans de guerre, subissait une défaite humiliante au Vietnam – chassée de Saïgon en 1975 dans les conditions que l’on sait – l’U.R.S.S. était omniprésente en Afrique, soit directement, soit par alliés interposés.

Mais cette présence avait un prix : pour donner une idée de l’importance des liens entre l’U.R.S.S. et l’Afrique, citons Aleksander Makarenko, directeur du Département Afrique du ministère des Affaires étrangères russe, qui affirmait en 2003 que :

« La veille de la chute de l’U.R.S.S., le courant des échanges avec l’Afrique était de près de 3 milliards de dollars par an. Il ne s’agissait pas de commerce à proprement parler, plutôt de livraisons d’Etat à crédit. D’importantes marchandises civiles et mi­litaires soviétiques étaient envoyées en Afrique, mais il n’y avait pratiquement pas de mouvement en retour »’ .

La dette commerciale africaine, liée à ces aides à sens unique, atteignit ainsi la somme considérable de 25 milliards de dollars de l’époque, dont 10,7 milliards pour l’Afrique du Nord et 14,3 milliards pour l’Afrique sub-saharienne – endette­ment qui fut peut-être l’une des causes de l’éclatement de l’U.R.S.S., dont la base économique n’était pas suffisamment forte pour être en mesure de mettre en pra­tique la géostratégie planétaire imposée par ses ambitieux dirigeants.

Après l’implosion de l’Union au début des années quatre-vingt-dix, son héri­tière la Russie Fédérale a été pratiquement absente du continent africain pendant dix ans, étant entièrement absorbée par ses problèmes de restructuration interne. La part de l’Afrique dans les importations soviétiques, qui s’élevait à 2,5% en 1986, n’était plus que de 1,9% en 1988, pour chuter à 0,4% en 2001 (pétrole de Libye et cacao de Côte d’Ivoire essentiellement).

Lorsque la Fédération de Russie fut admise au Club de Paris en 1997, elle accep­ta de tirer un trait sur la plus grande partie des dettes des pays en voie de développe­ment africains envers l’ex-U.R.S.S., la réduction des dettes atteignant 90% pour les pays les plus pauvres, tels que l’Ethiopie et la Somalie, l’Angola et la Mozambique ex-portugais, la Tanzanie anglophone, la Guinée et le Mali francophones.

2001, l’année de la renaissance africaine

Il fallut attendre 2001, qualifiée « d’année de la renaissance africaine » par Mikhaïl Lebedev, analyste politique à l’Université Paris I, pour que le président Vladimir Poutine, élu l’an précédent, accueille à Moscou les présidents de l’Algérie, de l’Egypte, du Nigéria, de la Guinée et du Gabon (en l’occurrence le président Omar Bongo récemment décédé). En retour, en décembre 2001, le ministre russe des Affaires étrangères Evguéni Primakov entreprenait une vaste tournée en Afrique Noire comprenant l’Angola, la Namibie, l’Union sud-africaine et la Tanzanie, puis en décembre 2002, une visite en Afrique du Nord incluant la Tunisie et le Maroc.

Mais c’est surtout en 2006 que la reprise des relations entre la Russie et l’Afrique était la plus significative, avec la spectaculaire première tournée africaine du prési­dent Vladimir Poutine en Afrique du Sud et au Maroc en septembre. Cette tournée s’inscrivait dans la nouvelle diplomatie « multipolaire » voulue par le Kremlin, et était analysée comme suit par le politologue russe Evguéni Volk, de la Fondation Heritage :

« Souhaitant restituer son image de super-puissance, la Russie veut montrer qu’elle est présente partout, prête à développer ses relations avec tout le monde : avec l’Amérique Latine, zone d’influence traditionnelle des Etats-Unis, l’Asie du Sud-Est et maintenant l’Afrique » 3.

Cette stratégie mondiale était confirmée par le président Poutine lui-même, qui avait déclaré en juin lors d’une rencontre avec les ambassadeurs en poste à Moscou :

« Les zones d’influence traditionnelles en Amérique Latine et en Afrique appartien­nent au passé, et la Russie peut y trouver un nouveau champ de travail ». Ceci consti­tuait une critique non déguisée des liens conservés par les anciennes puissances coloniales avec certains pays africains (notamment la Grande-Bretagne avec son Commonwealth et la France avec ce que certains observateurs politiques ont a appelé ironiquement la « Françafrique »).

Il promettait ainsi « des milliards de dollars d’investissements » en Afrique du Sud, pays avec lequel les liens historiques sont très forts, puisque la Russie avait fortement appuyé le Congrès national Africain (A.N.C.), principal parti d’opposi­tion sous le régime de l’apartheid, qui avait remporté les premières élections mul­tiraciales en 1994. Ce soutien dans une période difficile n’a pas été oublié par le président Thabo Mbeki, successeur de Nelson Mandela.

Rappelons que l’Afrique du Sud, grâce à ses ressources minières (premier pro­ducteur d’or du monde) est de très loin la première puissance économique du continent, avec un PNB de 277 milliards de dollars U.S. et une population de 48 millions d’habitants, soit un PNB par habitant de 5 770 dollars, qui la classe dans le groupe des pays développés.

Mais l’extraction de l’or, qui emploie à elle seule 400.000 travailleurs, n’est pas la seule ressource minière du pays, riche également en diamant, cuivre, fer, manga­nèse, amiante et charbon.

Dans le domaine minier, les perspectives de coopération entre la Russie et l’Afrique du Sud sont très larges : pour le manganèse, le groupe Renova du milliar­daire russe Viktor Vekselberg s’est engagé à investir un milliard de dollars au cours des cinq années à venir en Afrique du Sud, notamment pour développer l’exploita­tion d’un gisement de manganèse dans la province de Northern Cape (nord-ouest).

En ce qui concerne l’extraction du diamant, « l’Afrique du Sud et la Russie ont des positions dominantes sur le marché des diamants et du platine, et une coordination de leur politique sur ces marchés est avantageuse pour les deux pays », rappelle un rapport d’Andreï Maslov, du Centre russe d’analyse des stratégies et technologies (CAST). Ainsi, des accords de coopération ont été conclus entre le géant russe Alrosa et le groupe sud-africain De Beers, qui détient la première place dans le marché mon­dial du diamant. Toutefois, « faire des affaires en Russie n’est pas facile », a déclaré M. Oppenheimer, patron de la De Beers, lors d’une table ronde rassemblant les délégations russe et sud-africaine d’hommes d’affaires. « Après trois années durant lesquelles nous avons fait des affaires ici, en Afrique du Sud, nous nous rendons compte que ce n’est également pas facile », a rétorqué M. Vekelsberg, estimant que « cela pren­dra du temps » pour arriver à une meilleure compréhension réciproque4 .

D’autre part, la Russie, déjà principal fournisseur d’uranium enrichi à l’unique centrale nucléaire sud-africaine de Koeberg, pourrait, selon M. Maslov, augmenter ses livraisons dans l’avenir, l’Afrique du Sud étudiant un nouveau type de centrale nucléaire. On remarquera que ces échanges ne posent aucun problème sur le plan de la prolifération nucléaire : l’Afrique du Sud, dont l’ancien régime coopérait au­trefois avec Israël pour la mise au point de son arme nucléaire (les experts sont convaincus que les premières expérimentations d’engins nucléaires israéliens ont été effectuées dans le désert de Kalahari) est en effet un des rares pays à avoir renoncé officiellement à l’arme atomique, et a signé en conséquence le Traité de non-proli­fération nucléaire (TNP).

Tout récemment, en décembre 2008, l’ESCOM, l’électricien public sud-afri­cain, a annoncé qu’elle annulait un vaste projet estimé à 9 milliards d’Euros pour la construction de deux ou trois centrales nucléaires de type EPR, en raison de la crise financière internationale et de l’instabilité politique locale. Mais l’ESCOM n’a nullement remis en cause l’ensemble du programme nucléaire de l’Afrique du Sud, qui reste intéressée par l’énergie atomique, afin de réduire sa production de CO2. Il ne devrait s’agir que d’un report, car le problème de l’alimentation en électricité de l’Afrique du Sud, première économie du continent, reste entier 5.

Moins secrètes étaient les négociations entre le président Poutine et le roi du Maroc Mohammed VI, qui l’a reçu au Palais Royal de Casablanca en lui offrant, selon la tradition marocaine, du lait et des dattes. Le Maroc, depuis la visite de son roi à Moscou en 2002, est devenu l’un des principaux partenaires de la Russie en Afrique, les échanges commerciaux ayant été multipliés par trois, atteignant près de 1,5 milliard de dollars en 2005. Le pétrole brut vient en tête des importations marocaines de la Russie, suivi du minerai de fer et de l’acier, tandis que le Maroc exporte ses agrumes, de la farine de poisson et des légumes frais. Selon le nouvel accord triennal signé, douze navires russes, qui devront embaucher des marins ma­rocains, auront le droit de pêcher annuellement 12 000 tonnes de pélagiques dans les eaux marocaines dans l’Océan Atlantique. Celles-ci sont parmi les plus riches du monde surtout depuis que le royaume chérifien, après la fameuse « Marche verte » entreprise par 300.000 Marocains partis à pied, a partagé avec la Mauritanie le Sahara occidental (ex-Rio de Oro cher à Saint-Exupéry), ce qui lui a permis de mul­tiplier par deux la longueur de sa côte atlantique (accord de Madrid de novembre 1975). Toutefois, cette annexion de fait est contestée sur le plan juridique par la communauté internationale.

Avec une population de 34 millions d’habitants (ce chiffre incluant la popula­tion ouest-saharienne), et un P.N.B. de 85 milliards de dollars, soit 2.500 dollars par habitant, le Maroc, qui accueille 8 millions de touristes par an, se situe parmi les premiers pays d’Afrique, et peut espérer sortir du groupe des pays en voie de développement à moyen terme.

Selon le président Poutine, « la Russie mène une action pour élargir la coopéra­tion dans le domaine de l’énergie, où il y a de bonnes perspectives, notamment dans le domaine atomique, électrique et dans l’extraction conjointe d’hydrocarbures, ainsi que dans l’agriculture ». Il serait question que la Russie aide le Maroc à construire un premier réacteur nucléaire expérimental, comme l’a fait l’Algérie (avec l’aide de l’Argentine). Pour le président russe, le Maroc représente « un partenariat sûr et d’avenir », en raison, pensons-nous, de la stabilité de son régime politique basé sur une société très structurée et des traditions séculaires (la dynastie alaouite y règne depuis 1660).

Toutefois, les récents attentats de Casablanca, attribués à la mouvance d’Al Qaïda, et qui ont fait de nombreuses victimes, prouvent que le fondamentalisme musulman est présent au Maroc, et risquent de ternir son image à l’étranger.

Sur le plan international, on remarquera que le roi du Maroc (qui porte le titre de « Commandeur des croyants ») jouit personnellement d’un prestige incontesté, et est l’un des rares chefs d’Etat africains à avoir l’oreille à la fois des dirigeants arabes et israéliens, ce qui constitue un atout de taille dans les négociations inter­nationales, notamment pour le règlement du conflit palestinien. De plus, il dispose d’une armée peu nombreuse, mais d’excellente qualité, compte tenu de la tradition guerrière du peuple marocain.

L’Algérie voisine, plus instable, constituait depuis son indépendance un par­tenaire privilégié de la Russie, en raison de l’orientation « socialiste » de son ré­gime politique. Lors de la visite effectuée à Alger en mars 2006 par le président Poutine, plus de 7,5 milliards de dollars de contrats d’armements ont été signés, portant notamment sur la livraison d’avions de chasse Soukhoï et MIG, ainsi que d’avions d’entraînement Yak-130. Par comparaison, le commerce russo-marocain ne représentait que 800 millions de dollars environ par an. Jusqu’à une époque récente, le Maroc, considéré comme pro-occidental et allié de l’OTAN (les Etats-Unis y disposent d’une base aérienne), se fournissait principalement aux Etats-Unis et en France pour ses achats d’armements. Mais, selon Alexeï Malachenko, du centre Carnegie, « la Russie cherche de nouveaux marchés d’armements et veut calmer le Maroc, qui s’inquiète à cause de la coopération russo-algérienne ».

Il est vrai que le Maroc ne dispose pas des mêmes ressources en devises que sa voisine l’Algérie, dont le PNB s’élève à 171 milliards de dollars pour une population à peu près équivalente (35 millions d’habitants), ce qui en fait la troisième puis­sance économique du continent africain, après l’Afrique du Sud et le Nigéria. Les exportations de pétrole et de gaz naturel représentent 97% de ses exportations. Sa production de pétrole est de l’ordre de 75 millions de tonnes par an, et ses réserves s’élèvent à 7 milliards de tonnes de pétrole et 4 500 milliards de m3 de gaz naturel.

Au début des années 2000, plusieurs contrats ont été signés entre le Maroc et la Russie, pour la livraison de missiles antichars « Fagot » et « Kornet » d’un montant de plusieurs dizaines de millions de dollars. En 2005, un contrat de 100 millions de dollars a été passé pour la fourniture de six véhicules de défense antiaérienne « Tunguska » équipés de canons et de missiles 6.

A ceux qui pourraient soupçonner le Maroc d’utiliser ces armes contre sa voi­sine l’Algérie – qui avait soutenu le Front Polisario anti-marocain dans les années soixante-dix lorsque le Maroc avait envahi le Sahara occidental – la diplomatie russe souligne le caractère purement défensif de ces armes, et le caractère suranné de ce conflit, qui n’empêche pas les deux pays de coopérer de nos jours, notamment pour le ravitaillement de l’Europe en gaz naturel, un gazoduc très important reliant les champs d’exploitation du gaz naturel algérien à l’Espagne via le Maroc et le détroit de Gibraltar.

 

La « diplomatie des matières premières » de Medvedev

Tout récemment, en juin 2009, le nouveau président russe Dimitri Medvedev a effectué une vaste tournée africaine dans quatre pays jugés « stratégiques » : l’Egypte, le Nigéria, la Namibie et l’Angola. C’est la tournée la plus importante d’un chef d’Etat russe en Afrique depuis l’éclatement de l’U.R.S.S., celle de Vladimir Poutine en 2006 étant relativement moins ambitieuse. Le président russe était accompagné en effet d’une large délégation de 400 hommes d’affaires, comprenant les dirigeants des entreprises géantes Gazprom, Lukoil et Rosatom.

L’Egypte, en dépit de son bas niveau de vie, est incontestablement la première puissance du monde arabe, aussi bien par le poids politique que par la population, avec 83 millions d’habitants, et la quatrième économie du continent africain, avec un P.N.B. de 158 milliards de dollars. L’Egypte exporte le pétrole du Sinaï et le coton, dont elle est un des premiers producteurs mondiaux, et tire d’importants revenus en devises des droits de passage par le canal de Suez.

En Egypte, les entretiens ont été surtout politiques : le président Medvedev, impliqué dans le processus de paix au Moyen-Orient (la Russie participe à toutes les opérations de maintien de la paix de l’O.N.U.), a proposé une grande confé­rence internationale pour le règlement du conflit palestinien, qui pourrait se te­nir à Moscou avant la fin 2009. Cette proposition n’a pas recueilli pour l’instant de réponse favorable de la part des diplomaties israélienne et américaine, mais va sans doute être à nouveau évoquée lors de la visite du président Barrack Obama à Moscou prévue en juillet 2009.

Sur le plan économique, le président Medvedev a proposé l’aide de la Russie pour la construction de centrales nucléaires par l’Egypte, décidée à se lancer dans cette voie. Début 2009, la société américaine d’engineering Bechtel a remporté un appel d’offres en vue de l’étude de faisabilité de la première centrale nucléaire d’Egypte ; il s’agit d’évaluer et de choisir la technologie nucléaire adaptée, de faire appliquer les normes de sécurité internationales et de contribuer à la rédaction de l’appel d’offres pour la construction d’une centrale nucléaire à Dabas. Bechtel n’étant pas constructeur, il n’est pas impossible qu’une société non-américaine soit choisie par l’Egypte, si son offre s’avère la mieux-disante.

On remarquera que, lors du voyage du président français Nicolas Sarkozy à Abu Dhabi, un accord de coopération a été signé, portant sur la fourniture par AREVA, GDF-Suez et Total de deux centrales nucléaires de type EPR de 1 600 MW cha­cune. La Jordanie a également fait part en novembre 2008 à AREVA de son in­tention de construire une centrale nucléaire de 1 100 MW, trois autres entreprises étant en concurrence : le sud-coréen Kepco, EACL et AtomStroiExport.

Les pays du Moyen-Orient semblent donc à juste titre tous intéressés par le développement de l’énergie nucléaire, seule capable, sur le long terme, de relayer les énergies fossiles lorsque les réserves actuellement connues seront épuisées, soit à l’horizon 2050/2060 selon les experts.

La Fédération du Nigéria est le pays le plus peuplé d’Afrique (140 millions d’habitants), et le premier producteur de pétrole et de gaz naturel du continent, avec 150 millions de tonnes de pétrole par an, ce qui lui confère le dixième rang mondial. Les revenus générés par ces ressources énergétiques représentent 95% des exportations du pays, soit 34 milliards de dollars par an, et 80% de son budget.

Lors de la visite que lui a rendue le président Medvedev, le patron de Gazprom international, Boris Ivanov, a signé un accord avec l’entreprise Nigerian National Petroleum Corporation pour créer une filiale commune, Nigaz, qui permettrait à Gazprom d’aider le Nigéria dans l’exploration et l’exploitation de nouveaux gise­ments de pétrole et de gaz naturel. En outre, Boris Ivanov s’est engagé dans un vaste projet : la construction à partir de 2010 d’un tronçon de gazoduc, première étape pour la réalisation d’un gazoduc géant qui relierait les gisements de gaz naturel du Nigéria à la Mer Méditerranée en traversant tout le Sahara , via la République du Niger et la Libye, soit une longueur de 2 500 km au minimum.

En Namibie, le président Medvedev, accompagné du président du géant nu­cléaire Rosatom Sergueï Kirienko, a tenté de redonner vie à un vaste projet d’ex­ploration des gisements d’uranium naturel, ce pays en grande partie désertique (800.000 habitants pour une superficie de 825 000 km2, soit une densité inférieure à 1 habitant au km2) détenant des réserves d’uranium naturel qui sont parmi les premières du monde, avec l’exceptionnel gisement de Rôssing, propriété du groupe Rio Tinto, qui fournit 2 500 tonnes d’uranium naturel par an, capacité qui sera portée prochainement à 3 400 tonnes par an.

Sur le plan politique, la Namibie, pays extrêmement pauvre et peu peuplé, n’ou­blie pas l’aide capitale apportée dans le passé par l’U.R.S.S. et Cuba dans sa lutte contre l’Afrique du Sud pour l’indépendance, ainsi qu’on l’a vu plus haut.

Enfin, le président Medvedev a rendu visite à l’Angola, pays avec lequel les rela­tions avec Moscou sont traditionnellement étroites. L’Angola, peuplé de 13 millions d’habitants, se remet difficilement de 27 ans de guerre civile (de 1975 à 2002) entre les trois mouvements le M.P.L.A. d’Agustinho Neto, le F.N.L.A. d’Holden Roberto et l’UNITA. Cette guerre aurait fait plus de 500 000 morts, et entraîné le déplace­ment de 4 millions de personnes en un quart de siècle. En outre, 300 000 colons, portugais en majorité, ont été rapatriés. C’est dire que l’aide russe ne peut être que la bienvenue dans ce pays dévasté.

D’ores et déjà, deux barrages hydroélectriques sont déjà en construction grâce au financement par des capitaux russes ; en outre, ceux-ci ont été placés dans l’ex­traction du diamant, dont l’Angola, voisin de l’Afrique du Sud, est bien pourvu ; le diamant constitue le second produit d’exportation de l’Angola, envoyé en quasi-totalité vers la Grande-Bretagne. C’est pour l’instant un monopole de la Diamang (Compagnie des diamants d’Angola), qui, par ses ramifications, exerce un rôle do­minant dans l’économie du
pays 7.

En guise de conclusion, on peut dire que la Russie dispose de certaines cartes dans sa stratégie africaine :

1/ A la différence de la Grande-Bretagne, de la France et du Portugal, elle n’a ja­mais été une puissance coloniale sur le continent africain, et de ce fait dispose d’un certain préjugé favorable de la part des pays anciennement colonisés.

2/ Elle dispose de ressources en énergie de tout premier plan : elle est le premier exportateur mondial de gaz naturel, avec 650 milliards de m3, et des réserves esti­mées à 47 trillions de m3 (soit 26,7% des réserves mondiales), qui ne devraient pas être épuisées avant soixante à soixante-dix ans.

En ce qui concerne le pétrole, elle en est le deuxième producteur mondial après l’Arabie Séoudite avec 470 millions de tonnes par an. A la différence des Etats-Unis et de la Chine, elle ne dépend donc pas de l’étranger pour ses besoins en énergie, mais souhaite diversifier ses ressources, ses réserves en pétrole étant relativement modestes avec 8 à 9 milliards de tonnes, soit 5% des réserves mondiales, et une vingtaine d’années de production seulement si le rythme actuel est maintenu.

3/ Sur le plan militaire, alors que l’armée américaine, la première du monde, est embourbée dans les conflits d’Afghanistan depuis huit ans, et d’Irak depuis cinq ans, la Russie dispose de toutes ses forces, depuis que le conflit tchétchène est à peu près réglé. On a pu tester la vigueur de sa riposte lors du conflit récent en Géorgie. Ses capacités de projection à longue distance sont donc intactes.

Par contre, après dix ans d’absence sur le continent africain, elle accuse un cer­tain retard sur la Chine dans la conquête des marchés africains : ainsi, en Angola, la Chine est devenue le premier créancier du pays depuis la fin de la guerre civile. Au Soudan, la Chine est très active dans la recherche de pétrole, dont elle a absolument besoin compte tenu du développement de son économie. Plus généralement, la Russie ne dispose pas de la même puissance industrielle que la Chine pour inonder les marchés africains de produits à bon marché, notamment dans l’industrie textile.

De même qu’elle reprend pied en Amérique du Sud, notamment au Vénézuéla, à Cuba et en Bolivie, la Russie pratique une « diplomatie des matières premières » en Afrique, réaffirmant ainsi son statut de superpuissance, après l’humiliation subie à la fin du XXème siècle.

 

 

Notes

  1. Jean FIAWOUMO, « Après une décennie perdue, la Russie redécouvre l’Afrique », Marchés Tropicaux, 12 septembre 2003, pp. 1855-1859. 1. 2. Dépêche AFP, Moscou, 3 septembre 2006.
  2. Dépêche AFP, Le Cap, 6 septembre 2006.
  3. Nucléaire et Energies, mars 2009, p. 20.
  4. RIA Novosti, Moscou, 8 septembre 2006.
  5. Nucléaire et Energies, mars 2009, p. 20.
  6. Alexandre Billette, « La Russie reprend pied sur le continent africain », Le Monde, 27 juin 2009.

 

 

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2 COMMENTAIRES

  1. Bravo … je découvre … et je vous note dans « mon » fichier de « site » de référence … dommage que vous n »ayez pas un RSS … on fera avec ! Bonne continuation !

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