Quel avenir pour les relations entre la Russie et Europe ?

Patricia LALONDE
Députée Européenne

Lors de ma dernière intervention, à l’Ambassade d’Ouzbékistan à Paris le 27 septembre dernier, je soulignais ce que Peter Burian, l’Ambassadeur de l’UE pour l’Asie Centrale, a dit en mars dernier, à savoir que l’UE n’a aucune ambition géopolitique en Asie centrale. À contre pied, le projet de rapport du Parlement européen, qui n’est certes qu’un projet, concernant la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l’UE contient un paragraphe qui demande aux institutions européennes et aux États membres d’utiliser tous les moyens à leur disposition pour renforcer l’influence géopolitique de l’UE et de protéger ses intérêts.

Cette contradiction illustre bien la grande difficulté qu’à l’UE à définir son rôle politique sur la scène internationale et d’ailleurs au niveau des Etats membres eux-mêmes, bien malin celui qui arriverait à m’expliquer clairement ce qu’est la stratégie de la France par exemple en matière de politique étrangère, même si ce dernier semble vouloir, comme Jean Claude Juncker semble le dire également, travailler avec la Russie, cette conférence arrive donc à points nommés.

Les relations avec la Russie sont un bon exemple de l’incapacité de l’UE à se penser comme acteur politique global. Au début de l’année 2018, a circulé au sein de mon groupe politique au Parlement européen, l’ADLE, un document qui avait pour but d’explorer les pistes d’un nouveau cadre de coopération avec la Russie, alliant renforcement de la diplomatie entre les deux ensembles avec le maintient des sanctions à l’égard de la Russie, ce que l’UE a fait en juin dernier concernant les sanctions économiques ainsi que le mois dernier pour les sanctions individuelles, sanctions dont ont connaît l’impact peu probant.

Comment pourrait-on penser un seul instant que la Russie puisse raisonnablement accepter ce type de nouvelle relation avec l’UE ? Autant ne rien écrire du tout et tourner le dos à la Russie, ce que font beaucoup de mes collègues antirusses primaires au Parlement européen.

Je précise que ce document interne à l’ADLE a d’ailleurs disparu des échos radars tant la division au sein du parti politique est grande à ce sujet.

Ce que je sais, ce dont je suis convaincu pour ma part, c’est que l’UE ne pourra prétendre être un acteur politique global en ignorant la Russie, ou en lui faisant face car pendant de temps-là la Chine elle tisse des partenariats avec des Etats-membres de l’UE à l’Est avec des apports financiers conséquents via le format 16+1 alors qu’il me semble que l’avenir de l’UE réside aussi et surtout dans le partenariat avec la Russie car la Russie est une nation européenne et à ce titre nous devons aborder avec elle les questions européennes.

Il suffit de voir ce qui ce passe au Moyen-Orient, c’est en coopérant avec la Russie sur l’Iran, que l’UE peut tenir tête aux Etats-Unis, tant bien que mal, et exister sur le dossier du JCPOA. En revanche sur la Syrie, l’UE est inexistante, car divisée entre ses Etats membres sur la réalité d’une situation qu’elle refuse de comprendre et même d’admettre, impuissante car elle porte le lourd héritage d’un interventionnisme qui trouve ses limites depuis la Libye.

L’UE prend donc le risque de demeurer un acteur champion de l’aide au développement, du soft power porté par l’universalisme des droits de l’homme et de la démocratie ce qui est primordial. Mais ces attributs européens ne suffisent plus aujourd’hui pour prétendre être un artisan de la gouvernance mondiale, un acteur de premier plan dans la résolution des crises et des conflits parce que la Russie, la Chine et les BRICS en général, se focalisent eux-aussi sur l’aide au développement et tissent des liens de plus en plus forts avec les pays qui font partie de la sphère d’influence occidentale.

Là ou en interne, nous l’UE, nous luttons de plus en plus pour rester uni (Brexit, montée des nationalismes et populismes), nous n’avons pas besoin de nous fabriquer des ennemis à l’extérieur car cela augmente le sentiment d’instabilité et favorise les eurosceptiques et les europhobes. Nos concurrents sont aussi nos partenaires et les grands attributs de la puissance s’expriment aujourd’hui dans la capacité de certains Etats à rassembler autour d’eux des pays dans des nouveaux projets de coopération régionaux tels que l’initiative chinoise d’Organisation de Coopération de Shanghai ou l’Union économique eurasiatique de la Russie par exemple, là où l’UE stagne sur le plan extérieur, et qui stagne s’affaiblit.

Les principes directeurs pour les relations entre la Russie et l’UE édictée par cette dernière en mars 2016 dont l’un d’entre eux énonce un engagement de l’UE sélectif avec Moscou sur certains domaines est selon moi insuffisant, car cette limitation dans les relations ne résoudra en rien les crises actuelles, au premier rang desquelles la crise Ukrainienne.

Il faut donc repenser les relations entre l’UE et la Russie, sur la base des intérêts bien compris de part et d’autre, autour d’un véritable dialogue plus fréquent, pour forger des politiques sécuritaires et économiques qui comprennent l’UE et la Russie et non pas l’UE et de l’autre la Russie.

Nous avons voulu, nous occidentaux, intégrer presque aussi vite l’Ukraine dans l’UE que pour les Balkans occidentaux, intégrer l’Ukraine et d’autres pays de l’ex URSS dans l’OTAN sans se soucier un seul instant de la réalité géopolitique, de la réalité sur le terrain, en ignorant totalement la Russie et nous avons vu ensuite la manière dont a répondu cette dernière.

Nous devons travailler sur ce qui existe déjà et il serait bon de guider l’évolution du partenariat oriental initié par l’UE sur la bases d’accords d’associations et l’initiative de l’Union économique eurasiatique (UEE) basée sur l’union douanière en une zone de libre échange entre l’UE et l’UEE tout en identifiant au préalable les obstacles.

Cela prendra du temps mais l’impératif est au dialogue renforcé sur cette question.

Nous devrions aussi permettre la libéralisation des visas pour les ressortissants russes dans l’UE en échange de quoi la Russie dans le cadre de ces échanges pourrait soutenir la société civile russe.

Sur l’Ukraine, une feuille de route devrait être mise en place dans le cadre du processus de Minsk sous l’égide de l’OSCE et de l’ONU.

Il faut aussi que la Russie réintègre le G8, ce que demandent Donald Trump et Emmanuel Macron, car nous avons besoin de la Russie dans ce format ou le multilatéralisme est mis à mal par les Etats-Unis. Cette éviction a renforcé le poids du G20, instance désormais reconnue comme forum de la gouvernance mondiale, comme l’instance du multilatéralisme, faisant perdre un peu plus, de légitimité aux pays du G7 pour résoudre les crises mondiales. La Russie a d’ailleurs dit en juin dernier, par la voix de Sergei Lavrov qu’elle n’est pas pressée de réintégrer le G7 préférant le G20, la boucle est bouclée.

Il y a donc beaucoup à faire et les solutions sont là mais il faut avant tout que nous changions de regard vis à vis de la Russie qui doit faire partie non pas du problème mais bien de la solution aux questions européennes.

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