Quelques originalités géopolitiques de l’Afghanistan

Professeur Jacques BARRAT, Universitaire, diplomate

Trimestre 2010

Situé entre 29°2i’ et 38°3o’ de latitude nord et 60°30′ et 75° de longi­tude est, l’Afghanistan a une superficie de 652 000 km2. Il est bordé au nord par le TUrkménistan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et la Chine, à l’ouest par l’Iran, au sud er à l’est par le Pakistan. Extrémité orientale du plateau iranien, c’est un pays de montagnes dans sa plus grande partie, puisque seules les régions qui jouxtent l’Amou Eauria accepient des altitudes inférieures d 300 mètres. Les chaînes centrales de l’Hindou-Kouch, derniers contreforts de l’Himalaya, constituent un appareil montagneux qui s’étend sur une longueur de 600 kilomètres du nord-est au sud-ouest. Il divise le pays en AfghanistMi septenrrional et AgliMiistan méridional, Uor-més de plareaux couverts de sédiments alluviaux npportés des montagnes p-ar une multitude àr cours d’eaux.

Le climat est conditionné à la fois par le caractère continental du pays et par l’altitude, sans qu’aucune influence (jcéanique vienne tempérer la chaleur des éiés et la rigueur des hivers. Le printemps correspond à la saiso n des altiies et est mar­qué par des précipitaticms de faible quantité, mais très violentes, eiors que l’au­tomne reste la saison la plus agréable. Du fait de ces conditions climatiques, la flore afghane est assez comparable à celle de nos rigio nt tempérées.

Sur une population globale de 30 à 32 millions d’habitants, on estime que le nombre des nomades oscille encore entre 3 et 5 millions. Les Pachtous (40 %) constituent le groupe dominant du pays. Ces Iraniens orientaux, de race blanche, vivent encore sous la tente noire ou khaïma, et hivernent parfois au Pakistan. C’est

pourquoi on les trouve en grand nombre dans les régions de Ghazni et de Kandahar, de même que dans la région de Koundouz, au nord du pays depuis le xixe siècle. Les grandes confédérations Duranis et Ghilzais ont joué un rôle fondamental dans la réalisation de l’unité afghane et c’est sans doute pour cette raison que, en ville, les Pachtous sont grands commerçants ou hauts fonctionnaires.

Les Tadjiks, avec 30 % de la population totale, représentent le deuxième groupe racial du pays. Ce sont des sédentaires agriculteurs ou commerçants, plus particu­lièrement localisés dans la région d’Hérat et dans l’Afghanistan occidental.

Les Hazaras (8,5 %) des montagnes du centre, d’origine pamiro-tibétaine, sont des agriculteurs sédentaires, de type mongol. Certains les disent les derniers des­cendants des hordes de Gengis Khan. En fait, méprisés pendant très longtemps, en butte à des conditions de vie montagnardes très dures, ils quittent, l’hiver, leurs montagnes pour louer leurs services dans les grandes villes. Ils ont longtemps constitué la classe laborieuse du pays, même si certains d’entre eux ont peu à peu amassé des pécules importants qui les mettent parfois à la tête des plus grandes fortunes du pays.

Les Turkmènes (3,3 %) et les Ouzbeks (10 %), d’origine turque, fixés en Afghanistan depuis l’époque timouride, occupent les plaines du Nord. Sédentarisés, les Ouzbeks vivent essentiellement de l’agriculture et de la fabrication des tapis, tandis que les Turkmènes, restés pour la plupart des nomades éleveurs de chevaux, continuent d’habiter la yourte. Quant aux Baloutches, ils représentent moins de 2 % de la population globale.

Enfin, islamisés depuis peu, les Nouristanis, dont l’origine est encore mysté­rieuse, cultivent le blé et le maïs autour de villages accrochés aux flancs des mon­tagnes du Kaffiristan.

Si les sunnites sont majoritaires, les chiites représentent jusqu’à 20 % de la population et sont répartis en trois branches : les Hazaras de l’Hindou-Kouch, les Tadjiks et quelques Kizilbashs (Têtes rouges en turc).

Les deux langues les plus pratiquées dans le pays sont le farsi (langue très proche du persan et qui était essentiellement utilisée par les citadins, en particulier à Kaboul et à Hérat) et la langue pachtoune, langue darique, qui est plus répandue chez les nomades. Le Nord-Ouest du pays, lui, utilise assez souvent les langues turques (ouzbek ou turkmène).

Ainsi, la géopolitique de l’Afghanistan peut s’envisager par rapport à trois cri­tères :

Celui de la latitude :

  • L’Afghanistan du Nord est jaune, turcophone et appartient au monde des steppes de l’Asie centrale, où l’on habite la yourte ou la ville.
  • Le centre montagneux du pays, derniers contreforts de l’Himalaya, est peuplé pour l’essentiel par des Pamiro-Tibétains chiites, les Hazaras, qui sont des monta­gnards sédentaires.
  • Le Sud du pays, qui rassemble l’essentiel des nomades pachtous sunnites, ap­partient au monde des déserts chauds et secs. Il abrite une civilisation d’éleveurs no­mades qui a pour base la khaïma (tente noire en poils de chèvre) et le dromadaire.

Celui de la longitude :

  • L’Ouest du pays, et en particulier la région d’Hérat, a longtemps été une satrapie de Perse.
  • L’Est du pays, la région de Kaboul en particulier, a toujours constitué un nid d’aigle qui permettait les incursions vers les territoires de l’actuel Pakistan et l’Inde

du Nord.

Celui de l’altitude :

C’est elle qui est déterminante à l’intérieur même de chacun des genres de vie, étant bien entendu que petit nomadisme, grand nomadisme et transhumance s’or­ganisent assez souvent par rapport à elle.

C’est une évidence de dire que l’Afghanistan est un pays qui présentait déjà avant l’invasion des Soviétiques en 1979 toute une série d’originalités.

Tout d’abord, l’économie y était restée très traditionnelle jusqu’à la fin du xxe siècle dans la mesure où la proportion des ruraux y était encore écrasante. La dislocation des genres de vie n’y était pas vraiment apparue, et plus de 75 % de la population au moins vivaient encore dans les années 1980 dans une situation sensiblement comparable à celle que connaissaient les pays occidentaux avant la révolution industrielle. C’est pourquoi étudier l’Afghanistan, c’était encore étudier le paysan afghan avant que les interventions soviétique puis américaine ne viennent

provoquer des déplacements massifs de populations. Mais aujourd’hui encore, plus de 60 % des Afghans sont des agriculteurs.

Sa deuxième originalité résidait dans le fait qu’il avait été jusqu’en 1979 un no mans landpour les deux blocs et, c’est sans doute l’un des rares pays du tiers-monde à avoir profité simultanément des aides américaine et soviétique. En ce sens, il était demeuré l’État tampon créé au xixe siècle par les impérialismes russe et anglais. Plus encore, il avait été l’objet d’une particulière sollicitude de la part des organismes internationaux, puisqu’ils y avaient délégué dès 1960 un grand nombre d’experts, au moins le double de celui qu’on pouvait compter en Inde par exemple.

Troisième originalité, enfin, le pays s’était brusquement ouvert aux étrangers et à l’économie moderne vers 1950. Les transformations brutales qui en avaient résulté sont indubitablement à l’origine d’une accélération relativement forte du mouvement d’urbanisation, lequel avait surtout profité à Kaboul, Kandahar et Hérat, les villes du Nord comme Maïmana et Mazar-i Charif restant en dehors des premiers effets de la croissance parce qu’elles étaient bloquées au nord par la frontière soviétique.

Presque totalement inconnu des Français jusqu’à une époque assez ré­cente, l’Afghanistan était devenu à la mode dans les années 1960 chez les jeunes Occidentaux hippies qui empruntaient la route afghane pour se rendre à Katmandou où les attendaient les délices libératoires du haschisch ! Bien plus encore, l’améliora­tion des réseaux routiers turc et iranien, en mettant Kaboul à douze jours de voyage des capitales européennes, avait transformé, à partir des années 1970, en excursion un peu longue un voyage qui jusqu’en 1965 se révélait une véritable expédition.

Mais c’est l’invasion du pays en 1979 par les Soviétiques qui a sonné le glas de l’Afghanistan heureux. On se rappelle encore les efforts des communistes fran­çais, qui tentèrent d’expliquer à l’opinion publique de notre pays qu’il y avait là une libération destinée par ailleurs à réduire les privilèges féodaux et à interdire le droit de cuissage. On sait que l’Afghanistan fut contraint en 1979 de signer avec Moscou un traité d’amitié qui permit à Babrak Karmal, communiste aux ordres des Soviétiques, de renverser son rival, Amin, dont le radicalisme révolutionnaire avait effrayé les dirigeants du Kremlin eux-mêmes.

Jusqu’en 1989, la résistance afghane, qui comprenait près de 200 000 moudja­hidine, épaulés par des milliers de volontaires étrangers et armés par les États-Unis, l’Arabie Saoudite, l’Égypte, la Chine et Israël, parvint à empêcher l’installation

pérenne des Soviétiques. Ces derniers quittèrent définitivement l’Afghanistan en janvier 1989, suite aux accords de Genève de 1988.

Mais la guerre civile ne s’arrêta pas pour autant car le président Najibullah, épaulé par Moscou, dut compter avec la résistance des « Seigneurs de la guerre » du Nord du pays, non pachtous et aidés en cela par le lion du Panshir, le fameux commandant Massoud, qui allait devenir un véritable héros international qui entra en vainqueur à Kabul le 29 avril 1992.

Le conflit n’allait pourtant pas s’arrêter mais sa dimension idéologique allait s’atténuer au profit de rivalités régionales en même temps que le conflit se déplaçait peu à peu des campagnes vers les villes. Pendant cette période (1994-2001), au moins 3 millions d’Afghans avaient trouvé refuge au Pakistan.

Le mouvement des talibans naquit au sein de jeunes réfugiés pachtouns for­més dans les écoles coraniques pakistanaises. En 1996, les talibans s’emparèrent de Kaboul et, en 2001, ils contrôlaient pratiquement 95 % du territoire afghan. C’est alors que les Américains décidèrent d’intervenir en même temps que Ben Laden, revenu en Afghanistan en 1996, mettait en place les bases d’une société islamique absolument radicale.

La chute du régime des talibans au cours de l’hiver 2001 n’instaura pas pour autant la paix, même si elle était due à une intervention américaine et se révélait aussi le fruit d’une lassitude des Afghans, choqués par le caractère sectaire et répres­sif du régime taliban.

En 2002, se tenait une grande assemblée tribale présidée par Hamid Karzaï qui allait mener en 2004 à l’adoption d’une nouvelle Constitution et à la tenue d’élec­tions générales (présidentielles en 2004, législatives en 2005).

Toutefois, c’est l’absence d’une réelle reconstruction économique qui est au­jourd’hui à la base des plus grandes difficultés de l’Afghanistan. Non seulement l’aide internationale n’atteignit qu’environ 50 % des sommes qui étaient néces­saires, mais encore la politique américaine privilégia par trop le côté humanitaire au détriment de la reconstruction des infrastructures et plus encore de l’agriculture. C’est la raison principale de la transformation de l’Afghanistan en un narco-pays, tant il est vrai qu’aujourd’hui l’Afghanistan produit pratiquement 95 % du pavot mondial. Il est vrai qu’un kilo de pavot rapporte à un agriculteur plus de cent fois le

 

prix d’un kilo de blé. Vouloir éradiquer la culture du pavot est totalement irréaliste. Les Anglais et les Américains s’en sont aperçus, mais trop tard.

Le bilan en 2010 est lourd. Plus d’un million de morts et des centaines de milliers de blessés alors qu’on considère que 10 millions de mines soviétiques sont encore enfouies dans le sol du pays. Malgré certains retours massifs, le Pakistan abrite au moins 2,5 millions de réfugiés afghans, l’Iran pratiquement 1 million. Le gouvernement afghan légal ne contrôle que la région de Kaboul et encore. Le pays est aux mains des narco-trafiquants, qu’ils soient talibans ou Seigneurs de la guerre, l’insécurité est totale et l’agriculture afghane ne nourrit plus la population du pays.

Les forces occidentales déployées dans le pays pour soutenir le gouvernement légal ont perdu leur image de libérateurs étrangers qu’elles avaient encore lors de la dictature des talibans. Aujourd’hui, tous les étrangers, en particulier les Occidentaux, sont considérés comme des occupants, et donc des ennemis, par l’immense majorité de la population afghane. C’est là un échec patent irrattrapable et qui nous obligera, un jour ou l’autre, nous Français, à reconsidérer le bien-fondé de notre présence dans le pays. C’est d’autant plus dommage que depuis le premier tiers du xxe siècle, nos actions culturelles (lycée Istiqlal, lycée Malalaï) nous avaient procuré une place de choix dans la considération des élites afghanes.

La diplomatie ouzbèke depuis Tachkent clame à qui veut l’entendre qu’il n’y aura jamais de solution militaire au problème afghan et que seule une solution politique pourra se faire jour. Pour d’aucuns, ces déclarations résonnent un peu comme le discours que fit le général de Gaulle à Phnom Penh lorsqu’il conseilla aux Américains de négocier avec Hanoï plutôt que de bombarder le Nord-Viêtnam et d’essayer d’éliminer au Sud, par la guerre, les forces vietcongs.

Mais, comme aurait dit Kipling, spectateur engagé du biggame, qui intéressa jusqu’à la Seconde Guerre mondiale les Russes et les Britanniques par rapport à cet État tampon créé par leurs deux impérialismes rivaux dès le xixe siècle : « Mais ceci est une autre histoire. »

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