Quel avenir pour la péninsule coréenne ?

Il y a près de 34 ans tombait le Mur de Berlin, ouvrant la voie au processus de réunification de l’Allemagne et d’ouverture entre l’Est et l’Ouest. Le Conseil scientifique de l’Académie de Géopolitique de Paris et la Fédération pour la Paix Universelle ont saisi l’occasion propice offerte par cet anniversaire pour revenir sur la situation coréenne, en organisant un colloque dans les locaux de l’Académie, mardi 28 novembre 2023 de 14 heures à 18 heures, intitulé « Quel avenir pour la péninsule coréenne  ».

70 ans après la fin des combats de la Guerre de Corée (1950-1953), la séparation Nord-Sud au niveau du 38supèmesup parallèle (1953) laisse à la Corée une cicatrice géopolitique et géostratégique de l’affrontement Est-Ouest que fut la Guerre froide. La péninsule souffre encore aujourd’hui de la division d’un peuple à l’origine et aux traditions communes et millénaire (et dont le fondateur commun « Tangun » est fêté le 3 octobre), et la question des chemins à emprunter pour un rapprochement entre les deux Corées a été abordée avec un grand intérêt par les intervenants. Ce colloque avait pour objectif de passer en revue les thématiques correspondant à l’analyse du bilan et des défis d’une situation pérenne de déstabilisation de l’Asie-Pacifique, de la compréhension et de l’approche différenciées des dispositifs stratégiques des deux acteurs coréens mais aussi des puissances régionales qui les entourent ainsi que de l’influence des grandes puissances. L’approche globale a aussi été mobilisée, afin de comprendre les enjeux de puissance et de pouvoir des acteurs de la tension dans la région, et leurs conséquences indirectes, autant militaires et stratégiques que socio-économiques, car le Conseil scientifique n’écarte pas la capacité des intervenants à se projeter sur la potentielle bascule vers un nouveau paradigme des relations politiques, économiques et stratégiques dans cette partie du monde.

L’Académie de Géopolitique de Paris reste fidèle à sa vocation d’animer librement des débats sur des thématiques qu’elle veut analyser de façon inédite et originale. C’est pourquoi elle a choisi de faire appel aux intervenants dont l’approche choisie est la plus ouverte possible et dont l’expertise est la plus pertinente. Ces spécialistes et praticiens des relations internationales ont pu débattre et confronter leurs divers points de vue, ouvrant ainsi la voie à de multiples et enrichissantes nouvelles pistes pour la recherche scientifique.

Monsieur le Président de l’Académie de Géopolitique de Paris Ali RASTBEEN a pris la parole en ouverture du colloque, après avoir accueilli les intervenants, les invités et l’audience. Il s’est exprimé sur le sujet  « La péninsule de Corée, un tiers de siècle après la fin de la Guerre froide ».

Le partage du monde entre les deux grandes puissances lors de la conférence de Yalta (janvier 1945), quelques mois avant la fin de la Seconde Guerre mondiale, a structuré l’ordre international pour les quarante années suivantes (bipolarité des relations internationales et des rapports de forces). Après la création des deux Allemagnes (RFA et RDA) en 1949, la mise en place du « rideau de fer » divise l’Europe et lance la Guerre froide. L’affrontement direct entre l’Ouest (États-Unis et alliés) et l’Est (URSS et alliés) quitte alors le sol européen pour se poursuivre en Extrême-Orient, notamment dans la péninsule de Corée (Guerre de Corée, 1950-53). À la fin de la guerre, la péninsule coréenne est – comme l’Allemagne – divisée (au niveau du 38supèmesup parallèle) et présentera deux régimes politiquement et idéologiquement opposés, irréconciliables, et alliés chacun à l’un des deux camps  Corée du Nord dans le camp communiste (Chine, URSS et affiliés) et Corée du Sud dans le camp capitaliste (États-Unis et pays occidentaux). Si, dans les derniers temps de l’URSS, Gorbatchev a lâché la RDA permettant ainsi la réunification allemande en 1990 – ou plutôt l’absorption de la RDA par la RFA –, il n’en est pas de même pour la Corée du Nord, toujours soutenue par le puissant voisin chinois. Un tiers de siècle après la fin de la Guerre froide, l’affrontement Est-Ouest continue et partage donc toujours la péninsule coréenne. Pour autant, peut-on tirer pour les Corées des enseignements de l’expérience allemande  Et une réunification de la péninsule est-elle envisageable  Hélas, comparaison n’est pas raison, et même si un rapprochement entre ces deux cas peut paraître pertinent à première vue, il est en réalité trompeur. Les deux aires civilisationnelles sont différentes, incomparables bien que présentant des similarités, chacun des cas possédant son contexte, ses spécificités et sa logique propres, qu’il nous faut analyser finement.

 

Monsieur Nicolas TENEZE, Chercheur et enseignant, est intervenu sur le sujet « La dissuasion nucléaire factice de la Corée du Nord ».

La Corée du Nord fait l’objet, depuis sa création (mais surtout depuis 1992, date de la première crise nucléaire) de poncifs. Les dirigeants seraient irrationnels et bellicistes, l’État serait stalinien, tout à la fois autarcique et isolée. Et surtout, Pyongyang détiendrait une dissuasion atomique souveraine. Dans cette intervention, nous prouverons que la patrie du juché demeure un État socialiste et nationaliste mais avec une dimension coréenne spécifique. De même, son économie était tournée vers le monde, grâce à un réseau diplomatique conséquent, du moins avant le durcissement des sanctions en 2017. La dynastie Kim n’est pas irrationnelle, et ses menaces verbales ne sont que des postures. Enfin, l’usage de ses armes de destruction massive (dont la partie nucléaire reste à démontrer dans son existence), ne dépend que de la volonté de la Chine et de la Russie, deux puissances qui protègent et vassalisent le pays.

Monsieur Gracjan CIMEK, Professeur à l’Académie de Marine de Guerre à Gdynia (Pologne), est intervenu sur le sujet « La Corée du Nord dans la géostratégie de l’alliance sino-russe pour une nouvelle ère »

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Depuis que le ministre russe de la Défense et un membre du bureau politique chinois ont célébré en juillet 2023 l’une des principales fêtes nationales de la Corée du Nord, faisant référence à la fin des hostilités lors de la guerre de 1950-1953, le récit occidental propage la thèse de la montée d’un nouveau pays. Axe autocratique conforme au nouveau concept américain. Si l’on considère la question du point de vue de la construction d’un monde multipolaire, le rapprochement de la Corée du Nord avec les deux puissances eurasiennes n’est qu’une évolution de leurs relations antérieures, bien que due à la composante militaire de la rivalité entre l’Occident collectif et l’Occident. L’axe « Nouvelle ère » fondé sur l’alliance Pékin-Moscou en Ukraine nécessite la recherche d’une définition appropriée du trilatéralisme Chine-Russie-Corée du Nord.

Monsieur Ilya TIKHONOV, deuxième secrétaire à l’Ambassade de Russie en France, est intervenu sur le sujet « La politique de la Russie dans la péninsule coréenne ».</p

La politique de Russie à l’égard de la péninsule de Corée

 

La Russie est attachée à la paix, à la stabilité et à la sécurité dans la péninsule coréenne. Nous sommes engagés dans le développement de la coopération tous azimutes avec la RPDC et la République de Corée.

Malheureusement, les relations avec Séoul sont actuellement en déclin. La responsabilité en incombe aux dirigeants sud-coréens, qui se sont montrés suiviste de l’Occident collectif dans sa politique de confrontation globale avec la Russie. Sous une pression politique, de nombreuses entreprises sud-coréennes ont été contraintes de se retirer du marché russe. Cependant, au final, c’est le business sud-coréen lui-même qui a le plus souffert de cette décision, car il a perdu un marché substantiel, tandis que la Russie a rapidement diversifié ses sources d’approvisionnement. Nous notons qu’en République de Corée, il existe une volonté de ne pas permettre la dégradation continue des relations bilatérales et, à terme, de les rétablir. Nous saluons cette intention, mais nous jugerons non pas sur les déclarations, mais sur des actions concrètes.

Au contraire, la RPDC, en tant que partenaire historique de la Russie, n’a entrepris aucune démarche hostile envers notre pays. De plus, Pyongyang montre une volonté de développer la coopération. La visite du dirigeant nord-coréen Kim Jong-un en Russie en septembre 2023 et la visite du chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov en RPDC en octobre 2023 ont donné une impulsion aux relations bilatérales. En établissant une coopération avec son voisin coréen, la Russie n’a pas l’intention de s’orienter en fonction de l’opinion d’autres pays, tout en respectant pour autant strictement les engagements internationaux existants.

La dynamique des événements sur la péninsule coréenne indique une approche d’une nouvelle crise. Nous constatons une escalade des tensions militaro-politiques et une intensification de la rhétorique belliqueuse entre les parties. Depuis l’année dernière, les États-Unis, la République de Corée et le Japon ont augmenté l’intensité et l’ampleur des exercices militaires, y compris en impliquant davantage les forces stratégiques américaines. En réponse, la RPDC renforce ses propres capacités de sécurité.

Le premier pas vers la réduction des tensions devrait être la suspension des manœuvres militaires. La stratégie américaine de pression entraîne un effet contraire, alimentant une spirale d’escalade. De la part de Washington, des actions concrètes sont nécessaires plutôt que des promesses qui pour le moment restent intenues, visant à démontrer une réelle intention de prendre en compte les préoccupations de Pyongyang. C’est sur cette base que nous avons élaboré conjointement avec nos collègues chinois le Plan d’action pour une résolution globale des problèmes de la péninsule coréenne.

Son Excellence Hector Michel MUJICA, Sociologue, professeur et diplomate en qualité d’ex-ambassadeur vénézuélien auprès de la République française et des Principautés de Monaco et Andorre, est intervenu sur le sujet « La politique du Vénézuela dans la péninsule coréenne ».

(…)

Débat

Monsieur Jean-Pierre SCHMITZ, Ingénieur TGV et nucléaire, est intervenu sur le sujet « Développement technologique en Corée du Sud et réflexions sur les relations Nord-Sud ».

Corée du Sud  Dans les années 1980, le rôle de la Corée du Sud était encore limité, en comparaison avec les grandes puissances et le voisin japonais. Après la Guerre de Corée, le pays était un champ de ruines, mais trente ans plus tard les géants comme Samsung, Hyundai, Daewoo et d’autres étaient là, le pays comptait déjà sept unités de centrales nucléaires et le « miracle » était déjà bien parti malgré des moyens encore limités (peu de voitures particulières, travaux collectifs faits avec des moyens très rudimentaires, usage du boulier). La France avait obtenu des contrats pour la construction de deux nouvelles unités de centrale nucléaires, et c’est pourquoi j’ai été, dans le cadre du contrat Alstom, détaché au siège de KEPCO à Séoul (avec de fréquentes mission sur le site de construction à Uljin sur la côte Est) en tant qu’ « Assistant Project Manager », donc adjoint au responsable coréen du projet.

Ce qui m’a le plus impressionné  les capacités de travail, la capacité de récupération, le fonctionnement du consensus, le nationalisme, le système autoritaire, le respect des hiérarchies (famille, école, entreprise) et la prédominance du collectif sur l’individuel. J’ai toutefois eu quelques difficultés en matière de communication, linguistiques comme culturelles. La mise en service de la centrale a pu se faire dans les délais, aspect essentiel du succès des réalisations. Au cours de mes visites, j’ai pu constater le développement impressionnant du pays en ce qui concerne les technologies de pointe, le métro, le TGV et beaucoup d’autres domaines. Au cours de visites en Corée dans des périodes plus récentes, j’ai pu constater le développement impressionnant du pays nos seulement dans les technologies de pointe, mais dans beaucoup d’autres domaines, par exemple métro, TGV, …

Corée du Nord  Dans les années 1980, les plus anciens habitants de la Corée du Sud parlaient avec une très grande tristesse, mais aussi avec révolte, de leurs proches restés au Nord, et dont ils étaient séparés sans aucun espoir de les revoir. En Corée du Sud, j’ai toujours remarqué un fort rejet de la Corée du Nord, à tous les niveaux de la société. Des tentatives de contacts ont eu lieu, très médiatisés, mais toujours sans suites réelles. Les chances de réunification sont quasi-nulles, et difficile d’imaginer pour le Nord une amélioration considérable du niveau de vie et l’évolution vers un système démocratique. Il faut tenir compte de la situation internationale. Les deux Corées sont riches. Au Nord, richesses agricoles et minières. Au Sud, très haut développement technologique. Les deux pays réunis constitueraient une nation très puissante dont les grands voisins ne veulent sans doute pas entendre parler. Toutefois il est juste aujourd’hui de parler de deux pays distincts et différents. Nous avons fait le voyage en Corée du Nord il y a quelques années, avec le Professeur Patrick Maurus  accueil chaleureux, mais sous surveillance constante. Visite la plus impressionnante  le mausolée des deux Kim.

Monsieur le Professeur Olivier BAILBLE, Directeur des études asiatiques à l’Université d’Aix-Marseille, est intervenu sur le sujet « La situation de la péninsule coréenne ».

(…)

Monsieur Michel Panet, Professeur des Grandes Écoles, est intervenu sur le sujet « Corée et son évolution avec son voisinage proche ».

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Monsieur Jacques Marion, Président FPU-France, s’est exprimé sur le sujet « Perspective de paix sur la péninsule coréenne ».

Comment bâtir la confiance avec la Corée du Nord  Ceci fut l’un des objectifs essentiels des fondateurs de notre organisation (le couple Sun Myung et Hak Ja Han) qui avaient réussi à tisser des liens de confiance avec les dirigeants nord-coréens, et ce alors qu’ils étaient totalement opposés idéologiquement. Dans les circonstances actuelles, cet idéal paraît lointain, mais n’oublions pas que la réunification reste un objectif inscrit dans les constitutions de la Corée du Sud et de la Corée du Nord. Invité en Corée du Nord en 1991, le couple rencontra Kim Il Sung. Ils signèrent un accord de paix comportant cinq points  Les visites de familles séparées, l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire, l’accueil des investissements de Coréens de l’étranger, l’ouverture de pourparlers au sommet entre le Nord et le Sud, le développement de la région touristique des monts Kumgang, ainsi que la prise de plusieurs initiatives pour faire la médiation avec les USA. En conséquence, Kim Il Sung décida de suspendre le « mois de la haine de l’Amérique ». Cela a ouvert la voie à divers investissements à Pyongyang. À sa mort en 2012, le révérend Moon a reçu à titre posthume la médaille nord-coréenne de la réunification nationale. Le Dr Hak Ja Han Moon poursuit l’œuvre de son mari. Notamment, en février 2022, un Sommet de la FPU fut convié par Ban Ki Moon et l’ancien premier ministre Hun Sen du Cambodge. Plusieurs dirigeants mondiaux ont envoyé des messages de soutien à la paix sur la péninsule. Mais c’était 10 jours avant que n’éclate la guerre entre la Russie et l’Ukraine.

La question de la paix et de la réunification ne peut se concevoir que dans le cadre d’une coopération régionale. Dans ses Mémoires, notre fondateur compare la position de la Corée en Asie du Nord-Est à celle d’un roulement à billes, permettant de favoriser les échanges entre les quatre grands acteurs régionaux  la Russie, la Chine, le Japon et les Etats Unis. Il avait ainsi conçu un plan d’un réseau routier ou ferroviaire qui relierait le Japon et la Corée par un tunnel, puis s’étendrait à un réseau international qui relierait la Russie aux Continent Américain par le détroit de Béring, et l’Asie du Nord-Est à l’Europe puis à l’Afrique. Évidemment, l’ouverture du 38supesup parallèle en serait la condition primordiale. Il a également proposé la création d’un « parc international de paix » sur la zone démilitarisée du 38supesup parallèle, qui serait sous la supervision de l’ONU. Il a aussi proposé la création d’un cinquième siège de l’ONU près du 38supesup parallèle, qui donnerait ainsi à l’Asie, la région la plus peuplée du monde, une représentation onusienne.

Politiquement, une Corée unifiée pourrait déclarer sa neutralité, à l’image de la Suisse par exemple.

La réunification ne peut être réalisée par les deux Corées seules, sans prendre en compte les intérêts des quatre grandes puissances (Russie, Chine, États-Unis, Japon). Il y a 9 millions de Sud-Coréens qui ont des racines en Corée du Nord. Une Corée unifiée a un immense potentiel. Avec les ressources minérales du Nord et le développement industriel du Sud, son PNB dépasserait rapidement celui de la France, du Royaume-Uni ou du Japon. En théorie, le processus se ferait en trois étapes (réconciliation-coopération, fédération intercoréenne, unification) mais la Corée a besoin de temps, car une unification précoce ne serait qu’une assimilation du Nord par le Sud. Aujourd’hui, les deux pays sont incompatibles. La question de l’unification n’est donc pas une simple affaire de méthode, il s’agit de concrétiser la grande cause de l’union du peuple, par la redécouverte des valeurs communes dans tous les domaines et l’établissement d’une identité nationale partagée, réveillant la fierté de la nation sur la base d’une culture qui est millénaire. Il faut soutenir l’initiative « Deux États pour une nation Une péninsule, un peuple, une culture ». Tel est l’objectif que nous poursuivons, conscients de ce que représente la réunification de la péninsule coréenne pour notre époque  un enjeu pour le monde entier (en tant que confrontation entre le capitalisme libéral d’un côté, le socialisme de l’autre ; un système ouvert aux religions et un système antireligieux).

Suite à ces interventions, les questions du public ont été prises. Un très intéressant débat a eu lieu et a permis aux intervenants de confronter leurs points de vue. À l’issue de celui-ci, le Président de l’Académie de Géopolitique de Paris a mis fin au colloque, après avoir remercié tous les intervenants ainsi que l’audience, pour leur riche et active participation et pour leur présence.

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