Rédacteur : Philippe Muller Feuga
Secrétaire général du Club des officiers de sécurité (ClOS),
Ancien Responsable de la Mission Protection du secret (MPS/HFDS/SGDSN), et Auditeur au Contrôle général économique
et financier des Ministères économique et financier, Membre du Groupe de travail sur le rôle des territoires non coopératifs
dans la déstabilisation de la finance mondiale,
Membre du Comité scientifique de l’EFCSE (European Federation of CyberSecurity Experts),
Membre du Cercle K2,
Réalités de l’extraterritorialité du droit américain et jeux d’influences paradoxes dans les relations internationales.
Réforme inachevée de la sécurité nationale en France et la question de souveraineté pour l’Union européenne.
L’œil était dans la tombe, et regardait Caïn
(Victor Hugo, la conscience, la Légende des siècles)
Argumentaire
Les réalités de l’extraterritorialité du droit américain conduisent à s’interroger sur la place à accorder au droit dans l’évolution des relations internationales en tant que rapports entre les nations. La réflexion porte sur les pratiques politiques autour de la protection de leurs « intérêts de sécurité », et l’introduction de la norme juridique sur un plan international. Ce qui est nullement contradictoire à partir du moment où, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, un ordre rationalisé s’impose, en accord avec les États. Cet ordre partiellement codifié repose sur un droit essentiellement coutumier qui n’exclut pas la volonté souveraine. Il est sous l’influence de deux facteurs : le fait nucléaire avec la dissuasion comme élément stabilisateur capable de garantir paradoxalement la paix ; notre monde réel – dans lequel les relations internationales ont étendu leur action avec la troisième mondialisation – est augmenté d’une nouvelle dimension, celle consécutive à la transformation numérique ou digitalization. Avec une accélération depuis la fin de la guerre froide (1947-1991), et fait écho à Pâris, the future of War de sir Basil Lidell Hart. Elle annonce des temps nouveaux par la rupture digitale par rapport au fait nucléaire et à la culture mécanisée, tous deux dominant au XXe siècle.
L’information ou data devient la principale valeur à capter. Elle modifie nos structures industrielles en une data-driven economy, et valorise la competitive intelligence, avec deux piliers l’économique et le juridique. Le partage de l’information s’intègre dans les déterminants de la compétitivité, et conduit à définir des standards d’échange, notamment sur le territoire européen. Projeté dans l’avenir proche, ce partage modifie fondamentalement la stratégie des moyens en termes d’influence ou d’attaques, d’approche indirecte et d’anticipation ; il oblige à préciser un continuum défense et sécurité nationales autour de la protection d’infrastructures critiques suggéré par une « guerre hors limites » telle entendue par les stratèges de l’Armée de libération chinoise. Dès lors, de nouvelles stratégies se dessinent à partir de l’intelligence économique (IE) ou juridique (IJ), et celle artificielle (IA) en tant qu’outil d’aide à la décision dans des réalités désormais augmentées. Cette tendance irrésistible impacte inévitablement le « fait guerrier » ou l’unfair competition, appelé à se modifier et à prendre des formes hybrides, insoupçonnables ou masquées (zero day exploits), non sans conséquences sur la continuité de nos activités de plus en plus organisés en réseaux. Elle oblige le droit international à s’adapter, et à investir le territoire numérique pour rétablir la confiance en termes de souveraineté, de sécurité nationale et de sécurité collective ou globale malgré une relative dilution des frontières.
L’acceptation d’un processus normatif entre États conduit à la constitution d’un système juridique dans les relations internationales, composé de normes liées à des principes, dont les deux principaux sont ceux d’égalité souveraine et de réciprocité. Dès lors, l’extraterritorialité d’un droit interne ou national est-il « juste » ou acceptable par d’autres États ? Et dans quelles limites, sachant que le Conseil de sécurité des Nations Unies veille, depuis 1945, à « gérer » le déséquilibre des forces entre puissances, et à promouvoir la paix, tout au moins le principe de « sécurité collective » ? A moins qu’il s’agisse par défaut d’un usage stratégique du droit ou lawfare en tant que prolongement de la politique (politics) et substitution à la guerre (warfare) par d’autres moyens. L’extraterritorialité est un acte d’influence fort, expression renouvelée de la volonté de puissance. Cette tendance s’est imposée suite aux « ruptures » observées depuis les années 1980, et accélérées avec la fin de la guerre froide (1989-1991). Elle modifie profondément l’art, la nature et les « buts de guerre » avec l’émergence d’un cinquième lieu de conflictualité, le cyberespace. En toute logique, il s’agit d’une nouvelle conflictualité par métamorphose de ces « buts de guerre » : le contrôle du processus de décision, ou comment l’influencer. Par essence, le cyberespace conduit à la réduction du « brouillard de la guerre » grâce à l’accès à la principale valeur d’usage de la nouvelle économie, la data ou information, selon qu’il s’agisse de connaissances en tant que savoir (acquisition), de données numériques déstructurées ou big data (traitement), ou d’informations appelées à devenir du renseignement (intelligence). Nouvelle valeur à capter, et donc à protéger avec l’émergence disruptive de la data driven economy en tant que créatrice de nouvelles richesses des nations. Elle permet d’obtenir l’avantage concurrentiel par l’information et la veille technologique, non sans risques hors d’un cadre contractuel, et in fine dans un ordre juridique conciliant l’État de droit à vocation universelle et instaurant la confiance auprès des citoyens.
Dès lors, la conformité au droit devient un impératif, subi sur un plan international mais de plus en plus internalisé par les États. L’entière maitrise de ce processus de décision ou competitive intelligence renforce l’impact de l’extraterritorialité d’un droit ou peut justifier le lawfare. Nouvel outil de puissance, par instrumentalisation de l’influence ? Comment de tels facteurs – l’extraterritorialité du droit, la portée accrue des lois ou des tribunaux internationaux qui accompagnent la montée de la mondialisation économique, et l’expansion continue des réseaux de partage de l’information – consolident le pouvoir et la prévalence croissants des normes juridiques ? En imposant la mise en conformité, cet outil de puissance accompagne la transition digitale. Celle-ci vise l’affirmation de l’hégémonie, ou à défaut de la suprématie numériques par le maintien d’une posture de leadership américain dans l’ensemble du cyberespace. Elle est portée par une active cyberdéfense ou cyber-sécurité des secteurs stratégiques, notamment privés, et en conséquence par une confidentialité accrue dans le partage des informations essentielles ou critiques – axé sur le commandement et le contrôle (C2), y compris le C2 multi-domaine (MDC2) incluant la cyber-résilience dans les communications et la R&D en matière de protection de data –. Il n’est pas sans conséquence sur la stratégie de communication ou d’influence, comme sur le degré de responsabilité (autrefois appelée Kriegsschuldfrage) dans le processus décisionnel évaluée à l’échelle locale, régionale ou globale (en termes de sécurité internationale).
Une interrogation : l’application du droit international peut-elle trouver ses limites dans les nouveaux territoires numériques, certains marqués par une balkanisation de l’Internet, comme l’espace chinois ? La numérisation de la société ou de notre quotidien est l’une de ces ruptures historiques ambivalentes. A la fois proche de la Déclaration d’indépendance du cyberespace (de John P. Barlow, 1996) par son impact libertaire sur la diffusion « globale » de la connaissance, du savoir ou de toute information, elle est également vecteur du développement des réseaux de l’Internet en web n.0 : son expansion structure l’ère de l’information, et ses caractères créent une virtualité imprévisible. Elle est toutefois chargée de menaces pour les « intérêts fondamentaux » d’un État souverain, incluant les atteintes à ses « intérêts de sécurité ». Ce qui légitime l’émergence ou le retour du concept de « sécurité nationale » au regard de la « souveraineté numérique ». C’est l’une des responsabilités fondamentales de tout État, entité reconnue en droit international composée d’un territoire, d’une population et de ses modes de gouvernement. Ce concept est destiné à protéger l’État, ainsi que les valeurs qu’il porte, de préférence partagées par la population ou « État de droit ». La notion de souveraineté en découle, fût-elle nationale ou populaire, selon son degré de représentativité. Fort de ce critère juridique, un ordre codifié appelé « système westphalien » a émergé du processus historique nullement linéaire, mais de manière tendancielle sans atteindre la « fin de l’histoire ». Cet ordre associe la souveraineté d’un État et son indépendance, traditionnellement assurées par ses forces armées pour faire face à une agression militaire extérieure. Les deux guerres mondiales ont montré l’absurdité de conflits mécaniques nés des révolutions industrielles, avec leur paroxysme porté par l’arme nucléaire. L’ère du numérique qui se substitue à l’essor industriel de l’Occident modifie la dialectique de la communication, et l’information devient à présent un outil d’influence majeur. Non sans risques en raison du rôle de l’influence sur deux facteurs fondamentaux de la guerre : military capability, et political will to resist (capacité militaire et volonté politique à résister). L’histoire du XXe siècle montre que l’un ou l’autre, ou les deux peuvent être compromis, conduisant à une étrange défaite nationale (either or both can be undermined, with resultant national defeat[1]). Si dans un premier temps la transition numérique a induit un « projet » imaginaire de contrat social « sans contrainte physique (…) né de l’éthique, de la défense éclairée de l’intérêt propre et de l’intérêt commun (…) exempts de souveraineté », le retour de l’État est attendu dans un second temps par les réalités concrètes de la couche physique du cyberespace attachée à un territoire. Dans le cadre européen, la traduction de ces deux facteurs nécessite l’édification d’un écosystème de confiance, pour un partage souverain des données. C’est aussi un jeu subtil d’influence réciproque entre l’extraterritorialité du droit et la régulation institutionnelle de chaque État, à défaut de celle de l’Union européenne. Mais tout dépend du courage politique des dirigeants européens.
Une fois ainsi posé ce jeu de paradoxes et de nouvelles influences comme tentatives d’explication d’un supposé « chaos » dans les relation internationales – par la remise en cause d’un multilatéralisme structuré par les organisations internationales (ONU ou OMC) post 1945 –, l’extraterritorialité du droit, en l’occurrence du droit américain, conduit à s’interroger sur la viabilité de celle du droit européen. En effet, cette extraterritorialité apparaît comme un substitut au recours à la force armée comme outil pour atteindre certains objectifs de sécurité nationale, celle des États-Unis à défaut de celle de chaque État de l’Union européenne, et ceux de sécurité globale.
(1) Dans le contexte de la guerre froide, les États-Unis ont su associer dès 1947 le concept de « sécurité nationale » à l’assurance d’une sécurité collective (absence d’une dichotomie) pour eux comme pour les pays de l’Europe de l’Ouest qui l’ont acceptée. La chute du Mur de Berlin et la disparition de l’URSS (1989-1991) autorisent, rappelons-le, par défaut, les États-Unis à dépasser l’esprit wilsonien à vocation universelle des institutions internationales, comme l’Organisation des Nations Unies (ONU) ou l’Organisation mondiale du commerce (OMC). La construction d’une paix perpétuelle semblait possible dans un idéal wilsonien. Paradoxalement, l’accent est mis sur leur hegemôn grâce à leur puissance souveraine prolongeant le « privilège exorbitant » de leur monnaie, ou dollar malgré leur twin deficit (hors déficit du budget fédéral avec un endettement de 31,1% de leur PIB en 1972, au plus bas depuis 1945, il s’agit de celui des paiements courants apparu en 1982, après celui de la balance commerciale apparu dès 1971[2] – situation soutenable, comparable à celle du Royaume Uni avant 1914).
Vient s’ajouter un second privilège surdimensionné, celui du lawfare ou extraterritorialité de leur droit qui bouscule toute décision souveraine d’un État. Ainsi, à leur apogée en 2003 (guerre d’Irak), les États-Unis imposent le processus du nation building contraire à l’esprit de la Charte de l’ONU, et maintiennent un jeu d’alliances militaires (OTAN) auquel consent la plupart des pays membres de l’Union européenne (UE), non sans un allié reluctant ou réticent, comme la France. Parallèlement au changement des paradigmes issus des précédentes révolutions industrielles, ils s’assurent avec des acteurs comme les GAFAM le contrôle de l’information, valeur cardinale de la révolution numérique ou de la data-driven economy. Elle succède aux révolutions industrielles, et engendre une véritable renaissance en tant que résultante de la fonction directe de l’interconnexion des réseaux, des effets de réseaux liés à leur connectivité, mais aussi des plateformes, de l’Internet des objets ou de la convergence IT/OT. Mais cette renaissance crée une sujétion à l’information dans une alliance comme l’OTAN auprès de pays « malgré eux » qui se retrouvent nolens volens par la vente du F35 Lightning 2 de Lockheed-Martin inscrits dans la rupture technologique et stratégique en tant que plateforme de reconnaissance furtive avancée et du combat collaboratif. Un prolongement de la posture de leadership pour coordonner les cyberattaques et contrôler le partage de l’information.
Depuis les années 1990, le cyberespace crée ce « déluge » d’informations ou big data qui restent à valoriser, à authentifier et à localiser, comme souligné par les activités de la NSA ou des hackers de tout horizon (Edward Snowden, 2013). La guerre change de visage, et devient moins militaire mais davantage économique avec pour « buts de guerre » l’information ou la donnée. Ce qui pose la question de l’État de droit, et par ricochet de la confiance, car cela permet le contrôle de toute prise de décision. Le continuum sécurité/défense est né à partir de 1992 avec la fin de deux blocs identifiés et antagonistes, et en opposition avec l’idée d’un cyberespace conforme aux idées californiennes d’antan, libertaires sans frontières, sans État, ouvert à toute action « déloyale ». Il interpelle l’adage privacy versus security ou Apple vs FBI autour du « sabre à double tranchant » (1993) représenté par l’outil du chiffrement, suite à l’affaire terroriste de San Bernardino (Californie, décembre 2015). Il démontre le possible retour de l’État, et même inévitable, car, parmi les trois principales couches de l’Internet, la couche physique joue un rôle important, et réintroduit le concept de souveraineté nationale. Les nouvelles puissances, comme la RP de Chine, la Russie, la Corée du Nord ou l’Iran l’ont très vite assimilé, dès les années 1990, tandis que l’Union européenne est restée « ouverte ». Son aveuglement ou son innocence liée au « projet européen » la rend vulnérable même si des directives ou règlements commencent à organiser la cyber-sécurité, la lutte contre la désinformation, le partage de l’information et la protection des « données sensibles », mais limitées aux données personnelles (RGPD).
(2) Contrairement à la position des États-Unis justifiant l’extraterritorialité de leur droit (“the key to America’s long-standing leadership has been its willingness to subordinate its singular will to that of international organizations and alliances”), la dichotomie entre « sécurité nationale » et « sécurité collective » est accentuée avec l’émergence de nouveaux États-puissance ou de « communautés stratégiques » issus du monde économiquement unifié post 1991. Ils contestent à la fois l’ordre mondial établi, l’unilatéralisme arrogant de l’empire américain, et optent pour une approche différente des relations internationales. Les nouvelles puissances, certaines fortes de leur civilisation impériale plus ancienne que celle d’origine européenne, revendiquent d’autres universalismes au nom de leur souveraineté nationale associée au principe d’égalité juridique entre États, principe rappelé lors de l’accord de Paris sur le climat (2015, COP 21), mais refusé par les États-Unis. La reconnaissance de ces universalismes conduit au respect d’« intérêts mutuels » pour définir en toute logique une paix harmonieuse qui s’accompagne à la fois d’une plus grande participation aux instances internationales et d’une valorisation d’une éthique de la puissance appelée à équilibrer toute puissance d’État. Mais celle-ci subit-elle une fragmentation de son exercice, ou une influence paralysante dans la prise de décision ? Soit d’origine interne par défaut de représentativité conduisant à un affaiblissement ou à un rejet de l’État autoritaire épaulé par son administration, soit externe par un multilatéralisme, moins basé sur le principe de réciprocité interétatique qui a failli, que sur des engagements volontaires relevant d’initiatives généralisées de nature sécuritaire face aux nouveaux risques planétaires.
Autre paradoxe ou ambiguïté des relations internationales quand les puissances émergentes doivent composer entre la défense de leurs propres intérêts, l’acceptation d’une gouvernance mondiale organisée par le droit international respectueux de leur souveraineté, et la violence irrationnelle de paramètres « universels » comme la liberté ou l’expression individuelles. Vient s’ajouter la définition de nouveaux droits sans contrepartie réelle, mais aussi autour de « biens communs » comme l’environnement, l’utilisation de l’espace ou le climat portés par les instances internationales. Ces pays émergents souhaitent les respecter comme « bons élèves » d’éléments détachés des normes « démocratiques », mode occidental. Le « règne de la loi » ou la régulation institutionnelle est appelé à être limité par une opinion publique ou l’influence de réseaux sociaux émotionnels, donc irrationnels, non sans influence sur tout processus de décision. Cette éthique de la puissance et le lent passage à une gouvernance mondiale observée depuis la fin du XIXe siècle, à commencer par le désarmement (1899), sont rehaussés par de nouveaux principes, des codes de conduite ou de bonnes pratiques, tels ceux d’accountability ou de responsabilité commune avec le devoir de « rendre compte ». L’intrusion d’arguments moraux, avec une priorité donnée aux droits de l’homme, à vocation universelle, modifie la pratique des relations internationales. Les « intérêts de sécurité » de chaque État semblent devoir reposer sur des considérations éthiques, culturelles, identitaires ou religieuses de dimension régionale, mais présentées comme d’autres universalismes relevant de communautés ou de systèmes de valeurs concurrents à celui de 1a Charte de l’Atlantique. Au nom d’un multilatéralisme « militant », ils s’opposent à une mise en conformité (compliance), le plus souvent liées à l’extraterritorialité des lois américaines considérées by default à vocation universelle. Le droit international reste bien imparfait, éloigné d’une gouvernance mondiale qui ouvrirait la voie au « règne de la loi » hypothétique. Dans un monde où, la guerre militaire devenue hors la loi, la « guerre économique » ou unfair competition s’est inscrite dans une géo-économie aux multiples facettes, émergent des possibles « intérêts mutuels ». L’édifice européen appelé à concilier l’État de droit et à réinstaurer la confiance peut y contribuer. Le Pacte mondial ou Global compact de l’ONU (UNGC avec ses Objectifs de développement durable, ODD) en est une illustration dans son objectif “to unite the strengths of markets with the authority of universal ideals to make globalization work for everyone”, « à unir la force des marchés à l’autorité des idéaux universels » (Kofi Annan, 1999 et UNGC, juin 2004).
(3) Dans la construction de son marché intérieur, l’UE en a oublié la dimension extérieure. Frileuse, elle refuse toute idée de puissance. Et la France réticente à brader son autonomie stratégique y semble bien isolée. Pourtant, la nouvelle mondialisation introduit une mutation de l’ordre mondial établi post 1991, donc du rôle de leadership américain, portée par la transformation numérique et la nécessaire régulation d’activités partagées à l’international, voire de biens communs comme les espaces maritimes, ou le spatial. Elle conduit à des règles de gouvernance mises en conformité (compliance) en termes de responsabilité, de confiance et d’éthique devenus des enjeux de réputation, donc d’attractivité. Elle est appelée à consolider la lente reconnaissance d’un ordre juridique sous influence croissante du droit international encore incertain, et d’une hiérarchie des normes en droit interne. Une telle interaction numérique/juridique est à interpréter dans une approche pluridisciplinaire autour du devenir du concept de puissance : de ses trois composantes – militaire, technologique et économique, et juridique – modelées par l’influence culturelle des États-Unis, la France et la nouvelle Commission de l’Union européenne apparaissent soucieuses de ces « intérêts mutuels », capables de porter d’autres valeurs universelles (global compact) considérées comme communes, tels l’éthique et le développement durable ce qui n’exclut un rapport de force. Mais l’absence d’une puissance européenne, principal pôle économique du monde avec un marché unique en cours de construction, est un handicap. Ayant confié sa défense à l’OTAN, l’Union européenne, pourtant avertie par les péripéties de son histoire unitaire, a perdu la bataille des infrastructures et celle des opérateurs « géants » (GAFAM ou BATXH). Elle ne peut perdre celle des intelligences, celle artificielle (IA), économique (IE), juridique (IJ) ou stratégique (IS), partie prenante de toute décision.
Les conditions du partage de l’information sont les nouveaux « buts de guerre » suite à la convergence des systèmes d’information (SI ou IT), des systèmes de contrôle industriel type SCADA (ICS) ou opérationnels (OT), du déploiement de la 5G, voire de la 6G et du cyber-spatial. Elle conduit à envisager une multiplication des Internet dédiés (type ISIS ou CTG encore limités) avec l’essor de l’Internet des objets (IoT). Avec la France, l’Union européenne reste capable de participer à l’édification d’un droit international respectueux des « intérêts mutuels » pour une « paix harmonieuse » comme évoqués par la RP de Chine, tout en étant capable de protéger ses propres intérêts selon un des principes de base en droit international, celui de la réciprocité. L’UE peut définir des standards de partage ou des normes introduisant ses propres valeurs et une reconnaissance de sa souveraineté. L’adoption du RGPD (2018) est un exemple, l’adoption de la loi Sapin II en est un autre sur le plan national – mais sans aller jusqu’au bout de sa logique puisque limiter aux entités ayant leur siège en France.
L’amorce d’un droit international de la confiance conciliant régulation et compliance peut émerger du cyberespac. C’est un impératif de la nouvelle économie centrée autour de la rente informationnelle, et donc sur sa sécurité, c’est-à-dire la protection des « intérêts nationaux » à des fins de « sécurité nationale ». Avec une question quant aux relations internationales : l’intérêt national (ou européen) qui, par définition, participe à la puissance d’un État (ou de l’UE), est-il contradictoire avec la sécurité collective ?
La question de l’extraterritorialité́ du droit américain traduit, dans la période actuelle, de profonds changements où tous les concepts, analyses ou approche post 1945 apparaissent obsolètes. De nouvelles tendances sont observées dans le domaine des relations internationales entre d’une part multilatéralisme, et d’autre part unilatéralisme ou bilatéralisme. Elles opposent les pratiques de « puissance » et les effets de l’action multilatérale émanant d’organisations comme l’ONU ou l’OMC sur le jeu de puissances, devant se transformer en un jeu à somme nulle. Sauf pour l’Union européenne engagée dans un processus interne de construction d’un marché unique, et peu encline à tout exercice de puissance dont elle s’est détournée. Ces pratiques usent ou abusent alternativement, à l’ère de la dissuasion nucléaire, des armes militaires, monétaire ou juridique, aujourd’hui dopées par l’intelligence artificielle (IA), alors que les institutions internationales offrent un cadre pour des « stratégies » multilatérales. Ce cadre est favorable aux puissances émergentes, désireuses de s’affirmer en pleine souveraineté́. Elles résistent à une convergence unilatérale vers la paix, possible post 1991 sous l’influence des États-Unis.
Si, pour les plus « pacifistes » défenseurs des trois ou quatre grands « projets » post atrocités et misères des deux guerres mondiales, le multilatéralisme est considéré́ comme l’étape ultime – au point d’annoncer une « fin de l’histoire » – du progrès de l’humanité́ en quête d’un ordre international plus juste et plus équilibré́, marqué par le non-emploi de la menace ou de la violence entre États souverains, force est de constater la réalité́ des échecs de ces « projets » ou visions idéalistes : échec de l’Organisation des Nations unies, ONU (née en 1945) entraînant celui de l’Organisation du commerce mondial ou OMC (1995) née d’accords généraux dénommés GATT (initiés en 1948) ; échec du « projet » soviétique, voire marxiste-léniniste (1947-1991) ; échec du projet « européen » (1951-2005, par le « non » au referendum européen) ; et échec du désarmement (mouvement apparu dès 1899) – lié au système d’arms control de 1972 (SALT I) et 1979 (SALT II), amélioré́ par le suivi de données (data-driven) qui révèle dès 2007 le risque de nouvelles proliférations en Eurasie – dans l’espoir hypothétique soit d’une « sécurité absolue », soit de la « guerre » mise hors la loi. Ces échecs réduisent-ils la réalisation d’une sécurité́ globale, compensée par défaut d’une extraterritorialité́ du droit plus agressive ? Pour un avenir meilleur d’une future gouvernance mondiale, ou peace building par le recours au droit comme arme d’influence instaurant le « règne de la loi ».
Or, ces échecs interfèrent inévitablement avec la sécurité́ nationale de chaque État, celle des États-Unis étant la plus achevée par rapport à celle de la France ou de l’Union européenne (UE). Pourquoi un tel écart, et où sont les responsabilités ? Faut-il parler de réforme inachevée pour ces dernières bien qu’elles aient un rôle évident à jouer dans le règlement des nouveaux « défis mondiaux de plus en plus connectés, alors que les réponses sont de plus en plus fragmentées » (Secrétaire général, Assemblée générale des NU, 24 avril 2019) ? Une fragmentation liée aux nouvelles rivalités illustrées par la guerre commerciale ou trade war. Elle occulte d’autres « buts de guerre » (ou Griff nach der Weltmacht) autour d’une volonté́ de puissance « hors limites » qui pénètre la nouvelle ère de l’information, mais qui s’en doute ? Elle est illustrée par la guerre des intelligences, la recherche de la ressource et de la data supremacy. C’est une rupture dans les relations internationales, car la puissance n’est plus maintenue ou recherchée par la violence directe (hard power) qui a atteint son paroxysme au XXe siècle. Elle s’insère dans une mondialisation innervée de réseaux (net ou web n.0), capteurs d’informations ou digital power : ils irriguent les sociétés[3] post-modernes en temps réel avec leurs millennial geeks ou générations Z, mais paradoxalement sans homogénéisation culturelle ou unidimensionnalité humaine[4]. La puissance s’exerce différemment, valorise les courants identitaires et pose la double question de l’authenticité et de la confiance au regard de l’influence. Elle s’impose à tout État face à la logique informationnelle, et élargit l’usage de l’arme juridique pour en tirer un avantage, comme le fut jadis l’arme militaire ou monétaire. Elle oblige les États à une meilleure compréhension des questions de sécurité, désormais étendue au « territoire » numérique. La critique ou le déclin de la guerre traditionnelle sont compensés par l’émergence de « guerres hybrides »[5], pour modifier le statu quo de l’ordre international post 1991 et le retour à un multilatéralisme mieux établi. Le droit international introduit by design des considérations éthiques[6] où se mêlent influence, responsabilité et confiance, intrinsèques au cyberespace. La guerre « hors limites » est née de la nouvelle économie ou data-driven economy pour le contrôle de deux processus : l’influence sur le processus de la prise de décision par la maitrise de la ressource ou information (data), donc du cloud computing, ou comment réduire le « brouillard de la guerre » pour accroître la « liberté d’action »[7]. Elle induit plus traditionnellement, la sécurisation des sources d’approvisionnements stratégiques dont l’énergie, élargies aux cycles de fabrication de tout élément ou composant « sensibles » liés à la digital high-tech.
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De sorte qu’il ressort que la sécurité́ collective, devenue globale est un concept bien réel qui existe au moins depuis 1945, fortement inspiré par les principes wilsoniens mais soumis aux trois paradoxes des relations internationales de la période post 2001. Les intérêts nationaux créent une dichotomie conforme au recouvrement des deux sécurités, nationale et globale, assumées par le seul leadership des États-Unis durant la guerre froide, puis post 1991, non sans avantages de manière unilatérale (1). Les conditions de rupture provoquées par un multilatéralisme « militant » et l’extension du cyberespace accordent un avantage aux États entrants animés d’une volonté́ de puissance – tels Chine, Inde, Russie, Corée du Nord, Iran ou entités néo-étatiques. Ils bousculent les situations acquises de l’ordre mondial en termes de normes et de chaînes de valeurs. Ils évaluent l’autorité du droit, augmenté d’une éthique nouvelle et de la transparence qui s’imposent. Un consensus dichotomique de sécurité se dégage pour contrer la détention d’un double « privilège », monétaire par le dollar et juridique par l’effectivité́ de l’extraterritorialité́ du droit, mais critiqué faute d’avoir pu obtenir l’unanimité́ entre les États-Unis et ses alliés ou partenaires européens (2). Si l’Europe-puissance est à réaliser, la sécurité́ européenne peut-elle l’être sans souveraineté́ ? En s’obstinant à nier la dialectique de la guerre, l’UE fait preuve de légèreté face à la violence persistante. Pour devenir une puissance normative avec l’humanisme au cœur de ses valeurs – liberté et responsabilité dans l’État de droit –, elle doit assumer son indépendance stratégique, à l’image de la France des années 1960. Consciente des enjeux géopolitiques et de ses intérêts stratégiques pour assurer sa sécurité, l’UE peut participer à l’émergence d’un multilatéralisme « interdépendant » ou aux « intérêts mutuels », notamment par l’usage du droit qui n’est que futilité sans puissance (3).
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Aux sources de l’extraterritorialité́ du droit américain, l’esprit « wilsonien »
Avec la fin de l’antagonisme de « blocs », les relations internationales – construites sur un contrat de civilisation dominé par un universalisme de paix et de liberté́ post 1945 – sont désormais animées par d’autres « universalismes » de nature culturelle. Ces nouveaux « impérialismes » appellent à interpréter différemment les droits de l’homme (DUDH, 1948)[8], ainsi que le contenu des libertés fondamentales soudées à la responsabilité́ individuelle[9] – droits et devoirs –, qui fonde l’État de droit[10] souverain, devenu sujet et objet de la sécurité́ nationale.
Dès lors, les relations internationales restent suspendues au conflit entre deux conceptions des droits de la personne et à leur transposition vers un État de droit, l’une anglo-saxonne portée par les pays de démocraties parlementaires, parfois à consonance laïque portée par la France, signataires de la DUDH en 1948 (43 pays sur 53 adhérents) ; et l’autre limitative ou interprétative sur un plan constitutionnel selon qu’elle soit idéologique à parti unique (tel d’obédience communiste), soit théocratique créant une confusion entre religieux et séculier (Islam radical), défendue par les Frères musulmans ou les régimes religieux (Arabie saoudite) ou faisant du salafisme politique ou djihadisme leur religion d’État, tel le régime des mollahs (Iran).
L’énoncé́ wilsonien portant la paix par l’État de droit
Au lendemain du conflit mondial, très vite, cet idéal « wilsonien » s’est inévitablement heurté au principe de réalité, successivement la rivalité ou les intérêts stratégiques entre deux « blocs » Est/Ouest. Par la suite, le redressement de l’Europe de l’Ouest, la multiplication de nouveaux pays accédant à l’indépendance, la reconnaissance souveraine de ces États et la mondialisation des échanges. L’émergence de deux nouveaux « géants » revendiquant la puissance par le poids de la démographie (leurs futurs « pieds d’argile » ?) – la RP de Chine (1,39 Md, mais en baisse de 1,27 M de personnes en 2018/2017) dirigée par un parti unique, le Parti communiste chinois (PCC) ; et l’Inde (1,34 Mds, et + 15,1 M de personne/an), la plus grande démocratie du monde à tradition britannique – participe à cette évolution. Ces derniers peuvent modifier l’équilibre des pouvoirs ou des situations acquises de l’ordre mondial post 1991 en raison de leur volonté politique de puissance de pleine souveraineté. Les enjeux du spatial ou du new space illustre ces rivalités dans le monde devenu digital.
Une extraterritorialité unilatérale au service de la sécurité collective
Cet acte politique comporte différentes pratiques, dont la plus traditionnelle est la guerre, « prolongement de la politique par d’autres moyens » (Clausewitz), et la plus novatrice, l’extraterritorialité du droit vue comme une extension de l’État de droit[11]. Or, l’État de droit n’est-il pas une valeur transatlantique commune défendue dès 1945 par les démocraties européennes et américaine ? avec, pour dénominateur basique, le respect de la liberté d’expression ? Les embargos internationaux ou les sanctions – que les États-Unis imposent en raison de leur puissance, telles les lois Helms-Burton ou Amato-Kennedy votées en 1996 – sont sourcilleux dans leur application à l’égard de Cuba, de la Libye ou de l’Iran au gré des événements. Ils visent soit à favoriser l’avènement d’un régime démocratique, soit à lutter contre les trafics illégaux dans le financement du terrorisme, soit à éviter toute prolifération des armes à destruction massive (ADM). Et ce, dès 1946 avec la loi McMahon d’origine américaine. Elle contrariait l’ambition nucléaire française considérée en France comme un facteur de stabilisation, voire de rééquilibrage de l’ordre international. Le système juridique est déjà unilatéral, et se veut contraignant pour éviter toute forme de prolifération. Il dissipe la dichotomie entre la sécurité des États-Unis et la sécurité globale, dissipation créant un réflexe souverain de rejet : sur quelles bases les États-Unis ont-ils eu à justifier les restrictions commerciales entre les États du « bloc » occidental et le bloc soviétique ? Ou à justifier que l’objectif principal des sanctions vise à promouvoir la démocratie parlementaire et à garantir la liberté d’expression, plutôt que de se limiter à assurer leur seule sécurité nationale ? Une sorte de containment économique contraire aux intérêts industriels nationaux sous prétexte de sécurité collective unilatérale et de lutte contre toute prolifération ? Autre instrument extraterritorial au service de la sécurité, le Coordinating Commitee for Multilateral Export Controls, ou CoCom créé en 1949, devenu en 1994 l’Arrangement de Wassenaar – auquel participe désormais la Russie, nouvel acteur pour des pays sous embargo –, par lequel les États-Unis ont su décliner les contraintes (ou compliance) appelées à peser sur les stratégies d’exportation ou de coopération industrielles : Export Administration regulations, EAR ; International Traffic in Arms regulation, ITAR ; et l’Office of Foreign Assets Control, OFAC.
Ce qui conduit à engager une réflexion sur la performance des régimes des sanctions et des embargos (art. 41 de la Charte), et sur leur éventuelle illicéité́ par une extraterritorialité́ qui prolonge une compétence, en principe limitée au seul territoire souverain. Face à l’hégémonie américaine, les Nations Unies sont prises en otage. L’égalité internationale est remise en cause par un système de sanctions contraire au respect du même principe de souveraineté nationale. L’esprit wilsonien est détourné. Car quid de la sécurité globale, au nom de laquelle ces sanctions sont prises ? Faut-il réduire l’utilisation de tout embargo à des cas exceptionnels[12] et strictement contrôlés par l’ONU afin que les États visés reprennent leur place dans la communauté́ internationale ? Pourtant, une telle « juridiction de protection » ne délimite pas le comportement dudit État au regard des principes généraux du droit, en l’occurrence l’art. 51 de la Charte de l’ONU : sa formulation permet aux États-Unis de l’utiliser comme prétexte pour intervenir souvent unilatéralement hors de leur territoire. En tant que contribution à la sécurité́ collective, ou comme arme commerciale dans un temps limité ? En effet, le modèle ou régime de sanctions « n’affecte en rien le pouvoir et le devoir qu’a le Conseil, en vertu de la présente Charte, d’agir à tout moment de la manière qu’il juge nécessaire pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité́ internationales ». Dès lors, les objectifs ne sont pas de punir un État, mais de modifier le comportement d’un régime qui menace la paix et la sécurité́ internationales, et participe au « dérèglement » du monde.
Ce « modèle » reste toutefois soumis à critiques, annonciateur de désordres ou d’un « chaos » contraires au « projet onusien » : le transfert du concept d’origine américaine de nation building à l’ONU[13] en « mission de paix » montre les insuffisances de l’Organisation en matière de reconnaissance des régimes internes, de leur représentativité et donc de la compréhension des attentes de leurs peuples ce qui pose la question de la légitimité du concept au regard de la Charte sous influence de l’esprit wilsonien. Il ne peut être absent de celui de la représentativité des nations, et de l’efficacité de l’organisation pour éviter « le naufrage des civilisations » (Amin Maalouf, 2019). Il démontre surtout ses limites dans une reproduction immédiate du modèle occidental vu par les États-Unis – en tant que moindre mal[14] – selon une mécanique « rationnelle », comparable à la dénazification de l’Allemagne entre 1945 et 1948, en l’occurrence une dé-baasification de l’Irak autour de trois éléments constitutifs d’un État : le régime (en l’espèce, l’élimination du parti unique ou dominant avec ses forces de répression), l’organisation « démocratique » des structures locales et l’écoute de la société civile. Une logique de « sécurité internationale » qui repose essentiellement sur la mise en place d’institutions démocratiques (projet de la Charte de l’Atlantique) considérées comme valeur universelle, telle qu’elle se justifierait lors des « printemps » arabes (2010-2011)[15]. Et plus récemment à Hong-Kong ou dans l’arc chiite (Iran, Irak et Liban). Interférence dans les affaires intérieures d’un pays, ou interprétation selon les seuls intérêts des États-Unis auxquels les États membres de l’Union européenne (UE), initialement Communauté née de la « guerre froide », fortifiée par la « coexistence pacifique », sont associés en tant que simples « suiveurs » ? C’est la conséquence du renoncement à la puissance dans la déclaration de Robert Schuman, le 9 mai 1950 par une « solidarité de production ». C’est la construction d’une dialectique de la paix autour de la mondialisation des marchés structurée par les États-Unis. C’est la soumission consentie de l’Union européenne (UE), ainsi que de ses États-membres. C’est l’absence de toute protection des intérêts européens : la dimension extérieure de la construction du marché unique n’a pas été intégrée au « degré d’ouverture de l’économie internationale déterminé par les intérêts et la puissance des États qui s’efforcent de maximiser leurs objectifs nationaux », de surcroît liés au « consensus de Washington » (1989)[16].
L’esprit wilsonien originel contrarié par la tyrannie de la majorité
De ce tableau apparaissent les nouvelles conditions qualifiées de disruptives concernant la protection de nos intérêts nationaux au regard de l’extraterritorialité́ du droit américain. Bref, de notre sécurité, mais aussi de notre autonomie de décision. La critique est inévitable, mais un peu facile. Le coté́ intrusif du droit américain s’impose comme un élément de la puissance américaine, voire d’une hégémonie unilatérale, parfois « à la carte » par simple absence d’une puissance européenne équivalente. « Un jour viendra… »[17], mais en 1950 l’Europe se dresse contre la guerre qui l’a ruinée. La Communauté européenne confie la défense de ses intérêts et de sa sécurité régionale à la puissance américaine, à l’exception de la France appelée à se montrer « réticente »[18]. L’Europe de l’Ouest admet l’effacement de la dichotomie sécuritaire et l’application du droit américain en droit international. L’élargissement unilatéral d’une nouvelle frontier (et non border) de nature souveraine est conçu par les États-Unis en matière de sécurité : ils imposent leur volonté en l’articulant autour du principe d’indépendance et d’espace territorial reconnus, traduction juridique du concept de souveraineté́ inscrite dans l’énoncé́ wilsonien, à promouvoir par l’OTAN. Premier paradoxe des relations internationales contemporaines, les États-Unis concepteur de ce droit s’opposent par asymétrie, refusent ou s’interdisent au nom de leur sécurité́ nationale, de signer des textes de droit international, conventions, accords ou traités, bref mésestiment l’esprit de coopération multilatérale pourtant conforme à l’esprit wilsonien. Tel l’accord instituant la Cour pénale internationale (CPI) ou la Cour internationale de justice (CIJ) enregistrant des plaintes de l’Iran[19] – CPI par ailleurs entachée par la nomination d’une procureure gambienne pourtant choisie par 130 pays –. Contestant certaines institutions internationales comme l’Unesco (193 membres) ou le récent Conseil des Droits de l’Homme (CDH), les États-Unis n’hésitent même pas à s’en retirer (entre 1984 et 2003, puis de nouveau en 2017). Ils n’adhèrent pas au multilatéralisme du plus grand nombre, sorte de tyrannie de la majorité car « quelque inique ou déraisonnable que soit la mesure qui vous frappe, il faut donc vous y soumettre » (Tocqueville).
Malgré tout, dans les différentes approches de la notion de sécurité́ inscrite dans la Charte de l’ONU, deux éléments restent incontournables : celui autour de la notion d’État, et celui de souveraineté. Y trouve un avantage l’État de droit, protecteur des droits et libertés individuels de tout citoyen opposé à un État totalitaire ou à parti unique. Depuis la paix de Westphalie (1648) et le Congrès de Vienne (1815) entre les États-nations souverains à la recherche de l’équilibre entre puissances[20], c’est le passage obligé pour l’instauration d’une « paix démocratique » dans le concert des nations. Un partiel, mais partial aboutissement fut trouvé en 1919 avec la Société des nations (SDN), essentiellement européennes[21]. Celle-ci est l’aboutissement de la philosophie politique née dans l’Antiquité́ méditerranéenne, puis précisée au temps des Lumières plutôt qu’une improbable « paix perpétuelle » kantienne, simple vue de l’esprit occidental. S’y substitue celle de la RP de Chine en tant que « paix harmonieuse » dans une interdépendance – dans un premier temps régionale – non désintéressée, et dans une conception de l’État de droit et d’une pratique qui diffèrent de l’idéalisme wilsonien.
Ce qui justifie une double interrogation, dans la théorisation des relations internationales[22] par la faisabilité d’un droit international reconnu par toutes les parties, et interprétée comme une possible limitation de souveraineté : peut-il assurer la solidité d’un ordre mondial résultant de l’équation composée de sécurité nationale et de souveraineté capables d’assurer la sécurité globale, ? Et ce, dans le cadre d’une organisation type ONU ayant une autorité supranationale. Mais alors quelle est la pérennité de la confrontation autour de l’interprétation des ordres internationaux acceptables issus soit de la tradition d’un système tributaire conçu par la Chine impériale devenue communiste, soit de l’histoire européenne marquée par le commerce mondial autour d’un système multipolaire d’États souverains, soit de l’interprétation américaine de nature unipolaire reposant sur le concept de « nation building » conciliant sécurité nationale et sécurité globale ? Ce concept, imposé de l’extérieur par une interprétation extraterritoriale du droit, mais auquel ne peut adhérer l’Union européenne car contraire à l’esprit wilsonien, souligne la dichotomie entre les deux approches du concept de sécurité de part et d’autre de l’Atlantique. Il interpelle, ou renvoie dos à dos le bien-fondé de l’extraterritorialité du droit américain, mais aussi l’aveuglement impuissant dans les prises de position des institutions européennes.
Un État de droit contesté par d’autres universalismes, post guerre froide
Constatons que depuis 1945, il n’existe aucune déclaration de guerre ou aucun acte d’« infamy », car la guerre militaire entre grandes puissances est devenue hors la loi (art. 2 de la Charte des NU). La dissuasion nucléaire a joué son rôle, non sans incidence sur la « vraie paix » (général Beaufré), ou une « paix impossible » (Raymond Aron). Mais se serait-elle transfigurée en une « guerre économique »[23] avec l’arme juridique et ses propres enjeux qui modifient les éléments de sécurité nationale ?
Marqués par l’obsession de la science, l’usage des nouvelles technologies numériques, l’expansion du cyberespace et le risque de nouvelles dépendances engendrées par la nouvelle économie data-driven, le paradigme de la sécurité nationale introduit un deuxième paradoxe : celui de la défense de valeurs immuables autour des libertés individuelles assurées par le droit international, et la contestation du contenu de ce droit par d’autres comportements « de conquête ». Notamment sur le territoire numérique, avec l’adoption des stratégies d’influence ou de doctrines offensives ? Ces comportements appartiennent à des régimes ou des administrations centralisées, de nature politique comme le PCC (parti communiste chinois), capable de réfléchir à « une grande stratégie » qui rappelle celle des États-Unis, mais avec une arme juridique aux attendus différents.
Vers des « universalismes » concurrents ou contestataires aux régimes variés
Théoriquement, la guerre demeure comme le possible règlement de crises interétatiques. Elle est devenue polymorphe, et même « hors limites » selon les stratèges chinois de l’Armée populaire de libération (APL). De niveau supérieur à la « guerre totale », la guerre « hors limites » intègre les paramètres basiques de l’économie pour mobiliser toutes les ressources humaines à des degrés divers. Éclairée par les conséquences du glasnost ou perestroïka, suivies du chaos en Russie avec Boris Eltsine (1991-1999)[24], et avertie du sort de l’URSS et du Parti communiste d’Union soviétique (PCUS), la RP de Chine fait preuve d’un empirisme politique à usage externe. Elle s’y prépare avec son appareil de propagande devenue un instrument de communication, et avec sa stratégie d’influence au sein des institutions internationales. D’autres puissances l’ont compris en intégrant, dans leur posture, l’équilibre de la terreur par la dissuasion nucléaire à atteindre, dissuasion démontrée durant la période de guerre froide. Avec le passage à l’ère de l’information, elles adoptent deux autres attitudes plus discrètes ou « masquées » : celle de l’influence, et le développement d’armes ad hoc avec des actions de la nouvelle économie numérique (drones, cyberattaques ou zero day exploits) avec un potentiel de « guerre totale » ou « hors limites », notamment sur les infrastructures ou la falsification d’informations. Mais sans justifications juridiques admises par tous. De sorte que l’effet de la loi internationale reste encore limité en raison de l’existence d’« unités politiques » ou États « susceptibles d’être impliqués dans une guerre générale ».
Les relations internationales restent avant tout « un ensemble dont la cohérence est celle d’une compétition ». Cette dimension extérieure a été ignorée dans la construction du marché unique. L’Union européenne, en l’absence de toute souveraineté, ne peut ni être une puissance, ni rivaliser avec ces États souverains ; elle conserve une stratégie « ouverte » à toutes les influences extérieures sans défense, sans sécurité, sans outils ou mécanismes utiles puisque la DG Concurrence de Bruxelles ignore toute menace. Le stratège Sun Tzu efface Clausewitz, car la guerre « hors limites » dépasse la « guerre totale », et rejette toute possibilité de « paix perpétuelle » avant que ces États aient pu atteindre leurs véritables « buts de guerre ». A savoir soit en présentant le groupe islamique ou terrorisme djihadiste en une révolution radicale décrétée à vocation universelle par ses deux composantes, sunnite (Daech) ou chiite (Iran) ; soit en adoptant une position forte « révisionniste » du statu quo systémique pour affirmer la mission universelle de l’empire du Milieu (Chine) – après six siècles d’absence, post dynasties Yuan et Ming –. La RP de Chine développe ses propres normes sociales pour le maintien de l’ordre public (système de crédit social) supérieures à celles individuelles (liberté d’expression), marqué non pas par la mutation du régime communiste, mais par une forme de repli tactique au moyen d’une évolution maitrisée vers un « socialisme de marché aux couleurs chinoises » (1984). Un « style de vie » inséparable d’une « quête spirituelle » du marxisme[25] pour devenir, vingt ans plus tard, la seconde puissance économique en termes de PIB[26]. Dans le monde bipolaire, la Chine a cherché sa place dans le mouvement des non-alignés, appelé à créer dans un contexte de détente ou de coexistence pacifique des années 1965-1974, un monde multipolaire. Ce monde s’est disloqué lors des deux chocs pétroliers (1974-1979) – selon la théorie du monopole –, suivis du contre-choc (1986-87) – selon les lois du marché –. La RP de Chine a pris la mesure de l’impasse de l’idéologie marxiste ou du « temps messianique de la promesse » dans les années 1980[27]. Dans le monde post 1991, « la Chine veut agir en tant que bâtisseur de la paix mondiale, contributeur au développement global et défenseur de l’ordre international. La construction d’une communauté avec un avenir commun pour l’humanité, concept important pour la nouvelle ère de la diplomatie chinoise, suppose de coopérer sur un mode gagnant-gagnant et de transformer la planète Terre en une famille harmonieuse ». Discours lénifiant ou de propagande classique illustré par l’envoi du premier satellite « quantique » Mozi en août 2016, suivi de l’alunissage de Change’4 en janvier 2019 – une manière de fêter les 50 ans d’Apollo 11 – à comparer au lancement de Sputnik en 1957.
Toutefois, la RP de Chine prend acte de la montée de la contestation dans le monde à l’égard de la conception occidentale de l’ordre mondial. Elle prône une « paix harmonieuse », une sorte de reconnaissance de son « système » avec ses valeurs, selon le principe « un pays deux systèmes »… mais non applicable sur l’ensemble du territoire chinois. Plus généralement, elle se met en phase avec les autres États contestataires d’un Empire américain supposé « en déclin », avec leurs spécificités identitaires ou souverainetés nationales. A ce stade, une triple conjonction de menaces est appelée à modifier l’ordre international, et à rehausser la conception traditionnelle de la sécurité nationale : la prolifération des armes à destruction massive (ADM) dont l’arme nucléaire ; celle des cyber-menaces qui accompagnent la convergence des systèmes IT/OT ; et celle de certains « buts de guerre » ou objectifs sous influence culturelle ou identitaire déclarés unilatéralement comme étant de nature universelle (intégrisme religieux, ou suprématie chinoise). La première menace a montré́ sa capacité́ à construire une paix imparfaite, mais durable grâce à la dissuasion nucléaire (nuclear deterrence). La deuxième introduit une résistance ou une robustesse encore balbutiante aux attaques zero day (attitude de resilience) sur les trois couches (physique/applications/cognitive) des territoires digitalisés dont les caractères évolutif et complexe suivent ceux de la transformation numérique : c’est le passage du web 1.0 au web n.0 ; elle décline la sécurité nationale en de nouveaux item, dont les sécurités économique et logique. Et la troisième assoit dans les relations internationales l’arme de l’influence qui porte une divergence affirmée, mais forcément éloignée de l’idéal wilsonien ; elle nourrit le deuxième paradoxe en posant la question de la sécurité sociétale sous la forme de menaces identitaires, communautaires ou environnementales, et remet en cause les valeurs nationales. Remarquons que ces trois conjonctions ne manquent pas de points communs d’une part dans l’élaboration de stratégies de « contre-force » ou de renforcement de capacité de dissuasion articulée et graduée avec un objectif de dilution, et d’autre part dans la gestion du renseignement, d’autant plus efficace qu’il s’appuierait sur un partenariat public/privé solide ou « d’égal à égal ».
Vers la reconnaissance de communautés composées d’intérêts interdépendants ou mutuels
L’ouverture des frontières et la dimension numérique prégnante qui l’accompagne par le développement de l’Internet accentuent cette divergence entre l’idéal « pacifiste » wilsonien et les aspirations de nouvelles puissances ou « communautés » sur le plan géopolitique. La constitution de « communautés stratégiques » porteuses de ces menaces interfère avec l’extension attendue du droit international au service de la paix. Elle peut s’identifier à la constitution d’un « bloc-or » pour les réserves monétaires des banques centrales observées à partir de la crise financière de 2008-2009 par la contestation du « privilège exorbitant », et la défiance à l’égard du dollar ou de la dette publique des États-Unis. Elle concrétise la volonté d’indépendance et de souveraineté de pays comme la Russie (2.207 tonnes), la RP de Chine (1.926 t.) ou la Turquie (507 t.) en transformant l’acte d’achat du métal or par vente de leurs dollars en un acte politique, tout en participant à une dé-dollarisation de l’économie mondiale. C’est ce que le président russe Vladimir Poutine a laissé entendre en octobre 2019 au Club de Valdaï[28], sorte de Davos créé en 2004 par la Russie. Il a révélé que la Chine est aidée à s’équiper d’un système d’alerte d’attaque par missile dont seuls les États-Unis et la Russie sont équipés. Si la Russie ne peut affaiblir sa propre supériorité nucléaire vis-à-vis de la Chine, elle participe ainsi au renforcement de la RP de Chine. C’est un rééquilibrage des forces nucléaires majeures dans le monde par la réévaluation de la dissuasion nucléaire chinoise pour obtenir la reconnaissance d’une parité à trois (Russie, RP de Chine et États-Unis, trois puissances politiques souveraines). D’autre part, le président Poutine prend en considération les « intérêts mutuels » partagés du côté de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) avec une nouvelle entité, l’Eurasie. Et sans négliger son rôle de trait d’union avec la Chine dans un rapprochement de « grande stratégie » avec l’Union européenne, nain politique sans souveraineté, tentée par l’ouverture disciplinée du marché chinois et l’autonomie stratégique.
Tentative de déstabilisation de l’ordre mondial post 1991, ou stratégie de puissance soft power asymétrique constituée d’alliances avec une Europe qui a désarmé mais sensible à la prise en compte d’« intérêts mutuels » ? Avec le dossier allemand Kuka Robotics (2016), et plus largement celui de la propriété intellectuelle en Chine, le droit international entre en jeu, et peut devenir structurant dans une logique d’interdépendance acceptée. C’est une opportunité à saisir par l’Union européenne qui, au-delà du front uni face à la menace chinoise, a commencé à renforcer son arsenal de protection. Signe d’abandon européen d’une certaine naïveté autour du concept de la guerre ? Une sorte de « réveil européen » autour d’une vision commune pour « défendre la souveraineté européenne » et « s’organiser comme puissance internationale » (mars 2019), car « ceux qui croyaient à l’avènement d’un peuple mondialisé se sont profondément trompés. Partout dans le monde l’identité profonde des peuples est revenue. Et c’est au fond une bonne chose » (président E. Macron, 11 novembre 2018)[29].
Sachant qu’il s’agit d’une application différente de l’ordre juridique international dans lequel Russie et RP de Chine peuvent entraîner l’Union européenne : une alliance géostratégique contestant l’ordre mondial dominé par l’unilatéralisme américain post 1991, et à travers lui le rôle du dollar utilisé comme vecteur de stabilisation de cet ordre. L’extraterritorialité du droit américain peut alors s’appliquer, dépassant le conflit des normes souveraines. Mais le retour de la Russie au Conseil de l’Europe (2019) après cinq ans de suspension est un pas important. Dès lors, l’Union européenne ne deviendrait-elle pas, malgré elle, un enjeu faute d’accéder au rang de puissance dans le maelström d’une convergence d’ambitions communes visant à changer l’ordre international ou à modifier la pax americana ? Notamment par la constitution de « communautés stratégiques », avec une Eurasie aspirant le « cap » européen, et se l’attachant par les nouvelles routes de la soie ? Dans la définition de sa stratégie de sécurité nationale, les États-Unis considèrent la RP de Chine comme un « rival stratégique et économique » majeur, entraînant un éventuel découplage financier pour retarder l’internationalisation du yuan et réduire le rôle de la place de Hong-Kong. Cette optique est toutefois à nuancer compte tenu de la nature du régime chinois dont Hong-Kong peut apparaître comme le baromètre de ses difficultés internes (endettement, économie administrée, surveillance de masse, etc.) et celui du respect des droits de l’homme. A ceci s’ajoute une population essentiellement d’origine rurale (47,3% en 2018 contre 62,8% en 2000) et présentée par une propagande avertie comme un pays fortement « addicté » à la high-tech, et dont la ZES de Shenzhen serait la nouvelle Silicon Valley. Ce n’est pas en vingt ans qu’une culture industrielle ou d’ingénieur comparable à celle bicentenaire du continent européen peut s’affirmer. Il n’est pas certain que ces « communautés stratégiques » puissent concilier liberté et protection de la personne physique. Et de faire face en même temps aux nouvelles forces perturbatrices que sont les grands enjeux, qualifiés de sociétaux, de la transparence, des droits de l’homme ou du climat. Mais le troisième paradoxe demeure : l’impossibilité pour l’Union européenne, première puissance économique du monde – principal marché du monde, aux valeurs humanistes reconnues pour les libertés et responsabilités individuelles – de penser « puissance », d’assurer sa sécurité et son indépendance stratégique, et d’être la puissance normative dans une gouvernance mondiale assurée par « le règne de la loi ». Non que cette pax americana lui soit suffisante, ou que l’Union européenne s’en contente[30], forte d’une zone monétaire de 19 pays (342 M habitants) utilisant l’euro qui constitue un peu plus d’un cinquième des réserves monétaires mondiales (contre 64% pour le dollar, et 1,12% pour le yuan)[31]. Non, qu’elle demande le retour à une pax romana ou à une pax Europae, clin d’œil au « rule Britannia, rule the waves » (bien entendu pour les ondes utilisées avec l’Internet), mais pour que les États européens sachent s’assumer, et retenir les leçons de l’indépendance de la période gaullienne grâce à la défense, à l’affirmation d’une liberté d’action et à l’influence de leurs valeurs reconnues dans le cyberespace.
Le cyberespace appelé à renforcer le droit international, norme imparfaite ?
Dans l’édification du cyberespace, l’Europe a perdu la guerre des infrastructures. Mais elle reste capable de mobiliser autour de la norme ou des standards de partage de la data, avec deux mots d’ordre : renseigner (maîtrise de tout le cycle de la data) et anticiper (par le déploiement de toutes les intelligences, dont artificielle ou IA, au service de l’intelligence économique ou IE et de l’intelligence juridique ou IJ). Et ce, en associant tous les acteurs économiques dans une agilité à inventer, et conformément à ses valeurs.
Suite à toutes ces considérations, il existe un espace où l’Union européenne peut retrouver son rang de puissance sans rompre le pacte transatlantique. L’Executive Order du 15 mars 2019 du président Trump est un exemple à suivre. Il montre que le cyberespace est appelé à jouer son rôle dans la structuration d’un nouvel ordre mondial marqué par le nécessaire retour de l’indépendance stratégique, mais aussi de la confiance. « Code is law… and architecture is politics » (Lawrence Lesslig[32]), mais « data is digital ». La réponse juridique aux menaces du « monde tout connecté » est double. Elle pose des questions éthiques. Elle ouvre la voie au « règne de la loi », notamment sur les questions d’attribution de cyber-opérations ou sur celles d’application du droit international « humanitaire ». Elle réside d’abord dans la consolidation des souverainetés numériques à travers les couches physique (référence au territoire) et logique (sécurité des systèmes d’information ou contenant), et ce grâce aux mesures à la fois technologiques (chiffrement, statut ou/et caractère de la donnée ou contenu) et politiques (choix de l’architecture). Elle s’inscrit ensuite dans la confiance, recouvrée par la reconnaissance de l’identité numérique, par les qualités cardinales, consolidées, intrinsèques à la data sensible dans la définition d’un besoin d’en connaître et d’un statut de l’information. Ce qui introduit le respect de « l’intimité » grâce à la maitrise de ses données personnelles (privacy) et à l’expression d’un nécessaire consentement face à des usages non garantis (sorte d’habeas corpus numérique), conformément à l’arrêt Maximilian Schrems de la CJUE (2018).
Plus généralement, la data est la nouvelle valeur économique, de plus en plus logée dans le haut de bilan des entreprises selon sa sensibilité, créatrice de la rente informationnelle pour les grands acteurs comme les GAFAM américains ou les BATXH chinois. Elle doit être protégée, et être assurée d’une sécurité économique certaine sur un plan global. Elle exige un renforcement de sa protection par de nouveaux droits, l’exigence de « rendre compte » ou accountability, notamment pour tout ce qui relève du « secret » de nature régalienne ou répondant à l’adage privacy versus security apparu avec l’affaire de San Bernardino (2017), opposant Apple et le FBI. Plus largement selon les orientations du Patriot Act (2001, révisé en 2006) ou de la loi française sur le renseignement (2015) en termes de sécurité nationale. Dans l’État de droit, la ligne de démarcation entre le droit à l’intimité et la sécurité nationale fait l’objet d’un débat de plus en plus intense à un moment où la digitalisation de la société (mélange d’avancées technologiques et de vulnérabilités zero day) crée de nouvelles incertitudes. Comment faire la part entre la menace terroriste, la cybercriminalité et la sécurité économique ? Entre des menaces liées à la guerre économique (menaçant tout secret des affaires convoité) et la lutte contre la grande criminalité, les mafias organisées et les réseaux terroristes, sans parler des cyberattaques émanant de services néo-étatiques ? Cette menace est réelle, fonction directe à deux variables, celle du degré de l’interconnexion des réseaux et celle de l’effet multiplicateur des internautes abonnés, auxquelles s’ajoute le nombre des points d’échanges (GIX) sous contrôle. Dans les pays à tradition démocratique, la norme ancienne qui est à rattacher aux conditions de la conquête de la liberté de presse (alors écrite) fortement liée à celle de la responsabilité des directeurs de presse (en France, loi de 1881) est à transférer dans le cyberespace. L’adaptation du droit à l’ère du numérique concerne trois cyber-paramètres : d’une part le droit d’auteur ou la création, d’autre part la protection des sources, et enfin la collecte infinie en renseignements appelée à participer à un nouvel équilibre entre libertés civiles et sécurité nationale. Tels sont les nouveaux enjeux d’une « guerre » que découvrent l’Union européenne. Du moins les États-membres les plus attachés à leur souveraineté, la guerre numérique avec ses reflets d’ombre dans un écosystème en perpétuel mouvement et en extension exponentielle, ouvert aux autres États-puissance. Mais avec des institutions conforme à la théorie de la distribution des pouvoirs précisée par la pensée de John Locke (1632-1704) dans son Traité du gouvernement civil, et celle de leur séparation selon l’Esprit des lois de Charles-Louis de Montesquieu (1689-1755), dont un Parlement. Or, le Parlement européen est conçu comme une assemblée qualifiée de « souveraine » sans l’être, faute d’être d’une « autorité suprême », sans double mandat à l’image de ce que fut la Diète germanique de Francfort qui échoua dans l’unification d’une fédération allemande (1848-1849)[33] – et ce, en l’absence de souverainetés interne (constitution d’une armée régulière) et externe (reconnaissance d’un siège à l’ONU entraînant la disparation de celui des 27 autres États membres). Guerre économique et guerre numérique s’additionnent, et alimentent le troisième paradoxe. Inévitablement, elles se déclinent dans leurs aspects physiques, bien réels : la traditionnelle sécurité des « approvisionnements » se transforme également à un moment où l’information améliore la prise de décision, qu’il s’agisse, en amont, de ressources minières, énergétiques ou des filières dans les hautes technologies utilisatrices de « terres rares » (l’industrie automobile hybride en utilise 9 à 11 kg/automobile, et chaque smartphone en contient quelques dizaines de milligrammes alors que 1,4 Md d’unités est produit annuellement) ; mais aussi, en aval, dans l’exploitation, le traitement, l’intelligence artificielle (IA) ou les algorithmes qui les valorisent ; et enfin, sur un plan localisation ou stockage, la dépendance croissante au cloud computing au point de poser la question « l’Occident sous embargo »[34] ?
Dès lors, le droit international est-il suffisamment ancré pour pénétrer le cyberespace, et protéger, entre autres, la propriété intellectuelle et industrielle face aux « grand strategic preferences »[35] chinoises, ou à leurs logiques stratégiques ? Et quelle place cette question prend-elle dans une stratégie autonome de l’Union européenne[36] ? à préciser quant à la sécurisation de ses « approvisionnements », et plus généralement de sa politique de défense… La déclaration de Huawei le 17 décembre 2019 face aux craintes d’espionnage pour le compte des services de renseignement chinois peut-elle rassurer quand elle confirme le « principe suprême de se conformer strictement à la loi de chaque pays » où est présent Huawei ? Comparée à la politique de sécurité nationale des États-Unis, l’Union européenne a perdu la notion de « puissance », ayant tourné le dos à la guerre dès 1950. Le « projet » européen fait preuve d’impuissance révélée lors des guerres militaires des Balkans, puis de la crise du Kosovo en 1999. La défense (politique européenne de sécurité et de défense, PESD) est alors ajoutée à la politique étrangère de sécurité commune (PESC) définie à Maastricht (1992), mais limitée à la gestion de crise. Elle est assez proche des valeurs portées par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) née en 1973-1975 (accords d’Helsinki) et réformée en 1995, forme de nation building paneuropéenne incluant le respect des droits de l’homme et la promotion de l’État de droit. Le premier rapport sur la Stratégie européenne de sécurité (2003) montre les limites de cette stratégie hors sol, et ses ambiguïtés car sans souveraineté ou sans stratégie d’indépendance. Ainsi limitée, la politique de sécurité européenne ne peut être qu’inachevée alors que les autres puissances parlent de « guerre », et de préserver leur souveraineté ou leurs intérêts nationaux, à commencer les États-Unis, mais aussi la RP de Chine ou la Russie et autres États-puissance. Ces derniers sont engagés dans une politique d’équilibre ou de retour à l’équilibre avec les premiers, tout en participant à une structuration parallèlement à une balkanisation de l’Internet. En perpétuelle évolution qui s’impose à la doctrine, l’art de la guerre se complexifie dans ses formes ou expressions, et devient « hors limites ». Et si la France s’y prépare que peut-elle apporter à l’Union européenne ? Ou s’agit-il d’une réforme de la sécurité nationale inachevée car le concept est ignoré ou sous-estimé sur un plan politique ?
Les politiques nationales relatives au cyberespace visent à renforcer leur souveraineté en se coupant de l’Internet global, et de ses outils qui favorisent l’extraterritorialité. Il en est ainsi du système SWIFT déjà évoqué avec son registre KYC (know your customer data) qui trace la grande majorité des transactions financières internationales. Le système suit les transactions en dollar porté par une puissante législation de nature extraterritoriale qui rend difficile l’accès au système financier américain. Celui-ci s’est imposé en 1944 par les accords de Bretton Woods, puis a perduré avec les accords de la Jamaïque (1976) déjà anticipé par le secrétaire au Trésor Connally : « the dollar is our money, but your problem » (1971) en offrant aux Européens comme contrepartie la protection de l’OTAN. Son influence sur les politiques d’autres pays souverains ne manque pas d’exemples cités ci-dessus, que ce soit la crise de Suez (1956), les chocs pétroliers ou le contre-choc de 1986, et plus récemment la crise des subprimes qui freine le développement de l’euro (2008-2011). Pour des raisons de sécurité globale ou selon les intérêts américains, selon la dichotomie présentée ? Dans la recherche de ce « rééquilibrage » entre grandes puissances ou « communautés stratégiques », le système SWIFT est appelé à être contourné par un système russe SPFS ou chinois CIPS – officiellement en cas d’exclusion ou de sanctions, et officieusement pour participer à une dé-dollarisation de l’économie mondiale –. Toutefois, ces politiques constestant l’ordre mondial post 1945, accentué post 1991, participent davantage à la consolidation de la nature de leur régime, plutôt qu’à une ouverture de leur espace, ou à la définition de normes juridiques acceptées par tous. Ce qui à terme peut nuire à leur développement. Mais les hostilités sont à fleurets mouchetés. Avec l’émergence du cyberespace, l’ordre international connaît une surface d’attaque de plus en plus large suite à la mobilité croissante des réseaux avec leurs terminaux et à la nécessaire protection d’infrastructures vitales ou « critiques » (CIP) connectées. Ces infrastructures sont utiles à toute entité physique ou morale ou à la vie d’un pays ce qui conduit en raison de leurs vulnérabilités à une cyber deterrence ou résilience, mais de nature totalement différente de la dissuasion nucléaire malgré́ la création de cyber-armées. Constitué de l’ensemble des réseaux informatiques, des échanges de données et des points d’échanges ou interconnexions (GIX), le cyberespace ne modifie pas en fait les grandes lois de la stratégie[37]. Il n’ajoute qu’une quatrième dimension aux 3D de nos réalités, et ne fait que les transposer dans l’espace virtuel grâce aux éléments physiques de dépendance (architecture), ou aux éléments virtuels (digital) tels le code numérique et l’information ou data à protéger dans leur globalité intrinsèque (authenticité, intégrité, confidentialité, etc.). Mais le droit international n’a pas encore suivi. C’est l’éternel décalage ou inadaptation du droit aux réalités élargies au cybernétique, en l’espèce à l’extension du cyberespace. Aux premiers âges de l’informatique, les États étaient démunis même si les premières lois protectrices des libertés sont apparues dès les années 1970 (CNIL en 1978), suivies de celles contre la fraude informatique (Computer Fraud and Abuse Act en 1986, et loi Godfrain en 1988). Puis s’est mise en place une cyber-sécurité prioritaire du contenant (SI) au détriment du contenu (data).
Ce qui devient à présent une forme de dépendance inacceptable, jadis déclinée dans la recherche de la sécurité des « approvisionnements », traditionnellement liés aux ressources minières, dont énergétiques depuis 1917. Cette dépendance au détroit d’Ormuz est moins redoutable depuis les années 1990 pour les pays avancés (sauf le Japon) – à l’inverse des pays émergents comme la Chine ou l’Inde – grâce au mix-énergétique qui donne la priorité au tout électrique, non sans danger de black-out électrique. Mais cette dépendance, comme le concept de sécurité, a muté. Elle s’est transposée au risque de déni de service, de digital services shut down ou d’effondrement d’infrastructures cybernétiques ou SI (IT) suite à l’interconnexion croissante : convergence des systèmes industriels type SCADA avec l’Industrie 4.0 (IT/OT), l’Internet des objets (IoT) qui touche le secteur automobile ou les smart cities, l’émergence du web 3.0 sémantique, etc. Ce sont des systèmes par nature vulnérables aux cyberattaques (espionnage ou vol d’informations ou de secrets, sabotages, actes terroristes, cybercriminalité, etc.) sans pour autant que ces incidents puissent être « attribués » ou appréhendés par un jus ad bellum (devenu le droit humanitaire – éviter toute souffrance –) en droit international. Bref, le passage des révolutions industrielles vers l’ère de l’Information complète les formes d’attaques offensives (Estonie, 2007).
Mais l’espace numérique ne peut échapper ni au droit international, ni aux conflits armés. Le cyberespace ne modifie en rien la nature d’une dépendance. Il l’élargit en multipliant les asymétries qu’il faut anticiper dans les secteurs digital high-tech. Cette dépendance pèse avant tout sur le processus décisionnel. D’où cette exigence impérative de lifting the fog (amiral Owes) défini par Clausewitz. Ce combat contre la dépendance combine des données physiques, virtuelles et psychologiques ou comportementales :
dépendance traditionnelle. Elle s’applique aux matériaux critiques – les États-Unis ont recensé 17 éléments – dont la disponibilité est vitale pour les processus de production ; elle présente un risque potentiel d’approvisionnement stratégique ou de renouvellement, voire de réputation ;
dépendance plus complexe liée à l’internationalisation de la supply chain. L’évaluation de la dépendance s’élargit au contrôle des cycles de fabrication de composants ou matériaux « sensibles » de la transition numérique, tels les éléments de terres rares. C’est la prise en compte de la qualité à toutes les étapes de la chaîne de valeur ou cycle du matériau (normes de durabilité pour la chaîne d’approvisionnement, responsabilité environnementale, etc.) ;
dépendance dans les modes de gestion numériques (algorithmes, block chain, intelligence artificielle, cloud, intelligence économique, système de protection, etc.) dans l’économie data-driven, créateurs de valeur. Ce sont les schémas de pensée appelés à s’affirmer ou s’adapter avec « agilité », qu’il s’agisse de l’esprit d’innovation, d’équipe mêlé à de l’individualisme dans l’organisation du travail, et l’esprit d’entreprise mêlé au goût du risque (opposition entre les caractéristiques de la Silicon Valley de Californie et la ZES de Shenzhen) ;
dépendance, enfin, par l’asymétrie de l’information, entre les giants de la data (GAFAM ou BAXTH) avec un avantage pour les États-Unis. De nombreuses données importantes y circulent, car les principaux fournisseurs de services de télécommunications et de services ont leur siège social sur le territoire américain : 70% du trafic Internet mondial transite par le seul comté de Loudon, en Virginie (Loudon Virginia), et la NSA a accès en temps réel à ces données comme aux équipements de surveillance installés aux points d’échange de l’infrastructure Internet (GIX ou IXP) aux États-Unis.
Dès lors, cette transformation du paradigme productif par l’émergence et le basculement de plus en plus rapide vers les systèmes d’information (IT) avec une dépendance à la data modifie-t-elle les « buts de guerre » ? Et surtout influe-t-elle sur les éléments de la « bataille décisive » (Clausewitz) dans une guerre « hors limites » (Sun Tzu) ? Elle prend en compte désormais le virtuel dans une stratégie indirecte d’influence, en intégrant l’abstrait comportemental grâce aux capteurs numériques, et en optimisant le processus de toute décision, de surcroît stratégique. Et évidemment en assurant leur contrôle. Si possible par le droit. Les États-Unis ont compris le sens des GAFAM, mais l’Union européenne est en train de perdre cette seconde bataille. Sauf si elle introduit dans ses décisions un nouvel art de la dialectique de la volonté. Une volonté de puissance pour exister, et éviter toute colonisation. Être renseigné et anticiper en s’appuyant sur un droit international dont il faut comprendre son essence d’origine anglo-saxonne avec la mise en conformité ou compliance croissante. Il faut bien reconnaître qu’il a accompagné l’ouverture des frontières, par ailleurs véhiculé par le FMI ou la Banque mondiale. L’une des principales critiques est d’indiquer que, telle la loi dite de « blocage » française de 1968 réformée en 1995, cette législation d’inspiration germano-latine – ou droit continental de tradition civiliste codifié par opposition à la common law – est mal appliquée, ou ne fait pas « the job ». Elle apparaît comme une « failure to make disclosures or to cooperate in discovery »[38]. La loi Sapin II (2016) vise à apporter une réponse à ce déséquilibre manifeste provoqué par l’extraterritorialité du droit américain, apparemment davantage capable de « faire le job » avec deux objectifs de nature éthique : la lutte contre la corruption et contre le blanchiment d’argent. Ce qui revient à internaliser cette mise en conformité pour éviter « l’ingérence » qui, mutatis mutandi, a été à l’origine de la première guerre mondiale, et à influencer les conditions du principe de souveraineté nationale par la reconnaissance interne d’un dispositif de règles internationales reconnues par tous les États de droit. La loi Sapin II permet de conserver la maitrise du droit… à condition que l’Agence créée (AFA) en ait les moyens, et que la loi aille au-delà des limites qu’elle s’est elle-même imposées. Sur un plan éthique, l’Union européenne peut ainsi jouer son rôle normatif, et faire valoir ses valeurs.
Dès lors, celles-ci ne deviennent-elles pas une matière normative à faire accepter par l’autre ? Le droit international aura-t-il une plus grande place, sera-t-il mieux reconnu que le droit de la guerre, devenu entretemps le droit humanitaire, et les conventions type celle de Genève ? Et saura-t-il résoudre chacun des trois paradoxes décrits ci-dessus ? En fait, aux origines des guerres, l’économie et le contrôle des ressources indispensables, ainsi que celui du savoir-faire, ont toujours été présents, des cités grecques à la Rome républicaine, au contrôle des villes marchandes au Moyen-Âge ou à la guerre de Sept Ans mobilisant les empires coloniaux. Et encore davantage aux époques industrielles en raison de la « force mécanique » engendrée qui modifie les conditions du maintien de l’ordre international. La contestation de ce dernier n’a jamais disparu, bien au contraire, avec les puissances en devenir peu satisfaites de l’ordre international post 1991. Dans un premier temps, les débats et recherches sur la sécurité́́ se sont figés au moment du grand schisme (Raymond Aron, 1948). C’est la formation des deux blocs lors de la guerre froide acceptant une Communauté́ européenne (1957) sans défense, avec une destinée (une souveraineté…) limitée ou sous contrôle, à l’abri du parapluie nucléaire américain. La forme qui l’emporte est alors classique : celle de la sécurité́ militaire, ou de défense[39] en pleine « guerre froide », intégrée à la sécurité collective du monde « libre » respectueux du droit. Puis elle introduit une ambiguïté́ autour des « intérêts » ou des « identités » à protéger quand, à la guerre froide, voire lors de la « détente » (cf. le contenu des Accords d’Helsinki, 1973-1975), se substitue une « guerre économique », élargie ou nourrie par une « guerre numérique » dans un environnement de conflits dissymétriques ou asymétriques.
Les menaces sont imprégnées des nouvelles technologies (quasi) indétectables, mais maitrisées par le terrorisme ou le djihad international, ainsi que par la cybercriminalité́ organisée dans une déclinaison de shadow traffics ou de multiples usages du dark net (à ne pas confondre avec le shadow banking). Le droit international apparait alors imparfait. Des mesures de coordination sont prises par l’ONU depuis une vingtaine d’années contre le terrorisme d’Al-Qaïda et de Daech, avec la création d’un Bureau consacré à cette lutte (2017), mais la question de la définition du terrorisme – complexe hybridation contemporaine aux origines lointaines – demeure malgré́ l’application de la Charte de l’ONU ou des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité́. Les principes fondamentaux du droit international concourant à l’instauration de la paix collective – élargie aux « implications sécuritaires des changements climatiques » (UN, 25 janvier 2019) – et corrélés depuis 1945 à l’État de droit, transforment la guerre ou warfare en lawfare – alternative à la guerre parfaitement illustrée par le film Eye in the sky (2015) –. De l’usage stratégique du droit[40], ou comment l’instrumentaliser… La question mérite d’être posée si elle est élargie aux grands défis actuels de sécurité « globale » combinée avec une régulation appelée à s’imposer, comme celle sur le carbone avec des objectifs mondiaux énergie-climat sur la réduction d’émissions de gaz à effet de serre (GES). En effet, l’émergence de puissances, hors du camp occidental ou plus généralement hors de l’OCDE[41], comme les emblématiques BRICS, ainsi que, dans une moindre mesure, des rogue states ou États voyous, accentue l’ambiguïté de la norme imparfaite.
Ce qui renforce le deuxième paradoxe à un moment où l’établissement de la paix devient possible : la première journée internationale du multilatéralisme et de la diplomatie au service de la paix (24 avril 2019) s’inscrit dans cette tendance par « l’engagement de régler les différends entre États par des moyens pacifiques », selon les principes de la Charte des Nations Unies et « d’encourager les prises de décision multilatérale »[42]. Dans des économies de plus en plus interdépendantes, les différends peuvent être alors instruits pacifiquement par la saisine, entre autres, de la Cour internationale de justice (CIJ) ou de la Cour permanente d’arbitrage (CPA), voire de la Cour pénale internationale (CPI). Celles-ci participent à une convergence vers l’hypothétique « paix universelle » dans une logique d’évaluation des intérêts nationaux des pays en cause. Mais la pratique internationale du droit reste porteuse d’imprécisions, notamment en termes de définition sur des notions aussi différentes que les « intérêts nationaux » ou autour du « terrorisme » ou sur l’attribution des cyberattaques. Les illustrations de ce paradoxe ne manquent pas, et soulignent les limites des principes wilsoniens en termes de souveraineté : en juillet 2016, suite à la procédure lancée par les Philippines en 2013 contre les revendications de la RP de Chine en mer de Chine considérées comme une violation de la Convention de l’ONU sur le droit à la mer dont les deux pays sont signataires, la Cour permanente d’arbitrage de La Haye[43] donne raison aux Philippines, car « le tribunal estime que la Chine a violé les droits souverains des Philippines dans sa zone économique exclusive », à savoir un espace jusqu’à 200 milles marins sur lequel tout État exerce des droits souverains, mais Pékin « n’accepte pas, ni ne reconnaît » cet arbitrage. Quelques mois plus tard, visé par un début d’enquête de la Cour pénale internationale (CPI) sur sa politique meurtrière contre la drogue, le président philippin lui annonce le retrait des Philippines (mars 2018).
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Penser la guerre économique, ce n’est pas assister béatement à une démondialisation par un supposé chaos provoqué et le retour au protectionnisme. C’est reconnaître que la guerre existe, et qu’elle est devenue « hors limites ». C’est aussi prendre ses responsabilités en termes de réciprocité et d’application du droit. Et, depuis la fin de la guerre froide, c’est aussi choisir le cyberespace désirable. D’un côté, l’innovation technologique liée à la question des normes, la libéralisation des échanges et les intégrations économiques régionales augmentent le volume et la fréquence des mouvements internationaux de capitaux, de marchandises, de services, de personnes, d’idées ou de données (data). Elles renforcent la géo-économie dans une globalization attendue. De l’autre, il revient au droit international de s’immiscer toujours davantage dans les relations interétatiques et le cyberespace. A défaut, le droit américain continuera à s’externaliser en terme de compliance pour s’emparer de ces questions. La sécurité économique que les États-Unis entendent gérer au niveau global grâce à l’extraterritorialité de leur droit devient un déterminant majeur de sécurité nationale. Mais ce concept n’est-il pas à réinventer au niveau européen ? Au sein de l’Union européenne, les réformes en sécurité restent encore fondamentalement inachevées, marquées par la lenteur du temps européen. Suggérons que, faute de cette « invention » renouvelée, le Royaume Uni a choisi la voie du Brexit, et garde ainsi le contrôle de sa souveraineté pour des relations bilatérales, libérée de la bureaucratie européenne, et d’un Parlement conçu comme une assemblée souveraine conforme à la théorie classique de la séparation des trois pouvoirs, mais sans réelle souveraineté qui reste aux États membres. A toutes les interrogations posées dans ce texte autour du rôle et de la place de l’Union européenne, mais aussi de la France seule puissance militaire continentale membre de l’Union européenne, avec une Allemagne résolument État de droit aux capacités industrielles et financières reconnues, il reste possible à l’Union européenne de participer à une paix sous le règne de la loi en promouvant ses valeurs dans le respect des « intérêts mutuels ».
Notes et références
[1] Cité in Major General Haywood S. Hansell Jr. USAF, The Strategic Air War Against Germany and Japan: A Memoir, Pickle Partners Publishing, 2015, 223 p.
[2] https://www.lemonde.fr/economie/article/2012/10/08/1982-les-etats-unis-soumis-aux-deficits-jumeaux_1771958_3234.html
[3] Castells Manuel, L’ère de l’information. I. La société en réseaux, trad, de l’anglais par Philippe Delamare, Paris, Fayard, 1998, 613 p., 198 F. ; II. Le pouvoir de l’identité, trad, de l’anglais par Paul Chemla, Paris, Fayard, 1999, 538 p., 198 F. ; III. Fin de millénaire, traduit de l’anglais par Jean-Pierre Bardos, Paris, Fayard, 1999, 492 p.
[4] Contrairement à ce que pensait Herbert Marcuse dans les années 1960 dans « l’homme unidimensionnel » dans le rôle et la place du progrès scientifique et des automatismes.
[5] Dénommées également « zones grises » (grey zones), ou période de ni paix, ni guerre mais utilisant différentes actions résumées aux États-Unis et à l’OTAN par le signe DIMEFIL – diplomatie, information, militaire, économique, finances, intelligence et loi (law) –.
Cf. Michael N. Schmitt, “Grey Zones in the International Law of Cyberspace”,42:2 Yale Journal of International Law Online 1 (2017), 21 p., 30 May 2018.
[6] https://www.lawfareblog.com/ethical-landmine-undermining-president-within
[7] Cf. Introduction à la Stratégie, général André Beaufré, Paris, Armand Colin, 1963. Nlle édition, Coll. Pluriel, 2012, 190 p.
[8] En 1948, sur les 56 pays membres de l’ONU, 48 États (85,7%) votent pour, et 8 s’abstiennent (l’URSS avec cinq pays socialistes de l’Europe de l’Est post « rideau de fer », l’Afrique du sud (pays de l’apartheid) et l’Arabie saoudite (wahhabite).
Le vote de ce dernier pays illustre la position des pays arabes rassemblés dans la Ligue arabe fondée en 1945, et liée à la création d’Israël. En 1968, est créée la Commission arabe permanente pour les droits de l’homme (PAHRC) en vue de rédiger une charte. La version révisée de la Charte arabe des droits de l’homme achevée en 1994 y est adoptée en 2004 : la Commission internationale de juristes (CIJ) en note l’ensemble des améliorations en termes de discrimination ou de conviction personnelle, mais demande que soit parachevé son processus de mise en conformité avec les standards internationaux en matière de protection des droits de l’homme, à savoir l’égalité de la femme ayant été reconnue dans la version de 2004 mais l’opposition de responsables religieux reste forte.
[9] Cf. le texte de la résolution adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU, le 8 mars 1999.
[10] Cf. le rôle de la CIJ créée en 1952 et basée à Genève dont l’objectif principal du programme de protection et de droit international est de promouvoir la mise en œuvre du droit international pour les violations de nature civile, politique, sociale ou économique. L’accent est mis sur les obligations internationales des États de respecter, protéger et instaurer les droits humains par l’intermédiaire de l’État de droit.
[11] Cf. “New World Order or a World in Disorder? Testing the Limits of International Law”, Secretary of State Condoleezza Rice introduction for U.S. Supreme Court Justice Ruth Bader Ginsburg during the American Society of International Law’s (ASIL), 99th annual meeting (mars 2005), cité in Lawless World: Making and Breaking Global Rules, Philippe Sands, Penguin UK, 2006, 432 p.
[12] Cf. Le Monde diplomatique « Contre l’ordre impérial, un ordre public démocratique et universel », de Chemillier-Gendreau, 2002.
https://www.monde-diplomatique.fr/2002/12/CHEMILLIER_GENDREAU/9800
[13] Francis Fukuyama, State-Building : Governance and World Order in the 21st Century, Ithaca, Cornell University Press, 2004.
[14] “What is our policy?…to wage war against a monstrous tyranny, never surpassed in the dark, lamentable catalogue of human crime”, Churchill”, speech in the House of Commons, 13 May 1940
“No one pretends that democracy is perfect or all-wise. Indeed, it has been said that democracy is the worst form of Government except all those other forms that have been tried from time to time”, Churchill, speech in the House of Commons, 11 November 1947.
[15] Un « grand chambardement » face aux raïs, titre de l’essai de l’ancien ambassadeur français en Irak et en Tunisie Yves Aubin de La Messuzière (paru en 2016).
[16] « What Washington Means by Policy Reform », dans John Williamson (sous la direction de), Latin American Adjustment. How Much Has Happened ? Institute for International Economics, Washington, 1990.
[17] Leitmotiv du discours d’ouverture de Victor Hugo, président (Richard Cobden , industriel, et anti-Corn Law abolies en 1846, en est vice-président), à la tribune du Congrès de la paix le 21 août 1849 réuni à Paris : « … Un jour viendra où il n’y aura plus d’autres champs de bataille que les marchés s’ouvrant au commerce et les esprits s’ouvrant aux idées. Un jour viendra où l’on montrera un canon dans les musées… », Actes et Paroles, Avant l’exil, Congrès des Amis de la paix universelle, 21-24 août 1849 (association qui remonte à 1814 crée par le pasteur NoahWorcester).
[18] The Reluctant Ally: France and Atlantic Security, Michael M. Harrison, Baltimore: Johns Hopkins University Press, 1981, pp. xi + 304.
[19] Le rétablissement des sanctions américaines, consécutif au retrait des États-Unis de l’accord de 2015 sur le programme nucléaire iranien (2018), constitue pour les Iraniens une violation du « traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires » signé en 1955 entre les deux pays, bien avant la révolution islamique iranienne qui a fait basculer les relations entre Washington et Téhéran, et en a changé la nature.
[20] 23 juillet 1914, le point 6 de l’ultimatum de l’Autriche-Hongrie adressé à la Serbie prévoit que « des organes délégués à cette fin par l’Autriche-Hongrie prendront part aux recherches », et enquêterait donc en Serbie, au mépris des règles élémentaires de la souveraineté des États. Le ministre des Affaires étrangères britannique, lord Grey, s’écrie à la lecture de l’ultimatum : « Je n’ai jamais vu jusqu’ici un État adresser à un autre État un document d’un caractère aussi terrible ». Et Winston Churchill, premier lord de l’Amirauté : « C’est le document le plus insolent de son espèce qui ait jamais été rédigé ». Ce non-respect de sa souveraineté conduit au refus de la Serbie, et au déclenchement de la première guerre mondiale. Fin d’une civilisation.
[21] Le Parti républicain du Sénat américain, conduit par le sénateur Lodge, réclame des amendements conformément au débat doctrinal opposant Jefferson à président George Washington sur la question de la neutralité en cas de conflit. Il conteste notamment l’article 10 du pacte de la Société des Nations qui fait obligation de protéger l’indépendance et l’intégrité territoriale des États membres.
[22] Cf. le questionnement sous l’angle chinois : Why is it important to consider the transformation of international orders beyond European history in theorizing International Relations? From where does the current global order emerge in deep world historical terms?
The Tributary System as International Society in Theory and Practice, Yongjin Zhang, Barry Buzan, The Chinese Journal of International Politics, Volume 5, Issue 1, Spring 2012, Pages 3–36, https://doi.org/10.1093/cjip/pos001
https://academic.oup.com/cjip/article/5/1/3/343591
https://www.blaetter.de/archiv/jahrgaenge/2018/juni/tribut-fuer-china-die-neue-eurasische-weltordnung
[23] Le concept de guerre économique a été́ évoqué dès 1971 par Bernard Esambert, conseiller auprès du président Pompidou, et artisan de politiques industrielles ambitieuses dans des domaines stratégiques – aux accents gaulliens, en raison de la crise que traversent les pays industriels en termes de compétition internationale exacerbée avec l’ouverture des marchés à partir de la fin des années 1960 (hausse lente, mais régulière du chômage), puis révélée par les chocs pétroliers (1974-1979).
Cf. Bernard Esambert, La guerre économique mondiale, Paris, Odile Orban, 1991.
Ouvrages qui en ont précisé le contenu : Christian Stoffaës, La Grande menace industrielle, Paris, Calmann-Lévy, 1978, suivi de Fins de monde : déclin et renouveau de l’économie, Paris, Odile Orban, 1987 ; tandis que Christian Harbulot, La machine de guerre économique, Paris, Économica, 1992, introduit le concept de l’intelligence économique (difficilement) en France, repris dans le rapport Martre (1994).
L’ouvrage de Jean-Baptiste de Boissière et de Bertrand Warusfel, La Nouvelle frontière de la technologie européenne, Paris, Calmann-Lévy, 1991, décrit déjà comment l’Europe assure sa prospérité par la construction de son marché intérieur, mais perd sa technologie. En en oubliant la dimension stratégique extérieure, elle est menacée d’une intégration sous dépendance (celle de ses approvisionnements technologiques primaires).
[24] Cf. Tony R. Judt, Après-Guerre, une histoire de l’Europe depuis 1945, trad. de l’anglais par Pierre Emmanuel Dauzat, Ed. Hachette Littératures, Paris, 2007.
[25] Challenges, 4 mai 2019, « Le marxisme reste totalement pertinent ».
https://www.challenges.fr/monde/le-marxisme-reste-totalement-pertinent-pour-la-chine-dit-xi_584948
[26] Lors de l’université d’été du Medef sur le campus d’HEC en septembre 2013, l’ambassadeur chinois Wu Jianmin n’a pas hésité à opposer le système français au capitalisme d’État chinois.
Wu Jianmin, ancien ambassadeur de Chine à Paris, avant de présider l’Université chinoise de la diplomatie. Il est vice-président du China Institute for Innovation and Development Strategy, s’étonne de la tendance française à « décourager le travail » et de la difficulté à réformer contre « les avantages acquis ».
En 1964, la France a été le premier membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU à établir des relations diplomatiques avec la Chine.
https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-monde/20100623.RUE7180/quand-un-gag-politique-reveille-les-tensions-franco-chinoises.html
[27] En 2016, 120 pays en sont membres, et si son influence politique a décru après la fin de la guerre froide, il continue de jouer un rôle important, par exemple en refusant les mesures standard de résolution de la dette publique préconisées par le consensus de Washington. De nouvelles mouvances, dans le sillage du mouvement altermondialiste, s’inspirent de ses principes et des luttes qu’il a incarnés pour prôner une mondialisation plus conforme à l’intérêt des pays du Sud.
[28] http://valdaiclub.com/events/posts/articles/russia-china-epoch-making-relations-for-a-new-era/
[29] Cf. L’Opinion, 12 novembre 2018, article de Jean-Dominique Marchet : https://www.lopinion.fr/edition/politique/macron-lache-progressisme-connote-a-gauche-souverainete-reference-168292
[30] http://www.tageblatt.lu/meinung/editorial/adieu-pax-americana-europa-gedenkt-einer-welt-die-fuer-trump-ueberholt-ist/
[31] Selon le rapport de septembre 2019 de la société belge Swift, les transactions que le système gère ont été à 40,5% en dollars ; 32,8% en euro ; 6,97% en livre britannique ; 3,72% en yen et 1,95% en yuan.
[32] Cf. son livre paru en 1999 Code and other Laws of cyberespace, version 2.0. Traduit par L’avenir des idées. Le sort des biens communs à l’heure des réseaux numériques.
[33] Saint-René Taillandier, « Histoire du parlement de Francfort », in Revue des Deux Mondes, Nouvelle période, tome 3, 1849 (pp. 125-163).
https://www.bundestag.de/fr/parlement/histoire/1848-200672
https://www.persee.fr/docAsPDF/r1848_1155-8806_1917_num_13_74_1600.pdf
http://www.jprissoan-histoirepolitique.com/articles/histoire-d-ailleurs/allemagne/1848-1849enallemagne2emepartielassembleenatonaledefrancfort
https://www.marxists.org/francais/engels/works/1848/06/fe18480601.htm
[34] In Guillaume Pitron, La guerre des métaux rares, LLL Liens qui libèrent, Paris, 2019.
[35] Cf. Alastair I. Johnston, Cultural Realism – Strategic Culture and Grand Strategy in Chinese History, Princeton: Princeton University Press, 1998.
[36] Les premières études sur les terres rares remontent à l’Initiative de 2008, la question se posant sur un plan international dès 2007 suite au rapport sur l’investissement dans le monde (NU).
https://ec.europa.eu/growth/sectors/raw-materials/specific-interest/critical_fr
[37] Cf. général Vincent Desportes.
[38] Cf. le rapport du député Raphaël Gauvain, Rétablir la
souveraineté́ de la France et de l’Europe et protéger nos entreprises
des lois et mesures à portée extraterritoriale, juin 2019.
[39] Cf. travaux de Bertrand Warusfel : http://www2.droit.parisdescartes.fr/warusfel/articles/SecuDef_warusfel94.pdf
[40] Selon le Maj. Gen. Charles J. Dunlap, fort de l’expérience de l’OTAN dans les Balkans en 1999 : “Lawfare represents an effort to provide military and other nonlawyer audiences an easily understood “bumper sticker” phrasing for how belligerents, and particularly those unable to challenge America’s high-tech military capabilities, are attempting to use law as a form of “asymmetric” warfare.”
https://www.armyupress.army.mil/Journals/Military-Review/English-Edition-Archives/May-June-2017/Dunlap-Lawfare-101/
[41] En 2013, pour la première fois, le PIB issu des pays émergents dépasse la moitié du PIB total des pays de l’OCDE.
[42] Selon les termes du secrétaire général https://www.un.org/fr/events/diplomacyday/
[43] CPA créée en 1899, avec 121 parties et liée à la Commission des Nations Unies pour le droit international des contrats, ou CNUDCI, créée en 1966.