Pour une politique Française plus équilibrée dans le Golfe Persique

Talal ATRISSI, Doyen de l’école doctorale des lettres et sciences humaines et sociales à l’Université Libanaise.

Résumé

Deux dates cette dernière décennie ont perturbé toute la région du Moyen Orient, et ont abouti à des changements de rôles des forces régionales et à un bouleversement des alliances stratégiques. D’abord en 2003 avec l’occupation américaine de l’Iraq et la chute du régime de Saddam Hussein, puis 2011, avec « le printemps arabe », et le bouleversement des alliances. La comparaison entre la politique de la France et celle des Etats-Unis, on peut faire le constat d’un manque de pragmatisme de la première et d’une gestion hasardeuse des conséquences d’alliances unilatérales. Or, ces deux puissances devraient travailler au dialogue entre les deux plus grands pays du Golfe Persique (Iran et Arabie Saoudite) pour créer le premier pas nécessaire et inévitable pour rétablir la stabilité, favoriser les solutions politiques de crises enflammées, et lutter contre le terrorisme.

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Deux dates cette dernière décennie ont perturbé toute la région du Moyen Orient, et ont abouti à des changements de rôles des forces régionales et à un bouleversement des alliances stratégiques.

2003
La première date c’est 2003 avec l’occupation américaine de l’Iraq et la chute du régime de Saddam Hussein. Après dix ans de cette occupation, c’est le rôle de l’Iran qui va changer pour devenir la première force d’influence régionale en Irak. L’Iran qui a soutenu le nouveau régime irakien, a en même temps soutenu plusieurs groupes de résistance contre les occupants américains.
– L’Arabie Saoudite de son coté est devenue inquiète, plus anxieuse de cette présence stratégique iranienne, et du nouveau pouvoir chiite à Bagdad. Cette inquiétude est devenue plus forte surtout après la décision américaine du retrait de l’Irak.
– On assiste à une nouvelle montée du djihadisme avec « l’Etat Islamique en Iraq » devenu après la guerre en Syrie « Alkhilafa Alislamia » connu aussi sous le nom de « DAECH », et considéré par les Nations Unis comme organisation terroriste, et par les Etats Unis comme une menace à la sécurité internationale.
– La France a changé sa position a l’égard de cette guerre contre l’Irak pour devenir favorable a l’occupation américaine, qui s’est faite sans aucune couverture ou légalité internationale. Cet alignement de la France en faveur de la politique américaine en Iraq se développera après 2004 vers le Liban et la Syrie.

2011
La deuxième date c’est en 2011. C’est « le printemps arabe », et le bouleversement des alliances.
Avec les débuts de ce printemps, tous les présidents qui sont tombés étaient des alliés de l’Arabie saoudite, et des Etats-Unis en même temps, de Ben Ali en Tunisie, a Moubarak en Egypte, jusqu’au Abdallah Saleh au Yémen. Ce qui fait que le premier gagnant de ce changement inattendu était l’Iran et son axe de « résistance ».
– L’inquiétude saoudienne augmente au regard de trois facteurs successifs:
– la perte accélérée des alliés
– le renforcement de la position régionale de l’Iran
– la politique américaine qui lâche ses alliés (Moubarak et les autres présidents) et qui mène en même temps des négociations avec l’Iran (l’ennemi de l’Arabie saoudite) sur son programme nucléaire
Cette inquiétude saoudienne progresse jusqu’à traiter l’Iran médiatiquement et politiquement, comme le premier ennemi stratégique du royaume, ce qui répand une atmosphère de tension dans tout le golfe persique.
Il est connu que le Golfe Persique et même tout le Moyen Orient se distinguent depuis des décennies par une préoccupation internationale continuelle des grandes puissances.
Cela revient certes à la gépolitique de cette région, où le pétrole, les voies de circulation maritimes, le conflit Israélo-Arabe, et à l’existence de l’Islam avec toutes ses mutations et ses différentes tendances (dont la très violente d’aujourd’hui que représente Daech).
Pour toutes ces raisons le Moyen Orient y compris le Golfe Persique attiraient sans cesse les grandes puissances et les Européens en particulier. Mais ces facteurs, en raison des luttes et des guerres qu’ils suscitent sont en même temps une source de menace pour la sécurité et la stabilité régionale et internationale.
Ce qui fait que n’importe quel changement qui aura lieu dans cette région, comme la chute inattendue de régimes, ou comme une révolution Islamique en Iran, ou la montée de la tension entre quelques pays, ou l’éclatement d’une guerre comme celle entre l’Irak et l’Iran dans les années 1980, ou même la guerre Saoudienne contre le Yémen… doivent certes attirer toute l’attention et l’inquiétude des grandes puissances, et des puissances européennes en particulier.
Il est intéressant de remarquer que les tensions au Golfe Persique durant les dernières années, étaient limitées entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, où le royaume avait cru que si il accentuait la tension avec Téhéran, il pourrait diminuer les gains de ce dernier de son accord nucléaire avec l’Occident.
Les Etats-Unis ont suivi, à l’égard de cet accord avec l’Iran et des craintes saoudiennes, la politique suivante :
– Poursuivre les négociations avec l’Iran pour conclure un accord « historique » qui empêchera l’Iran de posséder une bombe atomique.
– Rassurer le royaume saoudien de la continuité de leur alliance stratégique, et de la poursuite de la protection américaine du pouvoir saoudien face à toute menace extérieure surtout la menace iranienne prétendue.

Si on compare la politique de la France avec celle des Etats-Unis on peut remarquer que :
– Dans cette situation de compétition et de tension entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, la France a toujours choisi l’Arabie saoudite.
– La France a failli saboter l’accord nucléaire avec l’Iran par ses positions les plus dures parmi les (5+1).
– La politique française à l’égard de l’Iran était complètement conforme avec celle de l’Arabie Saoudite.
– On peut toujours remarquer que la politique de la France à l’égard de l’Iran a changé ces deux dernières décennies.

La politique précédente était plus équilibrée, surtout lorsque la France avait adopté le « dialogue critique » avec l’Iran, contrairement à la politique de Washington qui imposa les sanctions économiques et le siège politique.
Mais après la guerre menée par les néoconservateurs aux Etats unis avec le président Georges Bush contre l’IraK en 2003, la politique de la France a changé complètement pour devenir de plus en plus conforme à celle des Etats-Unis dans le Golfe Persique.
La relation de la France avec les Pays Arabes du Golfe s’est développée suite aux achats d’armes et du Pétrole, fermant les yeux – du coté politique et médiatique – sur tout ce qui se passe dans les royaumes du Golfe, surtout en Arabie Saoudite, concernant les droits de l’Homme, les droits de la femme, la participation politique et de la citoyenneté.
Pourtant, cette même politique française est devenue rigoureusement radicale et ferme envers l’Iran non seulement vis-à-vis de son nucléaire mais par la participation de la France aux sanctions imposées à l’Iran, contrairement aux intérêts économiques français. Fin juin 2013, le président de la Commission des finances du Sénat, Philippe Marini, s’alarme des nouvelles sanctions américaines contre l’Iran qui vont, selon lui, affecter durement les groupes automobiles français.
En raison des sanctions internationales à l’encontre de l’Iran, les importations françaises en provenance d’Iran étaient passées de 2,5 milliards d’euros en 2006 à seulement 61 millions d’euros en 2014.
Une chute des importations françaises est due en majorité à l’embargo pétrolier mis en place par l’Union européenne en janvier 2012.
La France était l’une des (5+1) les plus rigoureuses en négociant avec l’Iran, à un point où l’Iran avait senti que la France était en fait le représentant de l’Arabie Saoudite dans les négociations nucléaires, en comparaison avec les autres pays européens plus favorables à signer l’accord avec l’Iran, et Laurent Fabius s’oppose publiquement à la signature d’un accord entre l’Iran et les six grandes puissances sur le nucléaire.

Apres l’accord nucléaire avec l’Iran
Cet accord signé avec l’Iran a déclenché une tempête de réactions dans le monde entier et surtout au moyen orient, ou chaque pays a commencé à faire les comptes des gains et des pertes dus à cet accord.
En ce qui concerne l’Arabie Saoudite et l’Iran :
-Le Royaume Saoudien était extrêmement déçu de cet accord .Il était mis en colère contre les Etats-Unis ,une colère mélangée de doute de la politique américaine dans le Golfe Persique, et dans tout le moyen orient.
La déclaration de Washington de transmettre sa priorité stratégique à l’Océan Pacifique, a augmenté ce doute et cette déception saoudienne. On peut ajouter à tout ce qui précède les changements au pouvoir dus à la mort du roi Abdullah qui ont suscité une lutte devenue claire et ouverte entre les héritiers du roi actuel Salman.
– Pour la première fois de son histoire moderne le nouveau pouvoir saoudien mène une guerre au Yémen contre l’organisation « Ansarollah » connu sous le nom de leur fondateur « les Houssites ». L’Arabie saoudite prétendait par cette guerre anéantir l’influence iranienne au Yémen en raison de la relation étroite entre « Ansarollah » et l’Iran.
– L’Arabie saoudite crée des nouvelles alliances arabes et islamiques sous prétexte de protéger les villes saintes au royaume (la Mecque et Almadine), et de lutter contre le terrorisme. L’Iran est toujours exclue de toutes ces alliances, tandis que les relations de l’Arabie Saoudite avec la Turquie vont jusqu’à un accord stratégique, ce qui donne à toutes ces coalitions un aspect confessionnel sunnite contre l’Iran chiite que l’Arabie saoudite considère comme une menace du royaume et de ses alliés au Moyen Orient.
– L’Arabie Saoudite poursuit son soutien armé à l’opposition syrienne. Son ministre des Affaires étrangères Adel Eljoubeir répète maintes fois que le président Assad doit partir soit par un compromis politique, soit par la force militaire.
– l’Iran qui a réussi après cet accord à débloquer son siège économique, est devenu plus engagé dans les crises de la région surtout en Irak et en Syrie. L’Iran soutient de son côté le régime syrien, lui fournit les armes, les conseillers militaires, et quelques centaines des gardiens de la révolution. La direction iranienne refuse tous les projets et les scenari du départ du président Assad.
– Il est remarquable qu’après cet accord les actes et les opérations terroristes et meurtriers de « l’Etat Islamique » (Alkhilafa) dépassent les territoires syriens et irakiens pour frapper au cœur de l’Europe à Paris et à Bruxelles.
– Entre politique américaine et politique française :
Apres l’accord nucléaire avec l’Iran et suite aux critiques Saoudiennes de cet accord, et à la montée remarquable du terrorisme, le président américain Barak Obama a pris les positions suivantes : il a soulevé le siège économique de l’Iran, et a mis fin à son isolement politique. Mais Obama lui-même est devenu plus critique à l’égard du wahhabisme du Royaume Saoudien, au regard du lien idéologique commun entre Daech (l’Etat Islamique) qui représente l’Islam extrémiste sanguinaire, intolérant, et le wahhabisme. Obama est allé jusqu’au dire aux responsables saoudiens que le danger qui menace le Royaume provient de son intérieur, de son « Wahhabisme » et non pas de l’Iran.
Malgré tous ces changements après l’accord avec l’Iran et la montée du terrorisme, et les critiques devenues très répandues de l’Arabie Saoudite et de son Wahhabisme dans les médias européens et américains, la politique de la France n’a pas vraiment changé ni au Moyen Orient, ni dans le Golfe Persique. « Depuis trois ans et demi, la plupart des initiatives diplomatiques de la France n’ont qu’un seul objectif : faire ami-ami avec Ryad. Et attirer les milliards des princes Saoud » .
La France, qui décide de tirer tous les profits possibles de l’Iran après l’accord nucléaire, voulait en même temps rester sur sa même politique de préférer l’Arabie saoudite sur l’Iran. En Janvier 2016, le président iranien Hassan Rohani effectue une visite de deux jours en France, à cette occasion, les autorités françaises et iraniennes ont signé une trentaine d’accords dans diffèrent domaines, notamment dans le domaine économique : « Des accords qui iront ensuite de l’agriculture jusqu’à la santé en passant par l’industrie, les télécommunications, l’aéronautique, le développement durable, et les transports etc ».
Selon le président Hollande, tous les domaines sont couverts et de nombreuses entreprises françaises sont concernées. Des accords ont également été signés dans le domaine de l’éducation, notamment en matière de coopération entre les universités des deux pays, a ajouté le président Iranien, qui a invité à « oublier les rancœurs et à tourner la page sur une relation nouvelle entre les deux pays ».
Certains pensaient que cette politique française à l’égard de l’Arabie Saoudite, malgré les nouvelles relations avec l’Iran pourrait permettre à la France de récupérer l’héritage des relations enracinées depuis plus de 60 ans, entre les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite, au regard des critiques saoudiennes de la politique américaine après l’accord nucléaire avec l’Iran.
Mais une telle idée de remplacer la protection américaine de l’Arabie Saoudite par une autre française, est plutôt imaginaire que réaliste. D’une part parce que le royaume lui-même n’est pas convaincu, et n’a même pas confiance du changement de cette protection, qui devrait être remplacée par la France ou par la Russie ou même par la Chine.
D’autre part, la France n’est plus aujourd’hui cette force internationale qui dispose des capacités militaires et économiques lui permettant de jouer un tel rôle de protection d’une force régionale comme l’Arabie Saoudite. Ajoutons à tout cela le refus américain d’un tel changement des rôles stratégiques dans le Golfe persique, soit en faveur de la France spécialement, ou des puissances européennes en général.
La tension persiste dans le Golfe Persique et l’Arabie Saoudite coupe ses relations diplomatiques avec l’Iran, et qualifie le Hezbollah, allié de l’Iran comme organisation terroriste, en demandant à l’Iran à la fin du sommet des pays islamiques (organisation de coopération islamique) de stopper son ingérence dans les affaires intérieures des autres pays islamiques. Cette tension malgré ses différents prétextes confessionnels ne pourrait pas cacher sa nature géopolitique et géostratégique entre l’Arabie saoudite et l’Iran, ou chacun essaie de d’élargir son influence politique, défendre sa sécurité nationale, et empêcher son rival de remporter une victoire dans les différents champs de bataille en Syrie au Yémen ou en Irak…
Il faut noter que la tension entre l’Arabie saoudite et l’Iran est un contexte social très favorable pour les groupes terroristes qui jouent sur le facteur confessionnel, et considèrent le chaos et les troubles au sein des sociétés arabes et islamiques comme le meilleur terrain pour diffuser leur idéologie, et « purifier » ces sociétés des « renégats » de toute appartenance.
C’est cette tension qui alimente et qui favorise aujourd’hui les autres tensions confessionnelles non seulement en Syrie, ou au Liban ou en Irak… Mais aussi dans tout le monde islamique aujourd’hui sans compter les attentats en Europe même. Ce qui fait que la lutte internationale contre le terrorisme ne pourrait pas réussir si cette tension persistait entre l’Iran et l’Arabie Saoudite. Ce qui veut dire qu’il faut considérer sérieusement cette tension comme une menace de la sécurité non seulement régionale, mais aussi internationale, au regard des conséquences géostratégiques connus de cette région, et l’importance de ces deux grands pays et leur influence dans le Golfe Persique (l’Iran et l’Arabie Saoudite). Ce qui nous pousse à croire que toutes les forces qui cherchent la stabilité dans le Moyen Orient et dans le Golfe Persique, et surtout la France, doivent avoir une politique plus équilibrée entre l’Iran et l’Arabie Saoudite.
Cette approche d’une politique extérieure modérée et équilibrée de la France pourrait être réaliste surtout après l’accord nucléaire avec l’Iran, et après leurs rapprochements diplomatiques et économiques.
Est-ce que la France dans toute cette ambiance de terrorisme, des tensions dans le Golfe Persique, des craintes, et des menaces qui dépassent le Moyen Orient, est capable de jouer un rôle de modérateur pour favoriser un dialogue entre Iraniens et Saoudiens ?
Un tel dialogue entre ces deux plus grandes puissances du Golfe Persique est a notre avis le premier pas nécessaire et inévitable pour rétablir la stabilité, favoriser les solutions politiques de crises enflammées, et lutter contre le terrorisme.
La stabilité dans cette région est inévitable non seulement pour la sécurité régionale et internationale, mais aussi pour préserver en même temps les intérêts communs et mutuels de la France et de tous les Pays du Golfe Persique.

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