Pour une politique de sécurité euro-atlantique

Roger TEBIB

Professeur des Universités (sociologie). Il estauditeur à l’Institut desHautes Études de Défense Nationale, présidentdela section Champagne-Ardenne duHautComité Franck pour j Défense civile. Il a obtenu pour ses travaux les prix delà Société des Ar ts et Lettrée de France, de l’Académie de droit de To ulouœ etdn Conteil Général de la Haute Marne.

1er trimestre 2012

Compte tenu des solidarités historiques des peuples de l’Atlantique-Nord et face aux menaces nouvelles qui risquent de perturber toutes les sociétés, il est indispensable de développer des politiques de sécurité euro-stlantiques parailèlemerit à k défense militaire qui existe dans le cadre de l’OTAN.

For a Euro-Atlantic security policy.

Keeping in account the historic solidarities of the North Atlantic peoples and faced with new threats that risk disturbing allsocieties, it is indispensable to devehpe Euro-Atlantic security policies inpuraldl with the military defence that exists within the NATO framework.

Les peuples de la zone de l’Atlantique-Nordsontunis pardessoli-

darités quisesituentsurtout sur le plan des optionsphilosophiques car ilssont attachés à ladémocratiepluraliste,leseulrégime quipuissesauvegarderledroitde secomporterenêtres libres.

Si l’Alliance atlantique reste fort justement considérée comme indispensable à la sauvegarde de ce qu’il faut toujours appeler « le monde libre », il faut développer ces solidarités atlantiques.

Les menaces nouvelles

On a dit : « La fin de la guerre froide a été fatale aux «partis-guérillas» durables et hiérarchisés, véritables armées en réduction, experts en haute technologie, l’ETA par exemple, ou encore le F.P.L.P., Front de libération de la Palestine »’.

Des périls plus graves risquent de perturber le fonctionnement de nos sociétés hautement industrialisées avec des trafics de substances nucléaires, de piratages des systèmes informatisés, économiques et financiers… Certains pirates peuvent dé­clencher des krachs boursiers artificiels, saboter des autoroutes de l’information.

Un État peut protéger toutes les ambassades, les bases militaires, les aéroports. mais il restera toujours assez de rues, de cinémas et de cafés – comme on vient de la voir, par exemple, à Marrakech – où il est possible de perpétrer des attentats.

 

La coopération policière

C’est une pratique déjà ancienne mais, avec la suppression des frontières et le problème des flux de population, les polices européennes devraient diversifier leurs activités et leurs modes d’intervention.

« Pour répondre à ces objectifs, les États structurent leurs relations au sein de nombreux groupes informels. Puis la police devient un objet de négociation conven­tionnelle, dont l’Accord additionnel de Schengen est la traduction la plus achevée. Le traité de Maastricht formalise cette coopération sur le mode intergouvernemen­tal et ouvre la voie à l’intervention des instances communautaires. Enfin, le traité d’Amsterdam contient des solutions originales visant à accroître la cohérence de la coopération policière, en particulier en intégrant les Accords de Schengen dans le Traité de la Communauté européenne2.

Cette méthode pragmatique a favorisé le développement de nouvelles modalités d’action. Il paraît utile de citer quelques instruments de cette coopération.

  1. Les officiers de liaison

La décision de procéder à des échanges de correspondants policiers entre plusieurs États de l’Europe communautaire pour la répression du terrorisme, de la criminalité internationale et du trafic des stupéfiants a été prise en 1986. Elle s’est concrétisée par une série d’accords bilatéraux entre la France et l’Italie (1986), l’Allemagne (1987), l’Espagne (1987), la Grande-Bretagne (1989) et la Belgique (1991).

Depuis cette époque, les échanges entre pays se développent. On a écrit, à ce sujet : « Jusqu’à l’apparition des premiers officiers de liaison en France, en 1986, il manquait une dimension humaine dans les relations inter-polices. Des structures comme Interpol apportent beaucoup en matière d’informations et de renseigne­ments, mais il faut également des hommes capables de réagir rapidement, parfois dans l’urgence, sur le plan opérationnel. Le fait qu’au sein même de la police natio­nale se trouvent d’autres policiers européens, facilite l’exploitation immédiate d’un renseignement »3.

Plusieurs officiers de liaison français sont installés à Wiesbaden, Rome, Madrid, Londres, Bruxelles et Meckenheim (où, depuis 1994, est installé le Bundeskriminalant). À titre de réciprocité, Paris accueille une dizaine d’officiers de liaison allemands, italiens, espagnols, anglais et belges, travaillant dans le domaine de l’information et du renseignement, mais sans pouvoir de police judiciaire.

  1. Pour une coordination des services européens du renseignement

On assiste depuis longtemps à des discussions et des critiques concernant des services comme Interpol, Europol ou SIS (Système d’information Schengen). Pour citer quelques exemples : « Les Anglais refusaient de voir Europol compétent en ma­tière de terrorisme afin d’éviter que celui-ci ne se mêle de l’affaire irlandaise…, les Espagnols considéraient, d’une part, que l’inclusion du terrorisme dans les missions d’Europol forcerait la France à plus de coopération en matière de terrorisme basque et, d’autre part, que l’article K 1 du traité de Maastricht évoquait le terrorisme et qu’il n’était pas question de revenir en arrière. D’autres pays, comme la Grèce, le Portugal, ont plutôt soutenu aussi la position espagnole, ainsi que les pays plus inquiets d’un terrorisme en provenance de l’étranger que d’une forme de violence politique interne »4.

On note également d’autres discussions :

  • certains États veulent inclure les violences urbaines en plus du terrorisme ;
  • d’autres veulent réduire le domaine du renseignement aux menaces venues de l’extérieur de l’Union européenne ;
  • il y a également des luttes corporatives : en criminalisant le terrorisme, on favorise les services de police judiciaire ; en mettant l’accent sur l’étranger, on utilise davantage ceux du renseignement.

Les interférences politiques, les jalousies entre États font que la collaboration entre pays européens est encore au stade des « clubs » (Berne, Cinq, Quanti Co, PWGOT, également Trévi), réunissant périodiquement surtout des hauts fonction­naires, sans pouvoir de décision politique, bien sûr.

Beaucoup d’États, dont la France, étaient méfiants : ils redoutaient des atteintes à leur souveraineté. On a écrit, au sujet de ces comités et de leur rôle : « Dans la mesure où elles ne mettent pas en cause le contexte politique dans lequel évolue chacun des pays concernés et où les sujets évoqués (terrorisme et criminalité) conservent un caractère essentiellement technique, leurs réunions ne risquent pas, a priori, de constituer, dans l’immédiat, une préoccupation à cet égard… En contrepartie, toute réserve dans le comportement et toute réticence dans ses contributions que serait amené à manifester un membre de ces comités ne manqueraient pas d’être interprétées comme un changement d’orientation et susciter immédiatement une inquiétude plus aiguë et plus profonde que celle que pourrait ressentir dans les mêmes circonstances le Comité spécial de l’OTAN »5.

Il reste que la constitution d’une communauté occidentale du renseignement est une exigence fondamentale face aux dangers du monde actuel où se développent terrorismes et guerres masquées.

Quelle coopération judiciaire ?

Dans ce domaine, la logique intergouvernementale l’emporte davantage sur la dynamique communautaire, comme en témoignent les discussions depuis des an-nées6.

Il faut également signaler que terrorisme politique et trafics financiers vont sou­vent de pair et qu’il convient de protéger l’Europe contre tout ce banditisme, de lutter contre « une absurdité dénoncée par tous, mais toujours tolérée, qui consiste à ouvrir largement les frontières aux délinquants pour les refermer aux organes chargés de la répression, au risque de transformer nos pays en véritables paradis fiscaux »7.

Le cadre national, même complété par des accords bilatéraux, n’est plus adapté, dans le cadre de la mondialisation, à la lutte contre le terrorisme, le blanchiment des capitaux et le trafic des stupéfiants.

Depuis des années, il avait été demandé d’abandonner les arguties judiciaires et de créer une Cour européenne contre le terrorisme. Ce projet n’a jamais été vraiment discuté.

Le traité d’Amsterdam montre encore la timidité des solutions et admet que le traitement pénal continue de relever de l’application souveraine des États ; on persiste à dire que « ces dispositions ne doivent pas avoir pour effet d’obliger un État membre, dont le système judiciaire ne prévoit pas de peine minimale, de les adopter. » (Déclaration 7 de la Conférence, relative à l’article K.3, point e).

Le juridisme pointilleux est bien souvent cause de déboires en la matière. Actuellement, les missions de police s’étendent bien au-delà de l’espace national tandis que s’étend le champ de la sécurité ; il convient donc d’adapter à ces nou­velles exigences les procédures d’examen et de jugement.

Pour les voies d’un dialogue Europe-États-Unis

On constate une différence de vision entre l’Europe et les États-Unis si on consi­dère les priorités retenues en matière de défense et de sécurité.

  1. La stratégie de sécurité américaine a été, en particulier, rendue publique par la Maison blanche en 2006. Elle traduit le poids considérable de l’outil militaire qui doit être utilisé de manière préventive avant qu’un risque potentiel ne se concrétise.

Washington s’est toujours refusé, jusqu’à présent, à faire passer son dialogue militaire avec les Européens autrement que par le canal de l’Alliance atlantique et de l’OTAN. Aucune relation formelle n’est établie entre le Pentagone et l’état-major de l’Union européenne.

  1. La stratégie européenne de sécurité, publiée en 2003 en plein différend à propos de la guerre en Irak, s’ouvre par la phrase : « L’Europe n’a jamais été aussi prospère, aussi sûre, ni aussi libre »8. Aujourd’hui, aucune menace sur les intérêts européens n’est purement militaire. Pour espérer obtenir un effet à long terme, il faut s’efforcer surtout d’articuler les efforts en matière de sécurité avec ceux qui visent au développement économique et social du pays dans lequel les forces mul­tinationales interviennent s’il est en crise.
  2. À noter pourtant que la visite du président Bush à Bruxelles en février 2005, suivie par celle du président Obama en avril 2009 et, entre les deux, l’ouverture américaine en faveur de la défense européenne au sommet de l’OTAN à Bucarest en 2009 ont commencé à montrer le début d’une concertation euro-américaine vers un « smart power ».

Une diversité des services de police et du renseignement

  1. Compte tenu de l’insécurité actuelle, il est évident qu’une coordination serait nécessaire dans ce domaine entre les États-Unis et l’Union de l’Europe occi­dentale (UEO).

Police des campus, polices municipales, shérifs de comtés, police d’État, agences fédérales…, l’organisation de la police aux États-Unis est extrêmement complexe. « On compte quelque 18 000 services de police ou autres agences d’application de la loi dans les domaines de la sécurité et de la lutte contre la délinquance ; le tout avec des règles de procédure variant d’un État à l’autre »9.

Après les attaques du 11 septembre 2001, l’État, par son pragmatisme et la mul­tiplicité des méthodes, a fait des réformes pour un réel recul de la criminalité. Une coordination entre les différents services se développe actuellement. Mais le système américain reste singulier et non-exportable10.

  1. Le secteur du renseignement aux États-Unis a été durement touché par les attentats du 11 septembre, mais il serait injuste de reprocher aux agences, notam­ment au FBI et à la CIA, leur incapacité à prévoir ces événements.

En effet, leurs mises en garde et les informations données étaient largement disponibles. En voici deux exemples :

  • Durant les mois qui ont précédé le 11 septembre, le FBI avait annoncé des menaces réelles et accrues d’attentats sur le sol américain.
  • La Commission sénatoriale Hart-Rudmand avait aussi été informée et décla­rait en 1999 au sujet de la sécurité nationale au xxie siècle : « Des Américains mourront probablement sur leur propre territoire, peut-être en grand nombre. »

Ces prédictions n’ont pas été prises au sérieux par les gouvernants tant le scéna­rio leur paraissait
invraisemblable !

Pour l’avenir

La fin de la guerre froide a favorisé le lancement de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD). Grâce au traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009, elle est devenue la politique de sécurité et de défense commune

(PSDC).

Les Américains n’ont jamais joué, dans ce domaine, le rôle d’un fédérateur externe et les Européens sont très soucieux de préserver leurs relations privilégiées avec les États-Unis.

Or, depuis quelque temps, l’administration Obama, en particulier, accorde une certaine importance au multilatéralisme et à la coopération transatlantique.

À l’avenir, un dialogue pourrait être étendu, en fonction du savoir-faire et des méthodes mises au point, pour des coopérations favorables à la sécurité intérieure commune, parallèlement à la défense militaire dans le cadre de l’OTAN.

Notes

  1. RAUFER X., L’Express, 31 août 1995.
  2. MONTAIN-DOMENACH J., L’Europe de la sécurité intérieure, Montchrestien, 1999.
  3. ROSPABÉ Ph., Civique, n° 95, mars 2000.
  4. BIGO D., Polices en réseaux. L’expérience européenne, Presses de Sciences Po, 1996.
  5. Ministère de l’Intérieur, Instruction relative à la répression des menées extrémistes, Paris, 1er juin 1981.
  6. FAUCHON P., Vers la construction d’un espace judiciaire européen, Les rapports du Sénat, n° 352.
  7. DELMAS-MARTY , « Corpus juris» portant dispositions pénales pour la protection des intérêts financiers de l’Union européenne, Revue du Marché unique européen, 1997.
  8. BAUER A. et PÉREZ E., Les polices aux États-Unis, U.F., 2003.
  9. BAUER A. et PÉREZ E., L’Amérique, la violence, le crime, U.F., 2001.
  10. Cité par STEVEN CLEMONS, Les États-Unis victimes de leur excès de puissance, Manières de voir n° 60, décembre 2001.
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