Portée de la contribution de la « Francophonie » À la réalisation des objectifs du millénaire pour le développement

Claude DUVAL

Avocat spécialisé en droit des relations internationales et ancien fonctionnaire international à la Banque mondiale

2eme trimestre 2012

La communauté internationale s’est avisée, à la fin du XXe siècle, de l’échec, total ou partiel, des politiques de développement émanant du « consensus de Washington » : d’où l’adoption à New York, au Sommet des Nations Unies de l’an 2000, d’un nouveau paradigme du développement connu sous le vocable d’Objectifs du millénaire pour le développement à réaliser d’ici 2015. Dans quelle mesure les politiques et pratiques de la Francophonie peuvent-elles concourir à leur réalisation ? Où en est-on en 2012 ?

Extent ofthe French Speaking Community’s contribution to the achievement ofthe Millenium Development Objectives

At the end ofthe 20th century, the international community came to realize that the development poli-cies emanatingfrom the « Washington consensus »wereseriously flawed: hence the adoption in New York, at the UN Summit in 2000, of a new developmentparadigm known as the Millenium Development Goals to be achieved for 2015. To what extent the practices and policies of the « Francophonie » (i.e. the grouping ofthe French-speaking countries) canhelp meet these goals? Where do we stand in 2012?

Le XXE SIÈCLE s’EST ACHEVÉ sur un constat d’échec, qu’il soit total ou partiel, des politiques de développement émanant du « consensus de Washington », un tel bilan négatif ayant été le catalyseur d’une prise de conscience de la nécessité de réformer en profondeur le système d’aide au développement.

Aussi, en l’an 2000, au Sommet du millénaire des Nations unies à New York, a été adopté un nouveau paradigme du développement connu sous le vocable d’Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) à réaliser d’ici 2015, et ce, notamment comme suite aux travaux du Comité de l’aide au développement (CAD) de l’OCDE.

Ces objectifs sont au nombre de huit : réduire l’extrême pauvreté et la faim, assurer l’éducation primaire pour tous, promouvoir l’égalité des sexes et l’autono-misation des femmes, réduire la mortalité infantile, améliorer la santé maternelle, combattre le VIH/SIDA, le paludisme et d’autres maladies, préserver l’environne­ment et, enfin, mettre en place un partenariat mondial pour le développement.

Ont été ainsi consacrées les stratégies officielles de lutte contre la pauvreté comme servant de nouveau cadre mondial de référence pour les politiques de dé­veloppement. Incidemment, après que l’Aide publique au développement (APD) ait connu un fléchissement certain au début des années 2000, cette focalisation nouvelle sur la dimension sociale du développement s’est accompagnée, depuis quelques années, d’une remontée à près de 100 milliards d’euros de cette aide. Il ne pouvait en être autrement car une politique de développement, prise dans sa seule dimension sociale, ne saurait perdurer : pour en assurer la pérennité, un volet de croissance économique doit donc nécessairement accompagner le volet social, ce qui emporte immanquablement tant une APD élevée que la mobilisation de ressources financières conséquentes au-delà de l’APD elle-même.

Examinons maintenant les politiques et pratiques de la Francophonie, à l’aune des objectifs affichés au sommet de New York de l’an 2000, refondateur de l’aide au développement.

Mais, au préalable, un bref rappel de l’origine, des objectifs et des moyens d’ac­tion de la Francophonie s’impose.

Bref rappel historique de la Francophonie

Si le terme de francophonie apparait pour la première fois, vers 1880, sous la plume du géographe français Onésime Reclus qui entend, par ce terme, « tous ceux qui sont ou semblent être destinés à parler français », ce n’est qu’avec Léopold Sédar Senghor, en 1962, qu’il prend son essor et surtout son acception moderne : « la Francophonie, c’est cet humanisme moderne intégral qui se tisse autour de la terre, cette symbiose des énergies dormantes de tous les continents, de toutes les races qui se réveillent à leur chaleur complémentaire ».

Cette date de 1962 est marquante car elle correspond à la grande vague de la décolonisation qui a vu des responsables ayant mené leur pays à l’indépendance (Norodom Sihanouk, Habib Bourguiba, Léopold Sédar Senghor et Hamani Diori) vouloir préserver un espace linguistique porteur des valeurs qui les avaient formés.

L’édification de cette maison commune, ayant vocation à réunir les pays qui ont la langue française en partage, a trouvé sa forme actuelle en 2005, après plusieurs étapes, avec l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) fondée sur une communauté de langue et de valeurs : elle regroupe 75 états et gouvernements en qualité soit de membres à part entière, soit de simples observateurs.

Toutes les actions de la Francophonie sont axées vers le développement durable qu’elle décline selon cinq volets, à savoir : « la gestion maîtrisée et saine des ressources naturelles, un progrès économique inclusif et continu, un développement social équitable faisant appel à la tolérance et s’appuyant sur l’éducation et la formation, des garanties de démocratie et d’État de droit à tous les citoyens et une large ouverture à la diver­sité culturelle et linguistique » (Xe Sommet des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage, Cadre stratégique décennal de la Francophonie, Ouagadougou (Burkina Faso), 26-27 novembre 2004).

Ces cinq volets, auxquels la Francophonie consacre annuellement environ 125 millions d’euros, s’articulent utilement avec les cibles des OMD, comme cela ressort d’une publication de 2010 émanant de l’OIF et intitulée : « La Francophonie et les Objectifs du millénaire pour le développement ».

Francophonie et OMD Lutter contre l’extrême pauvreté et la faim

Lutter contre l’extrême pauvreté et la faim consiste à réduire de moitié la proportion de la population dont le revenu est inférieur à 1,25 dollar par jour et réduire de moitié la proportion de la population qui souffre de la faim.

Considérant qu’il ne peut y avoir de développement durable et de lutte consé­quente contre la pauvreté sans gouvernance démocratique assumée et sans respect effectif des droits de l’homme, qu’il s’agisse des droits politiques et civils ou des droits économiques, sociaux et culturels, la Francophonie contribue à l’ancrage de la démocratie, mais également à la consolidation de l’État de droit, ainsi qu’à la promotion et à la protection des droits de l’homme au sein de l’espace francophone. Pour la mise en œuvre de ce pré-requis à la lutte contre la pauvreté, la Francophonie a pris un certain nombre d’engagements au titre des Déclarations de Bamako en l’an 2000, de Saint-Boniface en 2006 et de Paris en 2008 qui se sont traduits par la promotion d’initiatives de développement local et solidaire (appui aux acteurs locaux) et par la mise en place d’un programme de formation professionnelle et technique.

Assurer l’éducation primaire pour tous

Assurer l’éducation primaire pour tous consiste, d’ici à 2015, donner à tous les enfants, garçons et filles, partout dans le monde, les moyens d’achever un cycle complet d’études primaires.

Pour ce faire, la Francophonie s’attache à soutenir et à accompagner les poli­tiques nationales des États en matière d’éducation et de formation pour les rendre plus efficaces. Ainsi, l’OIF s’attelle à promouvoir des systèmes éducatifs et des stra­tégies d’apprentissage qui tiennent compte non seulement de la langue partagée qu’est le français mais aussi la langue maternelle tout en veillant à l’impératif de l’égalité des genres.

De façon parallèle, est renforcé le développement des compétences des person­nels éducatifs. À cet effet, la Francophonie agit non seulement au profit des ensei­gnants mais aussi des gestionnaires.

Enfin, l’accès à l’éducation ne pouvant être dénié à des pans entiers de la po­pulation (tels que femmes, enfants non scolarisés, mal scolarisés ou déscolarisés, minorités en zones enclavées), l’OIF accorde également une place importante à l’éducation non formelle qui vise à permettre au public des milieux ruraux ou pré­ruraux d’accéder aux savoirs.

Promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes

Promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes impliquait d’éli­miner les disparités entre les sexes dans les enseignements primaire et secondaire d’ici à 2005 si possible, et à tous les niveaux de l’enseignement en 2015, au plus tard.

Considérant qu’il ne peut y avoir de développement ni de gouvernance durables sans une implication effective des femmes dans tous ses domaines d’intervention, l’OIF a inscrit l’objectif de l’égalité des hommes et des femmes comme une ligne directrice de l’ensemble de sa programmation issu de son cadre stratégique d’inter­vention. Ce faisant, son approche allie la mise en œuvre d’actions spécifiques de lutte contre les discriminations fondées sur le genre à une intégration transversale de l’objectif d’égalité.

L’OIF contribue à consolider le statut des femmes et l’égalité entre les sexes en menant des actions de plaidoyer en faveur de la mise en application effective des instruments internationaux et des engagements nationaux en matière d’égalité des sexes et de droits des femmes.

L’OIF accorde également une attention toute particulière à la lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles, violences qui représentent l’un des obs­tacles majeurs à l’atteinte de l’égalité des sexes et à la réalisation des OMD.

Dès 2000, l’OIF a contribué à l’identification des politiques éducatives ayant produit des résultats tangibles dans le domaine de la scolarisation des filles et à la sensibilisation des différents acteurs concernés à l’importance de l’éducation des filles et des femmes et à son impact sur le développement. Elle a également œuvré pour le renforcement des politiques de formation des cadres féminins de l’éduca­tion, créé les conditions d’un partage des expériences novatrices dans le domaine de l’éducation des filles et appuyé les structures nationales et régionales d’éducation et de formation dans leur action dans ce domaine.

Enfin, en matière de participation et de prise de décision dans le domaine poli­tique, l’OIF contribue à mettre en place des initiatives significatives afin, d’une part, de sensibiliser et d’appuyer les femmes dans l’exercice de leur droit de vote et, d’autre part, de renforcer les capacités des femmes candidates aux élections et celles des femmes parlementaires dans les pays francophones.

Réduire la mortalité infantile, améliorer la santé maternelle et combattre le Sida, le paludisme et d’autres maladies

Réduire la mortalité infantile, améliorer la santé maternelle et combattre le Sida, le paludisme et d’autres maladies impliquent, d’ici 2015, de réduire de 2/3 le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans, de 3/4 le taux de mortalité maternelle, d’avoir stoppé la propagation du VIH/Sida ou, à tout le moins, commencé à inver­ser la tendance, ainsi que d’avoir maitrisé le paludisme et d’autres grandes maladies ou, à tout le moins, commencé à inverser la tendance.

Ces OMD ne font pas partie des champs d’action de l’OIF. Néanmoins, de par son rôle de plaidoyer politique pour le respect des droits de l’homme, pour la soli­darité et le partage ainsi que de par son rôle dans la lutte contre la pauvreté, l’OIF apporte une contribution indirecte à l’atteinte de ces objectifs.

Assurer un développement durable

Assurer un développement durable implique d’intégrer les principes du déve­loppement durable dans les politiques nationales et d’inverser la tendance actuelle à la déperdition des ressources environnementales, de réduire de moitié le pourcen­tage de la population qui n’a pas accès de façon durable à un approvisionnement en eau salubre et de réussir à améliorer sensiblement la vie d’au moins 100 millions d’habitants de taudis.

Pour ce faire, l’OIF accompagne les stratégies nationales de développement du­rable et vise à renforcer les capacités dans les domaines de l’énergie et de l’environ­nement. Ainsi appuie-t-elle ses États et gouvernements membres en développement dans leur processus d’élaboration et de mise en œuvre de leurs stratégies nationales de développement durable par le biais de mise en place de formations pérennes et résidentes et de formations de formateurs. Au cours des vingt dernières années, ce sont près de 10.000 cadres et de professionnels de l’espace francophone qui ont pu compléter leurs savoirs et savoir faire tout en gardant des liens entre eux à la faveur de nombreux réseaux d’échanges et de partage qu’ils ont constitués.

Par ailleurs, l’OIF recueille et produit, traite et diffuse de l’information pour l’aide à la décision par le biais d’une revue trimestrielle scientifique et technique. Elle a conduit également une centaine d’actions d’appui institutionnel ou projets de terrain et de démonstration, orientés pour l’essentiel vers le développement des énergies renouvelables, l’efficacité énergétique et la gestion des ressources naturelles.

Enfin, l’OIF assure une présence active et contributive de ses États et gouver­nements membres dans la négociation mondiale pour un environnement durable, tant dans le cadre de la Commission des Nations unies pour le développement durable que dans celui des Conférences des parties aux trois Conventions de Rio ainsi que dans d’autres réunions internationales.

Mettre en place un partenariat mondial pour le développement

Mettre en place un partenariat mondial pour le développement est un chantier essentiel tant pour les pays du Nord que ceux du Sud.

Mais c’est aussi un chantier aux multiples ramifications, comme en témoigne la liste suivante non exhaustive d’actions à mener, à savoir :

Poursuivre la mise en place d’un système commercial et financier multilatéral ouvert, fondé sur des règles prévisibles et non discriminatoire : dans ce registre, l’OIF accompagne ses membres en développement en vue de participer pleinement dans les grandes négociations commerciales multilatérales, menées que ce soit dans le cadre de l’OMC, dans celui des Accords de Partenariat Economique (APE) avec l’Union Européenne, ou encore dans un contexte d’intégration régionale.

S’attaquer aux besoins particuliers des pays les moins avancés emporte l’admis­sion en franchise et hors contingents des produits qu’ils exportent, l’application du programme renforcé d’allègement de la dette des pays pauvres très endettés, l’annulation des dettes bilatérales, et l’octroi d’une APD plus généreuse aux pays qui démontrent leur volonté de lutter contre la pauvreté : l’OIF y concourt en aidant ces pays à formuler et réaliser leurs propres objectifs de développement et en portant sur la scène internationale un discours politique qui leur permette de faire converger leurs voix avec plus de résonance.

Répondre aux besoins particuliers des petits États enclavés et insulaires en déve­loppement, l’OFI s’y est attelée en organisant différentes concertations de ses États membres présentant ces caractéristiques et en offrant un cadre de programmation spécifique pour leur développement durable.

Traiter globalement le problème de la dette des pays en développement par des mesures d’ordre national et international propre à rendre viable leur endettement à long terme, l’OIF y contribue en mettant en place des actions pour faciliter tant l’accès aux marchés de l’APD que la gestion dynamique de la dette afin de pouvoir structurer une dette soutenable à long terme. Dans cette perspective, l’OIF accom­pagne ses vingt-deux pays membres les plus lourdement endettés dans leurs efforts pour mieux gérer l’endettement extérieur et soutient leurs initiatives de plaidoyer pour la réévaluation de leur dette publique ainsi que leur démarche pour un accès élargi au financement.

Mettre les avantages des nouvelles technologies, en particulier des technologies de l’information et de la communication, à la portée de tous rencontre le soutien actif de l’OIF : pour ce faire elle s’emploie à assurer une gouvernance de l’internet qui respecte la diversité géographique et culturelle et renforce la présence franco­phone dans les instances internationales spécialisées dans le domaine de la société de l’information, comme le Conseil exécutif de l’Alliance globale des technologies de l’information et de la communication pour le développement dans le cadre des Nations unies.

Bilan d’étape

Les OMD, qui constituent un engagement sans précédent de la communauté internationale tant sur le plan politique que sur le plan opérationnel, ne reflètent pas seulement la nécessité d’une justice mondiale ou du respect des droits humains fondamentaux : ils constituent également une condition essentielle pour la sécurité mondiale.

Aussi, malgré les faiblesses conceptuelles et pratiques et les imperfections qui peuvent les traverser, les OMD, qui méritent certes d’être amendés et complétés, doivent continuer à être le vecteur et le fil directeur de l’engagement renouvelé de la communauté internationale pour combattre l’extrême pauvreté.

En ce qui concerne la Francophonie, ce n’est pas de par le montant (125 mil­lions d’euros) des fonds dont elle dispose qu’elle peut ambitionner de concourir directement, de façon conséquente, à la réalisation des OMD dans les pays qui ressortent de son champ d’action, ces derniers se situant, encore en 2012, souvent très en deçà des objectifs fixés pour 2015.

En effet, la crise aux aspects divers et rebondissements multiples, qui ébranle le monde depuis plus de cinq ans, ne saurait être propice à un accroissement de la générosité des dispensateurs francophones d’aide au développement, quand bien même ils sont inquiets de l’émergence d’une nouvelle « donne » des relations inter­nationales susceptible de remettre en cause leurs « prés carrés » respectifs.

Ce n’est donc pas en tant que dispensateur de fonds que la Francophonie peut le plus utilement contribuer à la réalisation des OMD, bien que cette dimension ne soit pas à tenir pour quantité négligeable.

C’est en jouant le rôle d’aiguillon politique, d’avocat de la cause de ses membres les plus pauvres auprès des différentes instances préoccupées de l’aide au développe­ment qu’elle sera le plus efficace.

Ainsi, lors du XIVe Sommet des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage qui se tiendra en Octobre 2012 à Kinshasa et qui fera suite au premier Forum mondial de la langue française de juillet 2012 au Québec, la Francophonie devrait s’affirmer comme la grande maison du dialogue, de la dé­mocratie et des droits de l’homme dans l’espace francophone avec pour objectif de débattre des enjeux environnementaux et économiques face à la gouvernance mondiale ; en retour, cette grande maison devrait défendre les vues de ses membres auprès de la communauté internationale.

Ce faisant, la Francophonie sera alors pleinement fidèle au message originel du plus éminent de ses concepteurs pour qui la Francophonie doit jouer tout son rôle en tant qu’« humanisme moderne intégral qui se tisse autour de la terre, cette symbiose des énergies dormantes de tous les continents, de toutes les races qui se réveillent à leur chaleur complémentaire ».

Bibliographie

  • Francophonie et développement. Fernand Texi 19 mars 2009
  • La Francophonie et les Objectifs du millénaire pour le développement. Sommet sur les Objectifs du millénaire pour le développement. New York, les 20-22 septembre 2010
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