Edmond JOUVE
Edmond Jouve Professeur Emérite de l’Université Paris Descartes, Sorbonne, Paris Cité Directeur honoraire de l’Observatoire du droit de l’Economie internationale,du développement et de la Francophonie.
Il nous a paru utile de faire le point sur la Francophonie, après Montreux (Suisse) et quelques mois avant le Sommet de Kinshasa (RDC)
Après avoir rapidement rappelé les origines du concept (forgé par Onésime Reclus) et son actuel point d’aboutissement (75 Etats ou gouvernements font partie de l’OIF), nous souhaitons l’appréhender de deux
manières :
La Francophonie est, avant tout, un espace culturel, celui qui est occupé, partiellement ou totalement, par l’usage de la langue française et par les valeurs que celle ci véhicule que, petit à petit, la francophonie a fait siennes.
La Francophonie, c’est aussi, de plus en plus, un espace institutionnel, celui de l’Organisation Intergouvernementale de la Francophonie (OIF) qui, sommet après sommet, lui a conféré, aussi, un contenu politique et même économique, dont les Chartes d’Hanoï et d’Antananarivo fixent désormais les contours.
Cependant, cette Francophonie est dans un équilibre instable : de fait, elle privilégie les Etats au détriment des Peuples. D’où l’appel à la création d’une Francophonie populaire dont, dès maintenant, apparaissent, ici ou là, des signes avant-coureurs.
Que signifie le mot de Francophonie ? D’utilisation courante depuis
i960, il a été forgé par le géographe français Onésime Reclus en 1880. « Nous acceptons comme francophones, écrivait-il, tous ceux qui sont ou semblent destinés à rester ou à devenir participants de notre langue ». Il s’agit, pour l’essentiel, d’une communauté constituée par un ensemble d’Etats, de peuples ou d’ethnies ayant en partage l’usage du français.
Dès lors, la Francophonie désigne un espace complexe et diversifié rassemblant aujourd’hui 75 Etats et gouvernements répartis sur les 5 continents et regroupant plus de 200 millions de locuteurs. Il s’agit aussi d’un espace où la coopération, la solidarité, le dialogue et le partage sont à l’origine d’actions reposant sur des programmes porteurs de résultats concrets. La Francophonie a eu des promoteurs, des « pères », au nombre desquels le Sénégalais Léopold Sédar Senghor, le Tunisien Habib Bourguiba, le Nigérien Diori Hamani, le Canadien Jean-Marc Léger, le Libanais Charles Hélou, et les chefs d’Etat de la Ve République. Du français, ils ont voulu faire un moyen de libération, un outil au service du développement. Ainsi, la Francophonie apparaît bien comme une idée neuve dont l’avenir nous appartient et dont la vocation vise à instaurer un nouveau type de coopération fondée sur l’échange et sur la complémentarité.
La Francophonie ne saurait donc inspirer nulle attitude défensive, nulle ligne Maginot. Au contraire, elle est ouverte. Elle est fraternelle. Elle est accueillante. Comme on l’a écrit, elle n’est « ni une tour, ni une cathédrale. Elle s’enfonce dans la chair ardente de notre temps et de ses exigences». Elle est comptable, devant l’histoire, de l’héritage d’une langue et avant tout, porteuse d’une grande ambition.
1.— La Francophonie, comme espace culturel
Cet espace est occupé soit totalement, soit partiellement par le français. Quel miracle pour ce modeste dialecte d’Ile-de-France. Après être parvenu à rayonner sur toute l’étendue de l’hexagone, il a réussi à essaimer jusqu’aux extrémités de la Terre ! Ses débuts, pourtant, furent modestes ! Ce fut initialement, un dialecte médiéval, issu du latin, « un patois qui a réussi » (selon Henriette Walter). Le Concile de Tours assurera sa diffusion en demandant aux évêques de Gaule, en 812, de prêcher en langue vulgaire. Les serments de Strasbourg de 842 constituent le premier échantillon écrit de cette « lingua romana rustica » dans laquelle, un siècle plus tard, sera composée la « Cantilène de Sainte Eulalie » puis, au Ve siècle, la « Vie de Saint Léger ».
D’abord langue des politiques et des lettrés, le français est largement devenu, aujourd’hui, le moyen d’expression des « damnés de la Terre ». Rien ne lui fut jamais donné. À l’origine, il dut vaincre ou mourir. Il lui fallut, aux alentours du XIIIe siècle, ne pas se laisser étouffer par le latin, langue des clercs et des experts. Il dut, sous la Renaissance, guerroyer avec l’italien, langue sœur mais rivale. Il dut, aussi, s’imposer parmi les autres langues de l’hexagone. Depuis toujours, le français lutte pour sa survie ! Certes, dès avant le XIIIe siècle, les lettrés pensent volontiers que le français est une langue digne de concurrencer le latin. Cependant, il faudra attendre le XVIe siècle et François 1er pour qu’il obtienne ses lettres de noblesse. En 1539, l’ordonnance de Villiers-Cotterêt les lui fournira.
Le message sera entendu. En 1545. Le père de la chirurgie moderne, Ambroise Paré, écrit en français sa « Méthode de traiter les plaies faites par les arquebuses et autres bâtons à feu ». En 1549, Joachim du Bellay prophétisera dans sa « Défense et illustration de la langue française » : « Le temps viendra… que notre langue, qui commence à jeter ses racines, sortira de terre et s’élèvera en telle hauteur et grosseur, qu’elle se pourra égaler aux mêmes Grecs et Romains ».
Le français, en effet, continuera de prospérer. En 1606, Almard de Ranconnet et Jean Nicot publient le premier dictionnaire de la langue française : « Trésor de la langue française, tant ancienne que moderne . En 1624, il est permis de soutenir les thèses de doctorat en français. 1635 voit la création de l’Académie française destinée à « donner des règles certaines à notre langue. et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences ». Peu à peu la voici qui apparaît, elle aussi, langue de culture. En 1637, René Descartes écrit en français son « Discours de la méthode » et, dix ans plus tard, Vaugelas publie également en français ses « Remarques sur la langue française ».
Petit à petit, appliquant la technique du grignotage, le français améliore ses positions. 1694 voit la première édition du « Dictionnaire de l’Académie », 1714 la signature du traité de Rastadtt entre Louis XIV et Charles VI, écrit en français. Un peu plus tard, notre langue connaîtra son âge d’or. Fait hautement significatif : en 1783, l’Académie des Sciences et des Lettres de Berlin – dont le président et plusieurs membres sont français, dont la langue officielle est le français – met, en français, le sujet suivant au concours : « Qu’est-ce qui a fait de la langue française la langue universelle de l’Europe ? ». Un fils d’émigré italien, Antoine de Rivarol, sort vainqueur de cette joute.
Mais le français qu’il célèbre n’est pas encore celui du peuple. Il est, avant tout, langue des princes, savants, lettrés, autrement dit, des élites. À la veille de la Révolution de 89, seuls 3 millions de personnes parlent correctement le français dans l’hexagone sur une population de 27 millions. D’où l’initiative de Barère et de l’Abbé Grégoire déposant, devant la Convention, un rapport visant à universaliser l’usage du français « langue de la liberté ».
Les mesures concrètes vont suivre. Des décrets sont publiés le 14 janvier et le 2 octobre 1790. Le premier institue la traduction des textes officiels dans les langues de l’Etat. Le second impose leur lecture en français à la fin de la messe du dimanche. Puis d’autres textes institueront des écoles primaires d’Etat dont l’enseignement doit être délivré en français. Au XIXe siècle, la langue française connaît une ascension fulgurante. En 1832 la connaissance de l’orthographe est exigée pour accéder aux emplois publics. Cependant, il faudra attendre la Troisième république pour la voir pénétrer au sein des couches les plus larges de la population. Notre langue est, alors, couverte d’éloges et parée de toutes les vertus. En 1921, Anatole France la compare à une femme. « Et cette femme, écrit-il, est si belle, si fière, si modeste, si hardie, si touchante, si voluptueuse, si chaste, si noble, si familière, si folle, si sage, qu’on l’aime de toute son âme et qu’on n’est jamais tenté de lui être infidèle ». Pourtant, ici ou là, apparaissent des signes annonciateurs d’un certain reflux. Un fait ne trompe pas. Le traité de Versailles mettant fin à la Première Guerre mondiale, est, dans une version faisant foi, contrairement aux usages antérieurs, également rédigé en anglais. Quelques années plus tard, le français jouit d’un nouveau prestige. L’académicien Léopold Sédar Senghor voit en lui « la langue des dieux ». Le grand poète haïtien René Depestre lui reconnaît la vertu d’être le « lieu d’identités multiples ». Cette langue est devenue, en effet, la fille des indépendances africaines et celle d’une communauté sur laquelle « le soleil ne se couche jamais ». Langue en « copropriété », écrira François Mitterrand, « langue des pays non alignés », renchérira Boutros Boutros-Ghali. Au fond, langue du tiers-monde, où qu’il soit. L’attribution du prix Goncourt à l’Acadienne Antonine Maillet en 1979 pour « Pélagie-la-charrette » témoignera du rayonnement de cette langue.
Les pionniers de la langue française recherchaient avant tout le dialogue des cultures, la mise en commun d’idées, la défense et l’illustration d’une langue dont on célébrait le charme, la richesse et l’universalité. Ses objectifs ne sont pas les seuls aujourd’hui. Ils ne sont cependant pas perdus de vue. Partout, en effet, le français témoigne d’une extrême vitalité. À Paris, à Bruxelles, à Genève, à Montréal, à Yaoundé… il se parle, s’écrit, s’invente, se renouvelle. Certes le français est pratiqué dans les cinq continents. Mais, à des degrés divers, et ses frontières demeurent imprécises. Langue de cours du XIIe au XVe siècles sous les Plantagenêts, il était couramment parlé en Hollande au XVIIe siècle et, en Acadie, jusqu’au « Grand Dérangement » de 1755.
Dans le dernier tiers du XXe siècle, de nouveaux Etats africains le choisissent comme langue officielle. À l’intérieur de pays plurilingues comme la Suisse, la limite entre langue germanique et romane reste floue. Ainsi, l’ère de la Francophonie a varié dans le temps et dans l’espace selon les aléas de l’histoire.
Le français est langue maternelle en France, en Suisse romande, au Luxembourg, dans le val d’Aoste, dans la principauté de Monaco, en Andorre, dans les îles anglo-normandes, dans le Canada français, en Louisiane… Le français est langue officielle ou d’usage dans les pays créolophones : Guadeloupe, Martinique, Haïti, Guyane, Réunion, Maurice, Seychelles. Il en va de même dans de nombreux pays d’Afrique, au Liban. Le français est principale langue seconde dans certains pays d’Amérique Latine. Le français est langue résiduelle en Syrie, en Egypte, dans certains pays de la péninsule indochinoise, en Roumanie, en Belgique, en Albanie, à Pondichéry. Le français fut d’abord une langue de culture. Il doit devenir aussi un outil de développement. Comme l’écrit M. Gassama, « il sera une langue de développement économique et social ou ne sera pas ». Autrement dit, le français doit être aujourd’hui la langue des technologies nouvelles, celle de la solidarité agissante et du mieux être des peuples. François Mitterrand le rappelait ainsi : « Innombrables sont les domaines à investir et les occasions de travailler ensemble ».
Pour atteindre cet objectif la Francophonie s’est donnée des institutions.
2.— La Francophonie, comme espace institutionnel
En 1996, M. Steve Gentili écrivait : « La Francophonie se présente comme un pari : celui de former au XXIe siècle l’un des six ou sept principaux ensembles de la planète. Le triomphe de ce pari repose sur une triple exigence : une forte charpente culturelle, une ferme volonté politique, une action cohérente dans le domaine de l’économie, de la technologie et de la recherche ». La Charte de la Francophonie est le support juridique de l’ensemble du cadre institutionnel francophone. Adopté par le 7e sommet de la Francophonie (14-16 novembre 1997, Hanoï, Vietnam), elle a été révisée par la 21e conférence ministérielle de la Francophonie (23 novembre 2006, Antananarivo, Madagascar).
A.— Un espace politique
La Francophonie institutionnelle fut d’abord l’affaire des organisations non gouvernementales. Pendant quelque vingt ans (1952-1970), elles ont, au côté des organisations internationales gouvernementales, rivalisé d’ardeur et d’imagination pour porter et incarner l’idée francophone que le sommet d’Hanoï n’a fait que moderniser, tout comme la conférence d’Antananarivo.
—Avant le sommet d’Hanoï
Quelques dates méritent d’être rappelées.
1950 : création de l’union internationale des journalistes de la presse de langue française ;
- : première réunion de la conférence des ministres de l’éducation des Etats francophones ;
- : naissance, à Montréal, de l’Association des universités partiellement ou entièrement de langue française ;
1964 : institution du Conseil international des radio-télévisions d’expression française ;
1967 : mise sur pied d’une Association internationale et parlementaire de langue française ; etc.
La Francophonie gouvernementale a et a été illustrée par plusieurs organismes. Le Commissariat général de la langue française a été institué par un décret de 1984 avec, pour mission, d’animer et de coordonner l’action des administrations et des organismes publics et privés concourant à la diffusion et à la défense de la langue française. Cet organisme a pris le relais de l’ancien Haut Comité de la langue française créé auprès du Premier ministre en 1966.
Des changements sont intervenus en 1989. Deux organismes ont succédé au Comité consultatif et au Commissariat général de la langue française. Ils font des propositions, recommandent des formes d’actions et donnent leur avis sur les questions dont ils sont saisis par le Premier ministre ou les ministres chargés de l’Education nationale et de la Francophonie.
Un Haut Conseil de la Francophonie a été institué par un décret de 1984. Présidé par le chef de l’Etat, il réunit des personnalités françaises et étrangères. Il a pour mission de déterminer le rôle de la Francophonie et de la langue française dans le monde.
En 1986, la Francophonie entre au gouvernement en la personne de Madame Lucette Michaux-Chevry devenue secrétaire d’Etat chargée de la Francophonie auprès du Premier ministre, M. Jacques Chirac. Vont lui succéder : Alain Decaux, Mme Catherine Tasca, Jacques Toubon, Mme Margie Sudre…
À partir de 1986, les conférences des chefs d’Etat et de gouvernement ayant en commun l’usage du français vont se dérouler de façon régulière : d’abord à Versailles, puis à Paris, Québec, Dakar, Chaillot, Grand-Baie (Maurice), Cotonou…
Du 22 au 24 octobre 2010 s’est tenu le 13e sommet de la Francophonie à Montreux (Suisse). 3 000 représentants des 70 Etats membres de l’Organisation internationale de la Francophonie sont réunis autour du thème « Défis et visions d’avenir pour la Francophonie ». Ils ont adopté la Déclaration de Montreux, ainsi que 9 résolutions portant, notamment, sur les situations de crise, de sortie de crise et de consolidation de la paix, la situation en Guinée, la reconstruction d’Haïti, la lutte contre les faux médicaments, la criminalité transnationale organisée, la piraterie et les actes terroristes.
Les chefs d’Etat et de gouvernement présents ont plaidé pour une plus grande place de l’Afrique dans les instances internationales, notamment au Conseil de sécurité des Nations Unies. Cinq nouveaux Etats observateurs ont été admis à l’OIF : la Bosnie Herzégovine, la République Dominicaine, les Emirats Arabes Unis, l’Estonie et le Monténégro.
L’Organisation compte donc désormais 75 Etats dont 56 membres et 19 observateurs. Le Secrétaire général de la Francophonie, M. Abdou Diouf, a été réélu pour un nouveau mandat. Le 14e sommet doit se tenir à Kinshasa au cours de cette année 2012.
À la veille du sommet d’Hanoï, les institutions internationales de la Francophonie étaient les suivantes :
1°) La conférence des chefs d’Etats et de gouvernement des pays ayant le français en partage. Instance suprême de la Francophonie multilatérale, le sommet francophone rassemble tous les deux ans des chefs d’Etat ou de gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français.
2°) La Conférence ministérielle de la Francophonie. Cette conférence rassemble tous les ans les ministres chargés de la Francophonie des pays de la communauté francophone.
3°) Le Conseil permanent de la Francophonie. Il est composé des représentants personnels des chefs d’Etat ou de gouvernement. Se réunissant trimestriellement, ils assurent le suivi des décisions adoptées dans le cadre des sommets et jouent un rôle d’appréciation et d’orientation politique des actions menées par les différents opérateurs de la Francophonie.
4°) La Conférence des ministres de l’éducation des pays ayant le français en partage. Créée en 1960, la plus ancienne institution ministérielle de la Francophonie constitue une structure d’information, de réflexion, et de concertation entre les ministres de l’éducation des pays membres. Conformément aux décisions du sommet de Maurice (1993), la CONFEMEN a vu son rôle politique renforcé.
5°) La Conférence des ministres de la jeunesse et des sports des pays d’expression française. Fondée en 1969, elle a principalement pour objet de renforcer, par une politique d’échange, des liens de solidarité et de coopération entre les jeunes des pays francophones. Elle est composée des ministres de la jeunesse et des sports des Etats ou entités membres des sommets.
6°) L’Agence de la Francophonie. Fondée en 1970, sous le nom d’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT), cette organisation intergouvernementale rassemble alors 49 pays et entités. Elle est chargée d’intensifier la coopération culturelle et technique de la Francophonie dans un certain nombre de domaines.
7°) L’Association des universités partiellement ou entièrement de langue française. Créée en 1961, opérateur spécialisé des sommets francophones pour l’enseignement supérieur et la recherche, elle a reçu mission de coordonner les échanges entre ses membres.
8°) TV5. Créée en 1984, la télévision internationale francophone TV5 rassemble 5 chaînes européennes de langue française ainsi que le consortium de télévision Québec-Canada. Diffusant dans le monde entier, son audience est estimée à plus de 60 millions de foyers.
9°) L’Université Senghor d’Alexandrie. Ouverte en 1990, elle est un établissement privé d’enseignement supérieur qui forme des étudiants dans des disciplines utiles au développement des pays du Sud.
10°) L’assemblée internationale des parlementaires de langue française. Fondée en 1967, l’AIPLF est la seule organisation interparlementaire de la Francophonie reconnue comme telle par les sommets des chefs d’Etat et de gouvernement.
11°) Le Forum francophone des affaires. Créé suite à une initiative du Canada et du Québec, il a pour objet de développer les échanges économiques entre pays francophones.
12°) Le Comité international des jeux de la Francophonie. Il est chargé. par la conférence des ministres de la jeunesse et des sports des pays d’expression française, de l’organisation des jeux de la Francophonie.
Les décisions prises à Hanoï conduiront à modifier quelque peu cet organigramme.
— L’apport d’Hanoï (1997) et d’Antananarivo (2005) L’apport d’Hanoï est triple sur le plan institutionnel.
1°) Le Secrétaire général. L’accord s’est fait sur la nécessité de désigner un Secrétaire général « chargé de porter haut et loin notre idéal et les conceptions qui sont les nôtres, avec l’autorité que lui confèrent la charte et son prestige personnel », dira le chef d’Etat français de l’époque. Le choix de M. Boutros Boutros-Ghali comme premier titulaire du poste de Secrétaire général revêt à cet égard, une grande importance. Nous savons que le président Abdou Diouf lui a succédé.
2°) L’Administrateur. C’est le deuxième personnage ayant un rôle essentiel dans la nouvelle organisation de la Francophonie. La première personnalité qui occupa ce poste fut un homme politique belge, M. Roger Dehaybe.
3°) Enfin, le sommet a entériné la création d’un Observatoire de la démocratie. La charte de la Francophonie a été révisée par la conférence ministérielle de la Francophonie à Antananarivo (Madagascar). Ses structures ont été rationalisées et ses modes de fonctionnement rénovés. L’Agence intergouvernementale est devenue l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Cette réforme institutionnelle a été mise en œuvre à partir de 2006. Selon le préambule de la charte rénovée, cette réforme visait à « mieux fonder la personnalité juridique de l’Organisation internationale de la Francophonie » et à « préciser le cadre d’exercice des attributions du Secrétaire général ».
B.— Un espace économique
La Francophonie accorde une place de plus en plus importante à l’économie et à ses principaux acteurs, entreprises et hommes d’affaires. L’espace économique francophone – environ 10 % de la population du globe – constitue une donnée non négligeable de l’économie mondiale pesant sur près de 12 % de la production totale et plus de 17 % des échanges commerciaux. Un tel espace offre de grandes potentialités de rapprochement et d’échanges.
Le sommet de Cotonou (1995) s’est penché sur la situation économique des pays francophones et sur les moyens à mettre en œuvre pour renforcer la coopération pour le développement. L’Agence gère des fonds qui contribuent à la création et au développement de petites et de micro-entreprises dans un souci d’insertion des jeunes sur le marché du travail, de mobilisation de l’épargne nationale et d’accès au crédit.
L’instrument principal de l’Agence de la Francophonie dans ce domaine est son programme spécial de développement auquel contribuent volontairement plusieurs Etats membres du nord et du sud. Il intervient sur des projets concrets de développement en réponse aux besoins urgents exprimés par les pays membres.
Ce dispositif s’accompagne d’une action de sensibilisation en faveur de l’instauration dans les pays du sud d’un environnement juridique plus favorable aux entreprises. Une attention particulière est apportée à la création d’entreprises par des femmes.
Comme l’a souligné le président ivoirien M. Konan Bédié, le sommet de Hanoï « lieu hautement symbolique », devait être « celui de la volonté tenace et de l’espérance inébranlable, en somme, celui d’un nouveau départ de la Francophonie pour une entrée réussie dans le prochain siècle ».
Quelques années auparavant, le Président Abdou Diouf déclarait, en 1982, à Dakar : « Nous avons une double responsabilité : celle d’arrêter le recul du français et de le promouvoir dans le domaine de la science et de la technologie, celle de respecter scrupuleusement les identités culturelles ». Il rejoignait ainsi les préoccupations d’André Malraux déclarant au sommet de Versailles : « Notre problème n’est nullement dans l’opposition des cultures nationales, mais dans l’esprit particulier qu’une culture nationale peut donner à la culture mondiale ». Plus la Francophonie sera respectueuse des différences, plus elle sera grande. Est-ce à dire que la Francophonie s’est débarrassée de toutes ses impuretés et ambiguïtés ? Est-ce à dire qu’elle ne suscite plus de réserves ? On ne saurait l’affirmer.
La Francophonie vivra si sont réussies ses noces avec la langue française. Celle-ci sera d’autant mieux à même de jouer son rôle qu’elle respectera les autres langues. C’est cette langue que l’histoire a fait pénétrer dans la brousse africaine, dans les faubourgs de Port-au-Prince, dans les immeubles cossus de Bucarest, sur les plaines enneigées du Québec… Mille fois je l’ai bénie, où, parcourant tant de mondes, chaque fois je me suis trouvé chez moi : au Tchad, en Mauritanie, au Burkina-Faso, en Haïti, en Roumanie, au Québec, en Tunisie… Qu’elle vive donc partout, la « langue de chez nous » !
La Francophonie s’est donc donnée les moyens de vivre et de se développer. Mais des progrès restent, bien sûr à effectuer. Ainsi, il faudra bien construire pour de bon, un jour ou l’autre, une Francophonie des peuples. Ce qui devrait nous ramener aux origines, lorsque les organisations non gouvernementales firent sortir l’idée francophone des limbes. Ce sont elles, pourtant, qui donnent un visage à la Francophonie et l’inscrivent parmi les exigences de notre temps. Un bon exemple de ce dynamisme est fourni par le foisonnement des festivals francophones.
En est-on conscient ? Sait-on, par exemple, que, dans le petit canton de Payrac, dans le Lot, un Colloque international francophone – qui fête cette année ses 20 ans -a réuni, en 1997, à l’initiative de l’Association des écrivains de langue française, et pour la 7e fois depuis 1991, plus de 400 participants autour des littératures francophones ?
C’est cela aussi la Francophonie.
Certes, elle a besoin des Etats pour continuer à avancer et à s’organiser. Mais elle ne saurait se passer, non plus, des hommes et des femmes «ordinaires», ni de leurs rêves. À nous donc de faire sortir notre Francophonie des catacombes où elle fut trop longtemps reléguée. À nous de lui composer un visage ouvert et fraternel et de la faire marcher sur ses deux jambes : celle des Etats et celle des Peuples.
Que vive donc la Francophonie populaire !