La troisième francophonie ou le rêve francophone du 21ème siècle

Michel GUILLOU

Président du Réseau international des Chaires Senghor de la Francophonie, Titulaire de la Chaire Senghor de la Francophonie de Lyon, Directeur de l’Institut pour l’Etude de la Francophonie et de la Mondialisation (Université Jean Moulin Lyon 3).

2eme trimestre 2012

La question de l’utilité et du rôle de la Francophonie est aujourd’hui posée. Les Francophonies des 19e et 20e siècles sont dépassées mais une troisième francophonie est possible en réponse et comme antidote aux défis et aux risques de la mondialisation : repli et confrontation identitaires, pauvreté, développement durable.

L’équilibre du monde et la recherche de la paix exigent de nouveaux pôles mondiaux d’influence voués au dialogue interculturel, à la solidarité tout autant qu’au développement économique. Dans ce contexte, la troisième francophonie est en avant-garde comme laboratoire et espace pilote. Il faut accélérer sa construction. Cet essai en présente le concept, le rêve, l’architecture et les chantiers.

Parler d’espoir, évoquer un nouveau départ pour la Francophonie implique au préalable une évocation sans concession des inquiétudes qui s’expriment de partout et une réflexion sur son rôle demain et sa propre envie d’exister au moment où la mondialisation redistribue les cartes et casse bien des certitudes.

Il faut de même s’interroger sur son intérêt pour les populations qu’elle rassemble. Leur est-elle utile ? Chemin faisant, la question de l’avenir de la langue française, plus généralement du choix à l’international entre langue unique et multilinguisme, ne peut être éludée. Elle est, par ses consé­quences, au cœur de la problématique du devenir francophone. Le débat d’idées sur ces questions est indispensable. Il faut l’ouvrir sans complaisance et le médiatiser.

The Third French Language Community or the French-Speaking Community’s Dream for the 21st Century

These days,the question of the utility and of the role of a French Language Community has beenfor-mulated. The French Language Communities of the 19th and 20th Centuries are outmoded, whereas a third French language community is possible in response to and as an antidote against the risks and challenges of globalization: identity withdrawal and confrontation, poverty, sustainable development.

World balance of power and the quest forpeace require new poles of global influence devoted to inter-cultural dialogue, solidarity as much as to economic development. In this context, the third French language community is avant-garde as a laboratory and a pilot workspace. One must accelerate its construction. This paper sets out the concept, the dream, the architecture and the buildingsites.

To talk ofhope and a new start for the French Language Community implies first of all invoking wit-hout concession the anxiety observed everywhere and a reflection on its future role and its own desire to exist at a time when globalization is redistributing the cards and breaking many established certainties.

One must likewise ponder on its interest for the populations it purports to bring together. is it useful for them? On the way, the issue of the future of the French language, more generally of the choice at the international level, between one unique language and multilingualism, can no longer be eluded. Jhis is, by its consequences, the crux of theproblem i.e the future of the French language. The debate of ideas on these questions is indispensable and it is necessary to open this discussion without complacency and to publicize it.

  1. Déclin et progrès de la Francophonie

D’évidence, il y a à la fois déclin et progrès de la Francophonie.

  1. Le déclin

Côté déclin, ce n’est pas seulement la régression de l’usage du français dans les organisations internationales qui est en cause, mais le sentiment largement partagé et tout particulièrement par la jeunesse, qu’être francophone est d’une autre époque et peu utile dans le monde qui se construit.

A cet égard, les Chaires Senghor de la Francophonie, qui assurent une forma­tion à la Francophonie, constituent de bons baromètres d’opinion. Leurs étudiants viennent du monde entier, même de pays non francophones, et leur intérêt pour la francophonie ne peut être suspecté.

Le constat est partout sans équivoque. Le degré d’ignorance du fait francophone est abyssal.

Au Nord, on ne connaît pas ou peu la Francophonie. C’est un non sujet. De plus, le rétroviseur fait des ravages et le souvenir de la colonisation en pollue l’image. Elle est vue comme un tribut payé à l’histoire, un boulet plutôt qu’une chance. On regarde, ailleurs, vers l’Amérique et les mondes émergents.

Au Sud, non seulement on ne la connaît pas mais on se pose la question de son utilité, allant jusqu’à penser qu’être francophone est un handicap. Le passeport vers le progrès est d’ailleurs, et tout particulièrement, aux États-Unis et au Canada. Plus grave, en Afrique surtout, on découvre avec la Chine et l’Inde des modèles alterna­tifs de développement. On reproche à la Francophonie des décennies d’impuissance en matière économique et une action hypocrite en matière de droits de l’Homme. Une francophobie commence à se développer. Ce sont des faits qu’il faut voir en face.

Le mal-être francophone est large. Il touche l’ensemble des parlants français. Pour eux, la Francophonie est inaudible. Bien qu’ayant encore un sentiment d’ap­partenance acquis à partir de la langue, ils ont le sentiment que la Francophonie n’est pas utile, qu’elle ne répond pas à leurs attentes et en particulier à leur aspi­ration légitime à vivre mieux. Pire, ils la perçoivent de moins en moins comme moderne et porteuse d’avenir. Elle ne fait plus rêver. L’imaginaire francophone est en panne. C’est le rêve américain qui occupe les têtes, supplantant, et de plus en plus, le rêve francophone.

De plus, une certaine apathie s’était installée en matière de coopération franco­phone. Après une période pionnière à la fin des années 80 et au début des années 90 où, ambitieuse, innovante, la Francophonie avait lancé structures et programmes d’avant-garde, elle a été, jusqu’au Sommet de Québec d’octobre 2008, largement anesthésiée. L’innovation avait quitté la table. Mais peut-on bâtir la Francophonie sans innover ?

De plus, le débat sur les langues est une cause supplémentaire d’inquiétudes. Il y a d’abord l’interrogation sur la venue inéluctable ou non d’une langue unique à l’international, l’anglais. Beaucoup le pensent comme beaucoup considéraient hier, à tort d’ailleurs, que le dollar serait la monnaie du monde.

D’autres éléments sont à prendre en considération tels que le faible nombre de parlants français, 200 millions tout au plus, et le fait que le français n’est pas en général leur langue maternelle. De plus, il est une langue minoritaire – parfois même marginale – dans beaucoup de pays de l’espace francophone.

Plusieurs membres de la Francophonie connaissent en ce moment une angli-cisation rapide ; le Rwanda en est une illustration frappante. Le recul du français est considérable dans beaucoup de pays, surtout quand il n’est pas langue d’ensei­gnement ou d’usage. C’est particulièrement le cas en Asie du Sud-est, en Europe centrale et orientale, dans les Balkans.

La quasi-absence du français dans les grandes organisations internationales, y compris celles dont le français est pourtant une langue officielle ou de travail, ne fait même plus très souvent vraiment débat.

Dans ce contexte, un malaise existentiel persiste et même s’accroît en Francophonie. Le désintérêt de la classe politique, en particulier française, est réel et va croissant. La Francophonie n’a jamais réussi à s’imposer comme une priorité di­plomatique pour beaucoup de ses membres. Elle passe tantôt après la construction de l’Europe, tantôt après celle la Ligue Arabe, tantôt après le Commonwealth… On constate une sorte d’acceptation générale d’un rôle de second plan, la naissance d’un sentiment fataliste d’impuissance, une attitude de soumission, une incapacité à affirmer sa spécificité. On ne sait plus vraiment ce qu’on veut construire.

Bref, la Francophonie semble avoir perdu son âme, oublié son rêve et ne plus avoir confiance en elle-même. Par ailleurs, elle n’a pas conscience que la mondialisa­tion est une chance pour elle, un tremplin possible et non un éteignoir et sa tombe.

  1. Le progrès

Côté progrès, ce ne sont pas seulement les avancées considérables obtenues en matière institutionnelle qu’il faut souligner mais aussi la capacité d’influence dont elle commence à faire preuve sur la scène internationale. Ces progrès sont à mettre au crédit du Président Abdou Diouf, Secrétaire général de la Francophonie depuis 2002.

Ainsi, en 2005, par la Charte d’Antanarivo, la Francophonie, après plusieurs décennies d’effort, a enfin trouvé une solution satisfaisante à son problème insti­tutionnel. De plus, la Convention signée avec la France au Sommet de Québec en octobre 2008 lui assure enfin, au centre de Paris (au 19/21, avenue Bosquet), les locaux indispensables pour son action et représentatifs de son statut international. L’Organisation internationale de la Francophonie et ses opérateurs sont en état de marche même si l’autorité du Secrétaire général sur l’ensemble de la coopération multilatérale francophone doit encore être renforcée.

Par ailleurs, la dimension politique de la Francophonie s’est affirmée parallèle­ment à la dimension solidarité et ce, tout particulièrement, en matière de droits de l’Homme, de médiation et prévention des conflits. En outre, son action volonta­riste, couronnée de succès, pour l’adoption en 2005 de la Convention de l’Unesco sur la promotion et la protection des expressions culturelles, a montré sa capacité d’influence à l’échelle de la planète. Certes, la convention sur la diversité culturelle n’aurait pas existé sans le Canada, la France et le Québec. Mais c’est la Francophonie qui à partir de ses membres carrefours a su faire partager l’idée au Monde Arabe, au Commonwealth, aux autres aires linguistiques, et plus largement à toute la planète. Par ce combat, l’utopie francophone est devenue concrète au niveau international.

Puissance d’influence, acteur collectif, capable de se mobiliser et de travailler en réseaux, la Francophonie défend maintenant avec d’autres organisations l’intérêt du bien commun et de valeurs humanistes. Chemin faisant, elle a affirmé sa proximité avec le paradigme idéaliste et s’est projetée comme un acteur global.

Ainsi, malgré l’Amérique toute-puissante et sa déferlante économique, linguis­tique et culturelle, la Francophonie exerce un attrait indiscutable. De nouveaux pays frappent à sa porte sans discontinuer, sommet après sommet. Elle comptait 43 membres en 1986, 51 en 1997. Ils sont 75 aujourd’hui. Son attractivité est donc forte.

Les progrès de la francophonie politique et l’intérêt que lui porte les grandes or­ganisations internationales ont été mises clairement en évidence au récent Sommet de Québec en octobre 2008. Le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon et le Président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, étaient aux côtés de nombreux chefs d’État et de gouvernement présents dont Abdelaziz Bouteflika, Président de la République algérienne.

  1. La légitimité à reconquérir

Ce n’est donc pas l’enterrement de la Francophonie qui est à l’ordre du jour, mais son développement. Il s’agit de lui donner un second souffle, de faire connaître son rêve et de l’installer comme acteur stratégique de la mondialisation. Il lui faut, pour ce faire, reconquérir sa légitimité par des gestes évocateurs, probants et rassem-bleurs impulsant un changement. La tâche sera forcément rude, vue les résistances habituelles et générales à toute évolution et à tout progrès.

Elle a pu apparaître teintée de néo-colonialisme aux anciens colonisés et, à d’autres, de combat d’arrière-garde face à un anglais qui serait déjà largement ac­cepté comme langue unique du monde. Le poids des fausses certitudes, des dépôts idéologiques et conceptuels, la recherche de l’efficacité à courte vue, l’auto flagella­tion systématique, la pression de la pensée unique, l’emprise de la mondialisation financière ont fini, par ailleurs, par former autour du fait francophone une gangue imperméable à toute démarche spécifique. La culture de l’impossible s’est progres­sivement installée jusqu’à pénétrer au cœur même des institutions francophones. C’est dire combien le changement sera difficile.

Pour y parvenir, la Francophonie doit dire, affirmer, marteler le rôle qu’elle entend jouer dans la mondialisation et faire valoir son rêve, ses atouts, ses raisons d’être. Il lui faudra, tout aussi impérativement, répondre aux besoins des peuples francophones. Il faut qu’elle leur soit utile. Voilà les conditions du bond en avant : une double utilité au niveau du monde, par son combat humaniste, et à celui des peuples de ses membres, afin d’accroître leur mieux vivre.

  1. La place de la Francophonie dans la mondialisation

Mais quel rôle la Francophonie peut-elle jouer dans la mondialisation ? Quelle est son utilité géopolitique ? Quels arguments faire valoir pour que l’attractivité prenne l’avantage ? La plupart sont connus, comme ceux ayant trait aux apports du Siècle des Lumières, à la langue française et au passé français, tout comme ceux ve­nus de l’Afrique, incarnés par Léopold Sédar Senghor qui, dans un métissage entre le Nord et le Sud, met en avant les valeurs de liberté, solidarité, diversité et dialogue.

Par ailleurs, un argument nouveau doit être pris en compte : les réponses qu’ap­porte la Francophonie aux défis de la mondialisation contemporaine.

  1. Le défi de la mondialisation culturelle

La culture est devenue, aux côtés de la politique et de l’économie, un pilier de la mondialisation et un acteur incontournable des relations internationales. Un pre­mier défi est donc celui de la mondialisation culturelle et de ses conséquences, pour certaines inquiétantes. En effet, on ne peut cacher, que la mondialisation culturelle est le théâtre d’un début de conflit entre les civilisations et les religions, et tout particulièrement entre l’Occident et les mondes arabe et musulman. Des tragédies comme le 11 septembre 2001, la guerre en Irak, le conflit du Moyen-Orient l’at­testent clairement ainsi que la montée des fondamentalismes et le développement du terrorisme.

Pour endiguer cette confrontation, le monde a besoin d’antidotes pour la paix. Les dialogues dans les domaines politique et économique n’ont pu asseoir seuls une mondialisation pacifique.

Il faut bâtir et consolider un troisième type de dialogue : celui des cultures. C’est pourquoi, les grandes aires linguistiques et plus généralement les espaces géocultu­rels voués au dialogue des cultures – le troisième dialogue – prennent maintenant une importance géopolitique toute particulière. Ce sont par le dialogue qu’ils per­mettent des lieux privilégiés d’intermédiation et de prévention des conflits, des lieux de paix. La mondialisation a besoin de ces espaces pour désamorcer les « guerres » identitaires et religieuses qui s’annoncent. Ces pôles transversaux sont donc tout aussi nécessaires à l’équilibre du monde que les pôles régionaux à vocation écono­mique et politique que sont, par exemple, l’Europe ou l’ASEAN.

Les grandes aires linguistiques sont particulièrement concernées. En effet, les unions géoculturelles qu’elles constituent sont de fait des lieux voués au dialogue. La Francophonie appartient à cette topologie ; c’est l’union géoculturelle dont le français est la langue et le vecteur du dialogue interculturel. Elle veut que l’on renonce à la guerre dans la politique internationale et offre des démarches concrètes pour la paix. Sa chance, c’est le dialogue des cultures. Ce faisant, elle opère, avec le risque du brouillage de son image, un virage du linguistique au géopolitique ce qui élargit son spectre. Voilà la première rencontre entre les besoins de la mondia­lisation et l’offre francophone. Rencontre essentielle qui, à elle seule, donne un rôle important voire central à la Francophonie dans la mondialisation. En rentrant dans le jeu international global, la Francophonie devient, de fait, pour une part, un organisme subsidiaire des Nations Unies et se donne pour objectif sinon pour obligation de maintenir la paix entre ses membres.

  1. Les autres défis

Mais d’autres défis de la mondialisation concernent la Francophonie. Outre celle du dialogue interculturel, il existe d’autres rencontres entre les besoins du monde et l’offre francophone, celle des valeurs.

Le projet francophone n’a pas été élaboré par les seuls États et gouvernements. Il tire une large part de sa force d’attraction de ses pères fondateurs[1] mais également des propositions des militants de nombreuses ONG et associations francophones nationales et internationales.

De cet extraordinaire bouillonnement sont sorties les idées et les orientations actuellement officialisées. Progressivement, la Francophonie a porté un rêve, le rêve francophone. Après un demi-siècle de pratique d’un militantisme associatif mul­tiple, et plus de trente ans d’une implication progressive des États et gouverne­ments, sa vision du monde se dégage avec netteté. L’universalisme francophone se présente comme un tissage de l’idéal républicain français et de la civilisation de l’universel de Senghor. Il met en avant la liberté, la solidarité, la diversité, le dia­logue. Il est autant Sud que Nord.

La Francophonie a fait le chemin des valeurs. Elle prône la diversité culturelle et linguistique, la solidarité comme compagnon de la liberté, la démocratie et la liberté individuelle, le dialogue comme outil de la paix. Elle choisit pour l’accès à l’universel la synthèse des différences et non l’affirmation d’un modèle unique et dominant, et privilégie l’approche multilatérale.

Elle mène combat, au local comme à l’international, pour le multilinguisme et contre la langue unique, voulue par ceux qui, au nom de l’efficacité, choisissent l’uniformité pour accéder à l’universel.

Ce faisant, la Francophonie répond aux attentes humanistes. Le recouvrement est frappant entre l’offre francophone et les demandes qui s’expriment dans l’ac­tuelle mondialisation. La Francophonie défend certains des principes des altermon­dialistes et prend, par ailleurs, des positions de non alignement. C’est un laboratoire de l’autre mondialisation, la mondialisation humaniste.

De plus, elle s’est mobilisée ces dernières années en faveur de biens communs de l’humanité, tels que le développement durable, l’environnement et le réchauffe­ment climatique. C’est pour elle un nouvel ancrage.

III. La troisième francophonie

  1. Le concept de troisième francophonie

La Francophonie dont nous parlons ici n’est pas la francophonie de la fin du 19ème siècle – la première francophonie – essentiellement linguistique, liée tout autant à l’expansion coloniale qu’au rayonnement français dans le monde du fait du Siècle des Lumières et de la Révolution française. Onésime Reclus la définissait comme étant l’ensemble des populations parlant français.

Ce n’est pas non plus la seconde francophonie, fille de la décolonisation, propo­sée dans les années 60 par le Sud pour fonder un « Commonwealth » à la française, dans le cadre plus vaste de la construction, sur les débris des empires coloniaux, de communautés culturelles de métissage et de solidarité.

La nouvelle francophonie est celle du dialogue et des échanges mondialisés au sein de l’union géoculturelle de langue française, c’est ce qui fonde sa légitimité.

C’est un acteur stratégique dans la mondialisation. Avec elle, on passe des communautés postcoloniales aux ensembles mondialisés de dialogue interculturel. On cesse de regarder dans le rétroviseur pour se consacrer à l’avenir quittant ainsi définitivement la problématique coloniale. La Communauté organique voulue dès 1983 par Senghor, une fois de plus visionnaire, en était la préfiguration.

Elle porte des valeurs qui fondent son universalisme et met en avant une vision spécifique des relations internationales.

Communauté ouverte, la Francophonie s’agrandit tandis que pour d’autres communautés postcoloniales telles le Commonwealth, le cercle est resté fermé. Depuis l’origine en 1986, elle ne cesse d’augmenter le nombre de ses membres. Elle accueille nombre de pays qui n’ont jamais été des colonies et qui en constituent maintenant plus de la moitié ; c’est le cas de nombreux pays d’Europe centrale et orientale. Tous les continents y sont représentés. Cependant, des membres y adhérent non seulement par idéalisme au nom des enjeux identitaires autour de la langue et des valeurs, c’est-à-dire de l’identité francophone, mais aussi par réa­lisme pour défendre leurs intérêts. Les premiers ont eu une forte socialisation à la Francophonie. Ils en défendent les fondamentaux dont la langue française et sont attachés à la coopération culturelle et technique. Pour les seconds, il y a encore malheureusement pas assez de socialisation ni de connaissance des acquis. Ils voient d’abord dans la Francophonie un forum pour s’exprimer sur la scène internationale.

L’élargissement de la Francophonie pose problème. Des voix s’élèvent, avec rai­son, pour demander son arrêt au profit d’un approfondissement. La Francophonie court un risque si ses nouveaux membres, de plus en plus nombreux, ne pratiquent pas une forte « socialisation » à la Francophonie. C’est le pari sur l’avenir fait par l’élargissement. Ils doivent à terme faire la démonstration d’une situation satisfai­sante par rapport à l’utilisation du français et d’une volonté d’engagement dans la Francophonie au niveau national et international. Ce besoin de socialisation à la Francophonie sous-tend la décision prise au Sommet de Québec de proposer aux États et gouvernements membres des «pactes linguistiques», avec des engage­ments clairs quant à l’enseignement du français et son utilisation. Aujourd’hui, la Francophonie risque d’être fragilisée faute de convergence de ses membres. Il est clair que jusqu’à présent, il n’y a pas eu assez de francophonisation.

Il reste que c’est l’élargissement qui a opéré le passage de la seconde à la troi­sième francophonie lui donnant ainsi sa dimension d’avenir.

Cependant, sauf à accepter la dilution et la perte de l’identité francophone, il faut cesser d’admettre des États et gouvernements sans engagement francophone réel, arrêter d’élargir à tout va sans prendre en compte l’essence même du projet francophone. Il importe, cependant, de ne pas opposer élargissement et approfon­dissement. La nouvelle Francophonie est une accélération qui doit s’appuyer sur un double mouvement d’élargissement et d’approfondissement. S’il faut impéra­tivement approfondir, même au risque d’éventuels départs, des adhésions encore à venir sont nécessaires, celles en particulier de l’Algérie et d’États d’Amérique latine car cette dernière, pourtant concernée, n’est pas encore représentée.

Ces points justifient le développement de la Francophonie politique dans ses actions de soutien à la démocratie et aux droits de l’Homme, de médiation pour la paix et de promotion de valeurs et de biens communs au niveau mondial. Ils permettent de cerner son rôle, de répondre affirmativement à la question de son utilité géopolitique.

Espace d’échange interculturel mondialisé, de valeurs et de promotion de biens communs de l’humanité, la Francophonie est un pôle humaniste de régulation de la mondialisation multipolaire. C’est une puissance d’influence mondiale impliquant et justifiant la constitution par les francophones de groupes de concertation au sein des instances planétaires et régionales.

Mais la prise en compte de la Francophonie par les politologues est récente. Au niveau scientifique, l’objet francophonie est peu investi par la théorie des rela­tions internationales. Le mouvement s’est toutefois accéléré par la suite avec, pour point de départ à Hanoi en février 2007, la tenue du séminaire consacré à « La Francophonie sous l’angle des théories des relations internationales ».

Par rapport aux autres grandes aires linguistiques, car elle n’est pas la seule, la Francophonie a pris les devants en termes d’organisation et de coopération. À l’issue d’un long cheminement qui a duré plus de trente ans, elle s’est dotée d’institutions politiques cohérentes, a mis en place des opérateurs opérationnels de coopération et dispose de moyens budgétaires malheureusement certes encore insuffisants. Elle sert de modèle. C’est une organisation originale qui continue de se construire.

  1. La question de la langue

On assiste à une dérive constante vers le seul tout anglais. Cette langue s’installe comme langue unique en Europe. En France, les exemples d’abandon du français se multiplient dans les sciences, l’enseignement, les entreprises, à l’école, où l’on veut imposer le seul anglais plutôt que la diversité linguistique avec l’apprentissage à égalité de deux langues étrangères.

Pour le linguiste Claude Hagège, « la tradition de la promotion du français est en passe d’être abandonnée (…). ».

Certes on connait les arguments des promoteurs de la langue unique, il s’agit de disposer d’un outil linguistique partagé par tous afin de circuler le plus facilement possible dans le village global que crée l’actuelle mondialisation.

Mais il existe une alternative à cette pratique : le multilinguisme généralisé, qui lui aussi donne accès à cette possibilité de circulation. Il permet en effet d’acquérir la langue dominante, qui d’ailleurs peut changer au cours des prochaines années. Toutefois, il permet également de vivre d’une autre manière la mondialisation. En effet, il n’enferme pas dans un universalisme donné mais offre une respiration vers d’autres cultures. C’est l’outil de la civilisation de l’universel, où l’on accède au global par la synthèse des différences. C’est un facteur d’ouverture, un antidote au repli identitaire et donc une composante essentielle de la culture de la paix.

Par ailleurs, ce multilinguisme est d’actualité du fait de la montée au niveau mon­dial des langues des nouvelles « hyperpuissances » économiques telles que la Chine, l’Inde et le Brésil et du renforcement d’autres grandes langues monde comme par exemple l’espagnol et l’arabe.

Le risque n’est pas que demain le monde ne soit pas pluriel au niveau linguis­tique, le risque est que le français ne fasse plus partie des grandes langues interna­tionales mondiales.

En France d’ailleurs, le français est en danger du fait du comportement d’une partie des élites qui rêve de lui substituer l’anglais comme langue du quotidien. Il faut combattre cette tendance.

La langue française a été cependant la grande oubliée de ces 20 ans de Francophonie institutionnelle. Nombre de pays membres n’ont pas, faute de socia­lisation à la Francophonie, fait ce qu’il convenait pour son emploi à l’international et son apprentissage. Un effort sans précédent doit maintenant être fait pour son enseignement.

Il faut augmenter le nombre de parlants français. Doubler leur nombre en dix ans, pour atteindre 400 millions d’ici 2020, est la condition du maintien de la place du français. C’est un objectif raisonnable, possible à atteindre, si les politiques des pays francophones en font une priorité.

Le multilinguisme est ainsi un choix que doit faire la Francophonie non contre une langue mais pour le dialogue des cultures. La promotion de la diversité linguis­tique est d’ailleurs le corollaire inséparable de celle de la diversité culturelle.

Il convient de coucher dans une Charte les engagements contraignants que doivent prendre les États et gouvernements membres vis-à-vis de la langue par­tagée : le français. Comme déjà souligné, appartenir à la Francophonie suppose le respect d’un pacte linguistique.

Par ailleurs, une convention internationale pour la protection et la promotion de la diversité des langues s’impose, tout comme, au niveau national, la mise en place de lois linguistiques telle la loi 101 au Québec. En France, il convient d’étoffer la loi Toubon pour qu’elle atteigne ses objectifs.

  1. La francophonie de proximité et la francophonie utile

La francophonie de proximité, celle des ONG et de la société civile, est née dans les années 60 du siècle précédent d’une volonté des anciens colonisés et colonisa­teurs de rester ensemble. Elle avait, à cette époque, largement contribué à l’élabora­tion du projet francophone.

Dans une « Lettre ouverte aux francophones » parue dans Le Devoir du 20 mars 2007, le Secrétaire général de la Francophonie, le Président Abdou Diouf, rappelait à juste titre que «la Francophonie ne saurait être la seule affaire des États et gouver­nements, elle n’y survivrait pas! ». Le grand mérite de cette lettre est d’avoir interpel­lé directement les ONG et la société civile pour qu’elle participe à la construction de la Francophonie.

La francophonie institutionnelle n’est donc pas le seul moteur de la francopho­nie. Il y a, à ses côtés, et plus que jamais, le moteur de la francophonie de proxi­mité, c’est-à-dire de la francophonie des peuples. Il faut s’en réjouir. Déjà de grands réseaux se sont organisés ceux des universités, des villes et des régions. Les deux premiers participent à l’institutionnel francophone en tant qu’opérateur. Certes, du fait de la mondialisation, le monde est devenu le grand terrain de jeu, mais les espaces nationaux, régionaux ou géoculturels ne sont toutefois pas caducs. Ce sont des cercles qui offrent des opportunités spécifiques. Il existe ainsi un espace univer­sitaire et un espace économique francophones même si la recherche et l’économie sont mondialisées.

Les ONG et les collectivités locales francophones développent une importante coopération décentralisée qui met en jeu d’importants moyens financiers. Les États généraux de la coopération décentralisée francophone, qui se sont tenus à Lyon en octobre 2010, ont permis de réfléchir au rôle de la Francophonie et sur celui des collectivités locales et de la coopération décentralisée en Francophonie.

Il est bien évident que la Francophonie parlera d’autant mieux aux Francophones qu’elle leur apportera un plus dans la vie quotidienne. L’avenir de la Francophonie passe aussi, nous l’avons dit, par l’affirmation de son utilité au quotidien pour les populations.

Certes, son utilité au niveau géopolitique en tant que pôle de la mondialisation multipolaire est indiscutable ; mais répond-elle aussi aux besoins des peuples ? La Francophonie ne peut être prise en otage par la seule dimension politique de son engagement. Il lui faut tout autant être utile aux peuples et pour cela renforcer et dynamiser son volet coopération.

Le soutien des populations ne sera en effet fort et durable que si la Francophonie constitue pour elles un facteur de mieux-être. Les populations ont besoin d’actions concrètes pour être convaincues. Mettre en œuvre une Francophonie intégrale et au quotidien, c’est faire vivre la Francophonie à la base, dans les peuples. Outre la culture, deux chantiers sont prioritaires : l’économie et l’éducation avec en transver­sal le numérique et ses applications.

  1. La responsabilité de la France et du Québec

Il arrive que l’on critique la France et le Québec quant à la frilosité de leur enga­gement dans la Francophonie. Veulent-ils que la Francophonie soient une union géoculturelle et le français une langue internationale du monde de demain ? Ces points méritent d’être clarifiés d’urgence.

Il est clair d’abord que la pérennité de l’identité de la France et du Québec dans les prochaines décennies sera liée à l’existence ou non d’une Francophonie forte, influente et attractive. Etre acteur de la Francophonie-monde élargit en effet le champ d’intérêt et motive à tous les niveaux du fait de la nature même des objectifs à atteindre et de leur ampleur. Détenir une partie de l’universel, participer à un pôle mondial donne envie de garder son identité. Autrement dit, la Francophonie est pour la France et le Québec une opportunité pour renforcer leur Nation. Elle conforte leur identité respective dans l’ensemble européen pour l’une et canadien pour l’autre.

Notons que les identités de la France et du Québec n’ont pas été façonnées seulement par le voisinage. L’identité de la France n’est pas seulement d’Europe et l’identité du Québec pas seulement d’Amérique car la France n’est pas que d’Eu­rope et le Québec que d’Amérique. C’est la Francophonie qui permet à ces deux entités de retrouver leur plénitude. La Francophonie appartient à l’histoire de l’une et de l’autre et, là comme ailleurs, elle vient conforter des identités qui ne sont pas d’un même lieu.

Le Québec est né des tentatives d’expansion de la France dans le monde. Il a vu le jour avec la première francophonie. La deuxième, celle des indépendances, ne l’a pas oublié. Il est membre de la Francophonie. Ne faut-il pas souhaiter qu’il soit maintenant un acteur majeur de la construction de la troisième francophonie ? Il est certain, par ailleurs, que la Francophonie sert politiquement le Québec en lui offrant des contacts avec 74 pays et gouvernements. Il faut donc que le Québec s’investisse beaucoup plus dans la Francophonie.

En France, la Francophonie est boudée, voire malmenée. D’une certaine façon, l’attitude de la France sape le rayonnement de la Francophonie à l’international. On a pu dire avec raison que le plus grand ennemi de la Francophonie est constitué d’une partie les élites françaises qui, pour des motivations complexes de recherche d’efficacité mais aussi et peut-être surtout idéologiques, se trompent de combat.

Le Président de la République française a pris, le 20 mars 2008, en présence du Président Abdou Diouf, des engagements clairs en faveur d’une francopho­nie offensive et a réaffirmé qu’elle était une priorité de la diplomatie de la France. Quelques mois plus tard, lors de la dernière révision constitutionnelle de juillet 2008, la Francophonie a été inscrite dans la Constitution française. Mais certaines élites françaises ne veulent rien entendre. Le trouble français est si profond que le changement est impossible sans un « ça suffit » du politique imposé à tous les par­tisans de l’abandon au nom de l’efficacité immédiate et d’une modernité tronquée.

La Francophonie est donc, dans notre pays, une préoccupation accessoire. Beaucoup la voient non comme une chance mais comme un obstacle. Incertaine face à la mondialisation, la France ne sait plus marcher sur ses deux jambes, l’Europe et le Grand Large. Elle assume aujourd’hui son engagement européen au détriment de son engagement francophone. Il faut réengager la France dans la Francophonie.

Les projets d’Union pour la Méditerranée, la construction de l’Eurafrique, la maîtrise de l’immigration sont largement tributaires, pour être menés à bien, d’une Francophonie debout, forte et confiante en elle-même. La place de la France dans l’Europe relancée en dépend largement. L’intégration des jeunes français issus de l’immigration se fera d’autant mieux qu’ils seront fiers d’être francophones et d’ap­partenir à une communauté influente.

Mais le retour à la raison, à une vue plus réaliste des intérêts français, suppose, comme dans beaucoup d’autres domaines, une rupture. La France ne peut conti­nuer à avoir à la fois une attitude frileuse quant au polycentrisme francophone et à manquer d’ambition pour la Francophonie.

  1. Comment construire la troisième francophonie ? A. Affirmer le concept- Promouvoir la notoriété

Il faut que le concept de troisième francophonie soit d’abord clairement affiché par les Sommets et l’Organisation internationale de la Francophonie. C’est un message politique essentiel. La Francophonie doit dire ouvertement qu’elle est avant tout un espace de dialogue pour la paix et de solidarité pour le développement.

Le constat d’un déficit de notoriété et de visibilité de la Francophonie est, en ef­fet, général. Qui connaît la Francophonie ? Peu de monde en réalité. On est confon­du par l’ignorance des jeunes, des actifs et des décideurs en ce qui la concerne. Or, comment apporter son soutien à ce que l’on ne connaît pas ? Faire connaître, «vendre» la Francophonie est indispensable. Il convient de lancer à grande échelle un plan de communication la concernant.

Il faut des outils de promotion appropriés : création de maisons de la Francophonie, organisation chaque 20 mars d’une Nuit francophone, réédition du dictionnaire universel de la Francophonie, organisation de salons, de jeux télévi­sés. Dans un autre ordre d’idées, la création d’une Coupe francophone de football aurait un formidable retentissement populaire.

  1. Former à la Francophonie

La Francophonie est une réalité géopolitique. Un large public de Francophones a besoin d’en connaître les objectifs et le fonctionnement. En faire un objet de formation, d’études et de recherche est donc nécessaire comme le fait l’Iframond[2] à l’Université Jean Moulin Lyon 3. Il faut naturellement l’enseigner aux jeunes – ce sont les futurs décideurs – pour qu’ils s’engagent, s’impliquent et se l’approprient. Les programmes scolaires et universitaires doivent lui faire une place au travers de son histoire, mais aussi de son rôle et de son utilité dans la mondialisation. Le Réseau international des Chaires Senghor de la Francophonie[3], en charge dans l’enseignement supérieur de la formation et de l’étude de la Francophonie, est donc essentiel et doit être développé.

La méconnaissance de la Francophonie a pour conséquence sa marginalisation par les décideurs publics et privés des pays membres. Faute d’être perçue comme une force d’avenir, elle se présente en position de faiblesse dans les débats politiques, culturels et économiques, ainsi que dans les arbitrages financiers et institutionnels la concernant. Il faut promouvoir une culture francophone chez les décideurs actuels, sensibiliser et faire partager aux élites le concept d’union géoculturelle et celui de Francophonie par la création d’un Institut des Hautes Etudes Francophones et du Multilinguisme (IHEFM).

  1. Renforcer le sentiment d’appartenance – Développer le volontariat

Il s’agit de renforcer le sentiment d’appartenance et de combler le déficit de ci­toyenneté. Pour construire la communauté francophone de sentiment et d’intérêt, il est nécessaire que les actions menées soient non seulement utiles mais suscitent aussi un désir de francophonie et « fabriquent » en quelque sorte de la francophonie. Dans ce domaine, les opérateurs francophones ont partiellement failli. Préoccupés à juste titre par leurs objectifs, ils ont délaissé pour partie leur mission de promoteur de la francophonie.

De même, il faut réveiller le sentiment d’appartenance à la Francophonie des ONG, des entreprises et plus généralement des sociétés civiles francophones. Issue d’un réflexe identitaire, cette appartenance traduit leur lien social avec l’union géo­culturelle francophone à laquelle elles appartiennent. Tout en étant mondialisées, elles sont aussi francophones.

Au niveau des symboles, affirmer la Francophonie comme union géoculturelle est indispensable. Il faut faire flotter le drapeau francophone, chaque 20 mars, Journée internationale de la Francophonie, au fronton de toutes les collectivités locales francophones. Il faut de même donner aux décorations et à l’hymne franco­phone toute leur place en tant que symboles forts de la francophonie.

Par ailleurs, donner aux Représentants personnels des chefs d’État et de gouver­nement auprès du Conseil permanent de la Francophonie le titre d’Ambassadeur de la Francophonie serait valorisant pour l’Institution francophone et pour les per­sonnalités concernées.

Enfin, il faut développer le volontariat francophone. Le volontariat génère un sentiment d’appartenance et renforce la connaissance de l’autre. Forme de générosi­té, il est, de plus, l’expression même de la solidarité. Le volontariat concerne toute la société : la jeunesse qui est son avenir, les retraités qui ont de la disponibilité à offrir, les actifs qui veulent concrétiser leur générosité. L’actuel programme de volontaires de la Francophonie initié par l’Organisation internationale de la Francophonie est une heureuse initiative.

C’est de plusieurs milliers de volontaires dont a besoin la Francophonie pour servir pendant un à deux ans dans un pays francophone autre que le leur, dans le cadre de la coopération francophone. L’OIF peut intervenir de deux manières : d’une part, en recrutant ses propres volontaires, d’autre part, en garantissant un statut de volontaires francophones à des volontaires œuvrant dans des organismes publics et privés agréés par l’OIF.

  1. Disposer du visa francophone

Le dialogue interculturel suppose l’échange. Certes, la libre circulation n’est pas politiquement envisageable en Francophonie. Par contre, sans nier la nécessité de mesures pour maîtriser l’immigration, il est possible de faciliter la circulation et l’accueil des Francophones. Ce ne sont pas des étrangers comme les autres, il faut le leur montrer. Enseignants, chercheurs, entrepreneurs, étudiants, artistes et sportifs doivent pouvoir jouir de préférences de circulation dans l’espace francophone et d’un accueil préférentiel aux frontières. Le besoin d’un visa francophone est réel, il faut y donner suite.

  1. Promotion de la langue française

En matière de français, les actions à mener sont différentes suivant que le fran­çais est ou non la langue d’enseignement pour tous les élèves ou enseignée à tous comme langue étrangère ou encore ni l’une ni l’autre. Dans tous les cas, il faut insister sur la formation des formateurs.

Le besoin de formation concerne des centaines de milliers d’enseignants du et en français. Il est particulièrement aigu dans le primaire. La Francophonie a lancé dans ce domaine une opération pilote (l’initiative francophone pour la formation à distance des maîtres) qu’il faut généraliser.

Quelles sont les lignes de force de l’enseignement du et en français en Francophonie ?

Prioritairement, la qualité de l’enseignement, le multilinguisme, la certitude donnée aux familles qu’être francophone est un plus pour leurs enfants.

Il faut aussi ne pas négliger la francophonie au quotidien, c’est-à-dire le parte­nariat avec la société civile pour que les Francophones utilisent la langue française dans leur vie quotidienne et trouvent un emploi.

Dans les pays de la Francophonie où le français n’est pas langue d’enseignement, il doit être appris par tous les enfants comme langue seconde et bénéficier au moins du statut de langue étrangère la plus favorisée.

Dans ceux de la francophonie « d’appel » – en particulier en Asie du Sud-Est et en Europe centrale et orientale – où la Francophonie est à reconstruire ou à réaffir­mer, la priorité va à la constitution d’un vivier de jeunes Francophones.

Une approche spécifique complémentaire du primaire au supérieur est néces­saire : celui de l’enseignement bilingue, débouchant à la fois sur un baccalauréat national et sur un baccalauréat francophone. C’est une question de vie ou de mort pour la Francophonie.

Plus précisément, il s’agit de mettre en œuvre des cursus éducatifs plurilingues (classes bilingues dans le primaire et le secondaire ; et dans l’enseignement supé­rieur, instaurer des filières universitaires, formations doctorales, instituts, universi­tés et campus universitaires francophones). Cependant, pour qu’une telle continui­té éducative soit assurée entre les deux premiers degrés et l’enseignement supérieur, la reconnaissance de la fin de l’enseignement secondaire doit être officiellement attestée par un baccalauréat francophone.

C’est le parti pris par l’AUF dans les années 90 et qui a fait que l’enseignement du et en français en Asie du Sud-est est devenu un programme phare.

Les résultats obtenus au Cambodge, au Laos et au Vietnam montrent si bien son intérêt en matière d’enseignement du français et qui plus est, d’excellence, que les systèmes éducatifs de la région le prennent comme modèle pour l’enseignement de l’anglais ou d’autres langues étrangères.

Le plus grand problème a été et reste toujours la pérennisation de cette chaîne éducative. En dépit de toutes les contraintes, si on veut maintenir la francophonie dans ces environnements difficiles et très concurrentiels, le recours à de tels parcours est incontournable.

Il faut dénoncer par ailleurs sans équivoque les coopérations suicidaires voulues par certaines élites qui se font uniquement en anglais au mépris du multilinguisme et de la langue française. Et c’est pour cela que doivent exister des parcours éducatifs francophones complets, depuis l’école primaire jusqu’à la fin de l’université.

  1. Francophonie de solidarité et francophonie politique

La coopération francophone découle de la double mission de solidarité et de dialogue de la Francophonie. C’est dire que la francophonie politique et la franco­phonie de solidarité sont l’une et l’autre aussi importante.

Pour sa part, la francophonie politique a beaucoup progressé ces dernières an­nées après le Sommet de Hanoi. Les déclarations de Bamako en 2000 sur la démo­cratie et les droits de l’Homme et de Saint Boniface en 2006 sur la prévention des conflits et la sécurité humaine en portent témoignage.

La coopération francophone de solidarité dispose d’opérateurs et d’acteurs spécifiques. Ses opérateurs, partie prenante de l’institutionnel francophone, sont l’Organisation internationale de la Francophonie, opérateur généraliste, l’Agence universitaire la Francophonie et l’Université Senghor d’Alexandrie pour l’enseigne­ment supérieur et la recherche, de TV5Monde pour la télévision et de l’Association internationale des Maires francophones pour la coopération décentralisée. Elle peut aussi s’appuyer sur des acteurs voués à la Francophonie qui sont généralement des réseaux associatifs comme l’Association internationale des Régions francophones ou la Fédération internationale des professeurs de français.

Cependant, dans la même période, et jusqu’au Sommet de Québec, la coopéra­tion francophone de solidarité a marqué le pas du fait à la fois du plafonnement des moyens et de l’absence de nouveaux programmes. Le Sommet de Québec a infléchi cette tendance. Il fallait, en effet, relancer la coopération francophone de solidarité plutôt que la mettre en veille. Il fallait aussi la concentrer sur son cœur de métier.

De nouveaux chantiers doivent être ouverts. Plusieurs sont évidents pour ré­pondre aux besoins qui se manifestent en matière d’éducation et d’économie.

VII. Les nouveaux chantiers de coopération de la Francophonie

Il importe, bien entendu, que ces chantiers génèrent des dynamiques et créent des effets de levier.

  1. L’éducation

De toute évidence, la Francophonie ne peut accepter l’illettrisme et la non sco­larisation de tant de jeunes francophones. La formation aux métiers est, par ail­leurs, indispensable. Rien n’est possible sans un effort exemplaire en leur faveur. Malheureusement, la Francophonie ne dispose pas pour l’enseignement primaire, secondaire et technique, contrairement à l’enseignement supérieur, d’un outil spé­cifique permettant une démarche public-privé pour saisir les opportunités et mobi­liser les financements. La mise en place d’un opérateur pour l’éducation, d’une Agence francophone pour l’éducation, a été suggérée, mais malgré l’urgence, cette création ne fait malheureusement pas encore l’objet d’un consensus.

  1. L’économie

Rien n’est possible sans l’économie. Il faut donner à la Francophonie sa dimen­sion économique, ce que l’on se refuse de faire depuis le Sommet de Hanoi où la question a été posée. Il faut en finir avec les rendez-vous manqués entre l’économie et la Francophonie.

La déclaration d’Alexandrie du 19 mars 2007 (Université Senghor d’Alexan­drie 2007) affirmait cette priorité : « la Francophonie a besoin d’une stratégie de développement économique sans laquelle ses actions en matière de solidarité, de démocratie et de développement durable resteront fragiles… ».

Des pistes existent :

  • Le réveil, comme mentionné précédemment, du réflexe d’appartenance fran­cophone des entreprises. C’est à leurs organismes professionnels, telles que les Chambres de Commerce, de s’y atteler. Une plateforme qui apprenne aux PME francophones à tirer parti de l’avantage comparatif que leur procure la langue com­mune est nécessair Il faut accroître le « business francophone ». La Francophonie est aussi un marché de plus de 800 millions de consommateurs. Tout ce qui sera fait en matière d’augmentation du nombre de parlants français sera un plus pour la francophonie économique. Le chantier économique rejoint ici ceux de l’éducation et de la langue.
  • La mise en place de formations au management des entreprises et à l’entre-prenariat et la formation d’experts nationaux pour défendre la position des États dans les enceintes internat Les besoins francophones sont considérables. L’Agence universitaire de la Francophonie a, pour sa part, acquis en la matière une réelle compétence avec l’IFAG (Institut francophone d’administration et de ges­tion) à Sofia et à l’IFE (Institut francophone d’entreprenariat) à Réduit.

Par ailleurs, l’Organisation internationale de la Francophonie dispose en écono­mie de programmes innovants. La proposition a été faite à la Rencontre internatio­nale de la Francophonie économique (RIFE) de mai 2008, de les rassembler au sein d’un organe subsidiaire de l’OIF, créé à cet effet.

La création d’un outil économique francophone a été proposée. Il aurait en charge, en particulier, le développement des entreprises culturelles dans les pays francophones, ce qui est essentiel car autrement la Convention de l’Unesco sur la protection et la promotion des expressions culturelles, tout particulièrement celles du Sud, sera un leurre.

Par ailleurs, cet outil économique se devrait de prendre en compte le dévelop­pement durable et, au titre de la solidarité, le commerce équitable et le microcrédit.

Enfin, le numérique s’impose comme un instrument incontournable. La Francophonie doit s’employer à éviter la fracture numérique Nord-Sud. L’utilisation de la Toile progresse partout à grands pas. Le temps est venu de la francophonie numérique.

Conclusion

Ces analyses montrent l’ambition de la troisième francophonie, de répondre à un critère de double utilité au niveau mondial et au niveau des peuples, mais la Francophonie est à un tournant. Face à la mondialisation, il lui faut choisir son cap.

Elle peut soit prendre le chemin du déclin irréversible, soit donner corps à son rêve d’une mondialisation humaniste, allant vers l’universel par la synthèse des dif­férences et vers le développement économique par le partenariat solidaire.

[1]Léopold Sédar Senghor, Habib Bourguiba, Hamani Diori, Norodom Sihanouk.

[2]Institut pour l’Etude de la Francophonie et de la Mondialisation. Plateforme de formation et de recherche dédiée à la Francophonie (www.iframond.com).

[3]Alexandrie, Aoste, Beyrouth, Bucarest, Cluj-Napoca, Erevan, Grenoble (membre observateur), Hanoi, Lyon, Montréal, Ouagadougou, Outaouais, Pékin (membre observateur), Perpignan, Timisoara, Yaoundé.

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