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Jure Georges Vujic
Écrivain franco-croate et géopoliticien, directeur de l’Institut de géopolitique et de recherches stratégiques de Zagreb, il contribue à la revue géostratégiques de l’Académie de géopolitique de Paris, et il est l’auteur de plusieurs ouvrages dans le domaine de la géopolitique et de la politologie en langue francaise et croate.
Depuis le désengagement et le retrait progressif des troupes américaines de la région, notamment d’Afghanistan, le repositionnement géostratégique russe et l’influence grandissante chinoise dans la région, ainsi que le jeu asymétrique des puissances régionales, semblerait combler ce vide de pouvoir et annoncer une nouvelle redistribution des cartes géopolitiques dans cette région. D’autre part, le processus de normalisation entre la Turquie et les Émirats Arabes Unis, l’Arabie Saoudite et l’Égypte, avec parallèlement la normalisation entre les pays du Golfe et l’Iran, semble dessiner les contours d’un ordre normalisateur et pragmatique pour le Moyen-Orient.
Pourtant, les nombreux facteurs déstabilisateurs et les menaces qui n’ont pas disparu avec l’insistance nucléaire de l’Iran, l’instabilité dans des régions comme la Syrie, la Libye, le Liban et l’escalade militaire au Yémen continueront de peser sur la stabilité régionale. Celles-ci sont révélatrices de nouvelles dynamiques régionales avec des rivalités entre acteurs régionaux comme la Turquie et l’Iran, qui voient dans dans cette situation de recomposition géopolitique de nombreuses opportunités géoéconomiques et géopolitiques. En dépit du tropisme occidental qui tend à voir le Moyen-Orient comme un ensemble régional instable figé dans le temps, voué à un cycle perpétuel de conflits et d’apaisement, la question est de savoir si la nouvelle dynamique régionale de partenariats croisées, d’alliances et de compromis had hoc entre les divers acteurs régionaux et l’influence de nouvelles puissances extérieures telles que la Russie et la Chine, constituent un signe précurseur d’une nouvelle recomposition d’un ordre moyen-oriental stable et équilibré à long terme, ou bien s’agit-il tout simplement d’un interregnum de recomposition conjoncturel ?
Since the disengagement and gradual withdrawal of American troops from the region, particularly from Afghanistan, the geostrategic repositioning of Russia and the growing Chinese influence in the region, as well as the asymmetrical play of regional powers, would seem to fill this power vacuum and herald a new redistribution of the geopolitical cards in this region. On the other hand, the process of normalization between Turkey and the United Arab Emirates, Saudi Arabia and Egypt, with parallel normalization between the Gulf countries and Iran, seems to draw the outlines of a normalizing order and pragmatic for the Middle East.
Yet the many destabilizing factors and threats that have not disappeared with Iran’s nuclear insistence, the instability in regions like Syria, Libya, Lebanon and the military escalation in Yemen will continue to weigh on regional stability. These reveal new regional dynamics with rivalries between regional players such as Turkey and Iran, who see in this situation of geopolitical recomposition many geoeconomic and geopolitical opportunities. Despite the Western tropism which tends to see the Middle East as an unstable regional entity frozen in time doomed to a perpetual cycle of conflict and appeasement, the question is whether the new regional dynamic of crosspartnerships, alliances and ad hoc compromises between the various regional players and the influence of new external powers such as Russia and China, do they constitute a harbinger of a new recomposition of a stable and balanced Middle Eastern order in the long term? term, or is it quite simply an interregnum of conjunctural recomposition?
Depuis le désengagement des États-Unis dans la région, notamment d’Afghanistan, le repositionnement géostratégique russe et l’influence grandissante chinoise dans la région, ainsi que le jeu asymétrique des puissances régionales semblerait combler ce vide de pouvoir et annoncer une nouvelle redistribution des cartes géopolitiques dans cette région. On constate qu’avec la conclusion des accords d’Abraham est à l’œuvre, une évolution stratégique non seulement des États-Unis qui entendent sous-traiter aux pays de la région la reconfiguration régionale, et celle des États du Golfe accentuant, dans le contexte géopolitique global du Moyen-Orient, la césure entre les États sunnites et l’Iran chiite, et traduisant la faiblesse des Palestiniens pour obtenir que se concrétise la solution à deux États.
Bien sûr il est parfois ingrat et complexe de faire de la géopolitique prospective qui reste très souvent aventureuse, mais on peut constater qu’après le repositionnement militaire et géopolitique de la Russie en Syrie et au Moyen-Orient, et surtout la guerre Russo-Ukrainienne, que toute crise ouvre de nouvelles opportunités géopolitiques géoéconomiques et militaires pour certaines puissances globales et régionales. Hors, étant donné le caractère éphémère et mouvant de toute conjoncture dans un espace temps donné, il est très difficile de s’adonner au jeu des anticipations rationnelles avec des calculs de probabilité et de projection pour en extraire les éléments structurants et stabilisateurs d’un ordre régional sur une longue durée, même si certaines conjonctures comme les récessions ou les guerres, peuvent générer les conditions d’un nouvel ordre régional er international s’il existe bien sûr une volonté de part et d’autre des principaux acteurs.
Avec les événements en Ukraine est ses implications pour la paix globale, on peut supposer encore que les acteurs régionaux, mais aussi d’autres puissances extérieures, se saisissent de cette nouvelle donne pour contribuer à façonner la configuration régionale du Moyen-Orient. L’Europe se trouverait alors dans l’obligation de revoir toute sa stratégie, et de repenser sa stratégie dans un environnement géopolitiquement vulnérable, dans lequel elle constituerait l’acteur le plus dépassé par les événements. En lançant la dynamique du « Pacte d’Abraham » (accords de paix signés fin 2020 entre Israël, les Émirats Arabes Unis et Bahreïn, suivis par le Maroc et le Soudan), Washington bouleverse les cadres de réflexion stratégiques traditionnelles qui prévalaient dans la région depuis les années 1990. L’allègement de la présence américaine dans le Golfe – des développements dictés par l’impératif stratégique de la confrontation avec la Chine –, une nouvelle donne s’esquisse et le rôle des acteurs régionaux semble appelé à se renforcer. En reprenant la main à la faveur des crises syrienne et libyennes, dans un jeu ambigu avec Ankara, Moscou se repositionne dans la région, et Pékin veut y faire passer ses routes de la soie.
Incertitude radicale et équilibre des menaces
Si l’on revient à la crise ukrainienne qui a une lecture à la fois régionale russo-ukrainienne et globale avec une bipolarisation géopolitique Occident-Russie, nous sommes néanmoins dans un scénario, qui tout en rappelant la guerre froide et une revanche néoimperiale russe, qui ouvre la voie à une singularité d’incertitude radicale et d’incertitude stratégique. En effet, Franck Knight développait le concept d’incertitude radicale en opposition au risque. Le risque est mesurable par le calcul des probabilités alors que l’incertitude radicale ne l’est pas. D’autre part, lors qu’on assiste à une escalade de menaces on pourrait se réferrer aux leçons de Stephen Walt, un théoricien néorealiste, qui avance la thèse d’un ordre international caractérisé par « l’équilibre des menaces », situation dans laquelle les États s’équilibrent généralement en s’unissant contre une menace bien identifiée, illustrant l’exemple du modèle d’alliance des États européens créé pour faire face à l’expansionnisme allemand pendant les deux guerres mondiales. L’invasion de l’Ukraine par la Russie et la menace de la dissuasion nucléaire ont certainement homogénéisé le monde occidental, mais on ne sait toujours pas comment une nouvelle escalade des menaces et des conflits, y compris la possibilité d’erreurs stratégiques irréversibles, peut vraiment compromettre la paix mondiale et rétablir l’équilibre dans le monde pour empêcher la destruction mutuelle. L’incertitude, qui est aussi une condition préalable à la stratégie, surgit souvent dans la prise de décision, mais lorsque la guerre prend des effets mondiaux irréversibles comme la guerre en Ukraine, où chaque mouvement peut provoquer une réaction en chaîne incertaine, on pourrait dire que le monde et les grands acteurs internationaux, sont dans l’incertitude stratégique.
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