L’Organisation des Nations unies Quel avenir ?

Ali RASTBEEN

Novembre 2006

Soixante ans après sa création, l’Onu a besoin d’une réforme en pro­fondeur, afin d’être mieux adaptée aux réalités du monde actuel, notamment en matière d’aide aux pays pauvres, de sécurité collecti­ve ou de droits de l’homme. Mais l’ambitieuse transformation est un défi lancé aux États-membres et aux puissances mondiales pour s’investir dans cette réforme. L’ambition manifestée à adapter l’Onu aux changements qui ont affecté les relations internationales demeure semée d’embûches, notam­ment par la vision américaine sur le devenir de l’organisation et le développe­ment de l’unilatéralisme, contraire même aux principes de l’Onu. Cependant,on continue d’apercevoir le décalage abyssal entre les réformes à entre­prendre pour rendre l’ONU plus démocratique, plus puissante, plus conforme à la réalité du monde, et celles, timides et si peu contraignantes, entérinées finalement par les États.

Esprit général de la Charte des Nations unies

L’Organisation des Nations unies a été crée pour améliorer les relations internationales en y appliquant de nouveaux principes différents de ceux de la Société des Nations. En son article premier, la Charte des Nation unies énonce les buts de l’organisation : régler les différences par des moyens pacifiques ; réaliser la coopération internationale pour résoudre les problèmes d’ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire ; encourager le respect des principes de la justice et du droit international. En d’autre terme, et au-delà des tâches d’application des traités internationaux et le respect des relations internationales, l’organisation se propose la transformation des relations interétatiques et la bonne conduite des États.

Née après la Seconde Guerre mondiale, l’Onu connut ses préceptes à partir de 1942, année où les États alliés signèrent à Washington, une déclaration qui emploiera pour la première fois l’expression « Nations unies ».

L’expression désignait ainsi un certain nombre d’États, tout en dissimulant la notion de peuple puisque sa Charte fondatrice fut écrite au nom des peuples.

L’esprit de la Charte fut modelé de l’expérience de la guerre et représentait un accord entre les grandes puissances qui allaient défendre et œuvrer pour la paix au sein d’un groupement d’États. Dès 1944, les Alliés jetèrent les fondements de plusieurs Organisations internationales, notamment le FMI (Fond monétaire international) et la BIRD (Banque internationale de développement), mais la question d’une organisation universelle devint complexe à élaborer. Le déclin de la SDN, rendue responsable de la Seconde Guerre mondiale, et dont les États-Unis n’ont jamais été membres avait vue l’U.R.S.S. en être exclue en 1939. La question devenait délicate et les points les plus culminants de sa fondation furent discutés à la Conférence de Yalta en février 1945. Les propositions émanant ssues de cette rencontre furent débattues à la Conférence internationale de San Francisco (25 avril-26- juin 1945) dont les résultats furent la signature de la Charte, qui entra en vigueur en octobre de la même année.

La Charte des Nations unies est constituée de 111 articles, elle puise son esprit dans le fonctionnement de la Société des Nations (SDN). Ses orientations ont été fixées par les grandes puissances : États-Unis, Royaume Uni, URSS, Chine et qui n’avaient invité que les États en guerre contre l’Axe.

Sur le plan économique et social, l’action de l’Onu est analogue à celle de la SDN. Sur le plan politique de la défense de la paix, la SDN était au départ armée de moyens d’action plus rigides et plus limités que les Nations unies. Certains conflits étaient simplement condamnés, dans des hypothèses précises liées à l’action de la SDN. Rappelons-le, la SDN représentait un fait important, celui de la reconnaissance des changements qui s’étaient déjà opérés dans les relations internationales et un véritable défi sur l’avenir. Le XVIIIe siècle avait été marqué par la formation d’alliances et les guerres se livraient dans la perspective de l’accroissement d’un royaume, de la multiplication des territoires et des populations assujettis, alors que le XIXsiècle, consistait à juger la guerre comme un phénomène aberrant et d’une structure coûteuse. Les mutations des relations internationales à partir de la fin de la Première Guerre mondiale allaient changer de façon profonde les rapports entre les États par la diffusion de la démocratie, la montée des nationalismes et la formation de l’opinion publique. La sécurité collective était l’un des objectifs qu’ont précédé à la création de la SDN, sécurité collective dont l’absence avait eu pour conséquence la guerre et que Wilson, idéaliste, avait voulu introduire. Le bon sens de l’équilibre des rapports de force entre les États, la SDN avait pour rôle qui s’inscrivait dans le futur, celui de la prospérité et la paix des États. Projet crucial dans la carrière du président Wilson,

« La société des nations est une nécessité impérieuse et elle doit être une organisation virile, exister authentiquement et non pas seulement sur le papier ». Les partages de territoires, les divisions qui succèdent à la création de la SDN vont se répercuter sur le système international qui sera institué par les vainqueurs de la Grande Guerre. A la conférence de Paris de 1919, les artisans de la paix : Lloyd George, Clemenceau et Wilson déterminent un dessein géopolitique complètement nouveau. Ils mirent la Russie à l’écart, congédièrent les Arabes, débattirent le problème kosovar et kurde. Un ordre international se mettait en place dans l’esprit de la victoire et se faisait jour la profonde conviction anglo-saxonne d’un monde meilleur avec l’espoir que malgré les conséquences terribles de la guerre, la société humaine s’améliorerait et les nations vivraient en harmonie.

Après la Première Guerre mondiale, la SDN fut incapable d’instaurer la paix par l’absence des acteurs puissants de cette période. Devant l’ampleur du conflit suivant et ses lourdes conséquences, le président américain Roosevelt et le Premier ministre britannique Churchill se rencontrèrent pour rédiger une charte qui proclamait le respect des droits des peuples à se gouverner eux-mêmes et à un système de sécurité collective plus protecteur.

Le 1er janvier 1942 à Washington, 26 pays en guerre dont les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’URSS utilisent cette charte de l’Atlantique pour proclamer leur volonté de vaincre l’Allemagne nazie dans une déclaration des « Nations unies ». Le 30 octobre 1943, Roosevelt, Staline et Churchill signent une nouvelle déclaration sur la « nécessité d’établir aussitôt que possible une organisation internationale générale ». La Chine de Tchang Kaï-Chek est associée par le président américain. Roosevelt est favorable à un exécutif des quatre Grands chargés d’assurer la « police » dans le monde d’après-guerre à partir d’un réseau de bases tandis que les autres pays seraient déesr armés.

Ecartée, la France résistante ne signe que plus tard la déclaration, le 1er janvier 1945, mais devant la réticence du Général de Gaulle, la position américaine changea, rappelant ainsi le caractère anglo-saxon de la future organisation internationale. Si Yalta se fait sans la France, cette dernière est invitée à la conférence de San Francisco du 25 avril 1945 en la personne de son ministre des Affaires étrangères, Georges Bidault. L’Organisation des Nations unies naquit officiellement le 24 octobre 1945, lorsqu’elle fut ratifiée par la Chine, les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, l’URSS et la majorité des autres pays signataires. La Journée des Nations unies est célébrée le 24 octobre de chaque année.

Dans l’esprit de réconciliation d’après-guerre que les diplomates veulent toujours absolument promouvoir, la Guerre froide changea les rapports de force et paradoxalement les deux blocs vont résister. L’Onu va continuer à s’identifier au jeu traditionnel des relations internationales, aux théories réalistes à savoir le jeu des intérêts nationaux. L’Onu va devenir un carrefour de toutes les cultures, et un champ clos de rivalités, assoupie par l’affaiblissante gestion quotidienne de la paix mais elle demeure en dehors de toute convoitise l’endroit où s’affronte idéalisme et réalisme, lieu où même des compromis se réélisant malgré la déception qu’ils génèrent, mais qui ont le mérite d’entretenir la paix1.

Depuis sa création, six décennies se sont écoulées et son fonc­tionnement continue d’interroger acteurs étatiques et non-étatiques sur son devenir dans la mondialisation. Le dépassement de l’État-nation, moteur central du fonctionnement de l’Onu demeure l’institution de la dimension mondiale des principaux problèmes mondiaux. Confrontée à de nombreuses crises liées à son dysfonctionnement devant les mutations de la société internationale et des rapports géostratégiques, l’Onu souffre de son instrumentalisation par les puissances. Incarne-t-elle toujours l’organisation qui protège la paix mondiale ? Cette question magistrale se pose à l’heure où l’Onu est confrontée à ses imperfections et n’arrive pas à sortir de ses contradictions patentes qui sont même à l’origine de sa création2.

La société internationale est confrontée à une mutation profonde touchant les fondements de son fonctionnement, remettant en cause sa structure et créant des crises du droit international, du droit humanitaire et des principes fondateurs du respect de souveraineté, des droits de l’homme, etc.

L’Unilatéralisme américain et le devenir de l’Onu

L’attaque de l’Irak menée conjointement par les États-Unis et la Grande-Bretagne en 2003 a, d’une part, créé une ère nouvelle dans les relations internationales et, d’autre part, sonné le glas de l’Organisation des Nations unies largement affaiblie depuis la monopolisation du monde entre les mains d’une seule puissance.

Le fait que l’Organisation des Nations unies, en tant qu’organe international de préservation de la paix, tente de survivre, ne signifie guère que la puissance américaine ait renoncé de la contourner pour atteindre ses objectifs annoncés. Les peuples du monde, grands et petits, vivent depuis trois ans sous le règne de la loi de la jungle. L’épanouissement du commerce des armements, sans pouvoir garantir la paix des acquéreurs et des vendeurs, exprime l’intensification d’une crise marquée par l’insécurité. L’essor de la vente d’armement qui permet aux grandes puissances d’éviter des crises  économiques, précipite le monde dans la guerre, le sang et la destruction.

L’attaque des États-Unis contre l’Irak s’est soldée par le même échec que leur présence militaire en Afghanistan. L’arrogance de Washington, après sa victoire sur l’Union soviétique, a permis l’émergence de forces en Afghanistan en retard d’un siècle sur la société urbaine de ce pays. Des millions d’hommes et de femmes afghans qui s’étaient épanouis dans la culture urbaine de leur pays, se trouvent aujourd’hui réfugiés dans les pays limitrophes et à travers le monde. Et cela, sans compter les massacres des citadins commis par les chefs de tribus conquérants, qui n’avaient commis d’autre crime que celui d’avoir adopté la modernité et la vie urbaine. La mobilisation des Talibans et des chefs de tribus en Afghanistan n’était défendable même que pour obtenir une victoire sur le rival soviétique. On a constaté que la destruction d’une culture jeune et nationale ne s’est pas arrêtée avec la disparition de ce rival et que l’Afghanistan devint le théâtre des guerres entre les chefs de tribu et les talibans, ce qui s’inscrivait dans la stratégie d’agression à long terme de Washington. Même le retour à Kaboul de l’ancien roi n’a pas dénoué le conflit.

Aujourd’hui, l’Europe et l’Otan doivent réparer les erreurs commises par l’arrogance américaine. De même, en Irak, où vivaient depuis des siècles de manière pacifique et sur des territoires bien définis, les chiites et les sunnites, la présence de l’armée américaine a conduit à leur affrontement quotidien et des dizaines d’entre eux perdent la vie dans un conflit marqué par le fanatisme religieux3. Durant l’année dernière, les pertes dénombrées à travers cette guerre religieuse ont été plus lourdes que celles de l’armée américaine pendant trois ans de présence en Irak.

Le seul aspect positif de la présence des États-Unis dans les deux pays mentionnés a été le dévoiler le rôle véritable de l’armée, masqué depuis la guerre du Vietnam. Actuellement, le congrès américain, afin de justifier ses actes en tant que « maître du monde », tente de promulguer une loi qui autorise les actes inhumains commis par les militaires et les autorités civiles de ce pays afin que la presse américaine ne puisse plus dénoncer les exactions commises.

Washington tente clairement de modifier les frontières géographiques des pays d’Asie et d’Afrique et de transformer les identités des pays dont il convoite les ressources naturelles. Falsifier les identités religieuses et attiser les conflits ethniques et confessionnels sont devenus des prétextes pour réduire les frontières et permettre une domination plus aisée. Or, ce projet ne crée pas uniquement des conflits régionaux, il met en péril les intérêts historiques et à long terme des autres grands pays du monde. La puissance monopolistique mondiale ne peut se délimiter. L’Allemagne, au vingtième siècle, avait besoin d’un espace vital : la supériorité raciale en fut le principe dynamique.

L’Amérique de Monsieur Bush poursuit aujourd’hui le même chemin.

Il vise un monde régi sans conteste par Washington. Le condiment en est la revivification des Croisades et le face-à-face entre le « monde chrétien » et le « monde musulman ». Ceci fut théorisé dans les années quatre-vingt, par un professeur d’histoire des universités américaines, en vue de remplir le vide crée par la disparition du « bloc communiste »4. Au début du deuxième millénaire, Monsieur Bush en fut le porte-drapeau. Ainsi, ce projet avance, de manière précise et avec des objectifs prédéterminés, en vue de manipuler l’opinion publique, sans pour autant se soucier du fait que son messianisme n’est pas la préoccupation majeure des peuples en Asie et en Europe. Si l’on considère que le régime iranien, soucieux que le mouvement révolutionnaire ne penche vers l’Union soviétique et que le soutien des États-Unis et de l’Occident ne l’entraîne, in fine, à tomber entre les mains d’un groupe religieux entaché de terrorisme, en revanche la société iranienne a démontré depuis vingt-sept ans qu’elle n’est pas une société religieuse. Les autres peuples de la région se trouvent plus ou moins dans les mêmes conditions. Leurs préoccupations, dans la situation normale, ne sont guère confessionnelles. Seul, le climat politique dominant, renforcé par la puissance des médias, renforce cette idée.

Les principales préoccupations des peuples d’Asie comme ceux de l’Europe sont le pain, le travail, la sécurité et la liberté.

Il n’est aucun doute que l’Onu puise son crédit et sa force à travers ses membres. Chaque fois qu’un membre de cette Organisation se soustrait à ses décisions, il porte préjudice à son crédit5. Les rivalités entre les États se manifestent également au sein de cette organisation. Dans le monde bipolaire, les États-Unis étaient le leader du « monde libre ». Pendant près d’un demi-siècle ils soutenaient avec force le régime d’apartheid de l’Afrique du Sud, tandis que depuis deux siècles la discrimination raciale avait été abolie aux États-Unis. Les Blancs finirent par admettre l’égalité des droits entre les noirs et les blancs. Le problème fut ainsi résolu.

La politique de soutien des États-Unis à l’égard d’Israël est une autre scène de parade de la puissance américaine au sein de l’Organisation des Nations unies. Israël est un État créé par l’Onu. Or depuis sa création, il a fait fi, grâce au soutien américain, de toutes les résolutions et les décisions de l’Assemblée générale. Toutes les résolutions proposées au Conseil de sécurité ont également reçu le veto du représentant américain dans le cadre du soutien de son pays à Israël. Ainsi, un pays enfanté par l’Organisation des Nations unies, qui doit préserver la paix et l’intégrité territoriale de tous ses membres, ne cesse de défendre sa politique de territoires occupés et la nécessité de les garder en vue de sa propre sécurité. Il a ainsi mis en question l’existence de l’État de la Palestine, conduit à l’exil plusieurs millions de Palestiniens et a inscrit ce peuple dans l’Histoire comme symbole del’esclavage du vingtième siècle.

Tout ceci a été imposé par les États-Unis à ce peuple et l’Occident y consent en gardant le silence.

Dans son soutien à Israël, Washington a suspendu son adhésion à l’UNESCO – commission culturelle des Nations unies – et ne lui verse pas sa cotisation. De même, la cotisation des États-Unis n’a pas été versée depuis plusieurs années à l’Onu pour discréditer cette Organisation. C’est grâce à ces antécédents, que Messieurs Bush et Blair finissent pas contourner

l’Organisation des Nations unies pour attaquer l’Irak, un autre membre de cette Organisation ou pour modifier la carte géographique en vue de bâtir le « grand Moyen-Orient ».

L’attaque destructrice d’Israël contre le Liban, avec le soutien des États-Unis et sous prétexte de capture de deux de ses militaires, n’a pas conduit à une réaction contre l’agresseur. Elle s’inscrivait dans le même ordre d’idée que l’attaque contre l’Irak.

Pour redonner à l’Organisation des Nations unies le crédit qu’elle a perdu, il ne suffit pas d’ajouter quatre ou cinq membres permanents au conseil de sécurité et leur accorder le droit de veto.

Les statuts de l’Organisation ont été prévus pour un monde bipolaire. La fin de cette époque exige que ses statuts soient modelés en vue de les rendre conformes à la nouvelle situation mondiale. Il faut rappeler que la charte des Nations unies ouvre de larges perspectives. Elle fait référence aux

« peuples des nations unies » qui s’allient pour défendre la paix, la liberté et l’égalité. La présence de ces peuples dans l’Organisation, depuis la seconde guerre mondiale, n’est en fait qu’une présence nominale. Or, la principale réforme serait de rendre effective cette présence. Même dans le « berceau du libéralisme », les nouvelles quotidiennes démontrent que l’identité des peuples est différente de celle des États. Cette aliénation est plus forte dans les pays qui ont acquis leur indépendance après la guerre mondiale et où la domination du colonialisme est forte. Ces États profitent de leur qualité de membres de l’Organisation des Nations unies pour couvrir leur aliénation avec leurs peuples.

Cette aliénation est parfaitement visible dans le comité des droits de l’homme. Au sein de ce comité, grâce à la complicité entre les gouver­nements, les plaintes déposées contre le non-respect des droits de l’homme dans ces États restaient sans suite. La réorganisation et la création d’un nouveau comité ne peuvent y remédier.

Au lendemain de la création de l’Organisation des Nations unies, ses fondateurs avaient avancé l’idée d’enseigner la charte et son contenu à travers le programme scolaire des États membres. La création des associations de défense de l’Organisation des Nations unies est restée comme l’idée de l’enseignement scolaire de la Charte, lettre morte et toutes deux se sont réduites à de simples formalités dans le cadre des secrétariats des facultés de droit.

La rénovation de ce système de contacts, par le biais de la création d’un centre réunissant l’ensemble des associations de défense dans chaque pays peut jouer un rôle positif dans l’extension des objectifs de l’Organisation et l’établissement de contact direct avec les populations. Ce centre pourrait exiger une présence active dans le système éducatif en vue de présenter la charte, la déclaration, les commissions et les organes des Nations unies, surveiller leur mise en application et discuter des rapports présentés aux réunions saisonnières et annuelles.

Depuis le début du vingtième siècle, la question du désarmement et de l’interdiction de vente d’armes a été une préoccupation majeure des défenseurs de la paix et de l’instauration d’un ordre sans domination. Or, le seul résultat de leurs efforts a été le transfert du commerce d’armements du secteur privé au secteur public. Aujourd’hui, dans les transactions d’armes, les présidents de la république et les ministères sont vendeurs et acquéreurs. Le commerce d’armement est devenu un des fondements de la politique et du commerce international. Un commerce qui engloutit une part considérable des revenus nationaux des États et les empêche d’investir dans la rénovation et le développement. Un aperçu des chiffres de la vente d’armes des pays occidentaux, en particulier des États-Unis aux pays du Moyen-Orient démontre leur montant astronomique. Les pays acquéreurs profitent de ce commerce pour renforcer leur domination nationale et pour gagner la course aux armements dans leur région ainsi que pour renforcer leurs liens avec les pays vendeurs. Les vendeurs s’en servent pour développer leurs arsenaux. Naturellement, ces armes servent là où les politiques dominantes préconisent la nécessité d’un conflit régional. Aujourd’hui, la politique guerrière de l’Israël n’est pas le seul facteur de la course aux armements. D’autres facteurs, tels que l’amplification des conflits ethniques, le renforcement de faux nationalismes et l’incitation des fanatismes religieux, jouent leur rôle dans cette course et préparent le terrain à l’intervention des grandes puissances. Ben Laden, les Talibans et les pouvoirs idéologiques de la région ouvrent le chemin vers l’invasion de l’Asie centrale.

Parallèlement à ce commerce néfaste, le marché des stupéfiants, prend de l’ampleur dans les régions en proie à des crises. Lors des conflits dans le sud-Est asiatique, le foyer de ce commerce s’y trouvait au voisinage du Vietnam. Aujourd’hui, il s’est installé dans l’ouest asiatique, en Afghanistan et chez ses voisins. Un commerce infâme qui, depuis des années, a entaché les principaux acteurs des États de la région, des Premiers ministres aux commandants militaires.

Il n’a pas non plus épargné les groupes révolutionnaires anti-gouvernementaux qui y trouvent une source de financement pour leurs besoins en armements.

Même une part importante des dépenses des puissances étrangères est assurée par ce biais. Depuis des années l’Organisation des Nations unies tente d’endiguer le développement des stupéfiants, mais sans résultats tangibles. Car elle ne peut s’attaquer à la racine et des acteurs principaux de ce commerce.

Enfin, le partage du monde entre le Nord et le Sud, entre les pays développés et les pays pauvres et sous-développés, constitue une difficulté majeure et cruciale. Pour une domination absolue sur le Sud « sous-développé » et « condamné au sous-développement », toute la puissance américaine tente de redéfinir le vieil ordre géographique du Moyen-Orient. Elle tente de se débarrasser des autres rivaux dans la région. Ces derniers ne bougeront pas tant que leurs intérêts seront préservés et suivent du regard les pas destructeurs des États-Unis dans la région.

La dimension mondiale de la plupart des problèmes n’est incarnée par aucune organisation créée pour les gérer. Même l’Onu demeure distante par rapport aux difficultés dont les peuples du monde souffrent, de fait du désengagement des États membres à ne pas s’impliquer. Il est même nécessaire aujourd’hui, de clarifier ce qu’est l’Onu et le rôle qu’elle doit jouer. La nécessité d’adapter l’organisation aux concepts du XXIe siècles relatifs à la paix et la sécurité mondiale.

Dans ces conditions, toute tentative limitée aux volontés des États pour sortir l’Organisation des Nations unies de l’impasse actuelle, sera vaine et sans conséquence. Sauf si ce renouvellement s’effectue par l’introduction d’un nouveau facteur, oublié depuis soixante ans : les « peuples des nations unies ». Ce facteur intervient aujourd’hui de manière pacifique, dans les cadres nationaux et à travers le monde, en tant qu’« alternative » face aux parades des néo­conservateurs du monde, contre la « globalisation » mondiale. Même si elle semble prématurée, la connexion entre les réformes structurelles de l’Organisation des Nations unies et ce mouvement populaire, constitue l’unique chance de sauver l’Organisation face au piège étendu par les néo-conservateurs mondiaux centrés aux États-Unis qui consiste à renouveler la loi de la jungle dans les relations internationales.

Plus de six milliards d’individus de la population mondiale ont le droit et le pouvoir d’imposer leur volonté à une petite minorité de néo-conservateurs mondiaux qui détiennent le pouvoir. Sans doute, les Américains eux-mêmes joueront un rôle principal dans ce domaine. Lorsqu’elle sera en mesure de s’appuyer sur les peuples des pays membres, l’Organisation des Nations unies s’approchera véritablement de sa charte et de sa raison d’être et dirigera le monde vers la sécurité et l’éradication des conflits.

Qu’il soit ainsi !

* Président de l’Institut International d’Études Stratégiques – Paris.

Notes

  1. Frédéric Lefay, L’Onu, Paris, PUF, 2003, p. 56.
  2. Samantha Power, « Pour nous sauver de l’enfer : réformer les Nations unies », Le Monde diplomatique, septembre 2005.
  1. notre article, « Le rôle déterminant de l’Europe à cette période historique » in Géostratégiques n° 8, juillet 2005.
  2. Pierre-Édouard Deldique, Fin de partie à l’Onu, Lattès, 2005, p. 28.
  3. Géostratégiques, « La politique américaine au  »Grand Moyen-Orient » », n° 9, octobre 2005.

Vr. également, le numéro de la Documentation française consacré à l’Onu : L’Onu à l’épreuve, 2005.

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