L’ingénierie démocratique appliquée à l quée à l quée à l’Irak de l’avant et de l’après-guerre

par Troy DAVIS

Géostratégiques N°7 -Avril 2005

Des développements récents dans plusieurs pays (nouvelle
élection présidentielle en Ukraine sous la pression populaire,
élection présidentielle libre et honnête en Palestine,
démission surprise du gouvernement pro-syrien au Liban, demande du
Président Moubarak d’amender un article de la Constitution en Egypte,
élections municipales en Arabie Saoudite etc.) ont amené des politiciens
et commentateurs en faveur de la guerre d’Irak à justifier leur approche
martiale de promotion de la démocratie.
Oublions pour l’instant le fait que les gouvernements américain et
britannique n’ont pas – en fait – officiellement utilisé l’excuse de la promotion
de la démocratie comme justification de la guerre contre l’Irak. On sait que
George Bush et Tony Blair l’ont justifiée par des assertions au sujet d’armes
de destruction massives qui – à ce jour – n’ont pas pu être prouvées. On
connaît la phrase de Paul Wolfowitz qui dit dans Vanity Fair (Juin 2003)
que l’argument des ADM fut le seul sur lequel l’administration américaine
puisse se mettre d’accord pour des « raisons bureaucratiques ».
Acceptons pour les besoins de ce papier que la promotion de la
liberté et de la démocratie ait vraiment été une des motivations principales
de la guerre d’Irak (ce fut au moins, à mon avis, la motivation des rares
intellectuels Français qui aient soutenu cette intervention armée).
La grande question reste encore « Y-a-t-il d’autres moyens de
renverser un régime non-démocratique que par la guerre, et si oui,
lesquelles ? ». Cette question peut être posée de manière générale et
de manière spécifique pour l’Irak de Saddam Hussein.

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J’essayerai d’y répondre en prenant l’Irak comme exemple, en
présentant une alternative basée sur un « théorème » géopolitique en
contradiction avec le système dominant, et une nouvelle méthode –
l’ingénierie démocratique1
– qui reste d’une aide précieuse pour formuler
une politique pour l’essor d’une démocratie optimale en Irak (même et
surtout après les élections de janvier 2005).
Cette question peut aussi être posée de la manière suivante :
« Aurait-on pu atteindre le même résultat qu’aujourd’hui, et – a fortiori
– faire mieux, sans le gâchis de dizaines de milliers de morts et de
centaines de milliards de dollars dépensés? » Autrement dit, si on adopte
une attitude rationnelle, il n’est pas suffisant de dire « Voyez, cette
guerre a quand même eu des effets bénéfiques », comme les ‘‘proguerre’’
le font sans comparer les coûts et les alternatives.
En tant que politicien ou citoyen responsable, il faut se poser la
question des coûts et bénéfices des solutions alternatives non mises en
oeuvre (en terme économique anglophone ‘‘opportunity cost’’). Il est
indéniable que la guerre a eu quelques conséquences positives en plus
des négatives, mais aurait-on pu atteindre les mêmes conséquences
favorables et – de surcroît – réduire les défavorables, à moindre coût
humain et financier ?
Quand on pose la question de manière directe, la réponse semble
– intuitivement – évidente : « Bien sûr, il existe d’autres moyens plus
efficaces que la guerre de promouvoir la démocratie ou renverser un
dictateur ». Pourtant la réponse n’était pas claire avant la guerre, et ne
l’est toujours pas aujourd’hui puisqu’on voit les ‘‘pro-guerre’’ se moquer
des ‘‘anti-guerre’’ en prétendant que ces derniers sont maintenant bien
embarrassés du succès apparent (même relatif) de la stratégie des
néo-conservateurs américains.
Et les ‘‘anti-guerre’’ en 2005 ne disent rien de plus que ce
que l’on entendait en 2002, c’est-à-dire une politique qui, comme
un tic obsessionnel, met l’ONU au centre de toute action, sans
réfléchir aux contradictions inhérentes en ce qui concerne la
promotion de la démocratie2 ; une politique qui, in fine, revenait
à protéger Saddam (avant la guerre), ou revient à condamner
les braves ONUsiens et autres humanitaires à se faire tuer (après
la guerre).

L’ingénierie démocratique appliquée à l quée à l’Irak de l’avant et de l’après-guerre 205
Les arguments des ‘‘anti-guerre’’ sont surtout du type « Mais
pourquoi Saddam et pas les autres, et pourquoi à ce moment-là et pas
à un autre ? » Evidemment, les justifications des Etats-Unis sont
arbitraires et révèlent un narcissisme politique dû au réveil brutal, le 11
septembre 2001, d’un rêve d’immunité absolue aux effets d’un système
mondial semi-chaotique fondamentalement basé sur la loi de la jungle3
.
Mais les ‘‘anti-guerre’’, sous le prétexte qu’ils n’ont pas trouvé de
méthode de promotion de la démocratie, préfèrent s’en remettre à un
ordre mondial arbitraire qui perpétue les dictatures partout. Leur
argument est l’équivalent moral de ceux qui diraient « On ne va rien
faire contre la criminalité parce qu’il est impossible d’attraper tous les
criminels ». On voit que cet argument n’est pas valable.
Mais cela veut-il dire que le Président Bush avait raison ? Pas du
tout. Cela ne serait le cas que si nous acceptions une vision binaire du
monde, un monde où on serait soit pour la liberté et la guerre, soit pour
la paix et les dictateurs. Cette version manichéenne propagée par les
‘‘pro-guerre’’ n’a jamais été intellectuellement démenti de manière
convaincante par les ‘‘anti-guerre’’, qui n’ont pas proposé de scénarios
plausibles pour se débarrasser de Saddam Hussein sans guerre préventive.
La géopolitique n’est pas nécessairement binaire et il existait au
moins un scénario plausible qui aurait permis de se débarrasser de
Saddam Hussein, bien que cela soit impossible à prouver a posteriori.
Ce qui est plus intéressant, est que ce scénario, a été construit à l’aide
d’une démarche rigoureuse, en utilisant très peu de principes
fondamentaux (ou si l’on veut d’axiomes arbitraires), et en utilisant
une méthode de résolution de problèmes quasi-scientifique baptisé
« ingénierie démocratique ».
La puissance de cette théorie et de cette méthode est démontrée
par le fait que le résultat auquel on arrive pour le cas d’avant-guerre
(que j’ai élaboré en septembre 2002) est utilisable dans l’état en 2005.
ELECTIONS ET GUERRE CIVILE ?
On connaît l’amateurisme des forces occupantes, de M. Bremer
et des plus grands experts américains en démocratie, des changements
de cap et de stratégie incessants. Ces changements incessants étaient

206 L’ingénierie démocratique appliquée à l quée à l’Irak de l’avant et de l’après-guerre
dûs à l’absence – ce qui demeure vrai à ce jour – de compréhension
profonde de la situation et du manque d’une théorie d’ingénierie
démocratique. C’est pourquoi les élections étaient un pari très risqué
qui aurait facilement pu – et pourrait encore facilement – créer plus de
problèmes qu’en résoudre en faisant un « arrêt sur image » d’une
situation politique injuste.
La vue de millions d’Irakiens allant aux urnes (ce qui a été répété
comme argument massue de justification de la guerre) n’était pas
surprenante pour quiconque comprend la psychologie humaine et un
peu l’Irak, et ne doit pas cacher les insuffisances de ce scrutin et les
plaintes, nombreuses et détaillées, des Turcs, Syriens, etc.
Ce qui pour l’instant sauve l’Irak d’une guerre civile est à mettre
au crédit non pas de la vision de M. Bush et de la dextérité politique
des Américains, mais plutôt du crédit dont bénéficie l’idée de démocratie
et de légitimité auprès des Irakiens (ce que les ‘‘pro-guerre’’ ont toujours
affirmé et ce en quoi ils avaient raison), de la retenue politique
extraordinaire des chiites (et surtout de l’Ayatollah Al-Sistani) et de
l’attitude de l’Iran qui voit d’un bon œil un Irak unifié et démocratique.
Mais la maladresse des occupants et l’absence de processus
intelligent de négociation d’un contrat social et constitutionnel fondamental
du peuple irakien, a comme conséquence concrète que la condition du
retrait des troupes étrangères (la stabilité) est impossible à remplir.
Un exemple concret est la myopie des Kurdes dont les avantages
politiques dépendent directement de leur statut d’alliés privilégiés des
Etats-Unis, et qui – selon les Turcs – en ont tellement abusé que seule la
présence américaine empêcherait un bain de sang.
LES PRINCIPES ‘‘AXIOMATIQUES’’ FONDAMENTAUX
L’ingénierie démocratique en tant que telle, n’est qu’un outil, une
démarche scientifique, qui peut être bien ou mal utilisée, comme on
peut être un bon ou un mauvais ingénieur civil ou électronicien. Il faut
distinguer entre les principes internes à l’ingénierie démocratique, et
les principes fondamentaux politiques (‘‘axiomatiques’’ et donc
arbitraires) sur lesquels on se base. Les principes internes sont similaires
à ceux de n’importe quelle ingénierie4
.

L’ingénierie démocratique appliquée à l quée à l’Irak de l’avant et de l’après-guerre 207
La technique de l’ingénierie démocratique est indépendante des
principes que l’on utilise mais le succès de la méthode dépend aussi
des principes ‘‘axiomatiques’’.
J’utilise deux principes ‘‘axiomatiques’’ qui sont brièvement:
1. la souveraineté politique appartient au peuple
2. tous les êtres humains sont égaux en dignité
humaine et en droits.
Ces principes sont bien connus (le deuxième est un abrégé de
l’Article 1 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme) et pourtant
l’ordre mondial actuel est basé sur leur contraire. Il est important de
comprendre que ces principes sont totalement arbitraires. On aurait pu
choisir, comme cela a été le cas à 95% dans l’Histoire, de dire que la
souveraineté politique appartient aux monarques et que les êtres
humains sont divisés en races inférieures et supérieures.
QUEL AURAIT ÉTÉ L’IDÉAL ?
Comment dans le cas de l’Irak se débarrasser de Saddam Hussein ?
Voyons d’abord quel aurait été le cas idéal pour ensuite essayer de
trouver un moyen d’y arriver. Idéalement, Saddam Hussein aurait perdu
le pouvoir sans guerre, et un gouvernement démocratique transitoire
aurait immédiatement pris la succession et organisé un processus
politique pour que le peuple irakien puisse surmonter le traumatisme
de décennies de guerre, de dictature, d’embargo, etc. (en incluant un
procès public de Saddam pour établir la vérité)5
.
On se rappelle qu’avant la guerre, les espoirs les plus irréalistes
avaient été nourris, qu’un proche de Saddam le tuerait, ou qu’il irait en
exil intérieur ou extérieur sous les pressions conjuguées occidentales
et arabes6
. Ces hypothèses faisaient fi des précautions et de la
psychologie de Saddam et violaient le premier principe cité ci-dessus
(que nos actions doivent être basées sur le principe de la souveraineté
du peuple, pas sur celui de l’arbitraire des puissants).
Mais supposons que Saddam ait été tué ou ait choisi de partir, qui
l’aurait remplacé ? Quelles garanties y aurait-il eu que l’Irak devienne
démocratique et que Saddam ne soit pas simplement remplacé par un

208 L’ingénierie démocratique appliquée à l quée à l’Irak de l’avant et de l’après-guerre
autre dictateur, un peu plus « souple» peut-être envers les Etats-Unis
mais tout aussi meurtrier pour son peuple ?
La clé pour trouver une meilleure alternative est d’abord, de bien
intégrer dans notre stratégie le fait que Saddam fondamentalement
n’était pas légitime. Il violait le premier principe. Le soutien effectif de
la France et d’autres pays à Saddam n’était pas dû à l’amour d’un
dictateur mais à l’amalgame malsain qui associait Saddam à la
souveraineté de l’Irak, qui associait la personne Saddam Hussein à
l’Etat de l’Irak, lui-même supposé représenter le peuple Irakien. Les
diplomates du monde entier, habitués au système mondial (féodal) qui
nie la souveraineté des peuples et qui est basé sur l’incarnation des
peuples par leurs Chef, identifiait Saddam à l’Irak en tant que nation.
En fait, le Roi était nu mais personne n’osait le dire.
La réalité est que la légitimité d’un Etat dans notre système mondial
obsolète n’a strictement rien à voir avec sa légitimité interne
démocratique, le respect de ces propres citoyens, des droits de l’Homme
etc. Un Etat est légitime si d’autres états le reconnaissent
diplomatiquement (même si, par ailleurs, c’est une dictature sanglante).
Ce fait évident aux diplomates, politiciens et chercheurs, est très
surprenant pour le citoyen de base qui prend de plus en plus pour
argent comptant les discours des politiciens et des diplomates sur le
respect des droits de l’Homme et de la démocratie.
Mais cette dissonance commence à faire réfléchir certains, d’où le
débat ces dernières années sur le « droit d’intervention humanitaire »,
qui devient pour d’autres le « devoir d’ingérence humanitaire » ou le
« droit de protéger ». Malheureusement, les défenseurs de ces droits
restent dans le cadre mondial existant et donc leurs propositions sont
bancales car en restant dans l’Ancien Régime mondial, ils ne donnent
pas de réponses satisfaisantes aux questions les plus importantes : qui
intervient ? Dans quelles conditions ? Comment ? Avec quels moyens ?
etc. Car sans source de vraie légitimité mondiale, ces droits sont
facilement abusés et deviennent des paravents pour les actions
arbitraires des puissants7
.
Une fois qu’on a intégré l’idée que Saddam n’est pas légitime, le
problème est plus simple : il revient à trouver un moyen de séparer
Saddam de l’Etat/la nation Irakienne. Car la seule vraie défense de
Géostratégiques N°7 -Avril 2005
L’ingénierie démocratique appliquée à l quée à l’Irak de l’avant et de l’après-guerre 209
Saddam contre une attaque était de se cacher derrière d’autres concepts,
eux légitimes. Il disait (et on le croyait stupidement) « A travers moi,
ils attaquent primo l’Irak/le peuple irakien, secundo, ils attaquent le
monde arabe, tertio, le monde musulman, quarto, le tiers-monde en
général. »
SÉPARER SADDAM DE SON PARAVENT DE LÉGITIMITÉ
Donc l’esquisse de notre solution idéale devient claire : il fallait
concevoir un moyen de séparer Saddam des symboles derrière lesquels
il se cachait. Autrement dit, il fallait démontrer à la face du monde que
le Roi était bien nu.
Les diplomates savent tous cela mais détestent innover et faire
quoi que ce soit qui remette en cause l’ordre mondial dont ils sont
tributaires et gardiens. Théoriquement, se débarrasser de Saddam (ou
n’importe quel dictateur qui dépend un tant soi peu du monde extérieur)
est très simple : il suffit que les diplomaties du monde entier cessent
de reconnaître le dictateur en question. Puisque la légitimité d’un Etat
ne dépend pas stricto sensu en politique internationale de sa légitimité
interne démocratique, si le monde refusait de reconnaître un dictateur,
ses jours seraient rapidement comptés.
Dans le cas de l’Irak avec son développement économique avancé,
ses relations économiques multiples, ses ministres et ambassadeurs
qui ont besoin de voyager, cela aurait marché rapidement. Mais le hic
est que la plupart des pays du monde ne sont pas eux-mêmes des
démocraties (donc ils ne veulent pas créer un fâcheux précédent qui
pourrait se retourner contre eux) et la plupart des grandes démocraties
sont schizophrènes, parlant de démocratie chez elles mais tolérant
l’intolérable ailleurs.
Bien sûr, le précédent d’une guerre préventive justifié par des
informations fausses est beaucoup plus dangereux que de faire basculer
des dictateurs sans guerre mais l’ordre mondial n’est pas
‘‘normativement’’ moral.
Dans la pratique, on n’a pas besoin à 100% des autres pays pour
que cette démarche (qui est la « bombe nucléaire diplomatique »)
fonctionne. Concrètement, si les pays démocratiques ‘‘pro’’ et ‘‘anti-

210 L’ingénierie démocratique appliquée à l quée à l’Irak de l’avant et de l’après-guerre
guerre’’ s’étaient mis d’accord, cela aurait pu marcher. Le vrai problème
est d’ordre psychologique plus qu’autre chose, quand des diplomates,
même Français, Russes et Chinois « préfèrent » que les Etats-Unis
fassent la guerre à l’Irak plutôt que de suggérer un accord pour retirer
la reconnaissance diplomatique à un dictateur sanguinaire. Ceci montre
la profondeur du problème, quand des personnes extrêmement
intelligentes sont tellement conditionnées dans un paradigme spécifique
qu’elles ne sont plus capables de suggérer des issues logiques à un
problème.
Car si on fait la guerre, on reste dans l’Ancien Régime mondial
anarchique (basé sur l’arbitraire des Monarques/Chefs d’Etats), alors
que si on commençait à considérer des solutions basées sur la
souveraineté des peuples, on remettrait l’ordre mondial lui-même en
question.
Donc prenant en compte la myopie des chancelleries incapables
de retirer à un dictateur sa reconnaissance diplomatique pour la « raison
» insuffisante qu’il assassine ses propres citoyens à grande échelle,
nous devons trouver un moyen de les y forcer politiquement.
Comment le faire ? Pour cela, voyons quelles objections potentielles
les diplomates nous auraient opposées :
 pourquoi soudainement ne pas reconnaître Saddam
Hussein et pas tous les autres dictateurs ? autrement dit,
selon quels critères décider quand on reconnaîtra ou pas ?
et,
 si on suivait ce conseil, le gouvernement s’effondrerait
probablement, et il pourrait y avoir une guerre civile, un
bain de sang etc.
La première objection est valable en général et mérite un autre
papier, mais c’est là que les ‘‘anti’’ auraient dû être pragmatiques face
à une administration américaine idéologiquement arrogante, simpliste,
et décidée à faire la guerre coûte que coûte, que cette proposition était
mieux qu’une guerre, même si elle n’était pas totalement cohérente.
La deuxième objection est très concrète et nous donne la marche
à suivre. Pour que le monde ne reconnaisse plus le gouvernement

L’ingénierie démocratique appliquée à l quée à l’Irak de l’avant et de l’après-guerre 211
illégitime de Saddam, il fallait que le monde ait un choix ; donc il fallait
qu’il existe un autre gouvernement irakien plus légitime que celui de
Saddam. Opérationnellement, la solution revenait au problème de
comment créer un deuxième gouvernement irakien qui puisse disputer
la palme de la légitimité à celui de Saddam.
LA CRÉATION D’UN GOUVERNEMENT PLUS LÉGITIME
Les circonstances en Irak faisaient qu’il aurait été impossible de
créer une alternative gouvernementale dans les territoires que Saddam
contrôlait. Donc ce gouvernement ne pouvait être qu’un gouvernement
provisoire, transitoire, peut-être en exil mais pratiquement parlant, il
aurait pu avoir son siège dans le Nord, protégé par les sorties aériennes
américano-britanniques.
Quelles devaient être les caractéristiques de ce gouvernement ?
Il devait posséder une légitimité maximale dans les circonstances, et
pour cela, il devait bénéficier de la confiance des irakiens (même
incapables de s’exprimer librement) et de l’opinion publique mondiale.
Avant de voir comment – concrètement – ce gouvernement aurait
pu être créé, ce qui d’ailleurs est de la même manière, dont le
gouvernement actuel devrait être créé, imaginons que ce gouvernement
existe et voyons comment le monde aurait été différent.
D’abord, ce gouvernement aurait été créé publiquement, c’est-à-
dire au vu et su de la planète entière, sous les caméras de télévision de
TF1, de la BBC, de CNN, Al-Jazira, Al-Arabiya etc. C’est la condition de
sa légitimité publique, et de la confiance politique qu’il doit inspirer.
C’est également, un contraste voulu avec l’opacité du « vieux »
gouvernement irakien.
Imaginons donc après ce processus public, que le nouveau
président (ou les co-présidents selon les décisions de l’assemblée
constitutionnelle transitoire) juste après son élection tienne ce discours
en direct à l’attention du monde entier : « Vous venez de voir la naissance
d’un gouvernement d’opposition démocratique provisoire de l’Irak. Nous
sommes le seul gouvernement légitime de l’Irak et Saddam Hussein
n’est plus qu’un simple citoyen qui, s’il refusait de partir maintenant,
usurperait la souveraineté du peuple Irakien que nous représentons

212 L’ingénierie démocratique appliquée à l quée à l’Irak de l’avant et de l’après-guerre
maintenant de manière provisoire. Nous savons que cette représentation
est imparfaite mais ceci n’est pas de notre faute puisque l’Irak n’est
pas encore libre, et nous promettons aujourd’hui solennellement qu’une
fois à Bagdad, nous engagerons un vaste processus démocratique
pour rédiger une nouvelle constitution et organiser des élections
libres. Aux gouvernements et citoyens du monde, nous demandons
de nous reconnaître formellement en tant que seul gouvernement
légitime de l’Irak ; à l’ONU, nous demandons de nous donner le
siège de l’Irak, et à Saddam Hussein, nous demandons de quitter
immédiatement la présidence pour laisser la voie libre au nouveau
gouvernement. Nous ne voulons pas la guerre, car c’est notre pays
et nos familles qui sont en jeu, et nous voulons tout faire pour l’éviter,
mais si Saddam refuse, nous en appellerons au monde entier de
nous soutenir pour libérer l’Irak».
Ce discours aurait eu plusieurs effets : il aurait mis sous pression
politique les gouvernements du monde entier dont les opinions publiques
auraient relayé cette demande de reconnaissance diplomatique. Autant
les chancelleries ne l’auraient jamais fait d’elles-mêmes, autant elles
ne pourraient refuser de le faire dans ces conditions, surtout quand on
se rappelle la profondeur du sentiment anti-guerre en 2002 et 2003.
On voit mal comment l’opinion publique mondiale (qui ne connaît
pas les arguties des diplomates) ne se serait pas rangée derrière un
gouvernement d’opposition démocratique irakien, surtout si cela pouvait
éviter une guerre. Même Bush aurait été embarrassé et les citoyens
américains aurait exigé la reconnaissance diplomatique immédiate du
nouveau gouvernement. D’ailleurs, les néo-conservateurs ne s’y seraient
pas opposés puisqu’en 1998, ils avaient écrit une lettre au Président
Clinton lui demandant de soutenir la création d’un gouvernement
d’opposition, et que ce sont les diplomates traditionalistes et la CIA qui
s’y sont opposés (pour la bonne raison que les néo-conservateurs voulait
un gouvernement fantoche dirigé par Ahmed Chalabi).
Mais l’idée de base de créer un gouvernement d’opposition
démocratique n’est ni impossible, ni illégale, ni dépourvue de
‘‘plausibilité’’.
Dans le meilleur des cas, le gouvernement de Saddam se serait
effondré de lui-même assez rapidement au fur et à mesure de sa perte

L’ingénierie démocratique appliquée à l quée à l’Irak de l’avant et de l’après-guerre 213
de reconnaissance diplomatique. C’est dans ces conditions-là que
les suppositions précédemment utopistes d’assassinat par un proche
ou d’exil deviennent plus plausible. Dans le cas d’un assassinat de
Saddam, les précautions dont il s’entourait font que personne
n’aurait osé, surtout sans assurances quelconque de sa survie
physique et politique. Puisqu’un assassin potentiel aurait dû opérer
dans le plus grand secret, il n’aurait pas pu espérer vivre longtemps,
ni avoir un avenir politique, sans appuis extérieurs8
. Mais qui donc
à l’extérieur pouvait donner une quelconque garantie politique à
long terme? Qui sinon un gouvernement irakien possédant une
véritable légitimité, seule garantie politique qu’une promesse soit
tenue? Ni les Etats-Unis, ni l’UE, ni l’ONU, ni la Ligue Arabe ou
aucun autre gouvernement étranger n’aurait pu donner de garantie
à un assassin de Saddam.
Imaginons donc une autre partie du discours du nouveau Président
irakien : « A tous ceux autour de Saddam Hussein, je vous rappelle
que désormais, il n’est plus président et que vous devez allégeance au
nouveau gouvernement. Ceux qui obéiront au nouveau gouvernement
ne seront pas poursuivis pour leurs actions dans l’ancien gouvernement;
les autres le seront. Je vous donne donc l’ordre formel de coopérer
avec nous pour une passation de pouvoir en douceur et sans violence.
Si le simple citoyen Saddam Hussein refusait de coopérer, je vous autorise
et vous ordonne de le mettre immédiatement aux arrêts. »
A ce moment-là, Saddam Hussein, connu pour sa paranoïa, son
obsession sécuritaire, et sa soif de survie, aurait été piégé. Il n’aurait
plus pu faire confiance qu’à très peu de gens, car même si ses proches
n’obéissaient pas au nouveau gouvernement, il ne pouvait pas en être
totalement sûr et donc se serait isolé de plus en plus, ce qui rendait
l’exercice du pouvoir impossible à terme. Le temps aurait donc joué
contre Saddam Hussein.
On peut aussi facilement imaginer que des populations entières
se soient soulevées, et que l’armée et les services secrets aient suivi
en majorité les ordres du nouveau gouvernement. Un phénomène
analogue s’est produit en Serbie en 2000, en Ukraine en 2004 et au
Liban cette année, quand l’armée et/ou les services secrets n’ont pas
suivi des ordres des gouvernements au pouvoir ni réprimé des
manifestations populaires.

214 L’ingénierie démocratique appliquée à l quée à l’Irak de l’avant et de l’après-guerre
C’est aussi à ce moment-là que la probabilité que Saddam accepte
de quitter le pouvoir avant qu’il ne soit tué aurait été la plus grande. Si
le nouveau gouvernement avait dit que Saddam pouvait encore partir
en exil, il aurait probablement cherché un asile.
On voit que l’existence même d’une alternative plus légitime
au gouvernement de Saddam Hussein aurait changé la donne
pour le mieux. Au pire des cas, ce gouvernement n’aurait pas eu
le succès escompté mais pourquoi se priver d’une chance réelle
de succès ?
Dans le pire des cas, même si le gouvernement n’avait qu’une
reconnaissance limitée, et si Saddam continuait à le défier, le
nouveau gouvernement aurait lancé un ultimatum direct à Saddam
en menaçant d’appeler à l’aide ses alliés. (sous-entendu les EtatsUnis).
Si Saddam avait continué à résister, le gouvernement aurait
formellement déclaré la guerre à Saddam Hussein (en tant que
personne, pas en tant que représentant de l’Irak naturellement) et
demandé de l’aide.
On aurait assisté à la même guerre, probablement en encore plus
court car la population aurait probablement aidé les Américains qui
auraient été là non en tant qu’envahisseurs, mais en tant qu’alliés du
gouvernement concurrent irakien. Mais il y aurait eu des différences de
taille. Premièrement, cela aurait été une guerre « classique » entre 2
gouvernements se disputant un seul pays, donc pas de guerre
préventive, pas de précédent dangereux pouvant être exploité par l’Inde
ou le Pakistan l’un contre l’autre, par la Russie contre ses voisins, par la
Chine contre Taiwan etc. Donc, cela n’aurait pas été une guerre illégale
selon la charte de l’ONU.
Le monde entier aurait applaudi la lutte du nouveau gouvernement
et, comble de l’ironie (puisque Bush n’a jamais même publiquement
évoqué ce scénario plus favorable alors qu’il aurait dû le faire de la
tribune des Nations-Unies), les Américains auraient vraiment été
accueillis comme libérateurs comme s’y attendaient naïvement les néoconservateurs,
et donc ils auraient continué à bénéficier du capital mondial
de sympathie post-9-11, et au lieu de dépenser $300 milliards, il s’en
seraient sortis à moins de $100 milliards, probablement $50 milliards (ou
seulement quelques milliards dans le scénario optimal sans guerre).

L’ingénierie démocratique appliquée à l quée à l’Irak de l’avant et de l’après-guerre 215
Deuxièmement, il n’y aurait pas eu d’occupation formelle du tout,
puisqu’un gouvernement irakien provisoire existait déjà. Et puisque ce
gouvernement aurait évité les énormes erreurs de Paul Bremer et autres,
et aurait tout de suite commencé un processus politique de renouveau
démocratique national, on aurait donc pas eu la guérilla, ni les problèmes
de sécurité, de destruction d’infrastructures, etc.
Bref, au lieu d’avoir des élections bancales en janvier 2005, on
aurait eu des élections correctes en janvier 2004 déjà, et on aurait eu
les élections sous la nouvelle constitution finalisée en janvier 2005.
N’oublions pas que ce scénario qui semble être trop beau pour
être vrai est en fait le pire des cas, puisque dans le meilleur des cas, on
aurait eu les mêmes résultats mais sans guerre du tout.
LE PROCESSUS DE CRÉATION DU NOUVEAU GOUVERNEMENT
Les scénarios ci-dessus reposent sur le fait que le nouveau
gouvernement soit – et soit perçu comme – le gouvernement le plus
légitime possible, étant données les circonstances. Comment le créer ?
La méthode de création de ce gouvernement est la même qu’on
soit avant ou après la guerre, qu’on soit à Salahuddin en 2002 ou
Bagdad en 2005.
L’important est de concevoir un processus démocratique de
négociation. Dans tous les cas, on ne peut pas imaginer un processus
adéquat si on ne se rend pas compte que ce processus ne doit pas être
seulement politique, mais aussi psychologique. Ceci, car le peuple irakien
en tant que tel est littéralement traumatisé, par plusieurs guerres, un
embargo de 10 ans, par la dictature etc. Si l’Irak doit rester uni et en
paix, ceci ne peut se passer que si les irakiens négocient entre eux
un nouveau contrat social, civique et politique. Il faut que les irakiens
créent un patriotisme constitutionnel, car tout patriotisme
traditionnel, donc basé sur une appartenance communautaire
quelconque, ne ferait que les diviser9
. Le fait de ce traumatisme
explique aussi la nécessité que ce processus, que j’appelle ingénierie
constitutionnelle démocratique, soit conçu de telle manière à permettre
une catharsis de masse, pour surmonter les souffrances profondes de
millions de personnes.

216 L’ingénierie démocratique appliquée à l quée à l’Irak de l’avant et de l’après-guerre
Si cette catharsis ne s’effectue pas, le résultat final ne sera pas
‘‘robuste’’ et les risques de contestation des personnes et décisions,
voire de violence, seront plus grands. Que veux-je dire par un résultat
robuste ? Je décris par là un nouveau contrat social de la nation irakienne,
qui se traduise : d’une part, par une Constitution à laquelle adhèrent
l’extrême majorité des citoyens, et même ceux qui ne seraient pas
d’accord avec tous les détails, seraient convaincus que le processus
aura été fair-play, et que, donc, on se battra politiquement et non
militairement, d’autre part, par des accords politiques solennels pris en
ayant le peuple irakien tout entier comme témoin.
Le résultat final sera de toute évidence un compromis, mais
comment faire pour qu’un compromis tienne la route, si en plus, le
peuple n’a pas fait confiance au processus qui l’a créé ? Si le processus
n’est pas public, les pires rumeurs et accusations seront crédibles : un
politicien ou un autre serait corrompu ou un agent extérieur.
En un sens, il faut que les délégués constitutionnels qui négocient,
le fassent ouvertement et devant le peuple tout entier, donc que les
débats soient tous publics, retransmis en direct à la TV, la radio et sur
Internet, et sauvegardé pour la postérité. Comme je l’ai dit dans l’article
du dernier numéro sur l’ingénierie démocratique appliqué au processus
de paix israélo-palestinien, « si les négociations, comme c’est le cas dans
la diplomatie, étaient secrètes, elles perdraient tout effet thérapeutique ».
Ceci est donc une caractéristique de l’ingénierie démocratique,
elle ne peut se dérouler dans le secret, même si sa préparation initiale
peut être confidentielle. Le côté public est la garantie de son intégrité
et de la confiance des populations dans le processus.
Concrètement, que l’on parle de la création d’une Constitution
provisoire et d’un gouvernement provisoire avant-guerre, ou d’une
constitution et d’un gouvernement intérimaire après-guerre, qui prépare
des élections à une assemblée constituante finale, on aboutit à la même
conclusion : il faut que le processus soit une assemblée nationale
‘‘inclusive’’, qui négocie ouvertement et publiquement, dont la durée
soit suffisante pour aller au fonds des choses (plusieurs mois).
Pour finir, voici certaines des suggestions concrètes pour
l’assemblée constitutionnelle irakienne qui vient de sortir des élections,

L’ingénierie démocratique appliquée à l quée à l’Irak de l’avant et de l’après-guerre 217
au-delà des suggestions générales. Les concepteurs du processus
doivent penser comme des chorégraphes politiques, des metteurs en
scène qui permettent à la tragédie irakienne de se résoudre par une
catharsis politique collective.
Suggestions pour se rapprocher des citoyens :
 La convention devrait se réunir dans différentes grandes
villes, et rester 2 à 3 semaines dans chaque ;
 La convention devrait consacrer une journée par semaine
à l’écoute des citoyens ;
 Une manière de sélectionner les citoyens qui parleront à
la convention serait de permettre à tout citoyen Irakien, à
partir de 12 ans, de demander un billet de « loterie
constitutionnelle » dans sa mairie, et toute les semaines,
le bureau de l’Assemblée choisirait en direct une
cinquantaine de personnes à venir parler 5 minutes au
maximum devant la convention.
Une chose très importante pour augmenter la sécurité est la
communication du processus. Il faut que l’Irak, et le monde entier,
sache en détail et à l’avance ce que l’Assemblée compte faire, comment
elle compte le faire et pourquoi. Expliquer en détail le pourquoi et le
comment d’un processus démocratique, est la meilleure manière de
diminuer les violences, même des extrémistes, qui ont besoin de
justifications idéologiques basées sur l’idée que ce sont les étrangers,
et non les irakiens, qui tirent les ficelles en coulisses. Cette
communication est aussi la meilleure manière d’accélérer le départ des
troupes étrangères.
C’est là où l’Europe pourrait aider le processus et jouer un rôle
constructif dans un Irak qui se construit lui-même. Par exemple,
l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (qui partage une
frontière avec l’Irak) pourrait inviter les conventionnels irakiens et des
représentants d’autres communautés sous-représentées (sunnites,
Turcs, Syriens…) dans son hémicycle, pour une session d’ouverture
hautement symbolique (après l’ouverture officielle à Bagdad).
Ce serait un magnifique symbole de voir les Chefs d’Etats
européens, des pays ‘‘pro’’ et ‘‘anti-guerre’’, Chirac, Blair, Schröder et

218 L’ingénierie démocratique appliquée à l quée à l’Irak de l’avant et de l’après-guerre
même Putin, s’adresser à 400 irakiens et irakiennes, sur le lieu même
de la réconciliation européenne, sur le lieu ou une démocratie commune
a finalement rendu la guerre obsolète. Et dans l’esprit d’une
réconciliation transatlantique et d’une coopération démocratique pour
l’Irak, le Président Bush pourrait suivre les traces, 20 ans plus tard,
de son illustre prédécesseur et héros politique : Ronald Reagan qui fit
un discours en mai 1985.
CONCLUSION
L’ingénierie démocratique est une méthode qui vise à maximiser
la légitimité intrinsèque d’un processus politique quelconque, et qui
donc est nécessaire à l’Irak. Autant avant la guerre d’Irak
qu’aujourd’hui, elle est utile pour aider à créer ou à renforcer la
démocratie, pas une démocratie imposée de l’extérieur, mais une
démocratie enracinée localement, négociée directement par les
Irakiens eux-mêmes, une démocratie indigène respectueuse des
histoires, cultures et traditions.
Troy DAVIS
président de la World Citizen Foundation (New York,
www.worldcitizen.org) et de l’Association de soutien à l’Ecole de la
Démocratie (Strasbourg, www.ecoledelademocratie.org)
NOTES
(1) Je définis provisoirement l’ingénierie démocratique
comme suit : une démarche scientifique visant à
concevoir, inventer et mettre en oeuvre les moyens
optimaux pour planifier et organiser les processus
démocratiques. Une explication plus détaillée, avec
des antécédents historiques, sera donnée dans un
Manuel de la théorie et de la pratique de l’ingénierie
démocratique qui devrait paraître fin 2005.
(2) les ONUsiens par réflexe font plusieurs erreurs : ils
oublient que l’ONU était perçue comme un instrument

L’ingénierie démocratique appliquée à l quée à l’Irak de l’avant et de l’après-guerre 219
d’oppression aux mains des USA à cause de l’embargo,
et philosophiquement, ils arguent que l’ONU a la plus
grande légitimité internationale qui soit, sans se poser
la question de savoir si cette soit-disant légitimité est
réelle ou suffisante. Quelquefois, quand on n’a pas
d’outil suffisamment performant, mieux vaut ne pas en
utiliser de mauvais mais fabriquer ce dont on a besoin
sur mesure, ou revenir aux principes premiers et s’y
tenir, ce que cet article va démontrer.
(3) D’ailleurs les seules vraies justifications avancées par les
stratèges et vrais décideurs (Cheney, Wolfowitz, Rumsfeld
et Rice) étaient de dire que le monde avait changé le 11-
09-2001 et que donc ce qui ne se justifiait pas avant
pouvait se justifier après. Une vision arrogante du monde
qui place les Etats-Unis au-dessus des habitants de notre
jungle commune.
(4) Je n’irai pas dans les détails ici car cela nous mènerait
trop loin pour cet article, mais je mentionnerai au fur et à
mesure certains principes spécifiques à l’ingénierie
démocratique qu’on ne trouve pas ailleurs car celle-ci
concerne les êtres humains et leur psychologie.
(5) Je ne considère pas le cas ultra-idéal : l’alternative
utopique selon laquelle Saddam aurait volontairement
et sans pression externe organisé des élections libres et
laissé le pouvoir à d’autres. Nous nous devons d’examiner
ou de concevoir seulement des cas plausibles, même s’ils
semblent improbables, pas des illusions. Même si ceci est
une affaire d’appréciation. Les connaisseurs de la
psychologie de Saddam savent que ceci était impossible.
(6) Je parle de la tentative faite par le Ministre des Affaires
Etrangères, Sheikh Hamad bin Jassim Al-Thani de
convaincre Saddam en août 2002 d’abandonner le pouvoir,
ainsi que des déclarations de Rumsfeld que «le monde
serait en meilleur état si (Saddam) décidait que c’était
son intérêt bien compris de prendre sa famille et de partir».

220 L’ingénierie démocratique appliquée à l quée à l’Irak de l’avant et de l’après-guerre
(7) Une autre proposition pour résoudre ce problème est de
créer une Communauté des démocraties, indépendante
de l’ONU – et pouvant même la remplacer – ou de créer
un caucus des démocraties à l’ONU même, qui
remplacerait le système continental qui mélange
démocraties et non-démocraties. Mais ces propositions
ne résoudraient pas le problème fondamental de la
structure féodale de l’ordre mondial.
(8) Une mission suicide théoriquement possible était
improbable car seules des personnes de très haut rang
pouvaient s’approcher de Saddam, donc des personnes
voulant survivre.
(9) Les différentes composantes de l’Irak n’ont pas de
‘‘narratif’’ historique commun profond; il n’existe pas
vraiment de mythe fondateur commun, sauf à remonter
si loin dans l’Histoire que celle-ci n’ait plus de rapport
avec les vivants.

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