Le Général (cr) Henri PARIS
Avril 2008
L’Inde, communément qualifiée de pays émergent, avec un PNB croissant dépassant 900 milliards de dollars en 2008, une population de plus de 1,2 milliards d’habitants, et dotée d’une capacité nucléaire militaire, représente une puissance régionale majeure en Asie, en voie de rivaliser avec la Chine.
Depuis l’acquisition de son indépendance, le 15 août 1947, l’Inde s’est efforcée de jouer une carte neutraliste et tiers-mondiste dans le concert international. Elle est l’un des Etats moteurs de la conférence de Bandung du 18 au 24 avril 1955, en la personne de son Premier ministre, Jawa Halral Nehru, prônant le non alignement avec les Chinois de Zhou Enlai et les Indonésiens de Sukarnao. Le but affiché de cette conférence internationale, réunissant 29 Etats du tiers-monde d’Asie et d’Afrique, était de ne pas être pétrifié dans l’un ou l’autre des glaciers que formaient les blocs politico-militaires qui s’affrontaient dans le cadre de la guerre froide. Très vite, l’Inde sera rejointe par la Yougoslavie de Tito, adoptant une politique semblable, tandis que les Indonésiens s’effaceront et les Chinois consommeront leur rupture avec l’Union soviétique, au point qu’à Moscou, on les comptera comme alliés objectifs des Américains.
La pomme de discorde génératrice de plusieurs guerres entre l’Inde et le Pakistan, est le Cachemire, peuplé de plus de 12 millions d’habitants, des musulmans en très large majorité. Le Cachemire est divisé en une partie rattachée à l’Inde, l’autre au Pakistan. Le Pakistan, très fortement soutenu par la Chine, y compris par les armes, dès l’indépendance et la partition de l’Empire des Indes, revendique le Cachemire tout entier. Le jeu des alliances s’appliquant rigoureusement, l’Inde accepte l’aide soviétique et, dans sa suite, russe, sans aller jusqu’à l’alignement, pour obtenir un contrepoids vis-à-vis de l’alliance sino-pakistaniase. De leur côté, les Russes attachés à la même politique que l’Union soviétique, ne demandaient pas mieux que de compter les Indiens dans leur camp.
Aussi est-il surprenant de constater en 2008, que l’Inde, se départissant de son neutralisme, même de façade, a adopté le statut d’observateur dans l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), au même titre que le Pakistan. De plus, l’OCS est une institution dont les membres fondateurs sont principalement les Russes et les Chinois. Se pose donc la question de la nature de cette prise de position indienne, comme de ce renversement d’alliance, et de ses conséquences dans l’équilibre des forces en Asie et dans le monde.
A cet effet, il convient de s’interroger brièvement sur les caractéristiques de L’Inde, puis, plus en détail sur celles de l’Organisation de coopération de Shanghai. De là, peut être déterminée une prospective dessinant les contours de l’Asie du Sud-Est ainsi que le destin de l’Inde.
Les caractéristique socio-politiques de l’Inde et ses prises de position dans l’arène internationale
Thème constant, la politique intérieure et extérieure influent l’une sur l’autre, tout comme la stratégie militaire est tributaire des moyens que lui offrent l’économie et la recherche, tandis que la réciproque est tout aussi vraie.
La position géopolitique interne de l’Inde
Pays émergent, l’Inde a une forte croissance qui est cependant incapable de résorber une pauvreté de masse. Le système des castes a été aboli légalement, mais n’en subsiste pas moins dans les faits, en corrélation avec l’indouisme, et perpétue l’inégalité sociale la plus criante.
Si l’Inde est devenue exportatrice de biens industriels et de technologie, comme de services, notamment dans le domaine informatique, il n’en demeure pas moins que sa balance des paiements est déficitaire.
La tradition et l’enseignement neutraliste et pacifique du Mahatma Gandhi n’ont guère été suivis : l’Inde a connu trois guerres importantes, en 1969 et en 1970, contre le Pakistan, en 1962 contre la Chine. En revanche, la stabilité interne a été maintenue jusqu’en 1977, année marquée par une aggravation des conflits intra-commuannutaires, dus au racisme et au séparatisme, ce que traduit l’affaiblissement du parti au pouvoir, le parti du Congrès.
Cet affaiblissement a favorisé l’alternance des gouvernements, groupant des coalitions hétérogènes. Lorsque le pouvoir revient à Indira Ghandi, du parti du Congrès, celle-ci est assassinée en 1984 par les séparatistes sikhs et son fils Rajiv subira le même sort en 1991. Désormais, l’instabilité gouvernementale devient une constante. Le Bharatiya janata party, nationaliste hindouiste et porte-parole des classes moyennes prenant le pouvoir en 2004, infléchit la politique indienne à l’en-contre du Pakistan et de la Chine. Le problème des irrédentismes sikhs ainsi que celui du Cachemire reste pendant. L’Inde a historiquement bénéficié de l’héritage intellectuel et spirituel du Mahatma Ghandi. Avec le temps et les circonstances, cet héritage s’est dissipé. L’Inde est en proie au plan interne aux mêmes troubles sociaux et ethniques qu’elle avait dénoncés. Son instabilité politique est un fait avéré et chronique dont le meurtre ou l’assassinat est un argument normal. Que cela soit triste pour la patrie de Ghandi est une autre affaire.
En fait, c’est l’ensemble du sous-continent qui est la proie d’une instabilité interne endémique ponctuée par des coups d’Etats à répétition et l’assassinat politique passe pour un moyen classique de gouverner. La contagion s’étend d’un pays à l’autre. Le 27 décembre 2007, Benazir Bhutto, la première femme à être devenue Premier ministre dans un pays musulman, est assassinée, ce qui donne le signal d’un cortège d’émeutes qui ensanglante le Pakistan. Précédemment Benazir Bhutto avait échappé à un attentat le 18 octobre 2007, à peine revenue d’exil. Son père, Zulfikar Ali Bhutto,, dans le cadre de la démocratisation, avait été exécuté par pendaison en 1979, à la suite d’un simulacre de procès perpétré par le régime militaire aux ordres de l’ancien chef d’état-major du Premier ministre. Quant au général Zia-ul-Haq qui renversa Zulfikar Ali Bhutto, il est également victime d’un attentat. Benazir Bhutto était la dirigeante du Parti du peuple pakistanais (PPP) se réclamant de la démocratie et à ce titre bénéficiant du soutien américain. Cet aspect jette de la suspicion sur le dictateur Pervez Musharraf, lui aussi soutenu à l’origine par les Américains, mais qui avait reçu de la Maison Blanche l’injonction de partager le pouvoir avec Benazir Bhutto, à la suite d’élections législatives prévues pour se tenir en janvier 2008. Aussi n’est-il pas certain que l’accusation d’assassinat de Bhutto, porté par Musharaf à l’encontre des fondamentalistes islamistes ait des fondements tellement assurés. Il y a peut-être là une manipulation qu’avait dénoncée Benazir Bhutto, pour expliquer la précédent tentative d’assassinat lancée contre elle le 18 octobre 2007 : elle incriminait très directement le régime de Pervez Musharraf. Les Américains, en réaction, persistent dans leurs pressions pour que se tiennent les élections prévues. Ils se tournent désormais vers le fils et successeur de Bhutto à la tête du PPP, Amin Fahim, dont la seule existence promet des affrontements avec l’autre dirigeant d’un autre parti d’opposition qu’est Nawaz Sharif. Aucun de ces protagonistes ne se fait faute de rappeler que le mari de Benazir Bhutto, Asif Zardari avait été accusé et condamné pour malversations, ayant abusé de la position gouvernante de sa femme. Dans ces trois conditions, quelles valeurs peut avoir l’accord de coopération anti-terroriste sous égide américaine, le 26 décembre 2007, entre les présidents Musharraf et l’Afghan Hamid Karzaï ?
Le 2 janvier 2008, cédant aux pressions, entre autres américaines, Pervez Musharraf a pris une cote moyenne en repoussant les élections du 8 janvier au 18 février 2008. Les partis politiques, le pro-gouvernemental comme les deux d’opposition, ont finalement décidé de faire campagne. La décision de report des élections est prise avec l’accord de la Commission électorale, estimant impossible la tenue d’élections le 8 janvier, faute de bulletins de vote dont les émeutes ont retardé l’impression et la distribution.
Dans un discours à la nation, le président Pervez Musharraf a réaffirmé que Benazir Bhutto avait été assassinée par des terroristes islamistes. Par ailleurs, il a annoncé l’ouverture d’une enquête sur les causes exactes de l’assassinat et, à cet effet, a sollicité l’aide d’experts de la médecine légale de Scotland Yard.
Il n’est jusqu’au Sri Lanka, l’ancienne paisible Ceylan, qui ne soit le siège d’une interminable guerre civile où les protagonistes se disputent le degré d’atrocités dans les massacres et des exécutions.
L’instabilité politique de l’Inde est donc un fait acquis, ne serait-ce que par contagion. En ce cas, il est d’une logique absolue que le pays soit le siège de toutes les luttes possibles d’influence, entre autres, celles en provenance de l’étranger.
Les options géostratégiques de l’Inde
L’Inde ne s’est pas posée en adversaire de la Chine. C’est le contraire qui s’est produit par le jeu mécanique des alliances.
La prétention indienne à soutenir l’indépendance tibétaine est à contre-courant, en ce sens que la Chine communiste ne fait que suivre la vieille politique impériale chinoise. Or, l’Inde de la période coloniale, sous égide britannique, n’avait jamais soutenu une quelconque indépendance du Tibet qui admettait la suzeraineté chinoise. L’Inde, pas plus que la Chine, n’est et n’a jamais été adepte de la religion pratiquée au Tibet. Leurs penseurs ou religieux, quels qu’ils soient, n’accordent pas la moindre crédibilité à la divinité du Dalaï Lama comme à sa réincarnation. Le motif d’achoppement n’est pas très fort. Un autre pourrait exister : Taïwan ! Mais les Indiens, à l’image des Chinois, ne prennent pas à leur compte la revendication indépendantiste de Taipei. Et pour finir, Indiens et Chinois se sont retrouvés en vedettes à Bandung en 1955 dans le front tiers-mondiste. Où est donc la controverse, voire l’opposition, l’objet de la guerre sino-indienne qui a bien eu lieu ?
Le problème intervient avec l’antagonisme indo-pakistanais sur le Cachemire.
Le fait dominant est un antagonisme latent chronique avec le Pakistan, prenant des formes armées d’autant plus dangereuses que les deux Etats ont acquis une capacité nucléaire militaire. La possession du Cachemire, dès l’indépendance en 1947, fut l’objet d’un litige armé et reste sujet d’affrontements parsemés d’émeutes aussi bien internes qu’avec les Pakistanais et les Chinois. Les Chinois ont pris le parti des Pakistanais, amenant les Indiens à se rapprocher mécaniquement des Soviétiques très simplement parce que la rupture sino-soviétique a viré à l’affrontement. Les ennemis de mes ennemis sont mes alliés, proclamaient déjà les Grecs !
Les Indiens n’ont jamais signé le traité de non-prolifération, pas plus que les Pakistanais, les Israéliens et d’autres… Les Indiens ne se distinguent donc guère puisque les Nord-Coréens ont dénoncé ce traité et qu’il ne faut pas oublier que les Français, par exemple, ne l’ont signé qu’avec un retard considérable, une dizaine d’années, afin de garder la liberté de leurs expérimentations. Les Indiens ne sont pas les seuls à êtres conscients de ce que les Soviétiques et les Américains n’ont conclu le traité de non-prolifération en 1968, en espérant limiter l’accès à la capacité militaire nucléaire à cinq Etats dont eux-mêmes, faute d’en avoir le monopole.
Les Indiens ont cependant éprouvé le besoin de donner une justification à leur recherche et à leur accession à la capacité nucléaire militaire. Ils ont prétendu procéder à une explosion nucléaire expérimentale dans un but pacifique. Assez étonnant ! La référence avait été empruntée aux Soviétiques qui avaient envisagé d’entreprendre des grands travaux en utilisant des explosifs nucléaires. Ce genre d’argumentation fut rapidement abandonné tant il apparaissait absurde !
En 2008, les Indiens alignent une quarantaine de missiles à têtes nucléaires, Prithvi et Agui, à moyenne et courte portée. Leur armée de terre comprend plus d’un million de combattants avec un équipement essentiellement d’origine soviétique et russe, assez ancien. Quelques matériels proviennent d’achats faits auprès des Français. Quelques fabrications locales dénotent une volonté d’acquérir une industrie de défense nationale, avec l’aide des Russes.
La même ambition se retrouve dans la Marine qui a des prétentions océaniques avec la mise en ligne d’un porte-aéronefs à décollage vertical, acquis auprès des Britanniques. L’aviation embarquée est également d’origine britannique. Les hélicoptères Alouette ont été livrés par la France. Une force sous-marine, développe moins d’une vingtaine de bâtiments, assez anciens, d’origine russe, mais représentant une puissance régionale côtière non négligeable.
L’armée de l’air, peu puissante, est équipée d’avions de combat principalement russes, en second lieu, français et britanniques. Ces origines diverses ne sont pas sans présenter de redoutables problèmes de maintenance, difficilement surmontables.
La puissance militaire indienne traduit bien sa politique étrangère et sa stratégie. Mécaniquement emmenés aux côtés des Russes, les Indiens ont cependant cherché à contrebalancer cette coopération militaire en s’adressant également aux Britanniques et aux Français. Il n’en demeure pas moins que l’Inde, en ce qui concerne les équipements militaires, demeure pratiquement une chasse gardée préférentielle des Russes.
Dans un soucis d’équilibre, New Dehli a accepté en 2007 les avances américaines visant, à contrer l’influence russe. C’est ainsi qu’un accord indo-américain a été conclu, portant notamment sur la livraison de quatre centrales nucléaires et de leur technologie. Cet accord répond à de multiples explications, en sus d’un équilibre politique recherché. En effet, l’Inde, pays émergent a un besoin vital d’énergie dont, au plan national, elle est dépourvue. Tous les hydrocarbures consommés proviennent de l’importation. Or, le besoin est croissant, en fonction de l’expansion économique. Et si les Indiens maîtrisent la technologie nucléaire, ils sont dans une situation semblable à celle des Chinois : ils ont porté l’accent sur l’usage militaire plus que sur le civil. Il en résulte dans ce dernier domaine des retards qu’il vaut mieux combler par l’importation. La technologie nucléaire a des domaines duals, civils et militaires, mais cet aspect a deux sens.
En dehors de cet accord commercial dédié au domaine énergétique nucléaire, New Delhi et Washington sont convenus d’avoir des relations plus suivies au niveau de la politique internationale et d’une coopération soutenue en matière de lutte contre le terrorisme islamiste, dernier objet qui entre parfaitement dans les vues dirigeantes indiennes.
L’accord accepté par la Maison Blanche et présenté au Congrès qui l’a accueilli avec réticences est assez surprenant. Il place l’exécutif devant une contradiction. Les Etats-Unis avaient fait de la non-prolifération une doctrine. Ils ont commencé par passer outre à l’accession du Pakistan à la capacité militaire nucléaire, parce qu’ils avaient besoin d’Islamabad dans leur lutte contre les Talibans afghans. Certes, et nécessité fait loi et à Washington, on passe outre même aux droits de l’Homme, dont l’homme fort du Pakistan, Pervez Musharraf, n’est pas l’homme lige. La politique américaine est pragmatique. Elle le démontre encore en cherchant l’alliance d’un pays nucléaire en dehors du TNP. Il est vrai que ni l’Inde ni le Pakistan n’ont signé le TNP… Tout comme Israël !
L’accord indo-américain venait à point pour contrebalancer quelque peu les liens russo-indiens, qui avaient une dimension contractuelle. New-Delhi avait formalisé sa coopération politique et stratégique avec la Russie en adhérant à l’OCS choisissant, cependant, le statut d’observateur plutôt qu’une adhésion pleine et entière de membre. Ce statut permet à l’Inde d’échapper aux obligations catégoriques découlant du respect d’un traité, mais n’engage pas moins et marque un tournant absolu dans la politique internationale suivie par l’Inde depuis son indépendance.
L’organisation de coopération de Shanghai
Au 1er janvier 2008, l’OCS est une organisation régionale qui a comme Etats membres la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan puis l’Ouzbékistan, tandis que, comme Etats observateurs, elle a l’Inde l’Iran, la Mongolie et le Pakistan. Alliance étonnante dont le regroupement indique un renversement de situation inattendue : que la Russie et la Chine se retrouvent alliés alors que du temps de l’Union soviétique, elles étaient ennemies, passe encore puisque le régime soviétique a disparu ! Mais que l’Inde et le Pakistan aient le même statut dans une même alliance révèle un phénomène surprenant. L’acceptation de l’Iran comme Etat observateur, alors que le même statut a été demandé par les Etats-Unis et qu’il leur a été refusé, dénote une orientation politique très nette et a de quoi irriter la Maison Blanche.
L’adhésion simultanée de l’Inde et du Pakistan, comme de l’Iran, admis en tant qu’observateurs, date du 5 juillet 2005. Elle a été conclue lors du sommet d’Astana, capitale du Kazakhstan et répond à un long processus, objet de l’essence même du traité.
Historiquement, l’OCS part d’un accord russo-chinois conclu à Bichkek, capitale du Kirghizstan, sous l’égide de Boris Eltsine et de Deng Xiaoping. A l’époque, il s’agit de coopérer contre le terrorisme islamiste et les menées séparatistes islamiques qui menacent aussi bien la Chine que la Russie. En effet, la Russie est en butte au séparatisme tchétchène soutenue par les pétromonarchies du Golfe et les Américains. De leur côté, les Chinois soutiennent une lutte interminable au Xinjiang contre les Ouïgours musulmans qui réclament leur indépendance et que Pékin accuse en termes feutrés de bénéficier des mêmes soutiens que les Tchétchènes. Les Américains, à l’époque toujours, font bon ménage avec l’islamisme radical qu’ils ont soutenu contre les Soviétiques en Afghanistan.
L’accord russo-chinois proclame le refus de tout séparatisme et donc l’intangi-bilité des frontières et la nécessité d’une coopération poussée en matière de lutte contre le terrorisme islamiste, essentiellement par échange de renseignements et actions communes. Dans une suite logique de consensus sur l’intangibilité des frontières, les parties conviennent de mettre sous le boisseau les litiges frontaliers qui les avaient opposées durant l’ère soviétique au point d’en arriver à des échanges de coups de feu, voire à un affrontement armé sur le fleuve Amour.
L’accord sur les litiges frontaliers sera repris par le traité du 26 avril 1996 signé à Shanghai sur « l’approfondissement de la confiance militaire dans les régions frontalières » et par celui du 24 avril 1997 signé à Moscou sur « la réduction des forces militaires dans les régions frontalières ».
La recherche de synergies attire de nouveaux partenaires : le Kazakhstan, le Tadjikistan qui se joignent au Kirghizstan, à la Chine et à la Russie pour conclure un traité de sécurité régionale, dit « Shanghai 5 », et formant le groupe de Shanghai jusqu’en 2001, pour passer à 6 en accueillant l’Ouzbékistan, le 26 avril 2001. Le même jour est fondée formellement l’OCS qui reprend par traité les buts et les modalités de fonctionnement de l’organisation.
Schématiquement, l’OCS repose sur des sommets annuels de chefs d’Etat ou de gouvernement qui prennent les grandes décisions et tracent les lignes stratégiques. Le secrétariat permanent de l’OCS est installé à Pékin, tandis qu’une autre structure permanente, non moins importante, vouée à la lutte antiterroriste, l’est à Tachkent, capitale de l’Ouzbékistan.
Au fur et à mesure de la tenue de sommets, rejoindront donc aussi comme observateurs l’Inde, l’Iran, la Mongolie et le Pakistan.
L’objet de l’OCS a été précisé tant par les traités initiaux que par la suite : en 2003, une « Charte de l’Organisation de coopération de Shanghai », un « Accord sur les organismes de lutte contre le terrorisme dans la région » et une « Déclaration des chefs d’Etat des pays membres de l’Organisation de coopération de Shanghai ».
Le but de l’OCS, dès l’origine, était de lutter contre le terrorisme et le séparatisme mais aussi de renforcer la paix et la stabilité en Asie centrale comme dans le sous-continent indien. A cet effet, Pékin et Moscou sont convenus de faire pression sur leurs alliés respectifs pakistanais et indiens pour les amener à régler leurs différents par la voie de négociation, en renonçant à un recours aux armes et à entrer dans une même structure de coopération. La réussite a été acquise par l’adhésion inattendue et simultanée du Pakistan et de l’Inde à la même structure qu’est OCS, réussite indéniable de la diplomatie russe.
Les autres finalités de l’OCS, affinées progressivement sont de faciliter la coopération entre Etats membres dans les domaines politiques économiques, commerciaux et scientifiques, y compris énergétiques. Ce dernier aspect intéresse particulièrement la Chine et l’Inde, dépourvues, à peu près, de toutes ressources gazières et pétrolières. La coopération en ce domaine les relie ainsi aux grands pays producteurs que sont, entre autres, la Russie et le Kazakhstan. Des projets d’oléoducs et de gazoducs peuvent être établis et financés en commun.
L’OCS promeut la stabilité régionale, la sauvegarde de la paix et la sécurité, comme le développement de la démocratie. Belles déclarations d’intention ! Deux volets sont traduits par ces clauses. En dehors de l’atténuation des oppositions entre Indiens et Pakistanais, les Etats membres s’engagent à lutter contre le système des révolutions de couleurs lancé par des ONG avec le soutien américain. Ces révolutions de couleur, accomplies plus ou moins pacifiquement, avaient déstabilisé les régimes pro-russes en Ukraine et en Géorgie, mais aussi en Asie centrale, ce qui fournissait aussi un motif d’inquiétude aux Chinois. C’est ainsi qu’une révolution de couleur a échoué en Ouzbékistan, mâtée notamment à Andijan, grâce à l’intervention de la force armée ouzbèque agissant sur renseignements procurés par l’OCS, notamment par les Russes et les Chinois. A l’examen, en 2008, de la situation engrangée par la révolution dite « des roses » en Géorgie, avec comme moteur le président Saakachvili, on ne peut se détacher d’un scepticisme certain quant à son caractère intrinsèquement démocratique, pas plus que d’un doute quant à sa longévité. Le mal n’est-il pas pire que le remède ? Il faut tout le soutien des Américains pour que Saakachvili puisse se maintenir au profit de nouvelles élections en janvier 2008, que l’opposition déclare truquées. A Moscou, on ricane !
Dans la suite logique, les Américains ont été contraints d’abandonner leur base située en Ouzbékistan, mais en 2008, ils conservaient encore celle implantée au Kirghizstan, malgré les remontrances de l’OCS.
L’OCS, par ailleurs, a pris position nettement dans le concert international, en se prononçant pour le multilatéralisme, accusant les Américains d’unilatéralisme et d’expansionisme. La règle étant le recours à l’ONU, il y a eu condamnation de l’intervention armée américaine en Irak, en 2003, relayant ainsi l’action russe et chinoise. De même, l’OCS s’est prononcée contre toute sanction trop forte à l’en-contre de l’Iran, et a fortiori contre une intervention armée : l’OCS ne pouvait faire moins en faveur d’un de ses membres observateurs. En somme, il y a alignement sur les positions russes et chinoises. La France de l’époque n’en était pas loin.
L’Inde a perçu dans le cadre de l’OCS une forte structure lui permettant de faire entendre sa voix avec un puissant relais dans le concert international. Son appartenance à l’OCS lui a également facilité une approche envers les Américains, cherchant à la détourner de l’OCS. Une monnaie d’échange, sinon un système de chantage politique ! De là, a découlé une série d’avantages. L’OCS offre également à l’Inde un cadre intéressant où dialoguer avec la Chine, autre puissance émergente, sur un possible partage des marchés, entre autres en Afrique. L’OCS présente également l’avantage d’une structure permettant de doubler celle du bilatéralisme indorusse concernant les marchés pétroliers et gaziers.
L’avenir de l’OCS dans la vision indienne
La fin de l’Union soviétique a signifié la disparition des blocs politico-militaires ou au moins leur affaiblissement, en dehors de l’OTAN.
La création de l’OCS signifie la formation d’un nouveau bloc. Les Russes auraient bien voulu lui donner une consistance supplémentaire en l’associant, voire en la fusionnant à l’Organisation du traité de sécurité et de coopération (OTSC) qu’ils ont conçue en supplément de la CEI dont le fonctionnement laisse à désirer pour eux. L’OCS a bien un volet militaire mais il est focalisé sur l’antiterrorisme. C’est le sens qui a été donné à l’exercice « Mission de paix-2007 » qui a mobilisé quelque 6.500 hommes et 90 avions, tous fournis par les membres de l’OCS. Cependant, il y a loin de la coupe aux lèvres : la manœuvre « mission de paix-2007 » est bien inférieure par son ampleur à toutes celles de l’OTAN et encore moins aux réalisations concrètes de l’OTAN, ne serait-ce que dans les Balkans. Cette coopération ne va pas jusqu’à pouvoir être assimilée à une OTAN asiatique.
Les Indiens, pas plus que les Chinois, ne souhaitent intervenir militairement au profit des Russes en Tchétchénie, pas plus que ces derniers au profit des Indiens au Cachemire ou des Chinois au Xinjiang !
En revanche, l’OCS offre un cadre idéal pour organiser une coopération fructueuse en matière d’hydrocarbures entre pays asiatiques producteurs et consommateurs.
Autant en septembre 2001, Russes, Chinois et Américains se sont retrouvés dans le même camp parce que les Américains ont été épouvantés par les attaques terroristes sur leur sol, les Twin towers de New York, autant la confrontation a repris ses lois. Les Américains n’avaient plus qu’à se mordre les doigts d’avoir soutenu, sinon poussé les islamistes contre les Soviétiques en Afghanistan ! A Washington, on pensait manipuler Al-Qaida !
Les accords entre Américains, Chinois et Russes ne sont pas allés au-delà d’une coopération anti-terroriste. Les Américains ont abandonné leur soutien aux Tchétchènes, comme la CIA a cessé de s’intéresser aux Ouïgours. Les Russes ont cessé toute velléité de déstabilisation des régimes réputés pro-américains au Proche et au Moyen-Orient par le canal de l’Islam. Cependant, très vite, la confrontation a repris et l’OCS apparaît comme une organisation anti-américaine.
L’Inde cherche à respecter un équilibre et reste imperturbable. L’opposition russe à l’expansionnisme américain mené à travers l’OTAN, que ce soit vis-à-vis des anciennes républiques soviétiques ou des anciens alliés du pacte de Varsovie, ne recueille guère d’écho.
Cependant se dessine un triangle Moscou – Pékin – New Delhi à travers l’OCS. Le trio a besoin l’un de l’autre, dans une harmonie qui exclut les Etats-Unis.
Dans la forêt d’initiatives qui prend corps, l’Inde entend bien jouer son jeu dans une OCS qui pose des prémisses intéressantes.
L’Inde est une puissance régionale en devenir. Certes, à un moindre degré que celui de la Chine, elle possède un potentiel d’avenir immense.
L’OCS présente à l’Inde une capacité d’intervention qu’elle ne peut trouver nulle part ailleurs : elle s’en est déjà saisie et s’en saisira encore plus en prospective.
L’OCS est promis à un fort développement. Déjà en 2007, Téhéran a acquiescé à la proposition russe de créer une organisation du type OPEP pour réguler le marché mondial du gaz. Les adhérents de l’OCS y voient la possibilité d’un tarif préférentiel. L’autre initiative russe ne rencontre pas un fort succès : lier l’action de l’OCS à celle de l’Organisation du traité de sécurité et de coopération (OTSC) dont la structure vouée aux questions de défense prédomine déjà sur celle de la CEI. L’initiative ne reçoit pas un avis favorable de la part des Chinois ni des Indiens. Ils ne tiennent pas à s’engager trop loin dans une voie risquée qui peut les conduire à des affrontements non voulus.
Il n’en demeure pas moins que la fondation et le renforcement de l’OCS indiquent une reprise mondiale de la politique des blocs politico-militaires.
* Président de DÉMOCRATIES