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Philippe Prévost
Docteur ès Lettres. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont La France et l’origine de la tragédie palestinienne (éd. de Paris, 2007). Pour le présent article, il est intéressant de se reporter à son ouvrage La France et la déclaration Balfour (éd. Erikbonnier, 2018).
Cet article démontre comment la France, à travers différents évènements et déclarations, s’est fait progressivement évincer de la Terre Sainte au profit des Anglais pendant la première Guerre Mondiale. Il s’efforce également de mettre en lumière quels ont été les véritables intérêts des Anglais sous-jacents à leur soutien aux sionistes.
This article demonstrates how France, through various events and declarations, was gradually ousted from the Holy Land in favor of the English during the First World War. It also strives to shed light on what were the real British interests underlying their support for the Zionists.
À la veille de 1914, la France était l’héritière d’un riche passé qui, en dépit de la politique anticléricale de la IIIème République, en faisait encore, parmi tous les pays européens, la puissance prépondérante au Proche-Orient, spécialement en Terre sainte et à Jérusalem. Comment avons-nous perdu notre position privilégiée qui allait de pair avec le protectorat catholique exercé par notre pays depuis tant de siècles ? Telle est la question à laquelle nous essaierons de répondre.
L’entrée en guerre de la Turquie en 1914 et les revers des pays de l’Entente
Il convient d’abord de rappeler qu’en 1914, l’empire turc qui avait perdu au cours du XIXe siècle la plupart de ses possessions européennes et africaines, conservait encore une petite Turquie en Europe avec Constantinople, sa capitale ; la presqu’île arabique ; et entre les deux, la grande Syrie qui recouvrait la Syrie actuelle, le Liban, l’Irak, la Jordanie et la Palestine.
Prudemment, les Turcs restèrent neutres lorsqu’éclata la guerre mais, les provocations russes et les pressions allemandes ainsi que l’infatuation des dirigeants du parti « jeunes Turcs » alors au pouvoir, amenèrent le vieil empire à entrer en guerre le 2 novembre 1914 aux côtés des empires centraux. Les Russes visaient la conquête de Constantinople et des Détroits. Les Allemands voulaient profiter du Califat afin de soulever les musulmans des Indes, d’Égypte et d’Afrique du Nord et couper la route des Indes en attaquant le Canal de Suez ce qu’ils firent sans succès le 3 février 1915. Dans ce contexte, les Jeunes Turcs pensaient simplement avoir choisi le parti gagnant.
De leur côté, les Alliés, persuadés que « l’homme malade de l’Europe » serait bientôt vaincu, se partagèrent ses dépouilles dès la fin de 1914 : les Russes exigèrent Constantinople et les Détroits. La France et l’Angleterre furent d’accord à condition que ceux-ci respectent leurs propres revendications. Pour la France, c’était la Syrie qui lui avait été promise depuis 1878.
Mais, l’ours turc dont on avait vendu la peau un peu vite, se défendit fort bien. Rappelons que le débarquement de Gallipoli, voulu par Churchill, tourna au désastre pour les Anglais et pour les Français, mais aussi l’entrée en guerre, en octobre 1915, aux côtés des Empires Centraux, de la Bulgarie ce qui permit d’assurer la continuité territoriale de Berlin à Constantinople, ainsi que l’agitation suscitée par les Allemands en Perse et en Afghanistan ; enfin la capitulation d’une armée anglaise encerclée à Küt, en Irak, au début de 1916.
Les accords Sykes-Picot
Face à tous ces désastres, les Anglais voulurent prendre à revers les Turcs en s’appuyant sur le chérif de la Mecque, Hussein, avec qui ils étaient en relation depuis plusieurs années.
Le 14 juillet 1915, sir Henry Mac Mahon, haut-commissaire anglais en Égypte, recevait une lettre du chérif Hussein lui proposant ses services à condition que l’Angleterre accepte sa souveraineté non seulement sur la péninsule arabique mais aussi sur la grande Syrie. Il demandait aussi le transfert du Califat à son profit.
Dans sa réponse, sir Henry Mac Mahon promit l’indépendance de l’Arabie ainsi que le Califat mais il resta dans le flou en ce qui concernait les frontières de la grande Syrie. Il prétendit que ce n’était pas le moment de discuter de ces questions mais Hussein, qui ne manquait pas de bon sens, ne l’entendit pas de cette oreille. Il exigea que le problème soit traité avant toute chose. Alors, sir Henry Mac Mahon dut sortir du brouillard où il aurait aimé se complaire. Il fut bien obligé d’avouer que la côte syro-libanaise devait revenir à la France et que les vilayets de Bagdad et de Bassorah où les Anglais avaient des intérêts, ne pouvaient être compris dans la zone réclamée par Hussein. Celui-ci accepta.
Mais en décembre, dans une lettre au chérif, sir Henry Mac Mahon dût reconnaître que la France avait aussi des intérêts dans les vilayets d’Alep et de Beyrouth. Bref, les négociations entre les deux partis s’enlisèrent. Il fallut donc les transférer à Londres. C’est alors que sir Edward Grey, secrétaire d’État au Foreign Office, saisit Paul Cambon, notre ambassadeur à Londres, afin d’ouvrir des négociations sur ce sujet. Le gouvernement français accepta.
Il n’est pas question de retracer ici la genèse des négociations que les deux partis confièrent très vite à sir Mark Sykes, député anglais et fin connaisseur du Proche-Orient, et à François Georges Picot, ancien consul général de France à Beyrouth et en poste à Londres à cette époque.
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