Les sanctions de l’Union européenne contre le système financier iranien face au droit européen

Thierry Coville

Professeur d’Économie à Négocia

3eme trimestre 2013

Afin de faire pression sur l’Iran dans le cadre de son programme nucléaire, l’UE a pris un cer­tain nombre de mesures visant les banques commerciales publiques iraniennes qui sont plus sévères que celles prises par les UN et qui se rapprochent de plus en plus des sanctions financière américaines. En effet en juin 2008, le conseil européen a gelé tous les fonds et ressources éco­nomiques détenues ou contrôlées par des compagnies iraniennes sur les territoires de l’UE. En plus de ces sanctions ciblées l’UE a mis en place des sanctions a application plus générale. Depuis octobre 2010 une régulation sur presque tous les transferts de fonds de plus de 10 000 euros en provenance ou vers une personne ou une entité iranienne doivent être soumis à des mesures de notification et d’autorisation, les banques de l’UE ont l’interdiction d’avoir une relation de cor­respondance avec les banques iraniennes. En décembre 2012 tous les transferts de fonds entre les banques européennes et les banques iraniennes ont été interdits. En principe, il y a des exceptions, concernant la santé et l’alimentaire mais elles ne sont pas valides car très compliquées pour les banques européennes de faire des transactions avec l’Iran. On pourrait néanmoins s’interroger sur la base légale de ces sanctions générales, notamment l’interdiction des transferts de fonds. On peut s’appuier à ce propos, sur un certain nombre de décisions de justice qui viennent d’être ren­dues au Royaume-Uni. Or, les sanctions ont été mises en difficulté pour justifier de la notion de lien direct nécessaire avec les autorités nucléaires iraniennes, notamment le recours à l’argument «secret défense», qui ne correspond pas, au principe démocratique.

In order to put pressure on Iran in the context of its nuclear programme, the EU has taken a certain number of measures targeting the Iranian commercial public banks, measures that are harsher than those adopted by the UN and that come close to the U.S. financial sanctions. As a matter offact in June 2008, the European Council had frozen all assets and financial resources held or managed by Iranian companies on EU territory. Aside from these targeted sanctions, the EU had implemented more general sanctions. Since October 2000, a provision states that nearly all asset transfers above 10,000 Euros originating from or towards a person or Iranian entity must be subjected to notification and authorization measures as the EU banks are restricted from having any correspondence relations with Iranian banks. In December 2012, all asset transfers between European and Iranian banks have been banned. Generally, there are exceptions concerning health and food, but these are not implemented due to the complexity of performing transactions between the European banks and Iran. Nevertheless wa can question the legal ground for general sanctions, especially with regard to the freezing of asset trans­fers. We can support our argument with a certain number of legal sentences that have been pronounced in the United Kingdom. Yet, the sanctions have had a great deal in proving that there was a direct necessary link with the Iranian nuclear authorities, especially with regard to the argument of « secret security » that is unrelated to democratic principles.

I – Les sanctions de l’UE contre le système bancaire iranien

Le Conseil de Sécurité des Nations-unies a imposé des sanctions à l’Iran depuis 2008. Il a demandé aux pays membres des Nations-unies d’effectuer une « surveil­lance vigilante » par rapport aux activités des banques iraniennes opérant dans leurs pays et leur a demandé d’imposer un gel des actifs sur les banques Sepah et la East Export Bank.

Les sanctions de l’Union européenne contre l’Iran vont plus loin que celles des Nations unies. En juin 2008, le Conseil Européen a gelé tous les fonds et les res­sources économiques détenues ou contrôlées par des compagnies iraniennes dans le territoire de l’UE. Depuis, des banques et des personnes ont été ajoutées à cette liste. Des banques iraniennes peuvent être ajoutées à cette liste si elles ont participé aux activités nucléaires de l’Iran ou si elles sont la propriété ou contrôlées par des entités qui participent au développement de ces activités nucléaires. 15 banques sont visées par ces sanctions. Ce sont des banques commerciales où l’État iranien est actionnaire.

En plus de ces sanctions ciblées, l’UE a mis en place des sanctions à l’application plus générale. Depuis octobre 2010, une régulation impose que tous les transferts de fonds de plus de 10 000 euros en provenance ou vers une entité ou une personne iranienne doivent être soumis à des procédures de notification et d’autorisation. Les banques de l’UE doivent en outre faire un reporting de toutes leurs opérations avec l’Iran et ont l’interdiction d’avoir une relation de correspondance avec une banque iranienne. En décembre 2012, tous les transferts de fonds entre les banques de l’UE et les banques iraniennes ont été interdits. En principe, il y a des exceptions (trans­ferts concernant la santé ou l’alimentaire. Mais en pratique même ces transferts demandent des notifications et autorisations.

Ces règlementations rapprochent le régime européen des sanctions du régime américain qui interdit toute transaction financière entre le système bancaire iranien et des banques américaines. Dans le cas de certaines banques iraniennes comme la banque Saderat et Melli, l’interdiction concernent les banques américaines et non américaines.

II – Plaintes des banques iraniennes face aux sanctions de l’UE

Toute entité ou individu visé par les sanctions de l’UE peut porter plainte au­près des cours européennes (la Cour de justice de l’UE). C’est d’ailleurs une pro­cédure qui avait été utilisée par les Moudjahedines du peuple pour contester leur désignation en tant que groupe terroriste parl’UE.

  • Dans le cas de la banque Sina, la Cour a jugé que l’assertion selon laquelle « la banque était étroitement liée aux intérêts » du régime iranien était trop vague et imprécise et que le Conseil de l’UE avait échoué à spécifier les moyens par lesquels cette banque avait soutenu les activités nucléaires de l’Iran.
  • En ce qui concerne la banque Mellat, la cour a considéré que le Conseil de l’UE n’a pas vérifié les faits qui établissaient que la Banque Mellat était la propriété de l’État iranien. En outre, la Banque Mellat a contesté un certain nombre de faits et le Conseil de l’UE n’y a pas répondu.
  • En ce qui concerne la banque Saderat, la Cour a estimé que les accusations reliant des transactions financières de cette banque avec les activités de prolifération nucléaires n’étaient pas étayées par des faits.

 

III – Conséquences de ces jugements

– Légalité des sanctions générales et non ciblées interdisant les transferts de fonds entre les banques de l’UE et l’Iran. Selon les principes du droit européen, le Conseil doit donner des raisons précises qui expliquent qu’une banque soit sanctionnée. Or, la décision de décembre 2012 qui interdit les transferts de fonds entre les banques iraniennes et l’UE sous le prétexte que les banques iraniennes soutiennent le gouvernement iranien dépassent ce cadre.

  • La Cour européenne de justice devra aussi décider dans quelle mesure les accusations du Conseil de l’UE doivent être étayées par des faits. Le Conseil de l’UE indique qu’il ne peut divulguer tous les faits en sa possession du fait de question de sécurité nationale. Est-ce que cet élément est recevable pour le droit européen ?
  • Critiques aux États-Unis quant à ces décisions. L’argument est qu’elles peuvent avoir une influence sur les négociations concernant le dossier du nucléaire, conduisant les autorités iraniennes à refuser de négocier tout en attendant les déci­sions de justice annulant ces sanctions. D’un autre côté, il existe des pressions dans l’UE pour que ces sanctions respectent l’État de droit en Europe.

IV – Remarques plus générales

  • Caractère incohérent, précipité et peu précis des sanctions mis en place. On a le sentiment que l’important était de mettre en place des sanctions contre l’Iran sans se poser la question du lien entre les entités concernées et la question de la prolifération nucléaire.
  • Est-ce que l’UE n’est pas clairement passée d’une politique de sanctions inspirées par celles des Nations-unies qui établissaient un lien entre les activités de prolifération nucléaire à un régime de sanctions visant à affaiblir l’économie iranienne ?
  • De ce fait, se posent des questions concernant le respect des droits de l’homme de ces sanctions. En effet, les sanctions de l’UE doivent respecter les droits de l’homme. Or, depuis leur mise en place, l’inflation a atteint plus de 40 % en Iran (et plus de 50 % pour l’alimentation). Comment concilier cet impératif de respect des droits de l’homme et l’appauvrissement d’une partie de la classe moyenne ira­nienne ?

Atteintes au droits de l’homme – proportionnalité – trop compliqué de travail­ler avec l’Iran.

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