François Géré
Président fondateur de l’Institut français d’analyse stratégique
3eme trimestre 2013
Even if the majority of countries (i.e. Japan, South Korea etc.) agree to (partially) subject themselves to the orders of the United States, Teheran still finds enough support in China, India etc.
The paradox of sanctions is that they emphasize the dependence of the Iranian economy on hydrocarbons and provides an argument that is in favour of the nuclear industry development!
Depuis décembre 2006 la République islamique d’Iran fait l’objet de sanctions votées par les membres permanents du conseil de sécurité des Nations-unies.
En novembre 2011, suite à un rapport particulièrement négatif de l’AIEA, comportant en annexe des éléments fournis par certains services de renseignement occidentaux, embargo de l’UE sur les importations d’hydrocarbures à partir de juillet 2012.
Certains États (États-Unis d’Amérique, France, Royaume-Uni (fin novembre 2011 eut lieu la dévastation de l’ambassade du Royaume Uni à Téhéran.) prennent des sanctions unilatérales et adoptent des « sanctions secondaires » en punissant les « tiers » qui ne respectent pas les sanctions. Mais l’Iran et bien d’autres ont acquis une solide expérience en matière de contournement. Rappelons que le Congrès US a voté les premières sanctions dès 1994.
La mise en oeuvre des sanctions s’effectue dans un contexte qui est devenu chaque année plus dangereux. Cette aggravation des données stratégiques se fonde sur quatre éléments :
Le renforcement de la présence militaire américaine dans le détroit d’Ormoz et au large des eaux territoriales iraniennes. En dépit d’une réelle retenue, les risques de dérapages et d’escalade incontrôlée conduisant à la guerre, même limitée, demeurent très élevés
La course aux armements dans la péninsule arabique avec l’achat par les États de la région à la fois de capacités offensives aériennes et de la défense antimissiles, l’ensemble étant fourni (très cher) par les sociétés américaines d’armement.
Les menaces d’attaque israélienne qui ont culminé avec le discours de Benjamin Netanhyahu aux Nations Unies en septembre 2012.
Enfin l’action clandestine : le virus STUXNET apparemment élaboré par les États-Unis et Israël dans le cadre du programme « Olympic Games » dévoilé par un journaliste du Washington Post sans démenti de la Maison Blanche, puis d’autres comme FLAME, et les assassinats de scientifiques iraniens civils et militaires.
Voici donc les péripéties d’un affrontement engagé. Reste à savoir dans quelle intention ? Pour satisfaire quels objectifs ?
La question renvoie en effet au but politique recherché. Quels bénéfices peut rapporter à court comme à long terme une stratégie de coercition fondée sur des sanctions économiques de toutes natures et de menaces à peine voilées, accompagnées d’agressions plus ou moins masquées ?
Embargo et sanctions constituent une ancienne stratégie classique où le facteur TEMPS est essentiel. Mais sur quelle durée ? Et en fonction de quels objectifs ? Absolus ou limités ? Comparons grâce à quelques exemples.
- L’Irak
De 1993 à 2003 l’Irak fut accablé de sanctions qui firent souffrir la population sans pour autant faire fléchir les dirigeants.
De ce fait, les États-Unis de GW Bush estiment que les sanctions ne produisent pas d’effets assez rapides contre l’Irak et décident de « finir le travail inachevé » en 1991 par George Bush père.
- Les sanctions à l’égard de l’Afrique du Sud relevaient d’une stratégie de long terme afin de provoquer la fin de Y apartheid.
Sanctions, embargo ne sont pas synonymes de blocus qui constitue un acte de guerre (le blocus continental par exemple entre la France et l’Angleterre décrété par Napoléon 1er en 1807-1808). Napoléon pensait que « le blocus provoquerait la banqueroute, le chômage, la révolution peut-être en tout cas la capitulation » (G. Lefebvre, Napoléon). Mais l’Empereur perdit la guerre contre l’Angleterre.
Or dans le cas de l’Iran, il existe aussi un jeu fondamental avec le facteur temps : la progression du programme nucléaire de l’Iran et la proximité croissante de la disponibilité des matières pouvant servir à des fins militaires. On ne cesse de lire que l’Iran cherche à gagner du temps pour mieux avancer son programme militaire clandestin.
À l’inverse, on fait valoir que les adversaires de l’Iran comptent sur les effets des sanctions dans la durée. L’absence de négociations sincères de la part des occidentaux viserait en réalité à donner aux sanctions le temps de produire leur effet coercitif.
La désastreuse combinaison des effets conjugués entre les sanctions et la gestion interne de l’économie
Nous savons – c’est officiellement reconnu par Téhéran – que les difficultés économiques actuelles procèdent de la conjonction entre les sanctions et une mauvaise stratégie économique intérieure du président sortant Ahmadinejad. Il a choisi une gestion patrimoniale populiste qui distribue des subsides aux plus défavorisés au lieu de leur offrir des emplois productifs et d’investir dans les grands travaux d’infrastructure dont l’Iran a fortement besoin.
Taux de chômage des jeunes (moins de 25 ans) : officiellement un peu moins de 30% mais très probablement 50 %. Il faut tenir compte des emplois « masqués » à savoir un salaire qui ne correspond à aucune activité réelle.
On connait les effets : hausse des prix, des loyers, raréfaction de l’essence et du fuel domestique désormais rationnés.
Rétraction de l’activité industrielle. Dans plusieurs régions les usines doivent fermer.
Les très mauvais résultats agricoles aggravent la tension générale sur la distribution des produits alimentaires de première nécessité pour la population urbaine.
L’inflation : certes le rial était largement surévalué avant les sanctions financières. Mais le processus est devenu impossible à contrôler 70 % d’inflation par mois en 2012 ( c’est, hélas, la célèbre situation de l’Allemagne en 1924).
Du fait des sanctions et des difficultés bancaires qui en résultent l’Iran perd de l’argent sur les revenus des hydro carbures et doit vendre moins cher. Téhéran doit allonger les délais de paiement.
Il existe désormais des accords de « troc » très compliqués par exemple avec l’Inde : hydrocarbures contre blé.
Mais la hausse du prix des hydrocarbures depuis 2004 permet au gouvernement iranien de maintenir les revenus sensiblement au même niveau alors que les ventes ont baissé d’environ 25 %.
Même si une majorité de pays accepte de se soumettre (partiellement) aux injonctions des États-Unis (Japon, Corée du Sud…) Téhéran trouve encore de nombreux soutiens en Chine, en Inde et bien sûr en Russie.
- Ali Larijani, président réélu du Majlis n’a cessé de critiquer sévèrement la gestion du président sortant.
Après un premier rappel à l’ordre en mars, en novembre 2012, le Majlis a exigé des explications concernant l’inflation, les dépenses du gouvernement et la production de blé. Mais sans aller jusqu’à engager une procédure d’impeachment du président car il paraissait préférable de lui laisser finir son mandat.
A vrai dire, les prédécesseurs du président Ahmadinejad n’avaient pas fait beaucoup mieux. Envisagée depuis dix ans, la privatisation de l’économie n’a toujours pas eu lieu. Le système des bonyad (associations charitables) persiste tandis que les Gardiens de la Révolution ont mis la main sur les secteurs de pointe de l’économie en créant ainsi une sorte de stratocratie. Les compétences sont détournées par le complexe militaro industriel ne laissant que trop peu pour le développement.
Le paradoxe des sanctions est qu’elles mettent en évidence la dépendance de l’économie Iranienne à l’égard des hydrocarbures et fournit un argument puissant en faveur du développement de l’industrie nucléaire !
Les véritables risques liés aux sanctions
Les sanctions peuvent elles provoquer un soulèvement et un changement de régime ?
Il n’y a plus que les neo conservateurs acharnés qui croient encore à ce scénario. Par ailleurs certains extrémistes persistent à penser que, les sanctions étant inutiles, il faut rapidement passer comme en Irak à l’intervention militaire. Cette option semble rencontrer la ferme opposition du président des États-Unis.
Mieux vaut regarder la réalité à savoir l’état du pays, notamment en comparant 2003 et 2013.
La situation intérieure iranienne fait apparaître d’une part le désir des classes moyennes traditionnelles (bazaari) et des entrepreneurs modernes de pouvoir trouver les voies de la prospérité dans le calme politique (pas de révolution, pas de guerre civile) ; d’autre part l’existence d’une répression politique et syndicale très dure destinée à effrayer les opposants.
L’Iran se trouve face à un problème fondamental : l’absence au niveau de l’État d’une conception d’une politique économique moderne, adaptée à la réalité économique du pays et à son environnement international. Les injonctions du Guide Suprême qui en septembre 2012 en a appelé à une « économie de résistance » pour contrer les sanctions illégales n’indiquent pas une véritable conscience des besoins économiques. Parmi les candidats à l’élection présidentielle qui annonce l’indispensable réforme de l’économie iranienne ? Monsieur Jalili n’a guère démontré une volonté de réforme de l’économie.[1]
Ainsi « plus cela change, plus c’est la même chose. » Cette situation peut
durer un certain temps mais pas trop Sinon, à terme, sanctions ou pas, c’est le destin désastreux de l’économie paralysée qui guette l’Iran. Un peu comme l’Union soviétique. Pas de révolution mais une implosion du système, un effondrement sur soi-même.
Alors là il sera possible de prétendre que les sanctions ont produit un effet. Mais en tout état de cause, elles n’auront constitué que la fameuse étincelle qui met le feu à toute la plaine.
[1]Cette conférence a été prononcée avant l’élection surprenante de M. Rouhani à la présidence.