Les révolutions de couleur en Asie

Le Général (cr) Henri PARIS 

Avril 2006

Les Soviétiques de la IIIe Internationale, du Komintern, étaient passés maîtres dans l’art de la subversion. C’est du moins la réputation qui leur était faite. Or, au début du XXIe siècle, les Russes reprochent aux Américains les menées de leurs services de renseignement, la Central Intelligence Agency (CIA) en tête. Selon Moscou, Washington stipendie des organisations spécialement chargées des républiques anciennement constitutives de l’Union soviétique afin d’y organiser des prises de pouvoir et l’installation de régimes favorables aux Américains.

Ce système demande à être étudié, tant dans son élaboration que dans son application et ses résultats. Il a pris le sobriquet de « révolution de couleur » par référence aux renversements du pouvoir en Géorgie et en Ukraine, connus respectivement sous l’appellation de révolution « des roses » et « orange ».

L’examen, cependant, portera sur l’Asie qui est un point principal d’application principal des Etats-Unis. Il y a donc en premier lieu à porter une attention soulignée sur la méthodologie, puis sur les enjeux et les résultats.

La méthodologie

La méthodologie est désormais bien rodée. Les analystes et concepteurs américains utilisent la corruption et la fraude électorale qui sont devenues d’une absolue banalité dans les républiques anciennement constitutives de l’URSS et aussi bien au-delà de ces républiques. Notamment, il y a une malédiction du pétrole qui corrompt tous ceux qui s’occupent des hydrocarbures.

Les dirigeants des républiques anciennement soviétiques en Asie, tous issus des anciennes structures soviétiques, ont pris l’habitude de bourrer les urnes, ce qui forme un premier sujet de mécontentement. Un deuxième est fourni par la stagnation, voire l’effondrement du niveau de vie des populations, en regard même de ce qu’ils étaient à l’ère soviétique. La population est d’autant plus révoltée que les « nouveaux Russes » et autres oligarques profiteurs du système des privatisations et de l’économie de marché, s’ils sont faibles en nombre, n’en font pas moins exhibition d’un luxe tapageur et éclaboussant. L’ancienne nomenklaturasoviétique, pour sa part, était au moins discrète.

Les Américains ont mis en place une structure centrale qui, des Etats-Unis, favorise l’implantation et le fonctionnement d’organisations non gouvernementales dans les pays visés. Ces ONG américaines aident à la formation d’ONG locales, composées de personnels soit immigrés en provenance des Etats-Unis, soit formés sur place dans l’admiration de l’American way of life. L’ensemble de ces ONG, qu’elles soient américaines ou locales, est administré, financé et conduit par l’association Project on Trabsitional Democraties, Projet pour les démocraties en transition, présidée par Bruce P. Jackson, avec son siège à Washington et très lié à la CIA. Le président a d’ailleurs été nommé par la Maison Blanche. Le système est complété par l’action de la CIA. Des universités américaines sont aussi créées localement avec un personnel enseignant qui répond aux mêmes critères que ceux qui se réfèrent aux personnels des ONG. Une base militaire américaine sert de point d’ancrage et de recueil, tandis que l’ambassade est considérablement renforcée en moyens humains et matériels, ce qui est officialisé par un redéploiement du personnel diplomatique ordonné en janvier 2006 par le Conseil de sécurité présidé par Condoleeza Rice.

Cependant, l’élément central de la stratégie électorale américaine repose sur l’utilisation d’organisations non gouvernementales (ONG) qui toutes gravitent avec des fonds importants et une idéologie empreinte de religiosité. Parmi ces ONG se distinguent notamment Freedom House National Endowment for Democracy Open Society German Marshall Fund, US National Democratic Institute, International Republican Institute et George Soros Fundation, du nom d’un financier hungaro-américain particulièrement actif et férocement anti-communiste et anti-russe.

Le système consiste, dans sa phase d’application finale à utiliser une consultation électorale. Les ONG protestent contre le bourrage des urnes et suscitent dans la même voie des manifestations populaires. Les manifestations tournent éventuellement à l’émeute. Les dirigeants sont désavoués. Un nouveau tour électoral est organisé, après que le précédent ait été déclaré nul et non avenu par les instances légales. Les nouvelles élections portent alors au pouvoir les opposants de tendance pro-américaine et pro­occidentale dans une moindre mesure.

La corruption et la fraude sont utilisées par tous les camps, mais les pro-russes ne connaissent d’autre système que le grossier bourrage d’urnes et ne sont pas habitués, chez eux, à un système plus subtil. Ils ont donc commencé par être totalement surpris et désarçonnés. Ce n’est que par la suite, ayant assimilé le système américain, qu’ils se sont repris.

L’enjeu en Asie

En premier lieu intervient la question du pétrole du bassin de la Caspienne. La ressource pétrolière mondiale est en voie d’extinction tandis que croît la demande, tirée par la croissance américaine comme par celle des pays émergents comme le Brésil, l’Inde et la Chine. Or, l’approvisionnement cause des soucis aux sociétés américaines, tant pour satisfaire les besoins internes des Etats-Unis que pour le contrôle mondial des ressources. En effet, la production interne américaine et canadienne, d’une part est insuffisante, d’autre part en voie d’épuisement et doit être conservée comme réserve stratégique. Les pays producteurs sont instables, que ce soit pour des raisons socio-politiques comme l’Amérique latine en passe de verser entièrement dans l’anti-américanisme doublé d’une politique de gauche ou les pétromonarchies du Golfe en butte aux attaques des fondamentalistes islamistes, opposés tant aux régimes en place qu’aux Américains. Al-Qaïda multiplie les attentats. Même la Libye, revenue dans le giron américain, court le danger d’être contaminée par les troubles soudanais.

De là découle toute l’importance du bassin pétrolier de la Caspienne, bien qu’il ne présente que 9 % des réserves prouvées de la planète, autant que la mer du Nord. Dans le cadre de la diversification des ressources, l’appoint est loin d’être négligeable. Les compagnies pétrolières américaines, soit directement, soit indirectement, ont donc conclu une série d’accords avec les pays riverains de la Caspienne pour l’exploitation du pétrole et du gaz, à terre aussi bien qu’en mer, en offshore. Cependant, se pose le problème crucial de l’évacuation des hydrocarbures vers les terminaux, d’où ils puissent être acheminés vers les pays consommateurs. Cette évacuation ne peut être réalisée que par transit à travers les républiques anciennement constitutives de l’URSS, par la Russie ou encore par l’Iran, déclaré rogue state, Etat voyou et peu fiable. Dernière voie, mais qui a totalement échoué, organiser le transit à travers le Turkménistan, ancienne république soviétique, puis par l’Afghanistan et le Pakistan, sur Karachi. Les négociations avec les Talibans ont été menées jusqu’au 11 septembre 2001. La seule et unique solution, la plus fiable et la moins dangereuse, est le transport par oléoduc et gazoduc partant de Bakou, en Azerbaïdjan, transitant par la Géorgie et Tbilissi, puis par la Turquie et Erzerum, pour aboutir au terminal turc de Ceyhan sur la Méditerranée dans le Golfe d’Iskenderum. C’est le tracé du BTC, de l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan, inauguré en 2005. Faut-il encore que ce tracé, mettant les Russes hors-jeu, soit acceptable par les Géorgiens comme par les Turcs.

Les Américains voudraient avoir le contrôle complet du bassin pétrolier de la Caspienne, mais ont à faire face à la concurrence russe. D’une part, les Russes sont riverains de la Caspienne, ont donc des intérêts et une production pétrolière et gazière sibérienne avec un réseau de transports d’hydrocarbures par gazoducs et oléoducs tant à l’est qu’à l’ouest. Le pétrole et le gaz kazakhs, notamment celui du gisement offshore de Tenguiz et celui encore plus prometteur, terrestre et offshore de Kashagan, avec une réserve réévaluée à hauteur de 7 à 13 milliards de barils. Il est donc envisagé une extension du BTC de Bakou au Kazakhstan.

Le réseau russe avec ses ramifications, à l’est, se termine à la hauteur du lac Baïkal. Des études ont été entreprises et une planification réalisée afin de prolonger ce réseau jusqu’au terminal de Nakhodka, sur le Pacifique, puis de là vers le Japon par tankers. Un embranchement pourra approvisionner la Chine. Ce réseau passant à travers la Sibérie ou à travers l’Ouzbékistan ou le Kirghizstan, république anciennement constitutive de l’URSS et liée à la Russie, devra inévitablement prendre en compte les intérêts de Moscou comme de Pékin. Washington ne peut avoir le contrôle absolu de la production en hydrocarbures de la Caspienne.

De là découlent les visées américaines sur les républiques centre-asiatiques telles que le Kirghizstan et le Tadjikistan et qui ne sont pas uniquement provoquées par la nécessité d’avoir des bases arrière opérationnelles en vue de la lutte en Afghanistan.

La hantise américaine, est d’arriver à contourner la Russie. Plusieurs raisons militent à cet effet. En premier lieu, il y a le souvenir de la guerre froide. En deuxième lieu, les efforts de la direction politique du président Vladimir Poutine sont axés sur la restauration d’un pouvoir étatique délabré par la chute de l’omnipotent parti communiste et par la corruption chronique et endémique de l’ère de son prédécesseur Boris Eltsine. L’économie de marché, telle que prônée par les conseillers d’Eltsine que furent Tchoubaïs et Gaïdar, se révèle un leurre et les privatisations une opération de dupes. A cette fin, sur un marché aussi vital qu’est l’énergie fournie par les hydrocarbures, le système Poutine les ramène dans le giron de l’Etat. Il en est ainsi des entreprises Gazprom, Lukoïl, Iougansknefgaz, Sidanco, Sourgoutnefgaz, Sibneft, réunies ou non au sein de la firme Youkos. L’Etat rachète pour des bouchées de pain ce qu’il avait privatisé dans les même conditions. Il y a à nouveau collectivisation du domaine à cette différence que l’Etat est propriétaire par action, selon la norme capitaliste : il s’agit d’une nationalisation déguisée. Indéniablement, la corruption dans le domaine pétrolier russe, sans être éliminée, a considérablement diminué. L’industrie pétrolière a cependant besoin d’investissements, ce qui donne lieu à des appels à l’étranger, notamment Américains. Les Russes ont même proposé à un américain de prendre la direction d’une filiale de Gazprom, ce qui a été refusé.

Le marché russe est donc totalement fermé aux majors américaines. Dans une telle combinaison, les Russes ne font pas exception : la majeure partie des compagnies pétrolières sont nationalisées, qu’il s’agisse du Venezuela ou de l’Arabie Saoudite ou du Koweït. Le domaine privé pétrolier reste l’apanage des seuls Occidentaux et encore ont-ils le soutien de l’Etat au point que l’on accuse parfois les majors companies américaines d’avoir privatisé leur Etat à leur profit.

Dans ces conditions et à ce sujet, Américains et Russes ne peuvent coexister que dans un système de franche hostilité.

En Europe, les Russes s’opposent à l’extension de l’OTAN, ce qui leur vaut encore un sujet d’inimitié avec les Etats-Unis. Ils cherchent à constituer un nouveau bloc, en Asie, pour prendre les Américains de vitesse. En Asie centrale, l’alliance russe avec les Chinois, dans le cadre du groupe de Shangaï, pousse Moscou à soutenir Pékin dans son opposition au Japon et à Taïwan, tous deux alliés des Américains.

Ainsi, l’ensemble des enjeux comme le système des alliances, opposent Russes et Américains. C’est dans ce rapport de force que se placent les modalités et la stratégie américaine donnant lieu aux révolutions de couleur.

La géostratégie pétrolière américaine et son application

Les Américains, dans leur stratégie de contrôle ou de conquête des sites et des acheminements pétroliers, avant de se lancer dans une révolution de couleur, préfèrent attirer à leur côté les dirigeants en place. En ce cas, il n’y a pas lieu de se préoccuper de leur idéologie et de leur provenance. C’est le cas du gouvernement azeri, déjà cité, présidé par Heidar Ilham Aliev, ancien général du KGB et arrivé au pouvoir avec l’aide des Russes, en 1993, à la suite d’une révolution de palais, à peine un coup d’Etat. Les Russes, à l’époque, espéraient par la mise en place d’un président azeri allié, mettre un terme à la lutte entre Azeris et Arméniens. Par ailleurs, la solution d’une négociation à laquelle, du côté russe, prirent part Boris Berezovsky et Mikhaïl Khodorkovski, permit au pétrole azeri, contrôlé par les Américains, de se déverser jusqu’à la mer Noire, via les oléoducs russes, transitant ou non par la Tchétchénie.

Ce n’est que par la suite que les relations américano-russes se gâtèrent en partie à cause de la question tchétchène puis du renversement de politique russe voulu par Vladimir Poutine. En même temps, fut finalisé le projet du BTC pour plus de 4 milliards de dollars. Le financement provient à 70 % de la Banque mondiale, des instituts gouvernementaux américains et de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement. Les 30 % restants ont été fournis par un consortium comprenant BPcomme maître d’ouvrage ainsi que notamment des sociétés américaines, azerbaïdjanaises et turques servant d’écran à des capitaux américains et aussi une française (Total Fina Elf). Les Russes ont été exclus du système.

Avec les Kazakhs, le système n’est guère différent puisque le président Noursoultan Nazarbaev entretenait les meilleures relations du monde avec les Américains, bien qu’il ait été secrétaire général du parti communiste. Le Président Nazarbaev est prudent, car il se garde également d’inquiéter les Russes.

Ce n’est donc qu’en cas d’échec patent que Washington utilise le procédé d’une révolution de couleur soigneusement préparée.

Le déroulement des révolutions de couleur asiatique et la contre-attaque russe

Après les révolutions de couleur réussies en Moldavie, en Géorgie et en Ukraine, le point suivant d’application de la stratégie américaine est le Kirghizstan et l’Ouzbékistan. Une controverse s’est élevée sur le nom qu’il convenait de donner à la révolution kirghize. Celle des tulipes et de quelle couleur ? Ou celle des citrons ? Quant à l’Ouzbékistan, pas de controverse car pas de révolution ! Pourtant, tous les éléments classiques et bien connus étaient réunis.

Le schéma de la révolution de couleur est répétitif. Les régimes kirghize et ouzbek de tradition soviétique sont autocratiques et népotiques. Les Américains ont concentré leurs efforts sur le plus fragile, le plus vulnérable à l’influence occidentale, sans conteste le régime kirghize. De plus, il est soumis à des élections législatives en février-mars 2005. En second lieu, il est certainement le plus corrompu. En outre, le pays est cinq fois moins peuplé que l’Ouzbékistan avec une richesse nationale correspondante.

Par ailleurs, les Américains entretiennent dans les deux pays de solides bases militaires : Manas près de Bichkek, la capitale du Kirghizstan, Karshi, au sud de l’Ouzbékistan, près de la frontière afghane. L’ONG kirghize « Coalition », qui porte bien son nom, fédère efficacement l’ensemble du système oppositionnel au Kirghizstan. Une université américaine installée à Bichkek offre son rayonnement et un très important centre d’influence. En Ouzbékistan, la situation est moins favorable, car les services de renseignement et la police politique ouzbeks sont nettement plus attentifs, plus mordants et surtout moins infiltrés par la CIA que leurs homologues kirghizes.

La situation politique est identique. La Kirghizie est sous le coup d’une élection législative à deux tours intervenant en février et mars 2005, tandis que se précise la réélection du président de la République ouzbeke.

Les présidents, Askar Akaiev, le Kirghize et Islam Karimov, l’Ouzbek, sont de vieux vétérans communistes, dotés d’une parentèle importante avec laquelle ils partagent le pouvoir. Le Kirghizstan est intéressant par sa position géographique de transit de transport d’hydrocarbures ; l’Ouzbékistan de même, avec en plus une production nationale de gaz et de pétrole.

Pour la révolution des « tulipes » à Bichkek, les dirigeants de l’opposition pouvaient compter sur une imprimerie, propriété de l’ONG américaine Freedom House, publiant sa presse. Près des rotatives, une pancarte proclamait depuis novembre 2002 que le financement provenait directement du département d’Etat américain et de la fondation Soros. L’imprimerie est dirigée et son budget géré par un journaliste américain, Mike Stone, en vue des scrutins des 27 février et 13 mars 2005 qui seront emportés par l’opposition. A la veille du premier scrutin, une coupure d’électricité a bloqué le fonctionnement des rotatives et le président Askar Akaïev a annoncé l’ouverture de poursuites judiciaires contre le principal journal d’opposition. Mike Stone a réglé le problème : il a rappelé que le journal était publié par Freedom Home et qu’il valait mieux ne pas y toucher. Quant au courant électrique, il a été rétabli grâce à des générateurs loués à l’ambassade des Etats-Unis à Bichkek !

Le bourrage des urnes, dénoncé avec force, a conduit à la multiplication des manifestations de masse. Selon le schéma-type, Askar Akaïev, reconnaissait être incapable de gouverner et quittait le pouvoir pour se réfugier à Moscou. Sans pour autant démissionner d’ailleurs. L’ancien Premier ministre Kourmanbek Bakiev est élu par le nouveau Parlement dont il cesse de contester la légitimité, après avoir hurlé à la falsification des élections et aux fraudes que doivent corriger un nouveau scrutin, mais partiel et dans un avenir incertain. L’ancien président se déclare prêt à négocier sa démission, confortant ainsi la légitimité du Parlement fraîchement élu qui comporte, il est vrai, son fils, sa fille et nombre de ses partisans.

Finalement, la révolution des « tulipes » ou des « citrons » ressemble très étrangement à un jeu de marionnettes : un clan en a remplacé un autre. La rue peut s’interroger. Les Américains ne se posent pas de questions : ils ont obtenu ce qu’ils souhaitaient.

La contagion gagnera l’Ouzbékistan voisin, mais la révolution de couleur y subira un coup d’arrêt. C’est pourquoi elle reste sans nom.

Les Russes ont hérité des Soviétiques marxistes la marotte de la formalisation écrite des accords, une véritable « pactomanie », ce qui se traduit par une propension immodérée à conclure des traités, qui, bien souvent, se révèlent dénués de toute signification pratique.

Créé en 1991, sur les décombres de l’URSS, la Communauté des Etats Indépendants (CEI) a fini par rassembler les ex-républiques constitutives de l’URSS, à l’exception des trois républiques baltes. Tout au plus la CEI a établi une zone de libre-échange qui est restée très largement au plan théorique, à part les cessions d’hydrocarbures et plus concrètement, au sommet de Tachkent, le 15 mai 1992, un plan de défense collective antiaérienne a été adopté, mais suivi d’aucun effet.

Plus sérieux et surtout plus effectif est le traité portant sur l’Organisation de la coopération de Shanghai (OCS), regroupant, à l’origine, la Russie, la Chine, le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Kirghizstan. L’origine de ce traité est dans un accord conclu dans la fin des années 1990 à Bichkek. Le but est de lutter contre le terrorisme et le séparatisme. Les Chinois avaient en vue le séparatisme des Ouighours musulmans de leur province orientale du Xinjiang, seule productrice de pétrole en Chine, ainsi que le rattachement de Taïwan. La préoccupation russe était de contrer les revendications japonaises sur les Kouriles et la sécession tchétchène. L’ensemble des Etats signataires visait la stabilité dans la région et pensait au tracé du futur oléoduc Caspienne-Pacifique. Russes et Chinois avaient également trouvé un terrain d’entente pour faire pression sur leurs alliés respectifs, Indiens et Pakistanais et apaiser leur affrontement. Le nom de Shanghaï avait fini par être donné à l’organisation de l’accord, parce que sa formalisation finale avait eu lieu dans cette ville.

L’OCS, en outre, affiche en prospective le développement des échanges économiques, l’agrandissement d’un centre antiterroriste créé à Bichkek, puis déplacé à Tachkent et l’élargissement à de nouveaux membres acceptés à l’unanimité des Etats fondateurs, comme l’Inde, le Pakistan et la Mongolie. L’Iran sera une surprise !

La Russie préconise la création d’un Conseil des ministres de la Défense et d’un Comité des chefs d’état-major, ainsi que d’organismes facilitant en commun l’entraînement et l’engagement de forces militaires, incluant des unités spéciales. La Russie est ainsi en pointe dans le système.

La Chine et la Russie, puissances dominantes de l’OCS, ont en objectif stratégique commun, l’élimination, au moins l’affaiblissement de la présence militaire américaine et celle de l’OTAN en Asie centrale, de toute évidence..

L’OCS a démontré son efficacité notamment lors du sommet de Tachkent, le 17 juin 2004 où un plan a été mis au point pour juguler toute action terroriste, entre autres en Afghanistan. A cette occasion, les Chinois ont consenti un prêt de 900 millions de dollars au président de l’Afghanistan, Karzaï, et une coopération en matière de renseignement. En marge du sommet, de même, Russes et Ouzbeks avaient conclu un accord en matière de coopération militaire et de cession comme de transport d’hydrocarbures.

A sa création, en 1996, l’accord de Bichkek était dirigé contre les Américains qui soutenaient les islamistes et les séparatismes qui en découlent. Après le 11 septembre 2001, il a renversement, mais peu à peu, l’alliance se dégrade et il y a, à nouveau, opposition.

Au second sommet de Douchanbé, capitale du Tadjikistan, dans le but toujours d’assurer leur influence comme la stabilité, telle qu’ils l’entendent, les Russes sont parvenus à conclure un traité de sécurité collective réunissant l’Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Tadjikistan et le Kirghizstan. Cette Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) a pour aire d’application l’Asie centrale et il peut paraître étonnant que la Biélorussie y soit mêlée. Cela s’explique, par un autre traité, liant spécifiquement la Russie à la Biélorussie avec, entre autres, les mêmes sujets de préoccupation que l’OTSC, bien qu’appliqués à une aire géographique différente mais recoupant les autres traités.

C’est avec l’ensemble de ce dispositif institutionnel que les Russes comptent contrer la politique américaine des révolutions de couleur.

Le sommet de la CEI du 26 août 2005 se voulait festif et sérieux : il devait régler le problème des révolutions de couleur dans lesquelles Moscou voit essentiellement une ingérence américaine. Très effectivement, le sommet de Kazan, en dehors de célébrer le millénaire de la fondation de Kazan, a donné lieu à la mise en lumière d’une ligne de fracture entre des républiques de la CEI, recherchant un modèle et une alliance américaine et d’autres, acceptant, voire se satisfaisant de la domination de la Russie. En arrière plan, la lutte oppose Moscou et Washington rangeant dans son camp l’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie, dans l’autre les 9 républiques restantes composant la CEI.

En réalité, le feu a été ouvert le 12 août 2005, lorsque les présidents de la Géorgie et de l’Ukraine, issus des révolutions de couleur, réunis à Borjoni en Géorgie, ont convié les autres Etats de la CEI à les rejoindre au sein d’une nouvelle alliance régionale, « la Communauté du choix démocratique » s’étendant de « l’Atlantique à la Caspienne », résolument tournée vers le modèle occidental et américain.

La riposte russe a été lourde. En ce cas, toute cession de pétrole et de gaz, opérée par la Russie, se ferait aux Ukrainiens, Géorgiens et Moldaves au prix du marché, 67 dollars le baril au 26 août 2005, et non plus au prix préférentiel, le tiers, réservé aux républiques sœurs de la CEI. Le vice-ministre des Affaires étrangères russe, Grigori Karassine a déclaré « inacceptable la démocratisation forcée » de certains Etats de la CEI. Pour appuyer l’assertion, le 23 août, la compagnie russe Transneft avait annoncé réduire le transport du brut à travers l’Ukraine.

L’Ukraine et la Moldavie sont totalement dépourvues d’hydrocarbures, la Géorgie ne produit que 0,1 million de tonnes de pétrole. Ces pays n’ont rien à attendre des Etats-Unis au niveau énergétique, bien qu’une aide financière leur soit assurée. La Millenium Challenge Corporation (MCC), très liée au département d’Etat américain, promet une aide de 300 millions de dollars au gouvernement géorgien, en marge d’autres aides qui seraient annoncées lors de la première rencontre des pays de la Communauté des choix démocratiques, ouvertes dès l’automne de 2005 en Ukraine.

 

Si les dirigeants ukrainiens et géorgiens se lancent dans des initiatives qu’à Washington on peut espérer contrôler, il n’en va pas de même des débordements auxquels se livre la base quand ils ne sont pas provoqués par les Russes.

C’est ainsi que l’Azerbaïdjan, avec son gisement de Bakou et tout autant la station de départ de l’oléoduc BTC, pose problème. Le Nagorny Karabakh et le Nakhitechvan sont la proie d’une guérilla larvée permanente, provoquée par les lancinantes revendications arméniennes que soutiennent les Russes. Par ailleurs, si Washington s’est arrangé du président Ilham Aliev, vieux routier du communisme, il en est de même de Moscou.

Brice Jackson a vainement cherché à rétablir le calme, en octobre 2004 à Stepanakert, capitale de la province séparatiste du Nagorny Karabakh. Pourtant, c’est un missionnaire talentueux : il a arpenté et persuadé onze républiques de l’Europe de l’Est d’apporter leur soutien, parfois matériel, à l’invasion américaine de l’Irak en 2003. Il est l’artisan de la « Nouvelle Europe » de Donald Rumsfeld. Mais il n’arrive pas à calmer le jeu dans le sud du Caucase, au profit d’une stabilité dont ont tant besoin les Américains en vue du fonctionnement du BTC.

Le scénario des ONG américaines reprend spontanément mais à l’encontre des intérêts américains. Ces ONG reprochent au régime Aliev d’être dictatorial et corrompu et recherchent sa déstabilisation, selon le modèle retenu, sans que Washington débordé ait prévu une solution de remplacement.

Est particulièrement virulent le mouvement orange azerbaïdjanais (MOA) en liaison étroite avec le géorgien Kmara et l’ukrainien Pora, appuyés et aidés par l’ONG américaine Freedom House. Les services américains, la CIA en tête, sont dépassés. Une implantation militaire américaine dans la région est évoquée, mais surgissent immédiatement les objections. La stabilité dans le Haut Karabakh en sera-t-elle rétablie ? N’est-ce pas ouvrir un nouveau front de guérilla alors que manquent les effectifs ? N’est-ce pas fournir un aliment substantiel aux dénonciations russes sur la mise en place de forces d’occupations, dénonciations qui seront relayées par le voisin iranien ?

Le tracé du BTC inauguré en 2005 a besoin de transiter à travers des régions stables et paisibles. Or même l’allié turc offre des problèmes, notamment avec sa minorité kurde.

Instruit par la révolution kirghize des « tulipes », le président ouzbek, Islam Karimov, se tenait sur ses gardes. Il contrôlait parfaitement la situation depuis 1989, époque à laquelle il avait accédé au pouvoir en tant que secrétaire général du parti communiste ouzbek. Puis il s’était fait élire et réélire président de la république sans aucun problème jusqu’en 2005 et se trouvait sous le coup d’une nouvelle réélection. Il craignait à juste titre une révolution de couleur, ce que lui confirmaient ses propres services ; confortés par des informations russes et chinoises.

En dehors d’être sur le tracé d’un oléoduc Caspienne-Pacifique, la production ouzbek en hydrocarbures, gaz et pétrole, est intéressante.

Prudent et circonspect, tout en protestant de sa politique pro­américaine au point d’accueillir une base militaire sur son territoire, Islam Karimov maintenait des liens avec la CEI : il avait même accueilli un des sommets à Tachkent en 1992. Il entretenait également des liens étroits avec l’organisation de coopération de Shanghaï (OCS), et qui n’avait pas hésité à mettre sur pied à Tachkent le 17 juin 2004, un sommet annuel. En marge de ce sommet, Russes et Ouzbeks ont conclu un accord de coopération en matière de production et d’acheminement des hydrocarbures ainsi qu’en matière militaire. L’ensemble de cette politique ouzbek explique les raisons qu’a nourries Washington d’un remplacement d’Islam Karimov en utilisant le procédé de la révolution de couleur Aussi, moins d’un mois après la révolution kirghize, les ONG américaines implantées en Ouzbékistan sont fortement activées et le cycle des manifestations commence.

Tachkent n’est pas surpris et réagit avec détermination. Les manifestations sont dispersées sans ménagement, avant qu’elles aient pris de l’ampleur. L’une, le 13 mai, à Andijan, très près de la frontière kirghize, ce qui n’est pas un hasard puisque la Kirghizie a basculé dans la couleur, n’est pas maîtrisée autrement que par l’ouverture du feu. Les forces du maintien de l’ordre tirent à la mitrailleuse sur une foule houleuse : entre 500 et 1000 morts déclarent les ONG. Le chiffre est vraisemblablement à diviser par deux. En revanche, le signal est clair, la répression sans ambages, la révolution de couleur est matée. Des réfugiés, fuyant la répression, se précipitent au Kirghizstan qui ne montre qu’une ardeur faible à les accueillir. D’une part, Bichkek craint son puissant voisin, d’autre part conserve le souvenir d’affrontements interethniques de juin 1990 avec une minorité ethnique ouzbeke, un dixième de la population dans un pays qui compte cinq millions d’habitants.

Le ton était déjà monté en avril et en mai 2005 entre Washington et Tachkent lorsque les Américains avaient demandé l’ouverture d’une enquête internationale sur les modalités de la répression. La Banque européenne pour la reconstruction et le crédit (BERD) a suspendu une partie de l’aide promise à l’Ouzbékistan. La réplique de Tachkent a été cinglante, en dénonçant une ingérence et en qualifiant l’opposition d’être manipulée par les islamistes et les Américains de s’en faire les complices. Tachkent a réclamé avec force le rapatriement forcé des réfugiés, ce qui n’a été accordé que partiellement par les Kirghizes. Un demi-millier d’entre eux, dont l’Ouzbékistan demandait l’extradition, a été transférés en Roumanie puis envoyé dans des pays tiers comme les Etats-Unis, le Canada, le Danemark et les Pays-Bas.

Le régime d’Islam Karimov, d’évidence, craint que ces réfugiés ne reviennent en Ouzbékistan, après avoir reçu une formation adéquate permettant la déstabilisation du système en place. Aussi, ces réfugiés ont-ils été dûment fichés et il est clair qu’ils seront poursuivis, plus par les services russes qu’ouzbeks d’ailleurs, pour des raisons d’efficacité. L’ambassade des Etats-Unis et les antennes de la CIA sont surveillées. Reste le problème des implantations militaires américaines.

S’appuyant sur une résolution du sommet de l’OCS, tenu le 5 juillet 2005 à Astana, capitale kazakhe, les gouvernements ouzbek, kirghize et tadjik demandent la fermeture des bases miliaires américaines implantées sur leur territoire. Dès lors, Donald Rumsfeld s’est lancé, les 25 et 26 juillet 2005, dans une tournée pour amener les gouvernements concernés à revenir sur leur décision. S’il a eu gain de cause avec les Kirghizes et les Tadjiks, Tachkent a maintenu sa décision en donnant à Washington un délai de six mois pour démanteler la base de Karshi Khanad, située sur son territoire et pourtant jugée extrêmement importante pour les opérations en Afghanistan.

Leur rapprochement avec l’Allemagne fait que les Ouzbeks ne demandent pas le retrait d’une implantation militaire allemande. Seuls partent les Américains. Et pour faire bonne mesure, la Russie signe avec l’Ouzbékistan un traité d’alliance mutuelle comportant des clauses militaires.

En ce qui concerne le rapprochement russo-allemand, il est marqué par un fait éclatant : désormais, l’Allemagne est le premier client et le premier fournisseur de la Russie. La nomination donc de Gerard Schrôder à la tête de la North European Gas Pipeline Company souligne ce rapprochement. La construction de ce gazoduc, immergé dans la Baltique et reliant directement la Russie et l’Allemagne, permet de contourner toute l’Europe de l’Est, notamment les Républiques baltes, la Pologne et l’Ukraine, liées aux Etats-Unis. A partir de l’Allemagne, le gazoduc permettra d’irriguer l’Europe occidentale.

La riposte de Washington consiste à allouer 50 millions de dollars au Kirghizstan et 42 millions de dollars au Tadjikistan comme montant de la location des bases. Cependant, Washington a été incapable de s’opposer au renforcement de la présence militaire russe au Kirghizstan ni d’empêcher l’Ouzbékistan de rompre un contrat gazier, au détriment de Bichkek. La riposte est faible !

Autre compensation pour Washington, mais assez maigre, en août 2005, le Turkménistan annonce un changement de son statut au sein de la CEI. De membre adhérent, il passe au statut de membre associé. De fait, le Turkménistan ne souhaite pas être entraîné dans un conflit par un engrenage automatique du jeu des alliances. Il ne se rapproche pas pour autant des Etats-Unis.

Deux autres pays pourraient se sentir sur la sellette face à une révolution de couleur : le Kazakhstan et la Biélorussie. Tous deux ont des régimes anachroniques dans un système dictatorial. La situation est sensible pour le Kazakhstan, fort producteur de pétrole. Elle l’est tout autant en Biélorussie où le président Alexandre Loukachenko utilise des méthodes que n’eut pas désavouées Staline et se refuse même à écouter les conseils de modération que lui fait parvenir Vladimir Poutine. Le problème biélorusse est aggravé par la présence d’une forte minorité polonaise, ce qui vaut à Minsk, un activisme puissant de Varsovie. Astana et Minsk, à l’annonce des tentatives de renversement gouvernemental en Ouzbékistan et de leur échec, ont eu des réactions préventives immédiates.

Noursoultan Nazarbaev a proclamé officiellement, relayé par la télévision, le 24 août 2005, que le Kazakhstan était un pays riche dont la masse pétrolière était correctement redistribuée. Les ONG étrangères et nationales n’avaient pas à se mêler de ce genre de question et, par ailleurs, elles n’étaient pas les bienvenues sur le territoire kazakh. Pour finir, Noursoultan Nazarbaev a annoncé avoir la ferme intention de solliciter un nouveau mandat de sept ans, lors de l’élection présidentielle du 4 décembre 2005. Et il a bien été élu ! Cela lui fera 23 années de pouvoir absolu. Difficile de battre un tel record !

Quant aux relations russo-polonaises, tant en réaction aux évènements d’Ukraine qu’en défense de la Biélorussie, elles se sont considérablement dégradées. Les mises en garde de la part de Moscou n’ont pas manqué. Entre Varsovie, entraînant Vilno, et Moscou, désormais, règne une franche hostilité.

En décembre 2005, Moscou hausse le ton. Le gaz distribué en Ukraine et en Géorgie doit désormais répondre aux critères de prix du marché puisque ces républiques anciennement soviétiques adoptent une politique pro­occidentale et même veulent adhérer à l’OTAN. Il en résulte un ultimatum suivi d’effet : le 1er janvier 2006, l’Ukraine paiera le gaz au prix du marché et non plus au titre d’une amitié désormais détruite. L’Ukraine capitule trois jours après. Il en est de même de la Géorgie, confrontée, en janvier 2006, à des sabotages en Ossétie du Nord qui la prive de l’approvisionnement gazier de la Russie. Pour faire bonne figure, les sabotages s’en prennent aussi aux lignes d’approvisionnement en courant électrique russe. Qui a pu croire un instant que les hydrocarbures n’étaient pas une arme politique ?

Moscou ne souhaite pas pour autant ressusciter la guerre froide. Il s’agit ni plus ni moins que de donner un coup de semonce à Washington et d’amener les Etats-Unis à arrêter leur expansion, sans plus. C’est tout à fait le sens qu’a donné en juillet 2005, le secrétaire général de l’OTSC à sa déclaration, en précisant que la résolution de l’OCS ne signifiait pas une demande de retrait immédiat des troupes américaines. « Il ne faut pas dramatiser », a-t-il explicité. Effectivement, le délai laissé par les Ouzbeks pour l’évacuation de leur base est de six mois.

Moscou cherche aussi à arrêter ce que les Russes appellent la subversion par les ONG. Un train de mesures, à cet effet, est voté, en décembre 2005, par le Parlement -la Doumaet corroboré par le Conseil de la Fédération- avant sa mise en application par le Kremlin. Il est signifié aux ONG russes l’interdiction de recevoir des fonds étrangers. Quant aux ONG étrangères, elles seront surveillées et devront désormais obtenir l’autorisation des autorités russes pour s’installer.

Ce n’est cependant pas pour autant que Moscou néglige les pressions militaires. Du 18 au 25 août, sous l’égide de l’OCS, Russes et Chinois ont opéré une manœuvre commune mettant en ligne quelque 10.000 hommes et une force aéronavale conséquente. Les exercices se sont déroulés en Extrême-Orient touchant la région de Vladivostok pour se poursuivre en Mer Jaune, au large de la péninsule de Jiaodong. Ces manœuvres, baptisées Mission paix 2005 constituent une nouveauté par leur ampleur et leur organisation, puisqu’il y a un commandement unique et commun. Le rapprochement militaire sino-russe est un signal très fort donné à Washington concernant les révolutions de couleur. Les Russes l’ont souligné à la télévision, relayé par l’Agence Chine Nouvelle, le 2 août et pour couper court à toute méprise, ils ont tenu à spécifier que la presqu’île de Jiaodong, théâtre des exercices, ne figurait nullement « la Corée ou Taïwan ». En octobre 2005, les Russes prévoient des manœuvres conjointes avec les Indiens.

La stratégie russe se dessine ainsi avec la constitution d’un axe Moscou-Delhi-Pékin qui devrait donner un coup d’arrêt à l’expansion américaine en Asie. L’histoire contemporaine connaît une répétition de la constitution de blocs politico-militaires.

L’expansion de l’influence américaine est pour une très large part dictée par une politique pétrolière. En lançant leur stratégie des révolutions de couleur, inspiré plus ou moins de la « révolution de velours » des Tchèques qui a porté au pouvoir Vaclav Havel au lendemain de la chute du mur de Berlin, les Américains devaient bien s’attendre à une contre-attaque russe.

Elle a porté sur le point faible, l’Asie centrale et le pétrole de la Caspienne. Le coup d’arrêt a porté. L’alliance sino-soviétique est marquée dans les faits, sans que les Russes tiennent tant que cela à s’engager dans un conflit pour la domination du Pacifique ou pour Taïwan, conflit qui cependant menace.

En Europe, les Américains ont marqué des points, indéniablement, mais un coup de semonce leur a été donné au sujet de la Biélorussie. Quelle que soit la faiblesse démocratique du régime biélorusse, les stratèges américains sont très fermement invités à réfréner l’ardeur de leurs ONG à Minsk et les Polonais à ne pas trop se nourrir d’une nostalgie de grandeur des Jagellon. L’Ukraine n’est pas à eux !

En abandonnant le marxisme comme religion d’Etat, les Russes ont perdu tout support idéologique. L’économie de marché qu’ils ont adoptée et la pratique des affaires commerciales avec en vue l’enrichissement personnel ne peut servir de substitut à une idéologie désormais manquante. En outre, le modèle social et sociétal qu’ils offrent n’est guère attractif. Ils sont empêtrés dans leur guerre de Tchétchénie sans arriver à faire comprendre aux Occidentaux que, pour une part, cette guerre est le prolongement d’un affrontement contre le crime organisé et des gangs maffieux tchétchènes que les polices peinent à éradiquer, notamment à Moscou. Dans une société qui a perdu ses repères, la lutte contre la corruption, par ailleurs, est difficile. En effet, les affairistes, les oligarques comme on les appelle, ont partie liée avec la classe politique quand ils n’en font pas partie.

Face à la stratégie américaine, soutenue par une CIA active d’une part, et agissant par l’entremise d’un tissu d’ONG locales, réparties sur l’ensemble d’un territoire national, les Russes sont désemparés.

Les Russes sont totalement dépassés lorsqu’ils songent à contrer cette culture d’influence après l’avoir décelée. L’influence russe se résume à des relations d’Etat à Etat avec la conclusion d’accords militaires, politiques et économiques. Ainsi, la Russie se révèle incapable d’agir sur le tissu social par le biais de la culture, des médias et des organisations de masse comme les ONG.

En Asie centrale, ce n’est pas un coup de semonce que les Russes ont porté, mais bien un coup d’arrêt. Le mécompte américain s’explique assez facilement. D’une part, les Américains accumulent les revers en Irak où la guerre n’en finit pas et où il est difficile d’obtenir un semblant d’accord constitutionnel. De plus, les Américains ont à faire face à une coalition comprenant les Chinois et les Russes.

Le mécompte est aussi dû à une raison sociétale que les Américains ont mal perçue. La culture politique des sociétés d’Asie centrale repose plus sur des allégeances claniques, voire à un homme, le chef du clan, que sur des clivages idéologiques. Il y a nécessairement des rapports de clientélisme avec le personnel politique dirigeant. Le cas kirghize est patent. La révolution des « tulipes » s’est soldée par l’adoubement du chef de l’opposition, Kourmanbek Bakiev, par un Parlement dont il contestait la légitimité, le scrutin ayant été falsifié. Or, non seulement Kourmanbek Bakiev est élu président par ce Parlement, mais ce dernier est maintenu en place sous réserve de quelques élections partielles dans une dizaine de circonscriptions, et dans un délai indéterminé. La population est certes désenchantée, les étudiants ont parcouru les rues de Bichkek avec des pancartes inscrivant leur déception, mais en vain.

Les Américains ont dû négocier avec le nouveau gouvernement pour obtenir le maintien de leur base de Manos. Un dernier revers les touche : l’Iran, le Rogue state a adhéré en 2005 à l’Organisation de coopération de Shangaï. L’Iran ainsi brise son isolement et l’acceptation de son adhésion ne peut que dresser encore plus les Etats-Unis contre la Russie et la Chine.

* Président de DÉMOCRATIES

 

 

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