Les racines britanniques du terrorisme international

Jacques cheminade

Avril 2015

Ce travail se propose de mettre en évidence que la matrice de domination impériale britannique qui repose sur une combinaison d’influence économique, de guerre irrégulière, de désorgani­sation des structures étatiques et de guerre globale, a également produit le terrorisme comme levier permettant à la combinaison de fonctionner au plus haut niveau d’efficacité destructrice. Le terrorisme n’est donc pas un accident ou une arme isolée, mais une pièce maîtresse sur un échiquier complet. Il ne faut pas le penser d’abord comme un terrorisme d’État, bien qu’il puisse prendre cette forme, mais comme arme d’un Empire qui hier était maritime et colonial et qui est devenu aujourd’hui « offshore » ou hors sol, à partir de la City de Londres, de Wall Street et de leurs paradis fiscaux.

Il est aujourd’hui fondamental de comprendre que les racines du ter­rorisme international (la violence infligée par principe à l’autre pour ce qu’il est) sont britanniques, pour éviter de commettre des erreurs d’évaluation désastreuses au sein des tempêtes politiques et stratégiques de notre temps. Il ne s’agit pas de la responsabilité du Royaume Uni proprement dite mais de la matrice impériale bri­tannique qui a pris différentes formes dans son histoire. Aujourd’hui, on se trouve le plus près de la réalité en se souvenant de la formule utilisée par John Maynard Keynes : « American money and British brains », l’argent américain et le cerveau britannique.

Cette matrice de domination impériale repose sur une combinaison d’influence économique, de guerre irrégulière, de désorganisation des structures étatiques et de guerre globale, le terrorisme étant le levier permettant à la combinaison de fonc­tionner au plus haut niveau d’efficacité destructrice. Le terrorisme n’est donc pas un accident ou une arme isolée, mais une pièce maîtresse sur un échiquier complet. Il ne faut pas le penser d’abord comme un terrorisme d’État, bien qu’il puisse prendre cette forme, mais comme arme d’un Empire qui hier était maritime et colonial et qui est devenu aujourd’hui « offshore » ou hors sol, à partir de la City de Londres, de Wall Street et de leurs paradis fiscaux. Cet Empire récupère toutes les arriérations, tous les fondamentalismes religieux soi-disant régénérateurs et tous les archaïsmes, y compris l’outrage fait aux femmes, et en joue systématiquement.

Guy Debord, dans sa Préface à la 4ème édition italienne de son ouvrage La Société du spectacle, nous parle, en 1979, « d’une couche périphérique de petit terrorisme sincère mais toléré maintenant comme un vivier dans lequel on peut toujours pêcher à la commande quelques coupables à mettre sur un plateau ». C’est une juste description mais encore faut-il examiner les localisations géographiques et la matrice de ces faits pour en comprendre la logique criminelle et y faire face. En France, Olivier Blanc, dans un livre intitulé Les Hommes de Londres, a bien exposé ceux qui fomentent et exploitent les colères d’autrui, les portant à détruire et à s’autodétruire. C’était au moment de la Révolution française, mais la méthode reste de jeter des fourmis rouges humaines contre des fourmis noires humaines et de contrôler leurs conflits. C’est de cette méthode dont je veux vous parler ici, par delà la description de tel ou tel monstre de Frankenstein qu’elle engendre.

Les Britanniques ont opéré en conjonction avec le terrorisme en Asie du Sud Ouest, en manipulant à la fois les réseaux wahhabites et sionistes, dans les révolu­tions de couleur d’Europe orientale, dans les manipulations ayant créé les condi­tions du 11 septembre et jusqu’en Chine. Ils ont laissé des traces, le plus souvent sous la forme opérationnelle de réseaux américains héritiers de leurs méthodes dans la période récente.

Au Proche et Moyen-Orients, on trouve les réseaux de Cecil Rhodes et de deux de ses opérateurs principaux, Lord Alfred Milner et Lord Leo Stennet Amery. Ils ont à la fois financé les réseaux nationalistes arabes, particulièrement dans la mouvance wahhabite, et les réseaux du révisionnisme sioniste de Vladimir Ze’ev Jabotinski et de Chaim Weizmann. À partir des émeutes de Nebi Musa, en 1920, ils ont ainsi créé un environnement contrôlé promouvant une instabilité permanente au profit de leurs intérêts financiers. L’antisémitisme terroriste arabe se trouve ainsi opposé à un racisme anti-arabe, visant à éliminer tous les mouvements raisonnables dans tous les camps et à promouvoir une guerre de tous contre tous.

C’est après les émeutes de Nebi Musa que Jabotinski et Husseini furent promus en héros de leurs communautés respectives lancées l’une contre l’autre. À noter que le père de Benjamin Netanyahou, Ben Zion Netanyahou, était le secrétaire person­nel de Jabotinski.

Le quotidien The New York Times du 11 juin 1916 proclamait : « Lord Milner veut l’Union anglo-américaine ». Il est essentiel de comprendre que cette « Union » vise à détruire les fondements de tout état-nation, y compris des États-Unis et de la Grande Bretagne, pour les situer sous la tutelle permanente d’un mondialisme financier et de services de renseignement échappant à tout contrôle judicaire de leurs activités. Amery, par exemple, réservait ses plus virulentes critiques à Sumner Welles, le sous-secrétaire d’État de Franklin Delano Roosevelt, qui partageait avec son président le rejet des méthodes de l’Empire britannique. Dans son journal il note, le 26 juillet 1928, « Notre objectif ultime est clairement de faire de la Palestine un centre d’influence occidental, en utilisant les Juifs comme nous l’avons fait auparavant avec les Ecossais, pour promouvoir l’idéal britannique à travers tout le Moyen-Orient et non pour établir une enclave orientale artificielle des Hébreux dans une région orientale ». Ainsi Amery et Weizmann créèrent la Légion juive, dont Jabotinski fut le porte-parole et l’organisateur. Quant au colonel John Henry Patterson, opérant davantage sur le terrain, il participa à l’organisation des camps du Betar en Palestine et dans l’état de New York. Ce sont ces milieux qui engendrèrent l’Irgoun et ses activités terroristes. Jabotinski, au cours la troisième Conférence révisionniste inter­nationale, qui se tint à Vienne en 1928, soutint la résolution déclarant qu’il « n’y avait aucune contradiction entre une Palestine juive et un éventuel statut de dominion du Commonwealth britannique ». Cela ne se fit pas, mais l’influence demeura.

Il faut ici bien comprendre que cette politique ne découlait et ne découle pas d’un attachement au peuple juif ou même à l’État d’Israël, mais à la volonté de diviser pour régner en créant une situation d’affrontement permanent. Preuve en est que ces mêmes intérêts impériaux alimentèrent les monarchies séoudienne et du Golfe Persique, ainsi que leurs émanations terroristes parrainées et financées par les institutions dites charitables du monde musulman. On connaît aujourd’hui l’im­plication du prince Bandar dans le financement de certains des opérateurs du 11 septembre, et l’utilisation qui a été faite des énormes revenus procurés par le contrat anglo-séoudien Al-Yamamah, armes contre pétrole, pour financer des « opérations parallèles ». Le contrat a été signé en 1985, mais ces effets se prolongent depuis. Les fonds ont été placés hors de tout contrôle sur les marchés des hedge funds des îles Caïman, dont les billets sont à l’effigie de la reine d’Angleterre et l’hymne national « God save the Queen »…

William Simpson, dans son ouvrage intitulé Le Prince. Histoire secrète du membre d’une famille royale le plus intrigant du monde, rapporte que Bandar « pouvait se présenter avec un panache sans pareil au 10 Dowing Street, ayant également accès à Margaret Thatcher, John Major et Tony Blair ». On parle bien ici du manipulateur du terrorisme dit « islamique ».

Aujourd’hui, certaines banques turques servent de centres financiers à l’État islamique, ces établissements procédant à des transferts de fonds de « donateurs privés » du Golfe en utilisant les services de banques britanniques. L’argent passe par exemple d’une banque séoudienne qui le transfère sur un compte commun « insoupçonnable » en Grande Bretagne, puis versé au profit d’une société commer­ciale fictive en Turquie et enfin livré en espèces aux terroristes à la frontière entre la Turquie et la Syrie.

Les révolutions de couleur dégénérant en violences fascistes, comme en Ukraine, ont été organisées à partir des conceptions de Gene Sharp, reprises et appliquées par Adam Roberts et Timothy Garton. Tous associés à l’Université d’Oxford, comme l’était Amery, au Balliol College. Le National Endowment for Democracy et l’USAID n’ont fait qu’appliquer ces recettes, en mettant la violence terroriste au bout de la « désobéissance civile ». Victoria Nuland, finançant et promouvant les extrémistes de Maïdan et les terroristes des bataillons de Pravy Sector, n’est qu’une héritière de vieilles méthodes. L’Ambassadeur américain à Moscou, McFaul, a ainsi ouvertement déclaré que « ceux qui défendent la souveraineté des États le font avant tout pour préserver l’autocratie, tandis que ceux qui défendent la souveraineté des peuples sont les nouveaux progressistes ». McFaul et Susan Rice, ambassadrice améri­caine auprès des Nations Unies, sont tous deux des Rhodes scholars qui ont bien appris leur leçon. Au cœur de cette supposée « défense des peuples » se trouvent les thèses sur la « défiance civile » de Gene Sharp, qui est un Américain mais diplômé d’Oxford. Ces thèses contiennent 198 tactiques pour fabriquer une révolution, parmi lesquelles le recours à l’usage de couleurs symboliques pour chacune d’entre elles. Sir Adams Roberts et Timothy Garton ont appliqué la démarche de Sharp en lançant leur projet de « Civil Resistance and Power Politics ». Au départ, on démarre avec la résistance non violente, reprenant le mode d’opérer de Ghandi et de Martin Luther King en le dévoyant, mais à l’arrivée on trouve les mouvements fascistes dont on feint de déplorer, du moins en public, les manifestations extrêmes.

Christine Bierre a montré le recours à ces méthodes pour déstabiliser la Russie avec le terrorisme dit « tchétchène » mais provenant en fait d’une matrice wahha-bite. Ces terroristes et ceux de l’État islamique ont trouvé pendant longtemps leur asile et leur plateforme dans le « Londonistan », avec ses mosquées, ses institutions charitables, ses chaînes de télévision et ses centres culturels islamiques. Le cas du tchétchène Abou Omar al-Chichani, commandant de l’armée de l’État islamique, est un exemple de cette interpénétration. Ed Balls, lorsqu’il était secrétaire d’État à l’Education, avait promu les subventions publiques, qui selon Andrew Gilligan du journal The Telegraph n’ont pas été supprimées jusqu’à aujourd’hui, en faveur des écoles racistes et ultra-communautaristes du groupe Hizb ut-Tahrir, qui a toujours appelé à la création d’un État islamique. Nos services français ont longtemps pro­testé contre cette curieuse « tolérance » manifestée dans le Londonistan.

Enfin, c’est au Tavistock Institute de Londres que se situe le centre des opéra­tions de contrôle et de manipulation psychologique permettant d’étudier et au be­soin de promouvoir le comportement de « terroristes ». Il faut ici éviter de tomber dans deux écueils, le Charybde de l’angélisme et le Scylla du conspirationnisme. Le premier Institut du Tavistock, du nom du Tavistock Square à Londres, a été créé en 1921. Son premier objectif était d’étudier les traumatismes de guerre (shell shocks) soufferts par les soldats britanniques ayant survécu à la Première guerre mondiale. Il s’agissait d’identifier, avec des critère scientifiques, le « seuil de rupture » de la résistance d’un être humain à des sollicitations extrêmes. Le projet était parrainé par le Bureau pour la guerre psychologique de l’armée britannique, sous l’autorité du psychiatre John Rawling Rees. L’arrivée en 1932 de Kurt Lewin, qui fut aussi le fondateur de la clinique psychologique de Harvard, marqua l’introduction des méthodes de la « dynamique de groupe », c’est-à-dire les techniques de manipulation de l’individu inséré dans un groupe visant à lui faire acquérir certains comporte­ments. Lewin, avec Rees, étudièrent les effets des bombardements sur la population civile en Allemagne. Lewin se spécialisa dans les études de « programmation » et de « déprogrammation » avant de passer aux travaux pratiques. Selon lui, il est pos­sible d’imposer à une population ou à des individus adultes « un état émotionnel comparable à celui d’enfants névrosés ». La tentation fut grande, à partir de là, de franchir le seuil et de créer l’environnement qui brise les résistances psychologiques des individus pour les amener à des tâches qu’autrement ils auraient rejetées.

Ce freudisme dévoyé par les conditions barbares de la guerre s’étendit à l’occa­sion de la Guerre froide. La deuxième version du Tavistock Institute fut lancée en 1947 sous le nom de Tavistock Institute for Human Relations, avec l’assistance financière de la Fondation Rockefeller et l’échange d’experts anglais et américains. John Rawling Rees, soutenu par Allen Dulles, y joua, fort de son expérience précé­dente, un rôle moteur. Les méthodes de bourrage de crâne à des fins politiques s’y développèrent avec l’étude des changements comportementaux subis par les prison­niers de guerre américains en Corée du Nord. À partir de là, ce freudisme dévoyé s’est étendu à toutes les agences anglaises et américaines de renseignement pour y former les idiots utiles d’opérations terroristes. Le moyen était de jouer sur les terreurs identitaires, le but de diviser pour régner. Ainsi, on a étudié à la Harvard Psychology Clinic comment créer les conditions pour faire apparaître un chef et créer un effet d’accoutumance pour le suivre. Le refus d’aller au bout des enquêtes sur divers assassinats ou tentatives d’assassinat aux États-Unis même s’explique ainsi par la volonté de protéger les sources.

Beaucoup voient ainsi le côté émergé de l’iceberg américain, sans discerner en fin de comptes la matrice impériale britannique. Ainsi, la Rand Research and Development Corporation est une des émanations des « conceptions » du Tavistock, tout comme la Sloan School au MIT ou le Centre pour les études stratégiques et intellectuelles à Georgetown. Cela ne signifie pas, bien entendu, un contrôle méca­nique, mais un partage des mêmes conceptions de guerre psychologique. On pour­ra dire que le maoïsme en Chine, le KGB, le Mossad ou l’activité de notre propre Bureau d’action psychologique pendant la guerre d’Algérie jouèrent ou jouent un rôle analogue. Cependant, pour comprendre le fait même du terrorisme, il faut en voir sa forme « moderne » la plus accomplie. Si l’on ne veut pas faire trop d’efforts, la lecture de L’agent secret de Joseph Conrad constituera une initiation utile.

Tant que nous n’aurons pas mis fin à cette conception de l’être humain consi­déré comme étant défini par ses perceptions et soumis à des expériences manipula­trices, nous n’aurons pas mis fin au terrorisme. Et les fourmis rouges continueront à se précipiter contre les fourmis noires, sans qu’on puisse retrouver un vouloir vivre en commun dans la détente, l’entente et la coopération. Espérons que les pays des BRICS aient aujourd’hui ouvert la voie vers ce vouloir vivre et que nous serons capables de devenir leurs partenaires. La clef est, je pense, celle d’états nations voués aux intérêts communs de l’humanité, contre toutes les oligarchies impériales. Nos pays européens, trop soumis, doivent en être libérés, y compris la Grande Bretagne. Permettez-moi de finir sur cette espérance, cette ardente et urgente espérance.

 

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