Mohamed Fadhel TROUDI
DEPUIS LONGTEMPS, les puissances ont recherché un mécanisme permanent de solution juridique des litiges internationaux. Au niveau international, la Cour pénale internationale de justice CPIJ siégeant à la Haye, créée en 1920 sous l’égide de la Société des Nations, avait pour mission de trancher les litiges entre les Etats et pouvait, à la demande exclusive d’une organisation internationale, rendre des avis consultatifs sur des questions de droit. Jusqu’en 1940, elle a rendu plus de 70 décisions qui ont fixé les grands principes du droit international encore en vigueur aujourd’hui.
La Cour internationale de justice CIJ siégeant également à la Haye l’a remplacera en 1945 et est rattachée directement à l’ONU. Elle en constitue aujourd’hui la plus haute instance juridique internationale.
La CIJ instituée par la Charte des Nations unies en tant qu’organe judiciaire d’une grande importance, fonctionne conformément à son statut l’article 2 stipule, je cite : « la Cour est un corps de magistrats indépendants élus sans égard à leur nationalité parmi les personnes jouissants de la plus haute considération et qui réunissent les conditions requises, pour l’exercice dans leurs pays respectifs, des plus hautes fonctions judiciaires ou qui sont des jurisconsultes possédant une compétence notoire en matière de droit international ».
La CIJ est en somme la gardienne du droit international, avec pour principe de fonctionnement l’impartialité de la procédure judiciaire et l’égalité des moyens que la cour garantit aux parties qui la saisissent. C’est en accomplissant cette fonction de règlement des différends ou d’arbitrage entre les parties, en donnant un avis juridique sur un litige qui lui est soumis, qu’elle incarne le principe de l’indépendance et de l’égalité de tous devant la loi.
En somme, elle agit en gardienne du droit international et de sa stricte application à toutes les parties sans exclusive.
Elle assure le maintien d’un ordre juridique international cohérent et affranchi de toutes pressions extérieures, loin de l’agitation débordante qui règne au siège de l’organisation onusienne et particulièrement au conseil de sécurité. Ses activités contribuent de manière très directe aux buts et objectifs globaux de l’ONU. A cet égard, elle jouit d’une reconnaissance universelle pour son rôle en matière de règlement par l’autorité de la justice et du droit comme l’atteste le grand nombre d’affaires inscrites sur son programme d’action.
Il en est ainsi de sa saisine par l’Assemblée générale des Nations unies sur les conséquences de la construction du mur par Israël sur les populations palestiniennes.
L’avis de la Cour International de Justice de la Haye sur les « conséquences juridiques de l’édification du mur de sécurité par Israël dans les territoires palestiniens occupés » et précisément en Cisjordanie sous forme de requête pour avis consultatif transmise par l’Assemblée générale des Nations unies, a suscité beaucoup de remous et de commentaires à la fois par les parties intéressées mais aussi dans l’ensemble du monde. Et ce malgré son caractère consultatif et donc sans obligation d’application sur le terrain du moins en théorie.
Dans son arrêt du 9 juillet 2004, la cour a fermement condamné l’édification du mur. Dans le paragraphe163 on peut y lire : « l’édification du mur qu’Israël, puissance occupante, est en train de construire dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, et le régime qu’il lui est associé, sont contraires au droit international ». Par conséquent la cour demande l’arrêt des opérations de construction, la démolition des parties déjà construites, l’abrogation du régime juridique qui y est associé et la réparation des dommages causés par cette construction.. Par ailleurs la cour demande aux pays tiers de ne pas reconnaître la situation illicite qui découle de la présence de ce mur et de ne rien faire pour pérenniser cet état de fait.
En dépit de cette condamnation, Israël poursuit la construction du mur, les nouveaux plans montrent même une augmentation des parties annexées notamment autour des colonies de Guch Etzion. Une fois de plus Israël refuse l’application des décisions de l’ONU dont elle est membre et par conséquent signataire de sa charte, prétextant une fois de plus que sa « sécurité » passe avant le droit international. Cette situation -entraine des violations répétées des droits de l’homme dans les territoires, qui ont été relevées par le Bureau des Nations unies pour la Coordination des affaires humanitaires (OCHA)1 et s’accentue dans une totale indifférence internationale.
Le mur : un moyen de protection ou instrument de colonisation
Le Premier ministre israélien a déjà fait savoir que l’arrêt de la CIJ était « inutile » et que son gouvernement poursuivrait l’édification de ce que Israël qualifie de « clôture anti-terroriste ». Les autorités israéliennes n’ont pas cherché ces derniers mois, il faut le dire, à atténuer les conséquences d’une décision qui pourrait les isoler encore un peu plus de la communauté internationale. En édifiant une clôture trois fois plus haute et deux fois plus large que le mur de Berlin que l’Allemagne de l’Est appelant le « mur de la paix » et l’Allemagne de l’Ouest le « mur de la honte », Israël va annexer unilatéralement une partie substantielle de la Cisjordanie et resserrer les barrages militaires autour des villes palestiniennes, en y enfermant ainsi efficacement les habitants des villes et villages palestiniens pris dans l’étau de ce mur.
La construction de ce mur fait suite à celui construit autour de Gaza lors de la première Intifada (1987-1993), permettant à Israël de maintenir son contrôle sur 20% de Gaza et confine ainsi un peu plus de 1,2 millions de Palestiniens dans ce qui ressemble fort à une prison à ciel ouvert. Les habitants de la Cisjordanie connaissent aujourd’hui la même situation, La muraille suit les frontières de 1967, tout en annexant de nombreuses colonies censées disparaître. Pire cette clôture entoure étroitement plusieurs territoires-clés palestiniens et en découpe d’autres : ainsi le village palestinien de Quaffin se voit privé de 60% des terres agricoles unique source de vie pour de nombreux paysans palestiniens.
D’autres villes, comme Kalkhilya, se privent non seulement des terres agricoles mais la clôture la coupe de la Cisjordanie et d’Israël. En réalité ce mur ne sépare pas les Israéliens des Palestiniens, mais dans beaucoup de cas, il pose une véritable frontière arbitraire entre des Palestiniens d’une même région, voire d’un même village. Ainsi près de 44.000 résidants des villages de Beit Sira et At-Tira (au nord d’Israël) se trouvent dans une enclave, séparée du reste du peuple de Palestine. Cette portion du mur coûte pour Israël, plus d’un million de dollars le kilomètre, il est fortifié par des parois de béton de 8 mètres, des tours de contrôle tous les 300 mètres, des tranchées profondes de 2 mètres, des fils barbelés et des routes de contournement. La première partie de ce mur du nord s’étend sur 95 km de Salem à Kafr Kassem, et va aboutir de facto à une annexion de 1,6% de la Cisjordanie incluant 11 colonies israéliennes et 10.000 Palestiniens.
Selon le principe du fait accompli, Israël projette d’incorporer cette zone à l’Etat hébreu de telle sorte que lorsque les négociations sur le statut final reprendront, un retour en arrière coûtera tellement chère sur le plan politique que cette incorporation sera considérée comme irréversible. C’est la stratégie du fait sur le terrain que les responsables israéliens manient à merveille, qui vise en définitive à déplacer la ligne verte.
La construction du mur autour de Jérusalem-Est est encore plus dévastatrice pour les aspirations étatiques palestiniennes. En outre elle vise à vider la ville sainte de toute présence palestinienne. Le mur devrait suivre en effet les frontières de Jérusalem suivant les plans israéliens définis notamment après l’annexion de la ville sainte en 1967. Comme le disait l’ancien premier ministre Ariel Sharon « ce qui est construit aujourd’hui, nous le garderons demain ». La déclaration du représentant officiel d’Israël à l’ONU Dan Guillerman, une fois l’arrêt de la cour internationale de justice connu, résume bien le sentiment dominant de méfiance voire de mépris de l’Etat hébreu à la fois à l’ONU et à son organe judicaire mais aussi à l’égard des Palestiniens et des Arabes en général. Il déclare :
« Israël rentre aujourd’hui en guerre contre une majorité indigne… » sous-entendu avec une minorité américaine et européenne digne de ce nom. Comble du mépris, l’ancien premier ministre déclarait poursuivre la construction du mur comme prévu.
Il est autorisé de douter des arguments de l’Etat hébreu qui en présentant ce mur comme un moyen d’assurer la sécurité des Israéliens ce que la cour de justice a rejeté, la réponse est clairement négative. La cour internationale s’est en effet interrogée sur ce caractère sécuritaire et a déclaré qu ‘ « au vu du dossier, la cour n’est pas convaincue que la construction du mur selon le tracé retenu était le seul moyen de protéger les intérêts d’Israël contre le péril dont il s’est prévalu pour justifier cette construction… Au total la cour estime qu’Israël ne saurait se prévaloir du droit de légitime défense ou de l’état de nécessité, comme excluant l’illicite de la construction du mur ».
Allant dans ce sens, René Bacmann2 écrit : « on aurait pu le penser si le mur avait été construit le long de la ligne verte qui constitue la ligne de l’armistice de 1949, dit-il. C’est une sorte de frontière provisoire longue de 350 km. Mais on voit que le mur, en réalité, s’éloigne terriblement de cette frontière et fait des boucles parfois géantes (jusqu’à 20 km à l’intérieur de la Cisjordanie du côté d’Ariel) pour atteindre 665 km de long. La conclusion est évidente: ce n’est pas un ouvrage de protection mais un instrument de colonisation ».
Cette réalité tragique sonne aujourd’hui comme un rappel à l’odre nécessaire au moment ou le représentant français de la politique étrangère de la France, fait des déclarations qui bafouent le droit international en déclarant récemment3 : « Même si moralement et éthiquement pour moi ce mur posait problème, quand j’ai su qu’il y avait 80% d’attentats en moins, j’ai compris que je n’avais plus le droit de penser ». Cette prise de position est critiquable, car elle déjuge la position de la France en juillet 2004, quant elle approuvait l’adoption par l’Assemblée générale de l’ONU d’une résolution demandant à Israël de démanteler ce mur que la CIJ venait de déclarer illégal. Il en va de même pour les déclarations de la candidate socialiste en visite au Proche-Orient qui déclarait comprendre l’utilité de ce mur.
De leur côté les Palestiniens qui ont baptisé ce mur « mur de l’apartheid » le considèrent comme une étape de plus vers l’encerclement voire l’emprisonnement et le confinement de tout un peuple. L’avis de la Cour est une mini victoire pour les Palestiniens d’abord par sa nature historique puisque c’est la première fois qu’une décision juridique est prise et en faveur des Palestiniens, mais aussi parce qu’il ouvre des perspectives politiques du moins on le pense et donne pour les palestiniens la possibilité de passer à l’étape suivante en réclamant notamment la destruction de l’édifice qui annexe des territoires entiers de Cijordanie.
Mais qu’en est -il réellement sur le terrain juridique stricto-sensu ?
Il est important de signaler qu’en terme d’effet juridique, le principe de fonctionnement de la Cour internationale de justice fait que cet avis n’a pas force d’obligation ni à l’égard des organes qui le demande, ni a fortiori à l’égard des tiers. En d’autres termes, les avis de la cour ne sont pas considérés comme un acte juridictionnel (pas d’autorité de la chose jugée) et celui-ci n’échappera pas à la règle.
D’ailleurs, le Premier ministre israélien s’est empressé avant même que la cour ne se prononce de refuser son avis de continuer la construction du mur, défiant ainsi l’autorité de la cour et affaiblissant encore un peu plus le droit et la légalité internationale.
Forte du soutien inconditionnel et total que continue de lui apporter le gouvernement américain, l’autorité israélienne a longtemps été indifférente aux résolutions votées par l’Assemble générale de l’organisation internationale voire même des résolutions du Conseil de sécurité qui ont pourtant force de loi. Israël estime en effet que ces résolutions dont l’avis n’est pas contraignant comme celles votées au conseil de sécurité, n’ont aucune valeur sous prétexte que les Palestiniens disposent d’une majorité automatique à l’Assemblée générale grâce notamment aux voix des pays arabes.
Cette indifférence et ce mépris affiché par l’Etat hébreu au droit international a cependant trouvé ces limites lorsque l’Assemblée générale de l’ONU a demandé en décembre dernier à la Cour Internationale de justice de rendre un avis sur « les conséquences juridiques de l’édification du mur dans le territoire palestinien occupé y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, selon ce qui est exposé dans le rapport du Secrétaire général, compte tenu des règles et des principes du droit international, notamment la quatrième convention de Genève de 1949 et les résolutions consacrées à la question par le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale » disait la lettre du 8 décembre 2003 adressée au président de la Cour par le Secrétaire général de l’ONU.
Cette demande soutenue par 90 pays sur les 191 siégeant aux Nations-Unies (les pays européens , qui avaient pourtant voté une résolution condamnant l’édification du mur, se sont abstenus estimant qu’une saisine de la Cour Internationale de justice nuirait à la reprise du dialogue et des négociations de paix au point mort depuis des mois, ce qui peut paraître comme une position paradoxale) a visiblement constitué un tournant dans l’attitude israélienne. Israël s’est empressé d’envoyer son ministre des affaires étrangères à New York pour tenter de convaincre son allié traditionnel et s’assurer du véto américain au Conseil de sécurité comme s’il devrait être autrement. Le gouvernement Sharon craint en effet qu’en cas d’avis négatif du tribunal de la Haye, cela entraînera le dépôt d’une nouvelle résolution devant cette instance exigeant le démantèlement du mur. Les craintes israéliennes sont donc fondées.
Israël refuse de se plier à la décision de la cour considérant ce mur comme nécessaire à la survie de la population israélienne ce qui est faux. En effet ce mur rafle plusieurs kilomètres carrés de terre palestinienne puisqu’il traverse des villes et des villages palestiniens entiers en les séparant de leurs habitants. Ce mur long de 788 km s’il ira à son terme constituera le double des frontières de la Cijordanie avec la Jordanie, emprisonnera plus de 40% de la population de la Cijordanie et avalera plus de 43% de sa superficie. Un rapport de l’ONU révèle que seul 11% du tracé de cet édifice suit la ligne verte, il fixe de facto les frontières et permet à l’Etat hébreu d’annexer des parcelles entières de territoires palestiniens. En outre il constitue une menace stratégique quant à la possibilité un jour de créer un Etat palestinien. Le mur n’est autre chose qu’un vol manifeste de territoires et des sources d’eau palestiniens. Il est un instrument de confiscation des ressources en eau. Il est d’ailleurs frappant de voir sa correspondance avec la carte des ressources en eau. Ce mur vient aggraver la situation de captation des eaux par Israël. Sur la nappe de Cijordanie, Israël prélève 75% contre 25% seulement pour les Palestiniens. La construction du mur a permis par ailleurs à Israël la confiscation de 36 puits d’eau souterrains soit une perte de 6,7 millions de mètres cube par an pour les Palestiniens. La carte du tracé du mur révèle les velléités d’Israël sur les ressources d’eau palestiniennes.
Comme l’a affirmé la Cour internationale de justice, Israël a le droit de vouloir s’enfermer dans un mur mais il doit le construire sur ses propres terres et non sur celles des Palestiniens. La Cour reconnaissait ce caractère annexionniste en relevant au paragraphe 119 de son avis que « le tracé du mur tel qu’il a été fixé par le gouvernement israélien incorpore dans la « zone fermée » environ 80% des colons installés dans le territoire palestinien occupé. Par ailleurs,, l’examen de la carte… montre que ce tracé sinueux a été fixé de manière à inclure dans la zone la plus grande partie des colonies de peuplement installées par Israël dans le territoire palestinien occupé (y compris Jérusalem-Est). » La Cour rappelle qu’il est interdit à la partie occupante d’opérer un transfert de population sur les territoires occupés, en vertu de l’article 49 de la quatrième Convention de Genève.
C’est le principe du fait accompli qu’Israël manie à la perfection. C’est en définitive une définition prématurée des futures frontières entre les deux pays à supposer qu’est encore possible, la création d’un Etat palestinien ce qui est loin d’être le cas puisque le chemin qui mène à une reconnaissance mutuelle des deux peuples par la création d’un Etat palestinien viable et durable est encore semé d’embûches et d’entraves quasi insurmontables. A mon sens on parle beaucoup du chemin parcouru mais on ne parle pas assez voire pas du tout du chemin qui reste encore à parcourir. Et c’est là à mon sens ou réside les difficultés à trouver une solution à ce conflit.
Une petite victoire pour les Palestiniens
L’Autorité palestinienne a accueilli avec joie et soulagement l’avis de la Cour de justice qui revêt, à ne point douter, une importance capitale pour les Palestiniens qui qualifient l’ouvrage israélien de « mur de l’apartheid » dont le seul objectif est de spolier les terres et de compromettre la mise en place d’un futur Etat palestinien.
En mettant Israël dans l’embarras, le camouflet infligé par l’organe judiciaire des Nations Unies pour la situation illicite résultant de la construction du mur et du régime qu’il lui est associé est en définitive un sujet de vive satisfaction pour les Palestiniens.
Les Palestiniens ont d’ores et déjà emporté une victoire, peut-être la première dans l’histoire de ce conflit. D’abord par l’arrêt de la cour suprême israélienne la plus haute instance juridique du pays qui ordonne une modification du tracé de la « barrière de sécurit é » sur une trentaine de kilomètres au nord de Jérusalem pour préserver les droits des quelques 35.000 Palestiniens vivant dans cette zone. La force de cette décision sans précédent pourrait faire jurisprudence pour des dizaines d’autres plaintes palestiniennes en attente d’examen. Evidemment la décision de la cour de déclarer le mur illégal constitue une immense victoire palestinienne. La Cour a jugé que « l’édification du mur qu’Israël puissance occupante, est en train de construire dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem Est, et le régime qui lui est associé, sont contraires au droit international ». La Cour va même plus loin puisque son président a indiqué que « la Cour est d’avis que l’Onu et tout particulièrement l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité, prenant en compte le présent avis consultatif, devaient examiner « quelles nouvelles mesures devaient être prises afin de mettre un terme à la situation illicite découlant de la construction du mur et du régime qui lui est associé ».
Cet avis et celui de la Cour suprême israélienne ont provoqué un séisme dans la classe politique israélienne, satisfaisant parallèlement le clan de la paix qui s’est vu conforté dans son combat et radicalisant paradoxalement les positions de la droite dure qui a même évoqué un moment la promulgation d’une loi d’urgence qui rendrait caduque l’arrêt de la cour suprême qui ne s’est jamais prononcée sur la légalité du mur et rejetant en bloc l’arrêt de la CIJ.
Le défi posé aux Palestiniens est le suivant : après l’euphorie et la joie d’une décision juste et équitable, comment passer maintenant à l’étape supérieure ? En d’autres termes comment transformer l’essai et obtenir d’Israël et du monde de travailler à l’application de cet avis juridique ?
Le refus d’Israël de se plier à l’avis de la cour sous prétexte que c’est un avis éminemment politique ne résiste pas aux faits. En effet si l’on jette un regard historique sur les précédents avis de la cour notamment celui relatif à la question namibienne en 1971, ou celui sur le Sahara occidental en 1975, celui sur le litige entre les USA et le Nicaragua ou encore l’avis de la Cour relatif aux essais nucléaires françaises, on constate que ce sont là autant d’affaires politiques sur lesquelles la cour a pu statuer.
Il faut rappeler ici qu’en dépit de la position israélienne considérant que la CIJ n’a aucune prérogative en la matière, la résolution 377 datant de 1950 stipule en effet qu’en cas de blocage au conseil de sécurité, l’Assemblée générale de l’ONU est habilitée à prendre des décisions contraignantes pour protéger la paix et la sécurité mondiale. Pour l’heure, l’Assemblée générale se doit de transmettre la discussion de l’arrêt au Conseil de sécurité. Actuellement l’autorité palestinienne a soumis un projet d’étude de l’arrêt à l’Assemblée générale. La question est : est-il dans l’intérêt des palestiniens de précipiter la discussion de l’arrêt au Conseil de sécurité sachant le blocage prévisible des USA par l’utilisation du droit véto contre un projet de résolution du Conseil condamnant Israël et l’obligeant à détruire l’édifice ? D’ailleurs même les Européens semblent être sur la même longueur d’onde que les Etats-Unis bien qu’ils aient voté une résolution condamnant le mur.
Mais ils refusent la saisine de la Cour internationale de justice prétextant que cet initiative ne facilite pas la reprise des négociations de paix. Les Palestiniens ne devraient-ils pas attendrent la fin de l’élection présidentielle américaine et tenter de mobiliser toutes les sensibilités mondiales à la cause, notamment en cherchant à expliquer le bon droit palestinien et à convaincre le plus grand nombre de la nocivité et la dangerosité de ce mur ?
En effet, la Cour internationale de justice parle de terres occupées alors que les Israéliens parlent simplement de terres disputées. Cette différence notable de terminologie en faveur des Palestiniens doit être instrumentalisée pour mieux défendre la cause palestinienne et mobiliser davantage de bonnes volontés et les défenseurs de la paix à travers le monde notamment en Israël où beaucoup pensent que le maintien du statu quo est inadmissible et dangereux pour les deux peuples.
Un statu quo effrayant dans une région au bord de l’explosion !
Ce qui est certain, c’est qu’en dépit de la condamnation de la CIJ, le statu quo demeure et une solution éventuelle à ce conflit s’éloigne encore un peu plus chaque jour. Ce mur est un modèle d’urbanisme discriminant4, son image évidente est celle de la peur d’autrui. Il procure une puissance illusoire et retarde la solution juste et durable du conflit.
Il faut à mon sens un sursaut des Etats, dits démocratiques et de toutes personnes imprégnées par les idéaux de la justice et de l’égalité, pour tous devant le droit, pour infléchir une situation qui paraît aujourd’hui quasi insoluble. Le monde pourrait s’inspirer de l’esprit de justice dont viennent de faire preuve les 25 universitaires allemands prestigieux qui ont rendu une lettre publique aux autorités allemandes pour qu’ils cessent le soutien inconditionnel à Israël au nom de l’holocauste. Dans une démarche sans précédent dans l’histoire des relations entre l’Allemagne et Israël, ces universitaires réclament la fin du « traitement de faveur » à l’égard d’un Etat qui bafoue le droit international dans les territoires palestiniens.
Publiée dans le « Frankfurter », propriété de Dumont Schauberg publisching House qui vient récemment d’acquérir 25% de participation dans le quotidien israélien le plus lu, Haaretz, cette pétition réclame un changement qui conduirait à ce que les deux pays entretiennent je cite « une amitié dégagée des fardeaux du passé, une amitié qui autoriserait à exprimer des critiques à l’égard d’Israël ». Ils soulignent combien les conséquences de l’holocauste ont engendré énormément de souffrance pour les Palestiniens depuis plus de 60 ans. » Les racines de ces soixante années de confrontation sanglante au Proche-Orient sont allemandes et européennes. La population palestinienne n’a absolument aucune responsabilité dans les problèmes de l’Europe au Proche-Orient soulignent-ils ». Cette relation très spéciale, a conduit l’Allemagne à fournir à Israël des technologies militaires avancées, même quand ce dernier bafouait le droit international et les droits de l’Homme.
En effet, depuis plus de cinquante ans, Israël présentait chaque conflit avec ses voisins comme une question cruciale, donc de vie ou de mort. Cette vision belliqueuse de ses relations avec son environnement régional, n’a pas été pour rien dans l’instrumentalisation certes progressive mais à outrance de la mémoire de la Shoah à laquelle il a procédé pour cimenter son unité centrale, pour faire taire les critiques des juifs à la fois à l’interne et à travers le monde. Se faisant, Israël s’est prévalu d’un droit particulier dans les relations internationales : celui de se positionner au dessus du droit international et des injonctions de l’Organisation des Nations unies.
De victimes, les Israéliens sont passés aujourd’hui au rang de bourreaux protégés par une sorte d’immunité de fait qui leur permet de continuer à s’opposer aux règles de droit les plus élémentaires et à la légalité internationale.
On est en droit de s’interroger jusqu’à quand Israël continuera de bafouer le droit ? Jusqu’à quand pourrait-il bénéficier d’un statut juridique dérogatoire ? Probablement jusqu’à la réalisation du rêve du Grand Israël, ou probablement jusqu’à la survenue d’une Shoah équivalente touchant durement le monde arabo-mu-sulman, ou encore jusqu’au déclenchement d’une troisième guerre mondiale.
Il faut aujourd’hui pour se sortir de ce cercle vicieux combien dangereux pour les deux peuples, un prodigieux effort d’imagination pour concevoir une autre issue que le désespoir, la culture de la haine et par conséquent la catastrophe qui de toutes les manières n’épargnera aucun des deux belligérants. Pour l’Europe cette partie se joue dans sa capacité à s’opposer au projet de « Grand nouveau Moyen-Orient » mis au point par les Etats-Unis pour annuler le problème palestinien et éliminer quasi définitivement toute influence européenne dans la zone méditerranéenne et au Moyen-Orient. L’Europe saura-elle jouer un rôle de véritable actrice internationale non subordonnée aux Etats-Unis ? Oui si elle s’en tient à « la rigoureuse observation et au développement du droit international » comme le stipule l’article 1§3 du Traité constitutionnel de l’UE en vertu duquel l’Europe s’engage à respecter.
L’avis de la CIJ pourrait aider à réaliser ce bouleversement. En effet, cet avis qui a déclaré le mur illégal ne représente pas seulement la reconnaissance d’une violation du droit, c’est également un test qui met à l’épreuve les Etat démocratiques et leur volonté de respecter et de faire respecter par des actes politiques et- pas seulement avec des mots- les règles qui valent pout tous. J’ose croire à un sursaut de la justice et de la légalité internationale. Les deux condamnations de ce mur à la fois par la CIJ et l’Assemblée générale de l’ONU constituent un saut qualitatif vers ce sursaut. Elles constituent un précédent et un événement historique qui ne restera pas sans lendemain du moins je l’espère. Elles ont crée les conditions d’un niveau supérieur de mobilisation pour interpeller en permanence l’opinion publique et les institutions politiques sur la gravité de la situation d’aujourd’hui5 et sur la nécessité impérieuse d’une solution politique négociée qui passe impérativement par la création d’un Etat palestinien viable et durable à côté de l’Etat d’Israël. Il y va de la paix régionale et internationale.
* Chercheur à l’Université de Paris XII – Val-de-Marne et vice-président du Centre d’Études et de Recherches Stratégiques du Monde Arabe — Paris.
Notes
1 United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs
2 René Backmann, Un mur en Palestine, Edition Fayard.
3 Déclaration du ministre des affaires étrangères M. Douste- Blazy en visite en Israël
4 Lire Eyal Weizman et Rafi Segal, une occupation civile, la politique de l’architecture israélienne. Editions de l’imprimeur, Besançon, 2004.
5 L’Irak sombre chaque jour dans la guerre confessionnelle, les Talibans qui semblent retrouver un appui certes limité mais grandissant en Afghanistan, le Liban a du mal à se relever de la guerre des 34 jours et des destructions massives de l’armée israélienne, les menaces de bombardement de l’Iran et de ces installations militaires par les Etats-Unis, la Palestine prise au piège entre l’offensive de l’armée israélienne à Gaza et la décision des Etats-Unis et de l’UE de geler l’aide directe aux palestiniens. Le Proche-Orient sombre manifestement dans un chaos incontrôlable. Jamais la région n’a connu autant de crises si graves et simultanées. Un constat qui rejoint la conclusion tirée d’un article de l’éditorialiste d’Haretz Akive Eldar: « la force est le problème, pas la solution ».