Les aspects juridiques de l’intervention militaire au Yémen

Elie HATEM
Avocat à la Cour, Enseignant à la Faculté Libre de Droit et d’Économie
de Paris, Docteur en Droit
Depuis le 26 mars dernier, l’armée saoudienne appuyée par des alliés régionaux envahit le Yémen,
sans avoir consulté les autorités internationales. Elle bombarde villes et campagnes de ce pays
voisin, provoquant des dégâts matériels et humains déplorés par de nombreux États et organisations
internationales. Cette situation est considérée comme une flagrante agression au sens que le
droit international public donne à ce type d’invasion. Les principes de la non-intervention et le
non-recours à la force dans les relations internationales est un principe jus cogens. Sa transgression
constitue une violation du droit international. Mais les grandes puissances permettent libre cours
à l’Arabie Saoudite. Pourquoi ?
Since last 26th March, the Saudi army supported by some regional allies is invading the Yemen without
having consulted the international authorities. It is bombing cities and countryside of this neighbouring
nation, provoking material and human damage deplored by numerous States and international
organizations. This situation is considered as flagrant aggression in the sense that public international
law gives to this kind of invasion. The principles of non-intervention and non-recourse to violence in
international relations are of jus cogens standing. Transgression constitutes a violation of international
law. Nevertheless the great powers leave Saudi Arabia in charge of the situation. Why?
À l’instar de l’Arabie saoudite, le Yémen était une monarchie riche en
histoire mais compliquée aux yeux des Occidentaux, en raison des spécificités de ses
institutions politico-sociales1
. L’abolition de cette monarchie a conduit au partage
de ce pays entre le nord et le sud2
au prix d’une guerre civile qui perdura pendant
1. Pays musulman certes, proche des principaux lieux saints de l’Islam, ce pays a abrité des Juifs et
des Chrétiens. La société yéménite est tribale. Chaque tribu est dirigée par un dignitaire et dotée
d’une structure propre à elle. Plusieurs communautés voire rites musulmans y sont pratiqués,
notamment les Houthis (du nom de leur dirigeant, Hussein Badreddin Al Houthi), les Zaïdites qui
est une branche de l’Islam (les Zaïdites sont les adeptes de Zayd Ind Ali Assajad considéré comme le
cinquième et dernier imam)…
2. Le nord prit le nom de République arabe du Yémen et le sud celui de République démocratique
populaire du Yémen dotée d’un régime communiste.
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plus de huit ans. Il a fallu attendre 1990 afin que les deux Yémen se réunissent,
sous l’impulsion du Président Ali Abdallah El Saleh, pour constituer un état sous la
forme républicaine, dénommé « République du Yémen ».
Cependant et malgré cette forme unitaire de l’État, le pouvoir central n’était
réellement exercé que sur la capitale, San’aa ; les traditions tribales étant ancrées
dans la société yéménite. Cette situation à laquelle s’ajoute la pauvreté de la large
partie de la population rendait la maîtrise du pays difficile.
En 2009, à la veille du « Printemps arabe », une rébellion vit le jour, en particulier
à Sa’da3
, entraînant la population dans un surplus de pauvreté. Le 4 novembre
2009, l’Arabie saoudite intervint militairement sans pour autant réussir à stabiliser
le pays. Deux ans plus tard, le fléau révolutionnaire provoqué par une propagande
politico-médiatique, visant une large partie des pays arabes, entraîna ce pays dans
une nouvelle déstabilisation. Face à cette situation4
, le Président de la République,
Ali Abdallah Saleh, quitta le pouvoir, le 23 novembre 2012. Son vice-Président,
Abd Rabo Mansour Hadi, lui succéda. Il a été élu Président de la République,
le 21 février 2012, par un processus électoral où il était le seul candidat. Mais ce
nouveau Président ne réussit pas à endiguer les protestations populaires qui se sont
accentuées. En janvier 2015, le Président Mansour Hadi démissiona. Il se réfugia à
Aden avant d’aller en Arabie saoudite.
Le 26 mars 2015, appuyée par une coalition de pays5
, l’armée saoudienne a
entamé une série de frappes aériennes, entraînant des dégâts matériels et humains.
Cette intervention militaire est dénommée « Opération Tempête décisive ». Elle est
appuyée politiquement par les États-Unis et soutenue par Israël6
.
Il convient d’examiner les aspects juridiques de cette opération eu égard aux
principes et aux règles du droit international public.
Dans la mesure où cette intervention militaire a eu lieu à l’occasion d’un conflit
interne au Yémen, il convient d’examiner sa légalité eu égard au principe de la
3. Province yéménite.
4. Cette situation se complique progressivement à l’instar de la plupart des pays arabes touchés
par ce mouvement de déstabilisation. Le Président Ali Abdallah Saleh sera gravement blessé par un
attentat. Obligé de quitter le pays pour se soigner à l’étranger, il regagna San’a mais la protestation a
continué jusqu’à sa destitution.
5. L’Égypte, la Jordanie, le Soudan, le Maroc, le Pakistan, le Qatar, le Koweït, le Bahreïn et les
Emirats Arabes unis (ces quatre derniers sont membres du Conseil de coopération du Golfe).
6. Les médias israéliens ont révélé que des dirigeants saoudiens et israéliens se seraient rencontrés à
maintes reprises, depuis cinq ans, relativement à des questions sécuritaires et militaires, comprenant des
rencontres entre des membres des services secrets de ces deux pays, notamment les anciens responsables
respectifs de ces services, Amos Yaldin et Turki Al Fayçal (une rencontre qui a eu lieu à Bruxelles).
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non-ingérence. Mais aussi, au-delà de cette considération, au principe du non recours
à la force dans les relations internationales.
I. L’intervention au Yémen : une violation du principe de non-ingérence ?
L’intervention de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite au Yémen a eu pour
objectif de défendre le Président démissionnaire, Mansour Hadi, et de s’opposer
aux Houthis.
En effet, aussitôt l’opération « Tempête décisive » entamée, l’ambassadeur du
Royaume d’Arabie saoudite à Washington a soutenu cette thèse, en affirmant officiellement
que cette « opération vise à défendre le gouvernement légitime du Yémen et à empêcher
le mouvement radical houthi (soutenu par l’Iran) de prendre le contrôle du pays ».
Il ne s’agit donc pas d’une guerre entre l’Arabie saoudite et le Yémen, ni de
mesures coercitives urgentes prises par le Royaume saoudien et la coalition, sur
lesquelles nous reviendront dans les développements suivants7
, mais d’une intervention
visant des groupes militaires yéménites dans un objectif de rétablir le staquo
interne et favoriser la reprise du pouvoir du Président Hadi.
Il convient donc, à cet égard, de se référer à l’article 2 paragraphe 7 de la Charte
des Nations Unies qui dispose : « Les Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans
leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit
contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre
manière incompatible avec les buts des Nations Unies. »
Cette disposition découle d’un principe jus cogens.
Elle est aussi le corollaire du principe du respect de la souveraineté interne des
États
8
. Elle a été confirmée à maintes reprises par l’Assemblée générale des Nations
Unies9
et par la jurisprudence internationale10.
7. Voir le paragraphe II.
8. Le respect de la souveraineté des États est l’un des principes les plus fondamentaux du droit
international public. Le paragraphe 1 de l’article 2 de la Charte.
9. La résolution 2131 de 1965 (Déclaration sur l’inadmissibilité de l’intervention dans les affaires
intérieures des États et la protection de leur indépendance et de leur souveraineté) et la résolution
2625 (1970) qui dispose : « aucun état ni groupe d’états n’a le droit d’intervenir, directement ou
indirectement, pour quelque raison que ce soit, dans les affaires intérieures ou extérieures d’un autre
état. En conséquence, non seulement l’intervention armée, mais aussi toute forme d’ingérence ou
toute menace sont contraires au droit international ».
10. Nous nous limiterons à cet égard de citer deux arrêts célèbres de la CIJ : celui relatif à l’affaire
du Détroit de Corou (1949) et de l’affaire opposant le Nicaragua aux États-Unis d’Amérique (1986).
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Afin de mieux comprendre l’étendue de ce principe, nous reviendrons sur la
définition du jus cogens avant d’examiner les dérogations au principe de la non –
ingérence que le droit international public admet.
A. La portée du principe de la non-ingérence et de la non intervention
eu égard au jus cogens
Le jus cogens est une norme impérative11 qui s’impose à la communauté internationale
dans son ensemble12. Il s’agit de principes réputés universels et supérieurs
en droit international public, auxquels même les conventions internationales ne
peuvent déroger13.
L’article 53 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 contient la définition
du jus cogens : « Est nul tout traité qui, au moment de sa conclusion, est en
conflit avec une norme impérative du droit international général. Aux fins de la pré-
sente Convention, une norme impérative du droit international général est une norme
acceptée et reconnue par la communauté internationale des États dans son ensemble en
tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise et qui ne peut être modifiée
que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère ».
Cette disposition, insérée dans cette convention relative au « droit des traités et
leur conflit avec une norme impérative », nous conduit à évoquer un exemple pratique
pour mieux comprendre l’étendue du jus cogens : il s’agit du conflit chypriote
de 1974.
La République de Chypre fut proclamée en 1960, à l’issue de son indépendance
de la Grande-Bretagne. Un an avant, une Constitution a été adoptée pour ce pays,
en 1959. Elle a été accompagnée de deux traités qui forment, avec le texte de base,
un bloc constitutionnel14. Il s’agit du traité d’alliance15 et du traité de garantie.
11. Les normes impératives se distinguent des normes obligatoires. Ainsi la violation d’une
norme obligatoire met en cause la responsabilité d’un acteur du droit international public tandis
que celle d’une règle impérative entraîne la nullité d’un acte international. Voir à cet égard :
A. PELLET, Recherche sur les principes généraux du droit en droit international, Paris II,
1974. Voir aussi : K. MAREK, Contribution à l’étude du jus cogens en droit international, mél.
Guggenheim, p. 120.
12. Cette formulation semble exclure le fait que le jus cogens soit une manifestation directe du droit
international. Elle évoque une solidarité et une unité de la Société internationale.
13. L’adage courant en droit anglo-saxon « pacta sunt servanda » ne peut ainsi y déroger.
14. L’article 181 de la constitution donne à ces deux traités une force juridique et les intègre au texte
de base, sans écarter la possibilité de procéder à leur éventuelle révision ou amendement en vertu de
l’article sus-visé et de l’annexe III de la constitution.
15. Il s’agit d’un traité d’alliance militaire signé entre Chypre, la Grèce et la Turquie, en vertu duquel
les trois États signataires ont l’obligation de repousser toute attaque ou agression, « directe ou indirecte,
dirigée contre l’indépendance ou l’intégrité territoriale de la République de Chypre ».
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Ces deux traités furent signés respectivement par la Grèce, la Turquie, la GrandeBretagne
et la République de Chypre. Ils ont pour objectif de garantir l’indépendance
et l’intégrité territoriale de la République chypriote16.
Le traité de garantie nous intéressera particulièrement en l’espèce.
Il s’agit d’un texte composé de cinq articles, signé par la Grèce, la Turquie, la
Grande-Bretagne, d’une part, et la République de Chypre, d’autre part.
Dans son préambule, ce traité se veut garantir l’indépendance, l’intégrité territoriale
et la constitution de la République de Chypre. Il établit des obligations
mises à la charge des deux parties contractantes. D’une part, il exige du nouvel État
de veiller au maintien de son indépendance, son intégrité territoriale, sa sécurité
et le respect de sa constitution… D’autre part, il oblige les trois autres « puissances
garantes » à reconnaître et à garantir l’indépendance, l’intégrité et la Constitution
de Chypre mais aussi à renoncer à « toute activité ou effort qui tend au démembrement
de Chypre ou son union avec n’importe quel autre État ».
Ce traité prévoit, en cas de violation de ses dispositions, que les trois « puissances
garantes » s’emploient à se concerter entre elles, par voie de consultation,
pour prendre les mesures nécessaires au respect du statu quo ainsi établi17. Au cas où
les mesures prises ou l’action commune concertée n’est pas possible, chacune des
trois puissances se réservera le droit d’agir pour rétablir le statu quo ante18.
En 1965, le Premier ministre grec, George Papandreou démissionna19. Une
junte d’officiers renversa alors le pouvoir et provoqua l’exil du roi, Constantin II.
Cette situation eût une répercussion sur Chypre, composée de deux communautés
grecque et turque chypriotes.
Le 5 juillet 1974, la junte militaire grecque ordonna à ses officiers qui étaient
présents à Chypre de faire marche vers le palais présidentiel, à Nicosie, afin de
renverser le Président chypriote, Monseigneur Makarios. Des hostilités militaires
16. Le traité de Garantie ajoute la « sécurité » de l’île. Cette notion plus précise que les deux
premières donne un alibi plus facile aux “puissances garantes” pour intervenir en vertu de ces traités
pour rétablir « l’ordre ».
17. Il s’agit de l’article IV de ce traité dont il sera fait état dans les développements suivants.
18. La procédure d’intervention, en vertu de ce traité, comprend deux phases : la première consiste
dans la consultation et la concertation entre les trois puissances pour rétablir le statu quo. Dans
l’impossibilité de le faire, il pourra être procédé à la deuxième phase, celle de l’action unilatérale pour
rétablir « l’état des choses ». La constitution ne détermine pas l’étendue de la concertation entre les
parties ni celle du « droit d’action » unilatéral.
19. Bien entendu, à Athènes.
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éclatèrent. Un gouvernement dit « de salut public » fut imposé à Nicosie par la
junte et la présidence de la république confiée à Nikos Sampson20. Ecarté du pouvoir,
Monseigneur Makarios s’adressa à ses compatriotes sur les ondes d’une radio
clandestine et lança un appel aux instances internationales pour qu’elles ne reconnaissent
pas le régime imposé par les colonels. Après sa fuite du pays, il s’est rendu
à New York. Devant l’Assemblée Générale des Nations Unies, il dénonca publiquement
ce coup d’État et demanda de l’aide pour retourner au pouvoir.
Le 16 juillet 1974, le Conseil des ministres turc convoqua les deux Chambres de
son parlement pour se réunir le 19 du même mois. Par ailleurs, le Premier ministre,
Bulent Ecevit, et son ministre des affaires étrangères par intérim, Hasans Esat Isik,
entrèrent en contact avec le Secrétariat des affaires étrangères britannique à Londres,
dirigé par Leonard James Gallaghan, pour trouver une issue à cette situation. Ces
mêmes dirigeants turcs invitèrent la Grèce à se concerter avec eux. Mais cette dernière
déclina cette proposition. Bulent Ecevit demanda alors à la Grande-Bretagne
de procéder à des concertations entre les trois puissances garantes de Chypre pour
engager la procédure d’intervention prévue par le traité de Garantie ou, si elle refusait,
de laisser à la Turquie le soin de le faire unilatéralement21.
Le 20 juillet 1974, les unités navales aériennes turques débarquèrent à Kyrenia,
au nord de Chypre, avec un couloir reliant cette tête à la capitale, Nicosie. Un communiqué
du gouvernement turc fit savoir son intention de mettre en application
l’article IV du traité de Garantie.
Cette opération a eu le mérite d’avoir fait échouer le coup d’État perpétré contre
le Président Makarios. Néanmoins, entre le 30 juillet et le 9 août 1974, les hostilités
se poursuivirent alors qu’une conférence se tenait à Genève pour trouver une
issue pacifique à cette situation entre la Grèce, la Turquie et la Grande Bretagne. La
Turquie accusa alors les Grecs chypriotes et les forces grecques de provoquer l’exode
de 33 villages turcs chypriotes et de procéder à une purification ethnique dans le
sud du pays. Ce prétexte conduisit la Turquie à intervenir militairement de nouveau,
dès le 14 août 1974, en élargissant son secteur de contrôle de l’île (36 % du
territoire de Chypre) et en repoussant, de ce fait, près de la moitié de la population
(180 000 personnes) vers le sud de l’île.
Ces deux interventions turques opérées en vertu des dispositions de l’article IV
du traité de garantie ont été considérées comme illégales.
20. Un ancien membre d’une organisation nationaliste pan-hellénique chypriote (EOKA), proche
des Généraux grecs.
21. NEDJATIJIL, The Cyrpus Conflict, Nicosie, 1982, p. 48.
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Le Conseil de sécurité des Nations Unies ainsi que la communauté internationale
ont condamné cette intervention de l’armée turque. Il a été considéré que les
dispositions de ce traité prévoyant une intervention sont contraires au jus cogens.
Par conséquent, le traité de garantie pourtant engageant quatre États signataires a
été invalidé.
Compte tenu de la gravité de cette situation, il a été avancé que l’intervention
de la Turquie ne pouvait avoir lieu qu’à la demande explicite du gouvernement
chypriote.
Cela nous conduit à examiner la légalité des interventions militaires à la demande
des autorités légales d’un pays22.
B. L’intervention ou l’ingérence à la demande des autorités légales
À la lumière des développements précédents, dans quelle mesure une ingérence,
de quelque nature soit-elle, peut-elle constituer une exception au principe de non
ingérence23 en droit international public ?
En règle générale, il est admis que l’intervention est licite lorsqu’elle est sollicitée
par le gouvernement légitime d’un État.
En effet, chaque pays restant maître de ses alliances et titulaire exclusif des compétences
exercées sur son territoire, il est naturellement libre de faire appel à un ou
à plusieurs autres Etas pour intervenir sur son territoire, soit spontanément, soit en
vertu d’accords préalablement conclus avec ce ou ces États.
Ainsi, le Yémen pouvait faire appel à l’Arabie saoudite où aux États avec lesquels
il aurait conclu un accord à cet effet. Cette pratique est courante dans les relations
internationales. Le droit international public admet la légalité (et la validité) des
accords de défense internationaux24.
Néanmoins et y compris dans ce cadre bien précis, les interventions à l’appel des
autorités officielles peuvent s’avérer parfois illicites. En effet, ces sollicitations adressées
dans des contextes de troubles internes, militaires ou constitutionnels, posent
la question de l’effectivité et de la légitimité des autorités sollicitantes.
22. L’appel des autorités légales d’un pays à une autre puissance ou acteur international afin
d’intervenir sur leur territoire national.
23. Le principe de non ingérence a une portée plus large que celui de la non-intervention qui
suppose un acte qui peut être constaté d’une manière non équivoque.
24. À l’instar de l’OTAN, de l’ancien Pacte de Varsovie ou des accords de défense entre la France et
certains pays africains, etc.
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Plusieurs cas illustrent cette situation, à l’instar des interventions soviétiques
en Hongrie, en 1956, et en Tchécoslovaquie ou encore en Afghanistan, en 1968.
Pourtant, ces interventions revêtaient la forme de celles faites à la demande des
autorités légitimes.
En Hongrie, l’ex-Union soviétique prétendait intervenir en vertu du Pacte de
Varsovie, à la demande de Janos Kadar alors que la légitimité de ce dernier faisait
défaut au moment où Imre Naguy était institué Président du Conseil.
En Tchécoslovaquie, l’ex-Union soviétique ainsi que ses alliés du Pacte de
Varsovie (la Pologne, la Bulgarie, l’Allemagne de l’est et la Hongie) sont intervenus
à Prague, en prétendant répondre à l’appel de responsables locaux, alors qu’un nouveau
Secrétaire général du Parti communiste tchécoslovaque (Alexandre Dubcek)
et un Président de la République (Lutvik Svoboda) venaient d’accéder au pouvoir.
Dans l’ensemble des ces cas, l’intervention soviétique a été délégitimée en raison
du manque d’effectivité des autorités sollicitantes.
Il convient donc de rapprocher ces cas à la situation au Yémen.
Nonobstant le contexte dans lequel le Président Abd Rabo Mansour Hadi est
arrivé au pouvoir, ce dernier a démissionné de ses fonctions, le 22 janvier 2015.
Après s’être réfugié à Aden, il est parti en Arabie saoudite.
Ayant perdu sa légitimité constitutionnelle depuis sa démission et se trouvant
sur le territoire du pays qui a principalement procédé à cette intervention, le
Royaume d’Arabie saoudite, il est difficile d’admettre la légalité d’un appel officiel,
non équivoque et légitime, par le Président Mansour Hadi à l’Arabie saoudite.
Par ailleurs, au delà des interventions militaires, le principe de la non-ingérence
qui a une portée impérative s’oppose à toute opération de quelque nature soit-elle.
En effet, en 1987, un colloque présidé par l’ancien Président François Mitterrand,
tenu à l’Université Paris XI sous le thème « Droit et morale humanitaire», cherchait à
faire admettre la possibilité de procéder à des interventions à caractère humanitaire
ou, selon certains participants à ce colloque, d’ « humanitude »25. Il s’agissait d’une
25. Ce colloque tendait à mettre en place la notion d’un « devoir d’ingérence », notamment
d’ingérence humanitaire (ou selon certains auteurs qui ont participé à cette manifestation,
d’humanitude).
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réflexion sur l’« assistance aux peuples victimes de catastrophes naturelles, industrielles
ou politiques ».
Bien que l’ensemble des réflexions développées lors de cette manifestation ait
permis l’émergence d’une exception au principe de non-ingérence, cadré par le
Conseil de sécurité des Nations Unies26, l’intervention militaire au Koweït a, de
nouveau, permis de mettre en cause toute ingérence ou intervention qui ne respecte
pas une procédure spécifique contrôlée strictement par le Conseil de sécurité des
Nations Unies.
Le principe de la non-ingérence étant notamment le corollaire du principe du
non recours à la force dans les affaires internationales, il convient de rappeler l’étendue
de ce principe et ses limites afin d’analyser la légalité de l’intervention de l’Arabie
saoudite et de la coalition eu égard à ce principe.
II. L’intervention au Yémen et le non-recours a la force dans les relations
internationales
L’article 2 paragraphe 4 de la Charte des Nations Unies rappelle et pose le principe
du non-recours à la force dans les relations internationales. Ce paragraphe
dispose : « Les Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales,
de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale
ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec
les buts des Nations Unies ».
Il convient d’examiner la portée de ce principe et de voir dans quels cas précis et
sous quelles conditions il pourrait y avoir des exceptions.
26. Toute assistance humanitaire ne peut être possible qu’en accord avec l’État concerné. Cet accord
devra être exprimé d’une manière légitime et non équivoque. A la demande de la France et à l’issue
du colloque précité, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté, en 1988 une résolution
relative à l’« assistance humanitaire aux victimes de catastrophes naturelles et situations d’urgence du
même ordre ». Il s’agit de la résolution 43/131 qui insista alors sur l’accès aux victimes pour les
organisations non-gouvernementales agissant dans un objectif strictement humanitaire. En 1990,
une nouvelle résolution (45/100) est venue compléter la précédente, en prévoyant la mise en place de
« couloirs d’urgence humanitaire ». Ces deux textes n’ouvrent toutefois qu’une brèche limitée dans la
souveraineté des États : si ceux -ci sont invités à faciliter la mise en œuvre par les ONG de l’assistance
humanitaire, notamment l’apport de nourriture, de médicaments et de soins médicamentaux pour
lesquels un accès aux victimes est indispensable, le rôle premier des États concernés est réaffirmé et
ceux – ci en vertu du principe de souveraineté qui est réaffirmé, peuvent toujours refuser de donner
suite à ces résolutions.
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A. La portée du principe du non-recours à la force dans les relations
internationales
La disposition précitée de la Charte des Nations Unies27 pose l’impératif28 du
non-recours à la force dans les relations internationales, en allant au delà de la
simple prohibition de la guerre29.
La portée impérative de ce principe a, en effet, été confirmée par la Commission
du droit international qui est un organe des Nations Unies, de codification des
normes du droit international public. En effet, la Charte des Nations Unies a repris
l’ensemble des traités internationaux prohibant la guerre en insistant, quant à elle,
sur le principe du non recours à la force, incluant la prohibition de la guerre, des
représailles ou de toute forme d’utilisation des armes. Elle en a fait une règle jus
cogens30qui s’applique à tous les États qu’ils soient ou pas membres de l’Organisation
des Nations Unies31.
Le principe du non-recours à la force s’articule essentiellement autour de l’interdiction
de l’agression qui a été définie par une résolution adoptée le 14 décembre
1974 par l’Assemblée générale des Nations Unies32. L’article 2 de cette résolution
souligne que : « L’emploi de la force armée en violation de la Charte par un État agissant
le premier constitue la preuve suffisante à première vue d’un acte d’agression, bien
que le Conseil de sécurité puisse conclure, conformément à la Charte, qu’établir qu’un
acte d’agression a été commis ne serait pas justifié compte tenu des autres circonstances
pertinentes, y compris le fait que les actes en cause ou leurs conséquences ne sont pas d’une
gravité suffisante ».
Néanmoins, il convient de souligner que seule la force armée inter-étatique est
visée par les dispositions précitées de la Charte33, ce qui exclurait les guerres civiles.
Par ailleurs, il convient de rappeler que la Charte des Nations Unies accorde au
Conseil de Sécurité un rôle et des attributions relatives au maintien de la paix et de
la sécurité internationales.
27. Article 2, paragraphe 4 de la Charte.
28. La portée impérative de ce ???
29. La prohibition de la guerre a été clairement établie par le Pacte Briand Kellog, en 1928. Ce texte
a confirmé cette notion qui préfigurait en droit international.
30. Le caractère jus cogens a été reconnu à ce principe par la Commission du droit international.
Ibid.
31. Tous les pactes de sécurité collective reprennent ce principe.
32. Résolution 3314 (XXIX).
33. Voir supra, article 2, paragraphe 4 de la Charte.
Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015 Le Yémen, victime collatérale de la crise systémique Arabe
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L’article 24 paragraphe 1er de la Charte dispose à cet égard : « Afin d’assurer
l’action rapide et efficace de l’Organisation, ses Membres confèrent au Conseil de sécurité
la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales et
reconnaissent qu’en s’acquittant des devoirs que lui impose cette responsabilité le Conseil
de sécurité agit en leur nom ».
Il en découle une double attribution au Conseil : celle du maintien de la paix
(avant tout risque de guerre) et celle de la sécurité collective (en cas d’agression).
L’article 39 de la Charte confère également au Conseil de sécurité le pouvoir de
qualification de tout acte mettant en danger la paix et la sécurité internationales.
Cet article dispose : « Le Conseil de sécurité constate l’existence d’une menace contre
la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression et fait des recommandations ou
décide quelles mesures seront prises conformément aux Articles 41 et 42 pour maintenir
ou rétablir la paix et la sécurité internationales ».
Par conséquent, c’est le Conseil de sécurité des Nations Unies qui est habilité à
qualifier tout acte illicite mettant en danger la paix et la sécurité internationales et
à prendre les mesures adéquates pour le faire cesser, soit par des voies pacifiques en
application des dispositions du chapitre VI de la Charte ou par des voies coercitives.
Ces dernières caractérisent les exception que le droit international public tolère au
principe du non-recours à la force.
B. Les exceptions au principe du non recours à la force et le rôle du Conseil
de sécurité des Nations Unies
Le recours à la force peut être licite lorsqu’il est autorisé par le Conseil de sécurité
des Nations Unies pour maintenir ou rétablir la paix, conformément aux dispositions
du chapitre VII de la Charte, ou en cas de légitime défense.
La Charte des Nations Unies, prévoyant et donnant la priorité au règlement
pacifique des différends entre États, ce n’est qu’en cas d’échec de ces mécanismes
mis en œuvre à cet effet que le recours aux modalités prévues dans le chapitre VII
devient possible, en cas de « menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte
d’agression ». Il s’agit donc de faire pression sur l’État ou l’entité qui a commis un
acte internationalement illicite afin qu’elle modifie ce comportement.
Après avoir rappelé l’objectif de ces mesures et les faits générateurs susceptibles
de les déclencher, le chapitre VII de la Charte accorde un rôle au Conseil de sécurité
en la matière.
Les aspects juridiques de l’intervention militaire au Yémen Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015
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Ainsi, ce dernier, après avoir constaté l’existence d’une menace contre la paix,
d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression34, peut inviter les parties intéressées
à se conformer aux mesures provisoires qu’il juge nécessaires ou souhaitables
afin d’empêcher la situation de s’aggraver ; décider en cas de défaillance dans l’exé-
cution de ces mesures provisoires, d’autres mesures n’impliquant pas l’emploi de la
force armée qui doivent être prises pour donner effet à ses décisions et inviter les
membres des Nations Unies à les appliquer ; entreprendre toute action qu’il juge
nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité, avec une
intervention internationale, s’il estime que les mesures sont inadéquates.
Avant d’arriver à cette dernière ultime solution35 – celle de l’usage de la force
qui est catégoriquement prohibé36 –, le Conseil de sécutité a la possibilité de
prendre des mesures diplomatiques ou économiques : embargos sur les exportations
d’armes, gel des avoirs financiers, interdiction de voyager, embargos sur les
échanges économiques, interruption totale ou partielle des relations économiques,
des communications ferroviaires, aériennes, maritimes, postales, radios, rupture des
relations diplomatiques, etc…
Dans le cas du Yémen, le recours au Conseil de sécurité afin de prendre de telles
mesures à l’encontre des acteurs considérés comme susceptibles de menacer la paix
et la sécurité régionales aurait été souhaitable. Ce n’est qu’en deuxième temps que
le recours à la force pouvait avoir lieu, en application des dispositions de la Charte.
Pour cela, le Conseil de sécurité a l’obligation de qualifier la situation : s’agissant
d’une menace à la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression37.
Ce n’est qu’à l’issue de cette qualification que le Conseil de sécurité prend les
mesures nécessaires : provisoires, non-coercitives ou coercitives, mais encore des
mesures dites d’habilitation.
En effet, en cas de menace à la paix, des mesures provisoires peuvent être entreprises
pour empêcher une aggravation de la situation. La possibilité de la prise de
ces mesures est édictée par les dispositions de l’article 40 de la Charte qui dispose :
« Afin d’empêcher la situation de s’aggraver, le Conseil de sécurité, avant de faire les
34. Voir supra.
35. Cette solution découle notamment des dispositions de l’article 45 de la Charte. Elle vise à
amener l’État qui commet un acte illicite à respecter la légalité internationale.
36. Voir supra. L’article 2 alinéa 4 de la Charte illégitime le recours à la force dans les relations
internationales.
37. Il s’agit d’une gradation en fonction de la gravité du trouble manifestement illicite à la paix et à
la sécurité internationales.
Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015 Le Yémen, victime collatérale de la crise systémique Arabe
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recommandations ou de décider des mesures à prendre conformément à l’Article 39, peut
inviter les parties intéressées à se conformer aux mesures provisoires qu’il juge nécessaires
ou souhaitables. Ces mesures provisoires ne préjugent en rien les droits, les prétentions ou
la position des parties intéressées. En cas de non-exécution de ces mesures provisoires, le
Conseil de sécurité tient dûment compte de cette défaillance ».
Par conséquent, si l’Arabie saoudite ou les pays voisins du Yémen considéraient
qu’ils sont menacés par la situation qui surgissait dans ce pays, mettant en danger la
paix et la sécurité régionale, ils devaient avoir recours au Conseil de sécurité.
Ce dernier a l’obligation de prendre des mesures aussi bien coercitives que non
– coercitives. Ces dernières sont prises en application des dispositions de l’article 41
de la Charte38 qui donne un pouvoir discrétionnaire au Conseil qui est habilité
à sanctionner toute violation de la légalité internationale39. Mais si ces mesures
ne sont pas suffisantes, le Conseil pourra envisager des mesures coercitives. Ces
mesures sont énumérées dans les dispositions de l’article 42 de la Charte40. Il définit
le système de la sécurité collective des Nations Unies.
Enfin, il faut aussi souligner que le Conseil de sécurité a le pouvoir de la
contrainte militaire, en déléguant à des États membres l’application de décisions
d’intervention du maintien ou du rétablissement de la paix, en application des dispositions
de l’article 43 de la Charte41. C’est dans ce cadre que le Conseil de sécurité
pourrait autoriser une coalition militaire à intervenir sur le terrain, au Yémen.
38. Cet article dispose: « Le Conseil de sécurité peut décider quelles mesures n’impliquant pas l’emploi de
la force armée doivent être prises pour donner effet à ses décisions, et peut inviter les Membres des Nations
Unies à appliquer ces mesures. Celles-ci peuvent comprendre l’interruption complète ou partielle des
relations économiques et des communications ferroviaires, maritimes, aériennes, postales, télégraphiques,
radioélectriques et des autres moyens de communication, ainsi que la rupture des relations diplomatiques. »
39. Même en dehors de la menace. Le Conseil peur recommander mais aussi décider.
40. Article 42 de la Charte des Nations Unies : « Si le Conseil de sécurité estime que les mesures prévues
à l’Article 41 seraient inadéquates ou qu’elles se sont révélées telles, il peut entreprendre, au moyen de
forces aériennes, navales ou terrestres, toute action qu’il juge nécessaire au maintien ou au rétablissement
de la paix et de la sécurité internationales. Cette action peut comprendre des démonstrations, des mesures
de blocus et d’autres opérations exécutées par des forces aériennes, navales ou terrestres de Membres des
Nations Unies ».
41. Le paragraphe 1 de cet article dispose : « Tous les Membres des Nations Unies, afin de contribuer
au maintien de la paix et de la sécurité internationales, s’engagent à mettre à la disposition du Conseil de
sécurité, sur son invitation et conformément à un accord spécial ou à des accords spéciaux, les forces armées,
l’assistance et les facilités, y compris le droit de passage, nécessaires au maintien de la paix et de la sécurité
internationales ». Par ailleurs, l’article 45 de la Charte prévoit un contingent militaire permanent des
États membres. Mais, malgré cette disposition, ce contingent n’a pas encore vu le jour.
Les aspects juridiques de l’intervention militaire au Yémen Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015
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Il en découle que toute intervention militaire ne peut avoir lieu qu’en ayant un
recours préalable devant le Conseil de sécurité, y compris en cas de légitime défense
individuelle ou collective42 car, en vertu des dispositions de l’article 51 de la Charte,
« les mesures prises par des Membres dans l’exercice de ce droit de légitime défense sont
immédiatement portées à la connaissance du Conseil de sécurité et n’affectent en rien le
pouvoir et le devoir qu’a le Conseil, en vertu de la présente Charte, d’agir à tout moment
de la manière qu’il juge nécessaire pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité
internationales ».
En l’espèce, il n’existe pas d’attaque effectuée à l’encontre des pays de la coalition
qui a procédé à l’opération « Tempête décisive » au Yémen, encore moins de
proportionnalité de la riposte à une attaque, encore hypothétique.
Si ces pays se sentaient menacés par la situation au Yémen, il devaient porter
cette affaire devant le Conseil de sécurité des Nations Unies afin que ce dernier
prenne les mesures adéquates pour faire cesser le trouble dont ils prétendent qu’il
porte atteinte à leur intégrité territoriale ou qu’il menace leur sécurité.
S’il est vrai que le Conseil de sécurité est un organe soumis aux aléas politiques43
et que les interventions illégales se sont multipliées ces dernières décennies dans le
monde, il n’en demeure pas moins que la situation actuelle au Yémen constitue une
violation des principes précités du droit international public.
La prise de mesures objectives par le Conseil de sécurité des Nations Unies
est certes devenue désuète. Elle est hélas soumise à l’opportunisme politique44
42. Voir les travaux consacrés à ce sujet dans les actes de ce colloque.
43. Il est vrai que la prise de décisions au sein du Conseil est l’otage du droit de veto exercé par les cinq
membres permanents de cet organe. Par conséquent, l’adoption de résolutions, notamment celles qui
décident de la prise de mesures, est le fruit de tractations politiques entre ces cinq pays. Cependant,
après l’effondrement de l’Union soviétique, la Russie, héritière de ce dernier, était préoccupée par
ses problèmes internes et n’a commencé à recouvrir sa puissance, notamment diplomatique et
politique, que très récemment. La Chine misait sur son expansion économique et commercial et
craint, en faisant usage de son droit de véto, qu’on lui reproche des atteintes internes aux droits de
l’Homme. La Grande Bretagne soutient traditionnellement les États-Unis pour constituer avec eux
une puissance anglo-saxonne. Quant à la France, elle subissait la pression de ses partenaires avant de
devenir totalement atlantiste depuis Nicolas Sarkozy. Par conséquent, les États-Unis se sont érigés
comme une super-puissance, ce qui leur a valu le surnom de « gendarme du monde ».
44. L’embargo décrété contre la Libye à l’issue de l’attentat de Lockerbie l’avait clairement démontré.
Cette mesure a été prise contre ce pays pour un acte de terrorisme imputé à deux de ses citoyens, avant
même que la preuve de leur implication dans cet acte n’ait été prouvée. Et pourtant, la Libye avait
demandé de déférer cette affaire à la CIJ afin qu’elle soit examinée et que les investigations puissent
incriminer ou mettre hors cause l’État libyen. En cas d’incrimination de cet État, signataire des
Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015 Le Yémen, victime collatérale de la crise systémique Arabe
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comme le souligne l’ancien Secrétaire général des Nations Unies, Monsieur Boutros
Boutros-Ghali, qui s’est soucié durant son mandat de Secrétaire général des Nations
Unies de donner plus d’indépendance à cette organisation mondiale et la soustraire
à l’hégémonie politique, notamment celle des États-Unis, ce qui l’avait empêché
d’être re-élu Secrétaire général45.
Il n’est d’ailleurs pas inutile de rappeler à ce propos que les États-Unis ont toujours
fait usage de leur veto au sein du Conseil de sécurité des Nations unies pour
empêcher l’adoption de résolutions contre Israël, pays traditionnellement allié de
Washington, malgré ses violations répétitives du droit international public et sa
commission d’une série de crimes de guerre.
Ce sentiment d’injustice, ces « deux poids, deux mesures » instaurées par le
Conseil de sécurité des Nations Unies, l’impunité de certains pays à l’instar des
États-Unis qui s’érigent le droit de dresser, par l’intermédiaire de leurs institutions
internes (le Congrès et le Département d’État américain), une liste d’états « terroristes
» alors qu’ils se permettent insidieusement d’alimenter les mouvements
terroristes dans le monde, discréditent aussi bien le Conseil de sécurité que les
Nations Unies.
Il ne nous échappera pas que, dans cette affaire, l’Arabie saoudite autant que le
Yémen, ont été victimes d’une manipulation politique directe ou indirecte46. Cette
conventions de Tokyo (1963), de La Haye (1970) et de Montréal (1971) -ces conventions prévoyant
et sanctionnant le terrorisme contre les aéronefs-, la prise de sanctions aurait été parfaitement
légitime. Or, sous la pression des États-Unis, le Conseil de sécurité des Nations Unies a court-circuité
ce processus. La CIJ a été dessaisie au profit du Conseil de sécurité qui avait pris des sanctions
mettant sous embargo la Libye durant plusieurs années. Malgré la demande officielle formulée par
cinq grandes organisations régionales représentant la majorité des États membres de l’ONU (la Ligue
arabe, l’Union du Maghreb arabe, l’OUA, la Conférence islamique, le Mouvement des non-alignés),
ces mesures n’ont été levées qu’en 2003 lorsque ce pays a accepté d’imputer la responsabilité de ses
représentants dans la destruction de l’appareil de la compagnie Panam au-dessus de Lockerbie, en
Ecosse en 1988, ainsi que de l’appareil de la compagnie UTA, en 1989, au-dessus du Niger ; mais
aussi son acceptation de payer une indemnité à chacune de ces compagnies.
45. En 1993, lors de l’opération de l’armée israélienne au Sud-Liban, appelée « raisins de la colère »,
au cours de laquelle l’armée du Tsahal a commis le massacre de la ville de Cana et bombardé des
positions des Nations Unies, Monsieur Boutros Boutros-Ghali a tenu à condamner ces actes par écrit.
Le Secrétaire d’État américain de l’époque, Madeleine Albright, l’interdit formellement de le faire
et de se contenter d’une déclaration verbale. Son refus de se soumettre à sa demande lui a valu les
foudres des États-Unis et la campagne du Secrétaire d’État américain afin de l’empêcher de briguer
un second mandat. Monsieur Boutros-Ghali disait à ce sujet : « les Américains ont voulu de moi un
secrétaire. Je me suis érigé en général… »
46. Par l’intermédiaire des services secrets ou d’une diplomatie parallèle.
Les aspects juridiques de l’intervention militaire au Yémen Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015
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déstabilisation risque de porter atteinte non seulement à l’Arabie saoudite mais
également à sa sécurité dans la mesure où, à l’issue de ces opérations, la population
yéménite plonge dans plus de misère, de régression, ce qui ouvre la porte à toutes
les dérives. Par ailleurs, la proximité des frontières de ces deux pays et leur perméabilité
notamment dans le désert risque de plonger cette région dans une série noire
d’attaques militaires interminables.
Loin des considération partisanes, il convient de relever le caractère illicite de
cette opération qui prend la forme d’une agression, à l’instar d’une multitude de
situations similaires qui surgissent dans le monde en toute illégalité et impunité,
ce qui met en cause l’existence même du droit international public dans la mesure
où, pour que la règle de droit puisse réellement exister, elle devra être obligatoire
et effective.

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