Général (2S) Henri PARIS
Président de Démocraties KURDE
Avril 2015
L’auteur propose le passage en revue de la situation militaire et stratégique sur le théâtre au cœur de la délimitation entre la syrie, L’Irak et la Turquie. Or, cette région abrite la population kurde morcelée en groupes aussi distincts qu’il existe de pays frontaliers. Les combattants kurdes ont ajouté récemment un élément de poids dans l’équation stratégique à l’échelle régionale mais aussi internationale puisqu’ils compliquent la relation turco-américaine dans le cadre de l’Otan. L’évolution islamiste de la Turquie n’est pas la moindre des évolutions qui ont des conséquences sur le terrain lequel est également un théâtre militaire avec ses impératifs au sol dont ne peuvent se passer des forces occidentales volontairement limitées aux raids aériens. À nouveau, les Peshmergas viennent se situer au cœur des enjeux du Kurdistan, entre la Turquie, l’Irak, la Syrie et le Daesh.
Les kurdes font partie de ces peuples ballotés par l’Histoire qui, indéniablement, existent en tant que peuple, mais n’ont pas de territoire, bien qu’ils existent depuis la plus haute antiquité. Une analogie, sans aucune référence politique ou ethnique et même historique, peut être tentée avec les Juifs et l’État d’Israël. Il a toujours existé un peuple juif et dans l’antiquité, un royaume israélien. Cependant, il faut attendre la déclaration de Balfour – du nom d’un diplomate britannique – du 2 novembre 1917, pour que réapparaissent les prodromes de la renaissance territoriale d’Israël.
Il en est donc de même des Kurdes qui, à l’orée du XXIème siècle et sans faire une nouvelle entrée dans l’Histoire similaire à celle des Juifs en leur temps, n’en brouillent pas moins les cartes géopolitiques au Proche-Orient, région déjà en proie à des troubles endémiques depuis la chute de l’Empire turc, cet « homme malade » du XIXème siècle.
Apparaît ainsi au premier plan une question kurde qui, vraisemblablement, n’est pas à la veille de trouver son aboutissement. Elle intervient brutalement sous forme d’une intrusion armée des Kurdes dans le chaos syrien.
À l’effet de tracer une prospective des suites de l’irruption armée des Kurdes dans ce conflit syrien, l’analyse s’attache d’abord à un rappel des raisons de la réapparition des Kurdes sur la scène moyen-orientale, réapparition qui n’a rien de spontané. Ensuite, sont traités les conséquences immédiates de cette réapparition.
Les Kurdes
Le Kurdistan, pays des Kurdes, est une entité géographique aux contours imprécis dont l’assise territoriale rayonne sur le sud-est de la Turquie, le nord-est de l’Irak, le nord-ouest de l’Iran et le nord-est de la Syrie. Selon les interprétations, la superficie du Kurdistan irait de 500 à 550 000 km2, la population de 23 à 30 millions. De faibles minorités kurdes existent en Transcaucasie et au Turkménistan. La langue kurde appartient à la famille des langues persanes. Les Kurdes dans une écrasante majorité sont de confession sunnite. Une petite minorité est Yezidi, une confession proche du zoroastrisme.
Le Kurdistan n’a aucune existence politique tangible, il est une virtualité : un peuple sans État. Une république kurde de Mahabad, ville au nord-ouest de l’Iran, a existé en 1946 et en 1947, sous l’égide des Soviétique, puis a disparu, en conformité avec les accords de Yalta.
Le Kurdistan n’est cependant pas une invention absconse, dénuée de toute réalité. En effet, le traité de Sèvres du 10 août 1920, au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, avait prévu un Kurdistan indépendant pour faire suite aux accords Sykes-Picot. Ces accords secrets, du nom des deux diplomates britanniques et français qui les ont signés, le 16 mai 1916, dans un grand hôtel à Londres, assuraient le démembrement de l’empire turc et le partage entre les alliés des provinces non turques de l’empire ottoman. Ainsi était traduit dans les faits le concept du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, entre autres celui relatif aux Kurdes.
L’Histoire en a décidé autrement. Le traité de Sèvres fut corrigé par celui de Lausanne du 24 juillet 1923. C’est que l’arrivée au pouvoir de Kemal Pacha bouleversa le cours des évènements. Kemal Pacha mena une guerre contre les Grecs, soutenus par les Britanniques, et les chassa d’Asie mineure avec l’appui des Français. Les Français avaient réalisé un renversement d’alliance, causé par la politique antifrançaise menée au Proche-Orient par les Britanniques, au lendemain de la victoire de 1918. Kemal souscrit à la cession de la Turquie européenne et à l’abandon d’une série de territoires qui allaient former autant de pays indépendants. Il ne pouvait, cependant, accepter un démembrement supplémentaire, de même que l’Irak et l’Iran, sous mandat britannique. La France avait reçu la Syrie sous mandat. Il eut été un parfait non-sens qu’elle cède une portion même exigùe de territoire au profit d’une infime minorité kurde. Quant à redessiner la carte du Proche et du Moyen-Orient pour faire place à un Kurdistan indépendant, au détriment de pays sous mandat britannique, il ne pouvait en être question.
Les Kurdes ne font pas une réapparition brutale dans l’Histoire, pour la simple raison qu’ils ne l’ont jamais quittée. C’est l’affaiblissement de l’Irak qui amène la création d’une entité territoriale distincte dans un système fédéral. C’est encore le chaos syrien qui conduit à une renaissance du problème kurde sur son territoire. C’est ce même chaos qui déteint sur la Turquie qui joue la carte du fondamentalisme islamiste par définition opposée à celle des Kurdes, tandis que les Turcs se laissent endoctriner par les islamistes ce qui redouble leur haine des Kurdes. L’idéologie kurde, largement influencée par le socialisme est plus proche du Baas des Alaouites que du conservatisme religieux des islamistes.
Le Kurdistan, la Turquie et le Daesh
La question kurde n’a jamais été réglée. Le plus fort peuplement kurde se trouve dans le sud-est de la Turquie et a nourri une agitation perpétuelle quand ce ne fut pas une série de rebellions sporadiques, toutes matées plus ou moins vite.
Recep Tayyip Erdogan, lorsqu’il accéda au pouvoir en Turquie, hérita de la situation. Tout islamiste qu’il fut, il épousa la cause des laïcs en ce qui concerne l’indépendance kurde. Pour lui comme pour ses prédécesseurs, quelle que soit leur couleur politique, il ne pouvait être question d’un Kurdistan à l’encontre de la Turquie. C’est sous pression internationale qu’il maintint l’enfermement du dirigeant du Parti des travailleurs kurdes (PKK), Ocalan, plutôt que de le faire disparaître. Ankara réussit à faire coucher le PKK sur la liste des organisations terroristes et s’essaya, en vain, de mener une politique d’assimilation.
Le PKK s’inscrit dans une mouvance socialiste et est suivi par l’ensemble des partis kurdes, ne serait-ce que parce qu’il est le plus nombreux et le plus actif. Il existe un parti kurde en Syrie, le jumeau du PKK, le PYD. Tout normalement, le PYD s’est rapproché du Baas syrien, ce qui l’amène à être adversaire des islamistes, notamment de l’Armée syrienne libre (ASL), bien qu’elle se veuille démocrate. Le jeu normal des alliances conduit Ankara à être adversaire du PYD et des gouvernementaux de Bachar el-Assad.
La Turquie évolue vers un islamisme qui la rapproche d’autant de Daesh, l’État islamique, en translitération Daoulat a Islamya fi al Irak wa ak Bilad al Sham. Daesh vise une extension à l’échelle du monde musulman et se réclame d’un fondamentalisme absolu. Il a ainsi instauré un califat, le 29 juin 2014, sous l’égide d’Abou al-Baghdadi al-Hussein al Karachi qui se prétend de la lignée du Prophète. En Turquie, le califat avait été aboli par Mustafa Kemal en 1924, mais Recep Tayyip Erdogan y tend de nouveau, le vieux rêve du fanatisme islamiste.
Daesh a reçu l’appui d’Abdul Rahim Muslim Dost, un intellectuel, vétéran afghan, le plus prolifique des poètes de Guantanamo d’où il a été relâché par les Américains. Dost est surtout actif au Pakistan mais est aussi un agent d’influence et un recruteur au profit de Daesh et de la Turquie. Il est l’auteur d’un ouvrage, un magazine d’une douzaine de pages édité au profit de Daesh, l’État islamique, l’EI. Ce magazine, « Fateh, la Victoire » annonce l’instauration du califat. Dost a prêté serment d’allégeance personnelle à Abou Bakr al-Badhdadi, le 1er juillet 2014, deux jours après la proclamation du califat de l’État islamique. La Turquie suit la même voie.
Les Kurdes, de fait, se heurtent tant idéologiquement qu’à cause d’une question de territoire avec la Turquie mais encore avec Dost et l’EI. En sus de leur conflit perpétuel avec la Turquie, les Kurdes, dans leur prétention territoriale, entrent en opposition armée avec les islamistes. En effet, la portion de territoire occupée par Daesh correspond à la revendication kurde. L’offensive, menée par les islamistes de Daesh sur la bourgade de Kobané, ville frontière, au nord de la Syrie, en est un exemple parfait. Kobané, outre son importance territoriale pour les Kurdes, présente pour Daesh une valeur stratégique extrême. La prise de la ville aurait signifié que le Califat en gestation bouclait la majeure partie de la frontière avec la Turquie, d’où lui parvient l’aide.
Leur lutte ouverte contre les islamistes et sporadique contre la Turquie, font des Kurdes les alliés naturels des gouvernementaux de Damas. Quant aux Turcs, ils assistent sans broncher à la lutte, espérant bien que les islamistes écraseront leur ennemi commun kurde. Par ailleurs, Recep Tayyip Erdogan jouit de la réputation d’être un islamiste modéré, ce qui lui vaut d’être fréquentable pour les Américains. Cherchant l’équilibre, il adopte une position modérée à l’égard de Daesh, position voisine d’une neutralité bienveillante, et redouble son hostilité à l’égard des Kurdes, tout en professant une doctrine d’un conservatisme échevelé, notamment à l’égard des femmes. D’aucuns analysent qu’il ne peut y avoir d’islamisme modéré. Erdogan a franchi une étape et ne veut pas aller au-delà, car la Turquie fait encore partie de l’OTAN. Le refus de l’UE d’intégrer la Turquie dans son système pousse évidemment Recep Tayyip Erdogan dans la voie de l’islamisme. Cependant, un point de non-retour semble atteint à ce sujet avec les positions pro-islamistes prises par la Turquie.
Les Turcs, dans leur recherche d’équilibre, prennent un parti difficilement supportable pour un membre de l’OTAN. Ils tiennent un dispositif hermétique au nord de Kobané, en vue de la ville. Les combattants kurdes et djihadistes ont pu voir sur les hauteurs, les lignes de chars turcs, canons pointés sur la ville. L’herméticité du dispositif fut telle qu’elle ne laissait passer aucun renfort ou approvisionnement aux Kurdes. Les Turcs sont les alliés presque déclarés des djihadistes de Daesh, ce qui font d’eux les ennemis objectifs des Américains qui, par leurs frappes aériennes, se sont efforcés de desserrer l’étau qui étreignait les défenseurs kurdes de Kobané. Cependant, Erdogan a du consentir des concessions, en l’occurrence, laisser le Kurdistan autonome envoyer des renforts à Kobané à travers la Turquie, mais pas à rompre l’herméticité de la frontière face à Kobané. Erdogan a aussi dû laisser entrer, au compte-gouttes, des renforts kurdes à partir de la Syrie et de la Turquie.
Il est loisible de se poser la question de la réalité de l’appartenance turque à l’OTAN. Pourtant, les Américains, tout comme leurs alliés de l’OTAN, n’ont pas caché leur hostilité envers Daesh et leur aide, certes mesurée, aux Kurdes.
La stratégie kurde prend bien en compte la nouvelle distribution des cartes au Proche-Orient pour manœuvrer : se rapprocher des Occidentaux.
Les kurdes et les Américains
Dans le désordre consécutif à l’intervention américaine de 2003, l’Irak a adopté une Constitution fédérale, dans laquelle les Kurdes, quelque 5 millions, ont pu trouver leur part. Ils occupent le tiers nord-est du pays avec un statut d’autonomie. Leur dirigeant Massoud Barzani, appartient au clan Barzani qui a fourni aux Kurdes une multitude de responsables. Massoud Barzani a installé sa capitale à Erbil et dirige le Parti démocratique du Kurdistan (PDK). La seconde entité territoriale kurde est centrée sur Souleymaniyé. Elle relève de l’Union patriotique du Kurdistan (UPK) dirigée par Talabassi, président de la République irakienne, ce qui obère son action locale et ce dont profite Massoud Barzani.
Le Premier ministre irakien, Haïdar al-Abidi a succédé à Al-Maliki en 2014 et a cherché à mettre un frein à la politique chiite de son prédécesseur qui poussait la minorité sunnite dans les bras de Daesh. En revanche, il doit faire face à la même peste qu’est la corruption. Les Américains ont fourni un milliard de dollars pour équiper l’armée irakienne ainsi que la force de 400 000 hommes qu’entretient le Kurdistan autonome. Mal soldée, entre autres, l’armée irakienne est une force d’opérette. Le matériel blindé et la majorité de l’armement individuel en possession de Daesh proviennent de cette armée nationale irakienne. C’est cette déliquescence qui a permis aux djihadistes de s’emparer sans coup férir de Mossoul. Il est dans un ordre normal des choses que les djihadistes prennent le contrôle de l’ensemble de la zone impartie aux chiites. Paradoxalement, l’indépendance irakienne n’a pour défenseurs réels que les Peshmergas, les partisans kurdes, et le Kurdistan autonome irakien.
Les Occidentaux, les Américains en tête, sont parvenus à monter une coalition contre Daesh, mais avec un impératif négatif de taille. Ils se proposent d’infliger aux djihadistes une série de frappes aériennes en développant toute leur puissance mais en se refusant d’engager toute troupe au sol. Les frappes aériennes sont insuffisantes en nombre et mal ajustées. Le commandement américain s’est cependant enfin décidé à fournir de l’armement et des munitions aux défenseurs de Kobané par largage aérien, depuis le 21 octobre 2014. Les Américains, en premier lieu, ne disposent plus des effectifs terrestres nécessaires à mener plus d’une guerre et demie. Or, le 5 janvier 2012, très officiellement, la Maison Blanche a annoncé une bascule de sa stratégie : sa priorité est devenue l’Extrême-Orient, ce qui explique le renforcement des 7ème et 5ème flottes ainsi que le maintien des garnisons en Asie. En outre, l’Afghanistan nécessite une occupation terrestre conséquente. Il est prévu une évacuation militaire par étapes à partir de 2016, mais aucun analyste sérieux ne se fait d’illusion : en l’absence d’une présence militaire occidentale, la démocratie occidentale n’a aucune chance de s’implanter. Le retour au pouvoir des Talibans est inévitable dans des délais assez rapides. Voici donc bouclé le concept d’une guerre et demie élaboré par la stratégie du Pentagone.
Un autre élément d’importance voue à l’échec la stratégie occidentale au Proche-Orient, notamment à l’encontre de Daesh. La supériorité aérienne même absolue est incapable d’apporter une victoire militaire. L’appoint, voire la puissance dominante des troupes au sol, est indispensable pour aboutir à l’anéantissement de l’adversaire ou plus simplement à une capitulation négociée ou encore à un quelconque arrangement. En Afghanistan, à l’origine, les Américains ont pu l’emporter grâce à l’appui des tribus du Nord. Par la suite, avec l’absence de cet appui, ce fut l’enlisement. La capitulation allemande a été obtenue en 1945 par la victoire au sol, à Berlin, des Soviétiques, alors que la supériorité aérienne des alliés était acquise depuis au moins un an. Le contre-exemple pourrait être l’emploi de l’arme nucléaire contre le Japon en 1945. Cependant, ce contre-exemple n’est pas probant, car, depuis, l’arme nucléaire se veut une arme de dernier recours, de non-emploi, vouée à la dissuasion. Par ailleurs, face à un adversaire dilué sur le terrain, comme les djihadistes qui peuvent adopter cette tactique, l’arme nucléaire devient d’un faible rendement car elle exige une cible étroitement déterminée afin d’éviter les dommages collatéraux qui donneraient un résultat effroyable. Il n’est pas fait mention des conséquences morales et médiatiques qu’entraînerait l’usage de l’arme nucléaire contre un adversaire dépourvu de toute parade. Même en ce qui concerne le Japon, la question du bien-fondé de l’emploi de l’arme nucléaire a été posée et de toutes les manières, cet emploi a provoqué une crise morale. D’ailleurs, pour amoindrir le résultat des frappes aériennes, les djihadistes adoptent des dispositifs dilués, ce qui les a gêné dans leur attaque contre Kobané, d’évidence.
Un rendement correct de l’appui aérien exige une désignation précise des cibles au sol par des marqueurs eux aussi au sol. Les djihadistes dans leur défense, outre la dilution, peuvent opérer l’imbrication avec leur adversaire. C’est pourquoi il est indispensable d’avoir, avec les troupes au sol amies, des spécialistes guidant, en très étroite coopération, l’aviation opérant des frappes extrêmement précises.
Il découle de l’analyse que les Américains ont absolument besoin de troupes au sol pour intervenir. Or, leurs alliés tout comme eux-mêmes, se refusent à en fournir. Il est inepte de penser aux pétro-monarchies qui sont trop prudentes pour se risquer à un tel exercice. En effet, la valeur au combat de leurs troupes mercenaires est soumise à de sérieux doutes en sus de leur ardeur et de leur combativité.
Par ailleurs, il est nécessaire de remarquer le ciblage des frappes opérées par l’aviation des pétro-monarchies : leur aviation se garde bien de s’en prendre aux dji-hadistes. Elle se réserve pour les puits de pétrole et les raffineries situées en territoire syrien aux mains des gouvernementaux ou des djihadistes. En somme, l’aviation des pétro-monarchies profite de la guerre à l’instar d’un moyen intéressant pour amoindrir une concurrence commerciale. C’était le sens de leur déclaration faite à Djeddah, le 11 septembre 2014, et contresignée par l’Arabie Saoudite, le Qatar, les Emirats arabes unis, la Jordanie et Bahreïn. En un mois, ils ont asséné une quinzaine de frappes, toujours sur le même objectif pétrolier. En revanche, ils se sont bien gardés de mener un raid aérien contre les gouvernementaux syriens tout comme les Américains. Quant aux Français, jusqu’à octobre 2014, ils se sont contentés d’un petit nombre de frappes, opérées en Irak, à partir de leur base aux Emirats arabes unis, quelque quatre semaines après la décision d’appliquer des frappes.
Où trouver des troupes au sol ?
Les seuls disponibles et désireux de lutter victorieusement contre les djiha-distes sont les Peshmergas, ce qui signifie « les combattants qui sont au devant de la mort ». Ce sont effectivement d’excellents combattants, ainsi dénommés également par le gouvernement autonome du Kurdistan. C’est aussi une garde nationale du Kurdistan autonome. Ces combattants volontaires sont bien armée et possèdent même du matériel blindé fourni par les Soviétiques en leur temps, puis par les Russes dans les années 2000.
Les Américains se sont refusés à faire alliance avec les gouvernementaux syriens, malgré des invites répétées. Cependant, depuis l’entrée en lice de Daesh en Syrie, les Américains s’abstiennent de toute action à leur encontre. Il eut été d’un insigne cynisme politique que de faire alliance avec Bachar al-Hassad et ses Alaouites, pourtant de bons combattants, après les avoir abreuvés de vindicte. Il faut du temps à cela, ce qui amène à ne pas en désespérer.
Les gouvernementaux ont fort à faire avec leurs opposants, bien que la puissance de ces derniers soit sur une pente descendante. L’Armée syrienne libre, bras armé des démocrates arabes, est d’une insigne faiblesse par rapport à ses adversaires déclarés, les gouvernementaux, et non déclarés, les djihadistes et les islamistes locaux. Elle ne peut être un apport sérieux pour les Américains. L’ASL est tout juste apte à mener des actions de guérilla et représentait pour les Occidentaux une solution de rechange au régime de Bachar al-Hassad. Cependant, à Washington, on déchante : en effet, la représentativité de l’ASL est fonction de sa capacité militaire engagée. Or cette-ci est faible et s’amoindrit perpétuellement.
conclusion
Ne reste que la carte kurde.
Les Kurdes ont démontré être de bons combattants et ont un embryon d’État en Irak, centré sur la ville d’Erbil. Eux seuls sont aptes à fournir aux Américains les forces au sol dont ils ont besoin.
Cependant, il y a un prix à payer. Les Kurdes réclament la formation d’un Kurdistan indépendant. S’il est plausible de le leur donner à partir de l’Irak et de la Syrie, la question devient plus compliquée lorsqu’elle a trait à la Turquie où vivent quelque 17 millions de Kurdes dans les provinces du sud et en Iran où quelque 5 millions de Kurdes sont installés à l’est du pays, accolés à l’enclave irakienne d’Erbil.
Les rapports se tendent inévitablement entre Ankara et Washington. Il semblerait bien que des valeurs partagées par les pays de l’OTAN, notamment les rapports entre hommes et femmes s’éloignent de ceux proférés par Recep Tayyip Erdogan.
Une alliance avec la Turquie islamiste est effectivement un contresens qu’il est difficile de soutenir.
Pour les Américains, un renversement d’alliance semble extrêmement compliqué. Il faudrait s’afficher comme allié des Kurdes, dont le PKK est inscrit sur la liste des organisations terroristes, non seulement non-fréquentables, mais promulguées adverses. En sus, il serait nécessaire de dénoncer l’alliance avec la Turquie, alliance conclue au nom de l’OTAN, mais devenue obsolète, compte tenu des positions islamistes adoptées par Ankara. On navigue dans la quadrature du cercle pour un esprit moyen-oriental guère formé à la pensée de Machiavel. Les Américains ont plongé dans le marigot nauséabond des contradictions, difficiles, voire impossibles à surmonter.
Un Proche et un Moyen-Orient apaisés sont une utopie. Les Américains n’ont pas fini de jouer aux pompiers pyromanes.