Par Ali RASTBEEN
Président de l’Institut International d’Etudes Stratégiques
Juin 2001
Le Président Bush vient de déclarer, le 17 mai 2001, qu’il entend relancer le programme américain de production d’électricité nucléaire, après une interruption de 28 ans. Il voulait ainsi répondre aux accusations formulées contre les Etats-Unis, « pollueurs de la planète », qui refusent de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. La nouvelle stratégie de M. Bush est habile ; elle prend à contrepied l’opinion « écologiste ». Mais surtout, elle révèle un débat fondamental, souvent traité de manière irrationnelle ou passé sous silence : faut-il arrêter ou développer l’énergie nucléaire à l’échelle mondiale ? Essayons de faire le point.
Electricité nucléaire et géopolitique
Mais en quoi les questions énergétiques concernent-elles la géopolitique et la géostratégie ? La survie des nations et l’enjeu des guerres, depuis l’Antiquité, repose en partie sur la maîtrise des ressources énergétiques ou alimentaires rares. L’Athènes de Périclès attaquait ses voisines (Corinthe, Thèbes, Lacédémone) pour s’accaparer les mines de fer. L’Allemagne hitlérienne voulait s’emparer des champs pétrolifères du Caucase et du grenier à blé ukrainien. La guerre du Golfe de 1991 avait des enjeux pétroliers évidents, comme l’actuel conflit de Tchétchénie. La maîtrise des ressources énergétiques est une des clés de la géostratégie.
L’énergie nucléaire fut une révolution géo-énergétique. Pour faire tourner des centrales électriques ou faire avancer des navires, il n’est plus nécessaire de contrôler d’immenses champs pétroliers, carbonifères ou gaziers, de protéger les routes maritimes ou les oléo-gazoducs qui acheminent la précieuse énergie fossile, mais de pouvoir se procurer quelques tonnes d’uranium et de disposer d’équipes de savants. Voilà qui change tout. Il est en effet beaucoup plus tentant pour un pays d’acquérir ces quelques tonnes d’uranium que des millions de tonnes de pétrole, de charbon ou de mètres-cube de gaz pour un bilan énergétique équivalent. Si demain, par exemple, les pays producteurs de pétrole décidaient, à la suite d’une crise mondiale, de décréter l’embargo sur leurs exportations, l’ensemble des pays du monde serait quasiment privé d’électricité. Pas la France.
Le programme nucléaire français, volontariste et massif, lancé sous De Gaulle, puis accéléré après la crise pétrolière de 1973, avait d’ailleurs comme principal objectif d’ » assurer l’indépendance énergétique de la Nation » et de mettre cette dernière à l’abri d’embargos pétroliers ou de hausse des cours du baril.
L’état des lieux
Où en est l’industrie nucléaire aujourd’hui ? En puissance installée, le parc de l’Union européenne représente 124.043 mégawatts (146 centrales), celui d’Amérique du Nord 113.O43 Mgw (125 centrales), celui de l’Europe hors UE, 48.786 Mgw (73 centrales), l’Asie et le reste du monde ne totalisant que 70.616 Mgw. La France avec ses 58 réacteurs et ses 80% d’électricité d’origine nucléaire est le pays le plus « nucléarisé » du monde, et donc le moins dépendant du pétrole. En outre, l’industrie nucléaire civile française (Cogema, Framatome, CEA, EDF) est la première du monde, par son niveau technologique et son chiffre d’affaires. Ce fleuron est pourtant menacé.
Malgré tout, le nucléaire représente moins de 5% de la production mondiale d’électricité ; le marché de construction de nouvelles centrales est donc énorme. Oui mais……. Deux obstacles surgissent : 1°) l’effet Tchernobyl qui, chez les Occidentaux, a retourné une partie de l’opinion contre le nucléaire, notamment grâce aux campagnes des écologistes — dont nous verrons plus loin qu’elles sont paradoxales et peu lisibles. 2°) les lobbies pétroliers et gaziers ( pays producteurs et compagnies) qui voient d’un mauvais œil le concurrent nucléaire.
Pourtant, si les pays d’Asie et du Moyen-Orient ainsi que la Russie continuent de programmer des centrales (27 en Asie), l’Europe et l’Amérique du Nord ont arrêté d’en construire, ont annulé 179 tranches et en ont démantelé 87 depuis vingt ans. (1)
En Allemagne, sous la pression des Grunen, le gouvernement a décidé l’abandon définitif de l’énergie nucléaire (19 réacteurs) en 2018 ; la Suède a décidé d’un démantèlement complet de ses 12 réacteurs d’ici 2020. Mais ces deux pays sont embarrassés par les conséquences de ces décisions purement politiques et économiquement irrationnelles : le coût du démantèlement est énorme (3,5 milliards de francs par centrale) et l’on ne sait toujours pas par quoi remplacer les réacteurs, sinon par des centrales thermiques (pétrole, gaz, charbon importés) lourdement polluantes…Cette contradiction embarrasse les gouvernements mais ne semble pas perturber les Verts…
Le brutal retournement américain
Les Etats-Unis qui, notamment par leurs centrales électrothermiques souvent vétustes, sont de loin le plus gros pollueur de la planète (25% des émissions de gaz à effet de serre) avaient eux aussi, sous l’influence de l’idéologie anti-nucléaire, mais également pour ménager le lobby pétrolier, décidé en 1999 d’arrêter immédiatement 40% des centrales. (2) En février 2000, ce chiffre fut prudemment rabaissé à 27%.
Puis vint l’élection de M.Bush et un soudain changement de cap. Pour résoudre la crise énergétique qui frappe les Etats-Unis (insuffisance de la production électrique et coupures de courant, surtout dans les Etats de l’ouest), le nouveau Président a donc proposé, comme nous l’indiquions en début de cet article, 105 mesures pour accroître l’offre privée d’énergie dont la relance du programme électronucléaire. Il s’agit d’une part de demander au Congrès des incitations fiscales (1,5 milliards de dollars) pour que les investisseurs privés rachètent et modernisent les 103 centrales existantes (qui fournissent 20% de l’électricité), et d’assouplir la législation afin de pouvoir autoriser la construction de nouvelles tranches nucléaires.
Cette position est une révolution dans un pays où aucun permis de construire une centrale nucléaire n’avait été donné depuis…1973 ! Révolution d’autant plus étonnante que M. Bush est présenté comme un Texan ardent défenseur du lobby pétrolier. Le Président propose aussi d’abandonner l’interdiction de retraitement des déchets radioactifs, datant de 1981.
Mais il y a, dans les propositions de M. Bush, un argument d’une logique imparable et qui déplaît aux Européens comme aux écologistes : les Etats-Unis ont refusé de ratifier le Protocole de Kyoto sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre (par économies d’énergie et construction de centrales thermiques plus « propres ») parce que cela leur coûterait trop cher. Cette position, qualifiée d’ » égoïste « , a scandalisé le monde entier, à juste titre, d’ailleurs. Mais M. Bush, plus fin et plus malin qu’il ne paraît, répond : » chiche ! Les Etats-Unis veulent bien réduire leurs émissions polluantes, non pas selon le Protocole de Kyoto, économiquement et techniquement utopique, mais en relançant le programme électronucléaire, car les centrales nucléaires sont les moins polluantes et n’émettent pas de gaz à effet de serre « .
Les Européens se sont trouvés désemparés devant cette argumentation, cynique mais percutante. M. Kjell Larsson, ministre suédois de l’Environnement (dont le pays préside l’UE jusqu’au 30 juin 2001), pro-écologiste notoire, a critiqué tout » effort massif américain pour développer l’énergie nucléaire « , estimant que » ce n’est pas la meilleure stratégie pour le futur. Ce n’est pas la solution au problème auquel nous sommes confrontés en termes de changement climatique « . (3) Malheureusement, ni M. Larsson, ni la Commission européenne, ni les écologistes américains ou européens, n’ont proposé d’autres solutions que les « économies d’énergies », les « nouvelles énergies renouvelables » ou la « construction de centrales thermiques propres », pour limiter les gaz à effet de serre et respecter le Protocole de Kyoto. Or, comme nous le verrons plus loin, ces mesures sont technologique ment et économiquement fort peu réalistes.
D’autre part, M. Larsson passe sous silence le fait que les centrales nucléaires sont les seules à ne pas émettre de gaz à effet de serre. Il nous semble donc que les propositions de M. Bush sont un « pavé dans la marre ». Elles rappellent implicitement une doctrine selon laquelle, seule une nucléarisation de la production mondiale d’électricité pourrait limiter la pollution et préserver l’humanité d’une pénurie des énergies fossiles.
Le chef des conseillers économiques à la Maison-Blanche, M. Glenn Hubbard a laissé entendre que le protocole de Kyoto (économies d’énergies) n’était pas très sérieux ni crédible. La position des Etats-Unis apparaît ainsi comme un mélange d’égoïsme et de réalisme. Egoïsme : refus d’imposer aux industriels et consommateurs américains le surcoût d’économies d’énergie. Réalisme : miser sur un recours au nucléaire, au delà des peurs irrationnelles qu’il provoque.
- Chirac, rappelant les principes de la doctrine nucléaire française, défendus par EDF mais sur lesquels l’actuel gouvernement ne s’est pas clairement prononcé, déclarait : » Il faut reprendre le débat sur la place de l’énergie nucléaire. Il doit être abordé sereinement, sans crainte ni dogmatisme, mais en reconnaissant aussi ce que nous devons à l’énergie nucléaire. Elle participe aux efforts de la France pour limiter ses émissions de gaz à effets de serre et contribue grandement à sa moindre dépendance énergétique. » (4) Reste à savoir si cette doctrine sera entendue par le gouvernement français et ses homologues européens…N’oublions pas que, sans raisons vraiment crédibles, on démantèle l’exceptionnel outil technologique qu’était Superphénix, dont l’objectif était de recycler perpétuellement son propre combustible.
Les arguments des anti-nucléaires sont-ils bien étayés ?
La relance du programme nucléaire américain a suscité en Europe la réaction suivante : effectivement, cette mesure est compréhensible pour lutter contre la pénurie énergétique américaine, mais c’est un artifice hypocrite que de prétendre que cette politique limitera l’effet de serre. Cette volonté de construire de nouvelles centrales nucléaires serait un argument supplémentaire de Washington pour ne pas ratifier le protocole de Kyoto.
Autres arguments avancés par les « écologistes » et tous ceux qui sont influencés par leur discours — de notre point de vue, erroné : » remplacer, écrit Caroline de Malet, un mal par un autre relève d’un paradoxe que seul la logique économique peut défendre. Limiter l’émission de gaz nocifs dans l’atmosphère, au prix de déchets nucléaires et d’un nouveau Tchernobyl ? L’alternative n’est guère convaincante, du moins aux yeux des écologistes. » (5) D’autres font remarquer que le recours au nucléaire pour limiter la pollution des centrales classiques serait une goutte d’eau dans la mer, puisque le nucléaire ne représente que 3,5% de la production mondiale d’énergie. Pour que le nucléaire contribue à limiter l’effet de serre, il faudrait décupler le nombre de réacteurs ( de 450 actuellement à 4500), ce qui semblerait impossible économiquement.(6). Point de vue assez étrange, puisqu’à puissance égale, la construction d’un réacteur nucléaire ne dépasse que de 10% le prix d’une unité thermique et comporte des retombées technologiques autrement plus importantes…
Autres arguments avancés par les anti-nucléaires : les réacteurs sont trop coûteux (une unité moyenne de 700 Mgw revient à 2,5 milliards de dollars) ; donc il reviendrait moins cher d’investir dans les fameuses économies d’énergie pour limiter les émissions de CO2 et de SO2 et lutter contre le bouleversement climatique. Nous verrons plus bas que ces « économies d’énergies » sont assez problématiques.
Tout d’abord, en termes de coût global, une centrale nucléaire est peut-être plus chère à construire qu’une centrale thermique (pétrole, charbon et gaz), mais elle est moins chère à exploiter ! Puisque les importations massives de matières fossiles sont plus coûteuses que les faibles quantités d’uranium nécessaires aux unités nucléaires. Sur le long-terme, l’électricité nucléaire est donc moins chère. S’il en était autrement, comment se fait-il que le prix du kilowatt n’est pas plus élevé en France qu’ailleurs, alors qu’EDF fait de confortables bénéfices et s’impose comme la première entreprise mondiale de production d’énergie électrique ? Si le nucléaire n’était pas rentable, EDF ne serait pas le premier électricien mondial.
En ce qui concerne la lutte contre la pollution, citons deux spécialistes qui dénoncent la contradiction des Verts qui veulent à la fois préserver l’environnement et abolir le nucléaire, l’énergie la moins polluante… : » Aujourd’hui, les écologistes « gouvernementaux » s’opposent tous au nucléaire et, simultanément, disent tous vouloir se battre contre l’accroissement de l’effet de serre, possible, voire probable responsable de futurs ou prochains désastres climatiques. Or, l’énergie nucléaire est à ce jour, aux côtés de l’électricité hydraulique, la seule source d’énergie de dimension industrielle à la fois compétitive, non émettrice de gaz à effet de serre et aux ressources si grandes que l’on peut, à l’échelle de l’espèce humaine, la considérer comme quasi inépuisable. Les déchets qu’elle engendre, quoique posant des problèmes minuscules comparés aux catastrophes climatiques dont nous menacent les gaz à effet de serre émis par la combustion du charbon, du gaz et du pétrole, sont remarquablement bien étudiés et gérés par les industriels du nucléaire. Les énergies, également propres et inépuisables, doivent être exploitées mais sont malheureusement trop « douces » pour constituer jamais autre chose que de modestes appoints. » (7)
Si les pays de l’UE continuent leurs programmes de démantèlement des centrales et ne renouvellent pas les autorisations d’en construire, la dépendance énergétique de l’Europe passerait de 50% aujourd’hui à 70% en 2020 (8). Or, un ensemble politique (tel que l’Union européenne), s’il ne dispose pas d’une relative autonomie énergétique, ne peut pas espérer être véritablement indépendant. Seul le nucléaire permettrait à l’Europe de se soustraire aux aléas et aux impondérables de la fourniture de gaz et de pétrole sur de longues distances.
Aujourd’hui, en Europe, aucun responsable politique ne réfléchit sérieusement à l’avenir énergétique du Continent, contrairement à ce qui se passait en France dans les années 60 où fut décidé le plus important programme mondial d’équipement nucléaire d’un pays.
On avance aussi que la généralisation du nucléaire civil permettrait à un nombre croissant de pays de se procurer des matières fissiles militaires et d’accéder à la technique de fabrication de bombes. Cet argument est peu recevable. Une trentaine de pays dans le monde ont actuellement la capacité de fabriquer un armement nucléaire même rustique. La « prolifération nucléaire » militaire n’est pas liée au nucléaire civil. D’ailleurs, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France et la Russie ont construit leurs arsenaux avant de se lancer dans la production d’électricité nucléaire.
Le risque d’une conflagration nucléaire mondiale nous semble, en termes de probabilité mathématique, infiniment moins élevé pour l’humanité que le risque d’une catastrophe climatique globale, conséquence d’un accroissement de l’émission de gaz polluants.
De même les effets d’un nouveau Tchernobyl — qui serait fort possible si, à l’horizon 2030, 25% de la production d’électricité mondiale était nucléaire seraient moins graves que l’hypothèse d’une pollution exponentielle de notre atmosphère et de nos océans.
Rappelons qu’il n’y a pas d’énergie « sans risque ». Il convient de dénoncer cette idéologie hyper-sécuritaire qui innerve l’Occident, selon laquelle la sécurité absolue serait possible : guerres avec « zéro-mort », transports routiers ou aériens sans accidents, production d’énergie sans pollution, etc. Il ne s’agit pas d’abolir le risque mais d’opter pour le moindre risque.
Les « économies d’énergie » sont-elles vraiment possibles ?
Pour éviter le recours au nucléaire on parle d’ » économies d’énergie « . Dans le cadre de la massive croissance mondiale actuelle, celles-ci semblent utopiques ou, tout au moins, marginales et peu significatives.
Les citoyens de la plupart des pays (surtout les pays économiquement émergents, avides de consommation) sont rétifs à économiser l’énergie. Et ne parlons pas des Américains : malgré les lobbies écologistes (en fait très minoritaire), qui renoncera à son climatiseur, à son congélateur ou à l’utilisation intensive des automobiles familiales ?
La rationalisation économique de l’énergie repose sur trois facteurs très aléatoires :
- Le civisme des consommateurs : moins circuler en voiture, limiter son chauffage et son éclairage, équiper son logement de procédés de régulation thermique, économiser la consommation des appareils électroménagers, prévoir des panneaux solaires , etc. L’expérience prouve, hélas, que seule une infime minorité, dans une société qui, à l’échelle mondiale, recherche l’augmentation de la consommation individuelle, pourra adopter ces comportements.
- Le renchérissement de l’énergie, pour inciter les usagers (ménages ou industriels) à limiter leur consommation : hausse des prix du kw/heure, de l’essence, du fuel, etc. Aucun Etat ne se risquera, de crainte d’impopularité et de crise économique, à pousser trop loin ce type de mesure.
- Les rationalisations des transports et de l’aménagement du territoire : développement du « ferroutage », des tramways urbains, des bus électriques, des transports en commun, etc. Là encore, l’expérience prouve, depuis trente ans, que ce type de mesures, pour très positives qu’elles soient, ont une efficacité restreinte.
4) Les procédés techniques de limitation des pollutions par les utilisateurs d’énergies fossiles : centrales thermiques moins polluantes, automobiles diesels-électriques ou plus économes en carburant, catalyse des émissions de SO2 sur les moteurs, etc. Ces solutions sont positives et indispensables, mais marginales, compte tenu de la croissance économique et démographique mondiale.
Une politique mondiale drastique d’économie d’énergie est beaucoup plus difficile à mettre en œuvre (pour stabiliser l’émission des gaz polluants) qu’un programme planétaire de développement de l’énergie nucléaire. La solution des « économies d’énergie » nous semble donc assez irréaliste : il faut, bien entendu, la défendre et la poursuivre mais sans en attendre une « solution miracle ».
Nous savons qu’en 2040 l’humanité, qu’on le veuille ou non, consommera le double d’énergie d’aujourd’hui. La solution ne viendra donc pas de la limitation de la consommation, mais de la rationalisation de la production.
Les arguments en faveur du nucléaire.
L’énergie nucléaire est la moins polluante de toutes, mais elle a été diabolisée de manière magique et irrationnelle. Les centrales thermiques classiques polluent massivement l’atmosphère et aucun procédé sérieux ne permet de réduire leurs émissions toxiques et perturbatrices du climat. Sauf accident, une centrale nucléaire n’est pas nocive. Les très rares accidents ( Three Miles Island aux USA ou Tchernobyl en Ukraine) ont causé mille fois moins de dégâts que les marées noires ou les émissions continues de gaz toxiques de l’énergie thermique. Les Grunen allemands se sont massivement mobilisés, avec affrontements médiatisés contre la police, pour bloquer les trains de combustible retraités en provenance de l’usine de La Hague en France. Pourtant aucun incident ni cas d’irradiation n’ont jamais été signalés.
Les précautions qui entourent la production d’électricité nucléaire sont, en France, dix fois plus rigoureuses que celles qui entourent la production pétrolière. Un de nos arguments centraux est le suivant : il est technologiquement possible de rendre l’industrie nucléaire quasiment sûre et non polluante, mais il est technologiquement impossible de sécuriser l’exploitation des énergies fossiles.
Claude Allègre, scientifique de renom et ancien ministre de l’Education nationale, déclarait, critiquant la décision allemande d’arrêter son programme nucléaire : » Une fois levée l’hypothèque des déchets, ce que nous ferons d’ici dix ans, je maintiens qu’aujourd’hui l’énergie nucléaire est la plus sûre et la moins polluante. Car les Allemands ne nous disent pas comment ils vont produire leur énergie. Toutes les sources d’énergie statique recensées rejettent du CO2 dans l’atmosphère, entraînant à terme une dangereuse modification du climat. Je tiens, en ce me concerne, à l’indépendance énergétique de la France. » (9)
Les énergies fossiles (pétrole, charbon et gaz) rejettent des millions de tonnes de dioxyde de souffre, de monoxyde et de dioxyde de carbonne bien plus dangereuses pour la santé humaine et le climat que les mythiques « radiations ». Rien qu’en France, l’électronucléaire évite, par an, le rejet atmosphérique de 78.000 tonnes de poussières, de 1,1 millions de tonnes de dioxyde d’azote, de 2 millions de tonnes de dioxyde de souffre et surtout de 337 millions de tonnes de dioxyde de carbone. Grâce au nucléaire, la France a réduit de 70% ses émissions de gaz polluants, le reste n’étant plus le fait que des transports automobiles et des rejets industriels ; elle dégrade moins l’atmosphère que ses partenaires de l’UE : 6,9 tonnes de gaz carbonique émis par habitant, contre 11 tonnes pour l’Allemagne et une moyenne européenne de 8,15 tonnes. (10)
On peut se demander pourquoi les écologistes et les Verts s’attaquent au nucléaire mais restent forts discrets sur les ravages du pétrole : émission toxiques massives, pollution des mers et des côtes par marées noires et dégazages, dangers des ruptures d’oléoducs, etc. Ils ne s’inquiètent que peu de la progression massive du transport et du fret routier et n’ont fait aucune proposition concernant le ferroutage (11) Bref, on devrait se poser des questions sur cette complaisance des partis et mouvements écologistes occidentaux envers le pétrole…
Enfin, on oublie de dire que l’activité et la recherche en électronucléaire constituent une « industrie industrialisante », une industrie de pointe dont les retombées technologiques sont plus importantes que celles de ses rivales classiques.
Les énergies « propres » alternatives au nucléaire existent-elles vraiment ?
Nous avons vu plus haut que, sans bien entendu en nier la nécessité, les « économies d’énergie » ne pouvaient avoir qu’un impact très limité. Qu’en est-il maintenant des « énergies alternatives » que les opposants au nucléaire nous proposent comme une panacée ?
Voici les énergies actuellement disponibles pour la production d’électricité : 1°) Les centrales thermiques classiques au charbon, pétrole, gaz. Avantage : grand rendement. Inconvénients : pollutions massives, dépendance envers les fournisseurs ; les technologies les plus récentes de « centrale propres » (par catalyse des émissions) ne diminuent les rejets que de 20%.
2°) La houille blanche, autrement dit les barrages fluviaux. Inconvénients : insuffisance des sites, noyade de zones naturelles (comme le catastrophique barrage de Guyane, contre lequel les Verts français n’ont jamais protesté).
3°) L’énergie marémotrice (12). Inconvénient : rareté des sites et pollution des embouchures par les limons.
4°) L’énergie géothermique (13) Inconvénient : coût énorme, rareté des sites. Avantage : absence totale de pollution et de dépendance. Energie inépuisable.
5°) Les panneaux solaires. Inconvénient : énergie renouvelable mais de simple appoint, strictement locale.
6°) Les « fours solaires » de plus de 100 Mgw. (14). Inconvénient : les caprices de …la météo et le coût.
7°) Les « fermes éoliennes », composées de moulins à vent à hélices tripales. Avantage : absence de pollution et de dépendance. Inconvénient : rareté des sites, faible rendement et simple énergie d’appoint. Selon le Syndicat des énergies renouvelables, l’énergie éolienne ne parvient pas à décoller et à s’imposer (15).
8°) L’énergie « aquatique », c’est-à-dire des moulins à eau (turbines) immergées dans les cours d’eau rapides ou sur les hauts-fonds marins aux courants forts et réguliers. Inconvénient : rareté des sites.
9°) L’énergie nucléaire. Avantage : très fort rendements, abondance des sites (16), absence de pollution atmosphérique, facilité des approvisionnements en uranium. Inconvénients : l’enfouissement et le retraitement des déchets, le risque d’accidents et d’émissions d’aérosols radioactifs.
Au total, on le voit, il n’existe pas d’ » énergie parfaite « . Celles qui sont totalement renouvelables et non polluantes sont soit trop chères soit très limitées en puissance. Les plus efficaces et les moins chères (énergies thermiques) sont lourdes à gérer et très polluantes. Le nucléaire offre un bon compromis : un coût et un rendement équivalents au thermique, avec une sécurité d’approvisionnement supérieure ; ses inconvénients — contrairement à ce dernier — sont facilement maîtrisables : le retraitement des déchets et la sécurisation des installations sont à la portée d’une technologie de pointe et d’une bonne organisation.
Le cas emblématique du Japon.
S’il est un pays qui a besoin du nucléaire, c’est bien le Japon, grande puissance industrielle dépourvue de matières premières et contrainte d’importer des millions de tonnes de pétrole et de charbon. Pourtant, avec ses 51 réacteurs, le parc nucléaire ne couvre que 30% des besoins du pays. Cependant, malgré le souhait du gouvernement de construire 9 nouvelles centrales d’ici 2010, l’opinion publique, de manière irréfléchie et irrationnelle se déclare en majorité opposée à ce programme indispensable, à la fois sur le plan écologique et géoéconomique.
Et ce, après quelques accidents mineurs et hyper-médiatisés qui ont provoqué une peur irréfléchie. Dans l’usine de combustibles de Tokaimura, on se souvient qu’en septembre 1999, à la suite d’une grossière erreur de manipulation, deux employés étaient morts irradiés, et l’information avait fait le tour du monde, provoquant un vent de panique au Japon. Nous sommes dans l’irrationalité la plus totale : les centaines de mineurs qui périssent de coup de grisou, de pêcheurs victimes de l’océan, de passagers qui meurent dans les accidents aériens ou ferroviaires, sans parler des dizaines de milliers de morts sur les routes suscitent-ils une réprobation publique envers le charbon, la pêche, le transport aérien et ferroviaire ou l’automobile ?
Autre fait récent : la direction de la centrale nucléaire de Kashiwazaki-Kariwa — la plus puissante du monde — , propriété de la compagnie Tepco, première société électrique privée du monde, voulait utiliser le combustible recyclé MOX, moins cher que l’uranium enrichi. Les fournisseurs sont la Cogema (France), BNFL (Grande-Bretagne) et Belgonucléaire (Belgique). Or, les transports par bateau du MOX depuis l’Europe, pourtant sans danger, avaient suscité les protestations véhémentes du lobby anti-nucléaire japonais, ce qui avait effrayé l’opinion publique.
Conséquence : la municipalité de Kariwa, qui héberge la centrale, a organisé en mai 2001 un référendum par lequel la population s’est prononcée contre l’introduction du MOX. Ladite population locale n’est absolument pas qualifiée sur ce sujet de haute technologie. Qu’à cela ne tienne, Tepco a assuré qu’elle n’utiliserait pas le nouveau combustible tant que la population ne serait pas d’accord et convaincue…Les habitants de Kariwa préféreraient-ils à leur porte une centrale thermique classique, avec tous ses rejets ?
Ces cas emblématiques nous renseignent sur la versatilité et la manipulabilité de l’opinion publique (en général ignorante) dès qu’il est question de nucléaire. Nos contemporains veulent la quadrature du cercle : un haut niveau de consommation énergétique et électrique, pas de pollution, mais pas non plus de centrales nucléaires. Il faut choisir…
Propositions pour une politique mondiale de l’énergie
Les conférences internationales (Rio, puis Kyoto) pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et limiter la dégradation accélérée de l’environnement se sont heurtées aux égoïsmes nationaux — notamment celui des Etats-Unis — ou à une absence conjointe d’imagination, de volonté et de bon sens.
Nous savons que d’ici 2050 l’explosion du développement économique et démographique menace l’écosystème (atmosphère, mers, couvertures végétales, équilibres climatiques) et donc menace l’humanité elle-même.
De notre point de vue, il s’agit donc de concilier le recours aux énergies plus « propres » (pour l’électricité ou le transport) et la généralisation du nucléaire au détriment des énergies thermiques et fossiles. Voici les axes que nous proposons :
1)° Investissements massifs des industries automobiles dans les moteurs thermiques moins polluants, ou électriques, ou encore avec des carburants d’origine agro végétale. 2°) Recours systématique, là ou c’est possible, aux énergies locales d’appoint (éolienne et aquatique), incluant même l’aide de turbines éoliennes pour l’aide à la propulsion des cargos, ce qui économiserait 30% de fuel.
3°) Développement du ferroutage, du fret par canaux ou par dirigeables ainsi que des transports terrestres moyenne distance par TGV, qui limitent les inconvénients du tout-avion. 4°) Construction d’un parc mondial de centrales nucléaire, apte à compenser la croissance annuelle de 5% du besoin d’énergie, sans avoir recours à de nouvelles centrales thermiques. Signalons qu’un nouveau projet franco-allemand de centrale (actuellement bloqué) permettrait d’améliorer le rendement et la sécurité de l’électronucléaire. Une telle politique serait évidemment très profitable à la France, leader mondial du nucléaire civil 5°) Investissement dans le « nucléaire de deuxième génération », c’est-à-dire l’énergie de fusion qui pourrait remplacer l’ actuelle énergie de fission, dont les fondements théoriques sont connus et qui présente beaucoup moins de risques ainsi qu’un approvisionnement illimité.
Tout cela suppose une volonté politique à long terme, rationnelle. La communauté internationale qui semble actuellement guidée par la logique du court terme et des idéologies irrationnelles, en sera-t-elle capable ? La France, pionnière en matière de nucléaire, saura-t-elle maintenir le cap ?
En guise de conclusion
La thèse que nous soutenons est donc la suivante : pour réduire ou, tout au moins stopper la progression de la diffusion des gaz à effet de serre (CO2 et SO2), la solution la moins mauvaise est le développement à l’échelle mondiale de centrales nucléaires sécurisées. C’est une chance pour la France, qui dispose du meilleur savoir-faire en ce domaine, et qui peut donc exporter ses technologies. Pour son plus grand bénéfice et celui de l’ensemble de l’humanité. Loin d’être « inhumaine », l’énergie nucléaire semble être la plus intelligente.
Un peu de bon sens : en cinquante ans, il n’y a eu qu’un seul Tchernobyl et aucun accident grave et collectif avéré dû aux déchets radioactifs. Mais combien de milliards de tonnes de gaz polluants et cancérigènes émis, combien de marées noires, combien de morts dans les mines de charbon ?
En outre, le nucléaire nous semble être un facteur de paix, parce qu’il limite les conflits géopolitiques liés aux contrôles des sources et des routes d’énergie fossile. Des nations indépendantes énergiquement sont moins amenées à se combattre que des nations interdépendantes les unes des autres.
Pour conclure, nous comparerons l’énergie nucléaire à la démocratie selon la définition qu’en a donnée Winston Churchill : » un système terriblement imparfait, mais le moins mauvais de tous. »
Notes
- Source : Elecnuc, année 2000.
- 50% de la production électrique américaine provient de centrales thermiques au charbon, extrêmement polluantes. Pour un million de dollars de PIB (production intérieure brute), l’UE émet 1,4 tonnes de gaz à effet de serre, et les USA 2,66 tonnes. Tout simplement parce que les USA sont sous-équipés en nucléaire par rapport à l’Europe.
- Propos tenus lors de la réunion ministérielle de l’OCDE, le 15/03/2001 à Paris.
- in Charte de l’Environnement présentée par l’Elysée le 2 mai 2001.
- in le Figaro Economie, 18/05/2001.
- Jacques Frot, membre du comité scientifique de l’AEPN ( Association des écologistes pour le nucléaire) et Jacques Pradel, chef de la radioprotection au Commissariat à l’énergie atomique (CEA). (Le Figaro, 21/05/2001)
- Livre vert sur la sécurité d’approvisionnement énergétique. CE. Bruxelles, mars 2001.
- in Le Figaro , 27/07/2000
- Statistiques INSEE, EDF, pour 2000.
- Dégazage : nettoyage « sauvage » et extrêmement fréquent des cuves des pétroliers en pleine mer, destructeurs de la flore et de la faune marines. Ruptures d’oléoducs : catastrophiques pour les rivières, les sols et les nappes phréatiques, ils ont été très fréquents en Sibérie. Ferroutage : transport des camions par trains sur moyenne et longue distance, limitant pollutions et gaspillages énergétiques pour un meilleur coût.
- La seule usine marémotrice (qui utilise l’énergie des marées) a été construite en Bretagne, à l’embouchure de la Rance.
- L’énergie géothermique consiste à envoyer à près de 1000m de profondeur un courant d’eau, qui est donc chauffé et alimente des turboalternateurs.
- Le seul four solaire existant au monde fut construit à Montlouis, dans le Languedoc, avec des résultats peu probants. Le principe : des centaines de miroirs solaires agissent par effet thermoluminescence de convexion.
- EDF refuse d’acheter 48 centimes le kilowatt l’électricité éolienne et ne propose que 41 centimes. L’objectif de production de 34 TWh à l’horizon de 2010 pourra difficilement être atteint.
- Une centrale nucléaire doit simplement se trouver placée à côté d’un fleuve ou en bord de mer, pour son alimentation en eau de refroidissement.