Ali RASTBEEN
Président de l’Académie géopolitique de Paris et Directeur de la publication de la revue Géostratégiques
Avril 2015
Au MOYEN-ORIENT, l’Irak représente un ensemble ethnique et religieux très varié et occupe une place géostratégique particulière. Ce pays a une importante histoire dans la civilisation mondiale et renferme des réserves pétrolières considérables. Du point de vue géographique, il se situe dans la prolongation de la péninsule arabique sur le littoral du Golfe Persique. Le nord et l’est en sont couverts de montagnes. Il se trouve au voisinage de l’Iran, de la Turquie et des régions kurdes qui bénéficient aujourd’hui d’une autonomie dans le cadre d’un Irak unique car après la chute du régime militaire baasiste, l’Irak est devenu, dans la pratique, un pays fédéral.
En matière de composition démographique, dans les régions montagneuses et le nord de l’Irak, outre les kurdes, sont implantées les deux minorités assyrienne et turcomane depuis des temps historiques. Outre l’Islam – religion dominante – les religions anciennes comme le sabéisme et le yézidisme qui puisent leur origine dans les croyances de l’Iran antique y sont toujours présentes. Les communautés originelles, christianisme et le judaïsme, puis les différentes communautés islamiques, coexistent malgré leurs grandes diversités ethniques et religieuses. Cependant le chiisme y compte le plus grand nombre de fidèles et les Iraniens composent la grande majorité des habitants non irakiens du pays. Or, depuis l’époque de l’empire ottoman et jusqu’à la chute du régime Baasiste, l’administration du pays était exclusivement exercée par les sunnites. Ce facteur a joué un rôle important dans les événements de la dernière décennie et demeure important dans la crise qui assiège le pays.
Les villes saintes du chiisme, telles Karbala, Nadjaf, Kazimain, Samarra, sont, depuis des siècles, les lieux de pèlerinage convoités par les chi’ites. Pour ceux-ci en général, le pèlerinage des villes saintes d’Irak est parfois plus attirant et valorisant que celui de la Mecque. Les revenus du pèlerinage constituent donc une des composantes de l’économie irakienne.
Ce qui est survenu en Irak après la chute du parti Baas peut être considéré comme une « Renaissance ». Une renaissance qui n’a pas encore trouvé sa place officielle et qui a besoin de faire valoir ses nouveaux acquis et valeurs. Il apparaît clairement que le monde actuel a besoin d’une nouvelle « Renaissance ». Les régimes issus de l’ancienne « Renaissance » sont devenus stériles. La nouvelle « Renaissance » ne peut pas se réaliser à travers les guerres et les conflits ethniques, raciaux, religieux et/ ou par le biais des pouvoirs militaires. Le monopole de la puissance est désastreux même pour les hommes sacrés et les personnages puissants. La seule voie pour brider le pouvoir est que le monopole passe par la « mondialisation » du pouvoir. L’ébauche en a été instaurée au lendemain de la seconde guerre mondiale, par la Charte des Nations Unies. Or, la volonté mondiale doit accorder à cette esquisse l’âme, la volonté et la capacité d’une présence réelle dans la mise en œuvre du nouvel ordre.
Tous reconnaissent que les islamistes radicaux représentent un véritable danger. Les efforts régionaux et internationaux dans la lutte contre le terrorisme et la propagation de l’extrémisme qui constituent une menace directe à la sécurité et la stabilité du Proche-Orient et du monde entier sont donc nécessaires et doivent être poursuivis. Le groupe Daesh n’est ni État ni islamique, mais réellement une organisation terroriste sophistiquée des plus dangereuses.
La nécessité de respecter la souveraineté et l’intégrité territoriale des États de la région oblige la communauté internationale à mobiliser ses efforts pour couper le financement de ce groupe radical islamiste, améliorer le travail des services de renseignement, renforcer les défenses, endiguer l’idéologie dénaturée de ce groupe et arrêter le flot de combattants étrangers au Proche-Orient et depuis cette région.
Il est temps que les acteurs régionaux et internationaux procèdent à une profonde analyse d’ensemble des problèmes de l’extrémisme et du terrorisme au Proche-Orient et en Afrique du Nord, sous la médiation des Nations Unies, et à examiner les conséquences des guerres et des agressions du passé, analyser les causes de l’échec des négociations sur des conflits très anciens, notamment du progrès insuffisant de l’initiative de paix arabe.
Le terrorisme n’est pas un phénomène nouveau, c’est un phénomène commun à toutes les sociétés humaines et à toutes les époques. Mais il est aujourd’hui renforcé par la mondialisation qui lui a offert tous les outils technologiques nécessaires pour se répandre. Depuis les premiers détournements d’avion par des militants palestiniens jusqu’aux attentats du 11 septembre 2001, le monde arabo-musulman est pointé du doigt comme la principale source du terrorisme contemporain. Le retour à l’islam radical est un phénomène moderne qui se répand de l’Indonésie à la Tchétchénie. Cependant, si l’islamisme présente un visage diversifié selon les pays, il est néanmoins né dans les années 70 comme conséquence du désespoir lié à l’échec du développement pour tous, car l’islamisme n’est pas seulement une réaction contre la modernisation des sociétés musulmanes, il est aussi un produit de cette modernisation, avec ses échecs.
Le Moyen-Orient a connu ces dernières années une série d’événements qui ont modifié la donne régionale : la révolution iranienne de 1979, la crise économique des pays arabes de 1982-1986, le problème irrésolu entre Palestiniens et Israéliens, la fragmentation du système régional arabe, l’affaiblissement de la légitimité des régimes en place, l’écrasement de la société civile par les États et l’aggravation des échanges inégaux entre le monde arabe et les pays industriels. L’islamisme s’est donc développé dans une période de désillusion pour apparaître comme un ultime recours, une recherche obsessionnelle d’identité, une tendance à référer toute action à une histoire originelle autochtone et mythifiée. Ses partisans les plus fanatiques rappellent ainsi le radicalisme désespéré des anarchistes du siècle dernier en Europe. Ce type de terrorisme est aggravé par la pauvreté, le chômage et l’injustice accentués par la mondialisation. D’autant plus que sur le plan culturel, cette mondialisation tend à imposer la culture occidentale et à marginaliser les autres cultures, ce qui engendre une humiliation favorisant l’intégrisme qui ne trouve aucun autre moyen pour contester sauf la violence et le terrorisme.
S’y rajoutent de surcroît, d’une part l’échec des cadres pachtouns de l’armée et des services pakistanais, à contrôler la situation en Afghanistan et au Cachemire ; d’autre part la politique étrangère américaine qui a abandonné les groupes mercenaires islamistes à partir des années 1990 en Afghanistan, et qui a exploité les fondamentalistes musulmans à des fins stratégiques pour provoquer les nombreux renversements d’alliance, seul prévalant l’obsession de la Guerre du pétrole. Cette politique est accusée de mépriser les musulmans en formant, équipant et soutenant la puissance économique et stratégique de l’État d’Israël. La nature de certains pays arabes d’une part et une pensée extrémiste qui puise ses sources dans la diversité conceptuelle des différentes communautés musulmanes mais aussi, d’autre part, les liens d’allégeance entre les dirigeants musulmans autocrates et l’Occident, au détriment de la défense des intérêts de leurs peuples aggravent également cette situation tout comme la politique étrangère de certains pays arabes comme celle de l’Arabie Saoudite incapables de contrôler l’intégrisme sunnite qu’ils encouragent depuis les années 80. Comment ignorer, de même, la politique du Qatar devenue l’une des plateformes des mouvements terroristes radicaux, rivalisant aujourd’hui avec l’Arabie Saoudite dans l’exportation de l’extrémisme ? En effet, le Qatar et l’Arabie Saoudite ont fortement financé et alimenté l’armement des extrémistes de Syrie, ouvrant la voie à l’émergence de Daesh. Tous les deux soutiennent les talibans afghans. En appuyant les terroristes extrémistes, ils ont contribué à la transformation de la Libye en un État failli.
Ainsi, tous ces États ont couvé des groupes radicaux qui ont fini par se retourner contre eux. En d’autres termes, Ben Laden engagé par les États-Unis et son allié séoudien pour battre l’Union Soviétique, s’est retournée contre ses protecteurs, avec pour objectif, de provoquer une rupture historique entre le Monde Musulman et l’Occident. L’ensemble de ces bouleversements ont donné naissance à des groupes fondamentalistes comme Al-Qaïda dans la péninsule arabique et dans le Maghreb islamique au Mali et en Algérie, BokoHaram au Niger, Al-Shabab en Somalie, les Talibans en Afghanistan et au Pakistan, Ansar al-Charia en Libye et en Tunisie, Jamatee Eslami en Indonésie, Abou Sayyaf aux Philippines, Ansar din au Mali, Ansar Bitalmoghadas en Égypte, et enfin Daesh en Irak et en Syrie.
Contrairement aux autres groupes terroristes qui considèrent l’Occident comme étant l’ennemi de l’Islam et des musulmans, Daesh demande la soumission de tous les pays, musulmans ou non musulmans à son califat autoproclamé. En outre, Daesh défie les frontières établies, fixe des régions particulières qui lui permettent d’établir son contrôle et renforcer ses soutiens financiers et logistiques. C’est ainsi qu’en Irak et en Syrie, profitant de l’anarchie existante, il a effectué des avancées remarquables. Ensuite, grâce à son efficacité à occuper les réseaux sociaux, il a réussi à défier la plupart des pays du monde. Daesh est équipé de chars, d’avions et de missiles. Il détient 8 puits de pétrole en exploitation, des banques et des administrations, il a réussi récemment à mettre la main sur 40 kilos d’uranium dérobé à l’Université de Mossoul. Il a mis sur pied une organisation qui ne recule devant aucune forme de violence face à tout opposant à son idéologie.
Devant ce danger qui menace l’équilibre mondial, les États-Unis tentent finalement de créer une coalition de plus de 40 pays contre Daesh. À ce propos, il convient de signaler que si les États-Unis sont habiles dans la création des coalitions, les pays arabes le sont dans l’adhésion aux coalitions et dans la participation aux combats. Aujourd’hui encore, ils ont adhéré à la coalition réunie par les États-Unis en vue de combattre un groupe originellement soutenu par eux-mêmes.
De ce qui précède, il ressort que l’Occident doit mettre un terme à la démagogie et l’extension du mouvement salafiste dans le monde. La défense des droits fondamentaux de l’homme doit prendre un caractère universel, afin qu’aucune différence ne démarque l’homme occidental de l’homme musulman. Les pays musulmans doivent organiser des conférences scientifiques, des séminaires, des voyages d’échanges, sensibiliser les structures culturelles de la société civile, les écoles, les universités, les mosquées et les associations sur le danger de l’extrémisme, afin que les savants des différentes communautés puissent débattre des pensées fondamentalistes et qu’un point de vue de l’Islam moderne s’affirme, conformément aux droits de l’homme, aux droits des citoyens et aux libertés démocratiques. L’Occident et le monde musulman doivent abandonner ensemble la théorie de l’affrontement des civilisations, pour se tourner vers le dialogue entre les civilisations, les cultures et les religions afin de mieux connaître leurs fondements et leurs différences pour mieux les accepter et faciliter le vivre ensemble. L’Occident doit passer à une volonté de dialogue et de collaboration sans faille. Il revient enfin aux peuples de la région, de mener un combat permanent pour acquérir les libertés politiques, dans le strict respect des droits de l’homme. Afin d’opter pour des politiques de détente dans le monde et dans la région et de désamorcer la montée des affrontements entre les différents courants religieux.
Dans le cas contraire, nous risquerons dans un avenir proche, d’être témoins de la systématisation des conflits interreligieux, avec la multiplication de leurs cortèges d’horribles massacres.