Hall GARDNER
Avril 2006
Les Etats-Unis en Asie Centrale
La manipulation de la religion et des croyances religieuses est une des formes d’emprise stratégique empruntées par les nations à travers l’histoire. Les Croisades et la Guerre de Trente Ans sont les deux exemples de guerres dans lesquelles la manipulation des idéaux religieux fût la plus présente. La manipulation de la religion pour des raisons politiques fût une forme d’emprise stratégique peu reconnue pendant la Guerre Froide, mais elle vint à hanter le monde de l’après-Guerre Froide. En particulier, le soutien des Américains aux forces islamiques en Afghanistan, en partie pour se venger de l’Union Soviétique qui avait soutenue le Vietnam du nord menant à la « défaite » américaine, a peut-être déclenché une réaction en chaîne peu contrôlable parmi de nombreux mouvements politiques et sociaux.
Les conséquences du déchaînement des forces panislamique en Afghanistan, et de façon indirecte à travers la plupart du monde, sont devenues visibles après les attentats du 11 septembre 2001 sur le World Trade Center et le Pentagone ; sans oublier les attaques « terroristes » contre des cibles civiles à Madrid, à Bali, à Casablanca, à Moscou, à Beslan et à Londres, ainsi qu’à Riyad et à Bagdad, parmi d’autres. Ces attaques,au nom de l’Islam, ont été accompagnées d’une croissance d’autres actions anti-étatiques, et anti-nationales de la part d’acteurs prêts à utiliser la menace, la terreur au nom de la religion ou d’autres idéologies.
La Guerre Froide est souvent décrite comme un conflit du capitalisme et de la démocratie contre le communisme et le totalitarisme. Pourtant, durant cette époque, les États-Unis et ses alliés ont joué des croyances protestantes, catholiques et islamiques contre un « communisme athée » pour essayer de faire imploser un empire soviétique multinational et multiethnique. Le fait que le communisme soviétique tentait d’étouffer ou de contrôler presque toutes les formes de pratiques et de croyances religieuses a permis aux États-Unis et à ses alliés une propagande facile, qui leur a donné la facilité de combattre l’influence communiste dans leurs propres pays. La répression communiste des croyances religieuses a aussi permis aux États-Unis d’apporter un soutien à peine occulte à divers groupes religieux et à la société civile au sein de l’empire soviétique, ainsi qu’aux groupes opposés à son expansion.
Vers la fin de la Guerre Froide, les États-Unis ont intensifié leur stratégie multiforme d’endiguement en utilisant l’idéologie religieuse en tant qu’outil pour faire reculer et pour tente de subvertir l’Union soviétique. Une des techniques de cette nouvelle stratégie d’endiguement fût de soutenir le catholicisme et les mouvements de société civile, comme le mouvement Solidarnoscen Pologne, pour essayer de ruiner le contrôle que les Soviétiques avaient sur l’Europe de l’Est. (La nouvelle alliance catholique américaine, sous l’égide de laquelle les relations avec le Vatican furent nouées en 1984, cherchait aussi à amoindrir les gains soviétiques dans d’autres pays principalement catholiques, dans des régions comme l’Amérique Centrale). Une autre technique fût de soutenir tacitement les revendications pan-touraniennes des Turques en Asie centrale profonde, qui dataient des années durant lesquels avait joué l’influence ottomane. Une des autres tactiques était de soutenir les indépendantistes Moudjahidin à travers une alliance tacite entre les chrétiens et les musulmans Sunnites contre « l’empire du mal ».
Cette dernière stratégie intégrait une double offensive. A travers leur soutien à l’Arabie Saoudite et au Pakistan, les Américains avaient non seulement l’intention de détruire le contrôle soviétique sur l’Asie centrale, mais ils espéraient aussi contenir l’Iran. En soutenant l’Arabie Saoudite, et en s’alignant avec le Pakistan -sans compter leur soutien au régime séculier de Saddam Hussein (dont l’élite était, pour la plupart, des musulmans sunnites)-l’alliance chrétienne-sunnite islamique cherchait à contenir la République Islamique d’Iran et son soutien aux mouvements pan-chiites à travers la région.
Les États-Unis ont essentiellement mené une action contre Moscou en intervenant en Afghanistan, puis ont construit une alliance mondiale contre la Russie.1Cette alliance, dont faisaient partie l’Arabie Saoudite, le Pakistan, la Turquie et la Chine, a exacerbée les craintes « d’encerclement » des Soviétiques. La stratégie a réussi à faire imploser l’URSS en quinze républiques séparées ; cependant, la « shatterbelt » ouverte au profond de l’Asie Centrale fût de plus en plus reliée aux mouvements pan-islamiques au Moyen-Orient, dans le golfe persique. Paradoxalement, en soutenant les partis politiques et les mouvements nationalistes essentiellement séculiers, Moscou avait contribué à contenir les forces politiques pan-islamiques à travers l’Asie centrale et le Moyen-Orient pendant la Guerre Froide. Cependant, l’effondrement soviétique et la perte du soutien politique aux les factions pan-arabes séculières, en plus du soutien américain ou saoudien a maints mouvements pan-islamiques, a permis à un grand nombre de ces mouvements de prospérer après l’effondrement soviétique.
L’intervention soviétique en Afghanistan en 1979 a coïncidé avec une tension croissante entre l’Iran, l’Arabie Saoudite et l’Irak. Ceci fût particulièrement le cas après la Révolution islamique en 1979 qui a encore augmenté les tensions dans la région. De 1980 à 1988, pendant la guerre entre l’Iran et l’Irak, l’Iran soutenait les mouvements politiques kurde et chiite en Irak, pendant que l’Irak cherchait à s’emparer du Khuzestân, riche en pétrole, avec une population principalement d’origine arabe. La guerre entre l’Iran et l’Irak a exacerbé les rivalités entre sunnite et chiite à travers le monde islamique, avec l’Arabie Saoudite qui cherchait à encercler l’Iran en obtenant l’appui de l’Irak et du Pakistan. L’Iran et l’Arabie Saoudite ont aussi tous deux aidés les indépendantistes Moudjahidin anti-soviétiques -ceci plutôt pour attiser la rivalité que pour une collaboration mutuelle. L’effet de la révolution islamique iranienne a été de conduire l’Arabie Saoudite et le Pakistan à islamiser leurs régimes respectifs afin de contenir la menace idéologique posée par l’activisme chiite islamique iranien.
Les États-Unis étaient essentiellement prêts à soutenir les groupes musulmans sunnites radicaux, ainsi que les Wahhabites, mouvement antichiite iranien, soutenu par les Saoudiens. Les États-Unis ont détourné les yeux lorsque l’Arabie Saoudite, l’un de ses principaux clients en armements, a refusé de façon catégorique tout respect des droits de l’homme, ainsi que la mise en place de réformes démocratique, et a soutenu le Hamas(dû au fait que le Hamas n’avait pas soutenu l’invasion du Koweit par Saddam Hussein), ainsi que d’autres groupes pan-islamistes sunnites radicaux, en Tchétchénie par exemple. Pendant que Washington détournait ainsi les yeux, Saddam Hussein (perçu comme un moindre mal par comparaison avec l’Ayatollah Khomeini) commettait ses crimes de guerre envers les factions kurdes et les chiites considérés comme alliés de l’Iran dans la « guerre des villes » (une guerre qui fit plus d’un million de morts).
En ayant d’autres priorités, les Etats-Unis ont permis aux Saoudiens de financer les services de sécurités pakistanais l’Inter-Services Intelligence (ISI), qui soutenait certaines des factions islamistes les plus extrêmes. L’aide américaine et saoudienne pour Gulbuddin Hekmatyar, dont le Hezbi Islami était le plus grand bénéficiaire de l’aide militaire américaine, fût canalisée à travers le Pakistan pendant la guerre en Afghanistan. Pendant cette guerre, la CIA s’inquiéta du fait que le général Zia ait détourné une grande partie de l’armement destiné à Hekmatyar, dont la stratégie d’organisation semblait amener à diviser la résistance afghane afin de prendre le contrôle de Kaboul, tout en bénéficiant du soutien du général Zia.2
Les Etats-Unis en Afghanistan (Après le 11 septembre)
Le Hezbi Islami de Gulbuddin Hekmatyar demeure une des factions majeures qui résiste aux gardiens de la paix des États-Unis et de l’OTAN en Afghanistan et le long de la frontière afghane-pakistanaise, après l’intervention des États-Unis en Afghanistan après le 11 septembre 2001, et la défaite des Talibans pan-islamiques. Ces groupes, avec d’autres anciens Talibans, sont protégés par la tribu Pashtoun dans la région frontière du nord-ouest du Pakistan. Les États-Unis et le Pakistan ont aussi oeuvré aux côtés d’Osama Ben Laden qui fût un des financiers de la résistance afghane, mekhtab al khidemat(MAT) à cette époque -avant qu’il ne fonde la base d’Al-Qaida, sorte d’organisme pour anciens Moudjahidin.
En ce qui concerne l’Afghanistan, la mission de l’OTAN doit être étendue jusqu’aux régions du sud, et, dans les temps à venir, au pays tout entier. Le plan exige le contrôle allemand des régions du nord, le contrôle italien de celles de l’ouest et de la zone près de Kaboul, les troupes britanniques au sud, les américaines à l’est, et les françaises et turques aussi au nord. Le problème vient du fait que la décision de l’administration Bush d’intervenir en Irak a empêché les États-Unis et l’OTAN de se concentrer entièrement sur Al- Qaida et les Talibans, ce qui a permis a ce dernier de resurgir.
Le tempérament anarchique des warlords, des seigneurs de la guerre afghane, les profits croissants de l’opium, et un gouvernement central faible, a permis aux Talibans et aux insurgés islamistes de se déplacer à travers le pays prenant pour cibles policiers, experts et ONG internationales, ainsi que soldats des troupes américaines, afghanes et l’OTAN. Les insurgés afghans ont utilisés les mêmes tactiques que les insurgés en Irak provoquant des attaques suicides laissant des bombes à détonateurs télécommandés sur le bord des routes. Par ailleurs, en 2005, les États-Unis ont refusés d’accorder à Hamid Karzai et au gouvernement central afghan, une « double clé » pour décider quelles maisons seraient perquisitionnées, et quelles cibles seraient frappées, afin de limiter les « dégâts collatéraux ».Les protestations populaires ont eu pour effet d’amoindrir son soutien politique déjà faible. Le raisonnement des États-Unis était qu’un contrôle gouvernemental afghan compromettrait, même révélerait, des opérations secrètes.3
La réponse russe à la chute de l’empire soviétique
Peu après l’effondrement soviétique, la Russie a essayé d’établir une nouvelle sorte d’hégémonie sur « l’étranger proche » la CEI. D’abord, après avoir voulu la création d’une Union slave, elle tenta d’établir la Communauté des États Indépendants [CEI]. La CEI fut un échec, surtout dû au souhait d’un « divorce civilisé » de la part de l’Ukraine. Par conséquent, Moscou a concentré son attention sur la création de l’Organisation de Coopération de Shanghai [OCS], dont font partie la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan. Moscou a aussi crée l’Organisation du Traité de Sécurité Collective [OTSC], qui comprend l’Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan et la Russie.
A l’échelle mondiale, malgré l’ouverture générale de la Fédération russe après le 11 septembre 2001 et la création du Conseil OTAN-Russie en mai 2002, Moscou a redouté la formation d’un « encerclement » OTAN ukrainien relié au pays du « GOUAM » – la Géorgie, l’Ouzbékistan, l’Ukraine, l’Azerbaïdjan et la Moldavie. Moscou a tenté de combattre cet « encerclement » politique, militaire et économique à travers une série d’ententes et d’alliances complexes et d’accords avec la Chine et l’Inde, comme avec l’Organisation de Coopération de Shanghai et l’Organisation du Traité de Sécurité Collective.
En effet, tandis que Moscou cherchait à maintenir des relations positives avec les États-Unis et l’Union européenne, elle essayait également d’établir un nouveau système « eurasiatique » d’alliances et d’ententes. D’une certaine façon, la Russie semble être à l’aube de la création d’un nouveau modele de développement politique et économique « eurasiatique » plus autoritaire, avec une forte implication gouvernementale dans les niveaux élevés de l’économie (les commandingheights), au lieu d’adopter une approche « démocratique libérale ».
Immédiatement après la chute de l’empire soviétique, les « hardliners » russes ont d’abord eu tendance à revoir les liens qu’avait l’OTAN avec la Turquie -vu ses nouveaux intérêts « pan- Touraniens » au Caucase et en Asie centrale – en tant que menace potentielle. Moscou avait prétendu qu’un « complot caucasien » était en train d’être fomenté entre la Turquie (membre de l’OTAN), l’Azerbaïdjan et la Georgie, contre la Russie, l’Iran et l’Arménie. Moscou pensait que la politique américaine cherchait à sponsoriser une alliance GOUAM contre elle, en réunissant la Georgie, l’Ukraine, l’Ouzbékistan, l’Azerbaïdjan et la Moldavie. Cette croyance a mené la Russie à essayer de cajoler et de mettre une pression sur ces pays pour qu’ils rejoignent le point de vue russe. Le soutien qu’a reçu l’Ukraine de la part des États-Unis pendant les élections en décembre 2004, ainsi que le désir ukrainien de faire parti de l’OTAN, a de nouveau élevé des suspicions sur le soutien américain au GOUAM, et partant delà, sur l’encerclement OTAN-GOUAM- Japon.
Dans un effort pour mieux contrôler la région de l’Asie centrale, cinq États se sont réunis en 1996 à Shanghai pour créer les « Cinq de Shanghai » – la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizstan et le Tadjikistan. Dès août 1999, les « Cinq de Shanghai » s’étaient engagés à coopérer pour combattre le terrorisme, la drogue, la contrebande d’armes, l’immigration illégale, la sécession nationale et l’extrémisme religieux -ainsi qu’à délimiter les frontières et à réguler les relations d’échange. L’Ouzbékistan a rejoint les « Cinq » en 2001, qui se sont désormais fait appeler l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), afin de se présenter comme contrepoint à l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE).
Avec la peur réciproque de mouvements sécessionnistes et du terrorisme pan-islamique, la Russie a aussi cherché à rapprocher la Chine de l’Inde, malgré leurs disputes géo-historiques, ainsi qu’avec d’autres nations d’Asie centrale. La Chine est principalement inquiète de l’émergence les mouvements pan-islamiques et sécessionnistes dans le Xinjiang, ainsi que les mouvements « sécessionnistes » potentiels au Tibet, et de « l’indépendance » Taiwanaise. L’Inde s’inquiète surtout du Cashemire et du Sri-Lanka (où les mouvements sécessionnistes du Tamil demandent l’autodétermination).
Le désir de la Russie a été d’empêcher l’émergence de mouvements pan-islamiques et sécessionnistes dans le Caucase et à travers l’Asie centrale, ainsi que de stabiliser les conditions politiques pour le passage d’oléoducs depuis la mer Caspienne, riche en matière pétrolière. Par conséquent, Moscou a cherché à établir des contrats avec la Turquie, l’Iran et l’Arabie Saoudite, tout en essayant de suivre une politique de « diviser pour régner » en Caucase et en Asie centrale. Le fait qu’Ankara a aussi exprimé son envie de faire partie de l’Organisation de Coopération de Shanghai en janvier 2005 démontre le rapprochement politique, sécuritaire et économique entre la Turquie et la Russie. Les liens entre ces deux pays se sont améliorés surtout depuis l’intervention américaine en Irak, et le soutien d’un « fédéralisme démocratique » en Irak, ce que la Turquie redoute de voir mener à des États indépendants kurdes. La Turquie a besoin du pétrole et du gaz russes, tandis que la Russie veut les produits agricoles et de consommation turque.
Depuis les attaques du 11 septembre, la Russie a oeuvré avec les États-Unis contre Al-Qaida et les Talibans en Afghanistan. Moscou a fourni des informations très utiles. Ainsi, Moscou a aussi accepté que les forces militaires américaines soient de plus en plus présentes en Caucase et en Asie centrale, malgré quelques réserves. Même si les États-Unis ont engagés des forces militaires sous commandement américain, les États-Unis, l’Union Européenne et la Russie ont réussi à établir une base commune dans la guerre contre Al-Qaida et les Talibans en Afghanistan. La Russie et la Chine ont tous deux consentis à voir des bases militaires américaines en Asie centrale, et la Chine s’est rapprochée de l’OTAN en 2003.
L’Iran demeure le principal allié russe de la région du golfe persique, malgré les disputes russo-iraniennes sur la possession des réserves de pétrole dans la mer Caspienne. La Russie est le principal fournisseur d’armes de l’Iran, et elle a aidé son programme nucléaire (avec la Chine), en plus de soutenir l’amélioration de ses capacités de missiles balistiques. Moscou évalue son soutien à Téhéran en tant que contrepoids à l’influence Saoudienne en Tchétchénie et en Asie centrale. Le soutien tacite de Téhéran à l’intervention de la Russie en Tchétchénie est une des raisons pour laquelle la Russie a refusé de réduire son énergie nucléaire et ses liens techniques avec Téhéran4. Cependant, la Russie s’est en même temps opposée à la possession d’armes nucléaires par l’Iran.
La présence américaine en Asie centrale a jusqu’à présent eu l’air d’être une force stabilisante pour le « ventre mou » de la Fédération de Russie tant que la Russie, la Chine et les États-Unis continueront à trouver des « dangers » en commun dans la région. La Chine a signé des accords et/ou des échanges de territoires avec le Kirghizstan, le Tadjikistan et le Kazakhstan, qui a des réserves d’énergie conséquentes. La Russie a cherché à renforcer les liens avec l’Ouzbékistan et le Kirghizstan, qui soutiennent le point de vue de la Russie dans la « guerre contre le terrorisme ». Les leaderskirghizs soutiennent l’idée d’attaques préemptives; et ceux ouzbeks ont demandé à ce qu’une liste d’organismes terroristes commune soit établie par la CEI. Si cela était le cas, cela serait l’Organisation du Traité de Sécurité Collective [OTSC], comprenant l’Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan et la Russie, qui déclencherait des forces de réaction rapide5.
Les gouvernements post-soviétiques ouzbek, kazakh, Kirghiz et Tadjik ne tolèrent plus la dissidence paisible, ni les groupes pan-islamiques. La Chine a continué sa politique de force au Xinjiang, là où le mouvement islamique de l’est du Turkestan, composé de musulmans ouïgours, a été décrit comme un organisme terroriste ayant des liens avec Ben Laden, non seulement par le Département d’État des États-Unis, mais aussi par les autorités chinoises. En Tchétchénie, un grand nombre de groupes, certains ayant des liens avec Al-Qaida, continue de résister à l’intervention russe, et s’efforce d’élargir le conflit pour y inclure le Daghestan et la Georgie.
L’Ouzbékistan, en particulier, est devenue un point d’intérêt essentiel en ce qui concerne le pouvoir régional et central. Il possède des ressources minérales et énergétiques très importantes; c’est également l’État le mieux positionné pour dominer sur toute l’Asie centrale en termes de géostratégie. Les États-Unis, la Chine, le Japon et la Russie sont donc tous en concurrence pour obtenir la première place.
Après les attentats du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center et le Pentagone, l’Ouzbékistan a initialement permis au Pentagone d’établir la plus grande base militaire en Asie centrale, et a coopéré avec les troupes de stabilisation de l’OTAN en Afghanistan. Cependant, en fin juillet 2005, l’Ouzbékistan a formellement expulsé les États-Unis de sa base militaire K2 qui avait servi à des missions humanitaires et de combat en Afghanistan. Alors que l’influence russe en Ouzbékistan a augmenté, les États-Unis l’ont plutôt perdue à cause de leurs critiques sur le non-respect des droits de l’homme et la politique des Ouzbeks, caractérisé par des manifestations sanglantes dans la province d’Andijan en mai 2005, où 500 personnes ont été tuées. Les États-Unis pensent que le régime de Karimov a eu tendance à utiliser la « guerre contre le terrorisme » comme couverture pour étouffer toute opposition ouzbek, et prétend que s’il ne se réforme pas, il devra faire face à une forte résistance. En 2005, le gouvernement américain a donc bloqué presque 11 millions de dollars. Washington pourrait bloquer jusqu’à 22 millions de dollars d’aide en 2006 si le régime de Karimov ne se plie pas aux réformes politiques et économiques auxquels il s’est engagé en 2002 dans l’accord de partenariat stratégique avec Washington6.
En ce qui concerne la Russie, elle cherche à contrôler l’infiltration pan-islamique de son « ventre mou » en Tchétchénie et dans d’autres républiques russes. L’hégémonie russe sur l’Ouzbékistan lui a permis de superviser les mouvements pan-islamiques en Afghanistan, au Pakistan, en Iran, et dans d’autres pays, et l’a aidé à être l’intermédiaire pendant les conflits régionaux. En créant un fort accord de sécurité avec l’Ouzbékistan (plus étroit que ceux avec le Tadjikistan, le Kazakhstan et le Kirghizstan), la Russie a pu, soit défendre l’Ouzbékistan, soit éventuellement intervenir dans les affaires régionales. Même s’il est douteux que l’Iran et la Chine interviennent dans les affaires des Ouzbeks, la Russie cherche aussi à contrôler l’influence américaine ; elle pourrait bien -si besoin était- jouer la carte de l’Ouzbékistan en soutenant une grande diaspora ouzbek dans les pays des alentours en Asie centrale.7
Les 22 au 24 juin 2005 -après la « révolution rose » en Géorgie en 2003, et la « révolution orange » en Ukraine en 2004 -Moscou commença à transformer le forum largement obsolète de la CEI en Organisation du Traité de Sécurité Collective [OTSC]. Lorsque la CEI a commencé à se désintégrer, la Georgie et la Moldavie ont demandé que les bases russes soient enlevées. Le Turkménistan a poursuivi sa ligne d’impartialité. L’Ukraine espère maintenant pouvoir se rattacher à l’OTAN, ayant ouvert un dialogue intense, similaire à celui que la Pologne, la République Tchèque et la Hongrie avaient établi avant de rejoindre l’OTAN en 2005. L’OTSC espère développer la coopération militaire-économique plus loin; elle a cherché à établir un système de défense aérienne intégré, à améliorer les forces de déploiement rapides, et à s’engager dans des missions de paix.
Par ailleurs, la Russie espère que l’OTSC commencera à coopérer avec l’OTAN, surtout en Afghanistan. L’OTAN et la Russie semblent coopérer contre le retour des Talibans en Afghanistan, en même temps que la Russie renforce ses liens avec les États clés de l’Asie centrale. Il reste à voir si les Etats-Unis et la Russie réussiront à maintenir un modus vivendi. La durabilité d’un partenariat américano-russe dépendra surtout de leur approche vis-à-vis de l’Ouzbékistan. Cela dépend aussi de la réussite des États-Unis dans leur entreprise de rapprocher les relations entre l’Ukraine et la Russie avec l’OTAN, sans trop privilégier l’Ukraine, ce qui isolerait la Russie.
Les liens géostratégiques entre l’Asie centrale et le « Grand Moyen-Orient »
L’écroulement de l’URSS et sa dissolution en quinze républiques, ainsi que la rétraction de l’implication russe dans les affaires du Moyen-Orient, ont ouvert la porte à un grand nombre de mouvement pan-islamiques, parmi d’autres forces d’opposition. Un nombre de mouvements anti-russes et antioccident ont pris forme à travers la « shatterbelt » de l’Asie centrale du « grand Moyen Orient ». L’effondrement soviétique a non seulement ouvert une shatterbelt encore plus profonde en Asie centrale, mais cette shatterbelt a commencé à créer des liens avec l’ancienne shatterbelt créée suite à l’écroulement ottoman au Moyen-Orient et dans le golfe persique après la première guerre mondiale.
Le problème ici semble être que le soutien américain pour les mouvements pan-islamiques depuis l’intervention soviétique en Afghanistan en 1979, a enclenché une réaction en chaîne qui a provoqué une grande partie du monde islamique. Un nombre de groupes militants pan-islamiques ont pu se consolider ou alors nuire considérablement à des États à l’intérieur et à l’extérieur de nations ayant de grandes populations musulmanes, à travers d’importants actes « terroristes ». Revendiquées non seulement par Al-Qaida, mais par la Confrérie musulmane en Egypte, les parties islamiques sunnites et chiites en Irak, le Hezbollah au Liban, le groupe islamique du MMA (Muttahida Majlis-e-Amal) au Pakistan, ainsi que le Hamas en Palestine. (Maintenant que le Hamasest entré dans le gouvernement palestinien par les biais d’élections démocratiques, la question est de savoir si cette dernière éventuellement acceptera le compromis avec l’Israël).
L’intervention américaine en Irak en 2003 fut une aubaine pour les groupes pan-islamiques sunnites et chiites. Cela a ouvert la porte à ces deux groupes activistes, ainsi qu’à d’autres groupes pan-islamiques internationaux, comme le groupe kurde d’Ansar al Islam, et le réseau d’Al-ZarKawi.
Ces derniers ont utilisé l’Irak comme zone d’entraînement pour leurs activités terroristes à venir, tout comme l’Afghanistan fut utilisée comme base d’entraînement pour groupes pan-islamiques dans les années 1980.
L’intervention des États-Unis a aussi renforcé la position et la puissance de la République islamique d’Iran (tout du moins dans le court terme) en partie grâce à l’augmentation des revenus du pétrole après l’intervention américaine. Pendant la Guerre Froide, le soutien soviétique (et français) pour le régime pan-arabe laïque en Irak a aidé à garder les forces pan-islamiques à l’écart, tandis que Saddam Hussein soutenait les factions militantes laïques ou pan-arabes de l’OLP, ainsi que les groupes comme celui d’Abou Nidal. Moscou a eu tendance à soutenir Yasser Arafat et l’OLP, donc bordant divers groupes pan-islamiques. L’Arabie Saoudite a soutenu l’OLP et Saddam Hussein pendant la guerre de ce dernier contre l’Iran. Ensuite, après l’invasion irakienne du Koweït, l’Arabie Saoudite a commencé à réduire son assistance a l’OLP, et à soutenir le Hamas : contrairement à Arafat, le Hamas n’a pas soutenu Saddam Hussein. De plus, l’écroulement soviétique a signifié une réduction de l’influence qu’avait la Russie au Moyen-Orient, et le retrait du soutien diplomatique et financier pour l’OLP. La perte des soutiens soviétiques (et russes), ainsi que ceux d’Irak, est un des facteurs qui a indirectement mené à la chute de l’OLP comparé à Hamas.
Après plus de 40 ans, Al-Fatah a perdu sa position de pouvoir sur d’autres factions palestiniennes, suivant les élections législatives palestiniennes en janvier 2006. Le soutien initial saoudien pour le Hamas a, d’un certain côté, été remplacé par le soutien pour l’Iran après que le Hamas se soit opposé au processus de paix d’Oslo en 1993, et depuis la seconde Intifada en 2000. En sus, les attaques israéliennes sur le leadership laïque de l’OLP non seulement avant, mais aussi après le décès d’Arafat, a considérablement affaibli l’Autorité Palestinienne laïque, alors que les attaques israéliennes contre le leadershipdu Hamasa rendu le Hamasd’autant plus populaire parmi les Palestiniens, comparé à la corruption au sein d’Al-Fatah. Les États-Unis et le Quartet (Nations Unies, États-Unis, Union Européenne, et Russie) ont aussi échoué à reformer l’Al-Fatah et à aider à développer les capacités d’Al-Fatah à fournir des services sociaux pour mieux rivaliser avec ceux du Hamas, et donc renforcer le soutien des Palestiniens. Ces facteurs ont tous aidé à renforcer le Hamas comparé au leadershipde la partie d’Al-Fatah, menée par Mahmoud Abbas depuis le décès d’Arafat. Il reste à voir si le Hamas et l’Al-Fatah arriveront à résoudre leurs différences conséquentes, et si le Hamaspourra accepter une approximation des frontières israéliennes de 1967 dans la formule « terre pour la paix » (stipulant qu’Israël finira par retirer ses propres exigences sur la rive ouest et à Jérusalem et proposera un compromis sur le droit de retour). Il n’est toujours pas clair qu’Israël continuera à opter pour le désistement unilatéral de la rive ouest et à faire des compromis sur Jérusalem par le biais de négociations secrètes avec le Hamas, ou si elle continuera sa stratégie unilatérale d’intervention épisodique et exclusive contre la Palestine. En même temps, conformément à sa Charte, le Hamascroit que la Palestine est une waaf islamique auquel ils ne peuvent renoncer ou abandonner8. Il reste aussi à voir si le Hamasarrivera à accepter un compromis permanent -et non pas une trêve temporaire- tout comme l’a fait Arafat à Oslo.
De plusieurs façons, les éléments religieux et symboliques du conflit palestino-israélien sont devenus la cause célèbre des mouvements pan-islamiques à travers l’Asie centrale et le « grand Moyen Orient ». La résolution de la question palestinienne pourrait aussi servir d’exemple pour définir comment résoudre la violence dans d’autres régions en démontrant qu’un compromis est, en effet, possible. Quoique la question palestino-israélienne n’est pas le seul conflit impliquant des demandes pan-islamiques, et malgré le fait que pas toutes les factions militantes accepteraient un tel compromis de paix (ou n’importe quel autre compromis), un grand nombre de mouvements et de factions pan-islamiques les plus activistes pourront être mieux isolées lorsque un accord politique sera atteint concernant la question palestino-israélienne.
Le fait que la Russie ait pris l’initiative de se réunir avec le Hamas, pose un double problème. D’un côté positif, l’influence russe pourrait obliger le Hamas et les Palestiniens à un compromis avec Israël, en supposant que Moscou réussisse à obtenir un bon soutien du Quartet en entier, mais d’un autre côté, la Russie pourrait être en train d’essayer de modifier son image au sein du monde Islamique, et chercherait à détourner l’attention pan-islamique ver les États-Unis et l’Europe.
L’échec d’un compromis sur la question palestinienne pourrait, par contre, signifier une guerre sans fin à cause d’une fusion irréalisable entre des compromissions politiques et des croyances religieuses intransigeantes. Une réaction en chaîne politique et religieuse a pris de l’élan depuis l’intervention soviétique en Afghanistan en 1979 – ou les États-Unis ont, de façon intentionnelle ou non, lancé un mouvement pan-islamique contre le «communisme athée » de façon très politisé. Il n’est donc pas étonnant que les mouvements pan-islamiques se soient retournés contre les États-Unis, l’Europe, ainsi que, contre la Russie.
* Professeur et directeur du département de politique internationale et comparative à l’Université américaine de Paris.
Note
- Hall Gardner, American Global Strategy and the ‘War on Terrorism’,
Ashgate, 2005.
- Edward Jay Epstein « Who Killed Zia? », Vanity Fair, September 1989 http://edwardjayepstein.com/archived/zia.htm
- Michael Weinstein, »Uzbekistan and the Great Powers: Courting Instability », Power and Interest Research, Group 3, January 2005; http://www.pinr.com/report.php?ac=view report&report id=251&la nguage id=1 ; Erich Marquardt Yevgeny Bendersky »Uzbekistan’s New Foreign Policy Strategy » Power and Interest Research Group http://www.pinr.com/report.php?ac=view_report&report_ id=404&language_id=1
- Robert O. Freedman, « Russia-A Partner for the US in the Post-Saddam era? », Strategic Insights 3, No. 4, 5 April 2004.
- At the CIS summit in September 2004, Kyrgyz President Askar Akaev stated, « I am a decisive supporter of a strategy of preemptive strikes, » Ouzbek President Karimov suggested the creation of a CIS-wide list of terrorist organizations and individuals.
- Washington Post, 30 July 2005, p. A01
- Michael Weinstein, op. cit. Erich Marquardt Yevgeny Bendersky, op. cit.
- The Charter of Hamas reads the following: « The question of the liberation of Palestine is bound to three circles: the Palestinian circle, the Arab circle and the Islamic circle. »
- In the Spring 1994, apparently accepting the green line, Sheikh Yassin had offered a ceasefire if Israeli forces withdrew from occupied territories, and if settlements were dismantled and prisoners were released. See, Ami Isseroff, A History of the Hamas Movement http://www.mideastweb.org/hamashistory.htm
For citations of prospective Hamas legislators in regard to possibility of recognition of the boundaries of the state of Israel, see, http://www.memri.org/bin/opener_latest.cgi?ID=SD1079