Le mouvement Ansar Allah Houthi, quel projet politique pour le Yémen?

Fayçal Jalloul

Ecrivain et spécialiste du Monde arabe
Depuis quelques mois le Yémen se défend contre l’agression militaire par les Saoudis, qui à
son tour est exploitée par des tiers profitant de la crise régionale. Mais quel est le projet des
Yéménites pour le Yémen ? Contrairement aux accusations, le programme Houthi pour l’Etat
et la société au Yémen ne comporte ni d’objectif monarchique, ni d’hégémonie iranienne
conforme au système zaïdite : tout bonnement les Houthis veulent leur propre identité locale,
nationale, régionale et internationale, et se distinguent en ce sens sur tous les plans – religieux,
social, civil et autres. Ils veulent aussi la paix et la reconstruction. Par contre, les Ansarallahis
ont été pris par le wahhabisme, et sont ainsi soutenus par les Saudis et l’ancien régime yéménite.
Les Ansarallahis voudront bien engager leur pays dans une économie de marché plus proche de
la démocratie socialiste colorée par certains principes zaïdites. Donc il faut que ces partis dialoguent
et soudent les liens, pour reconstruire et poursuivre le développement. Mais les forces
extérieures vont-ils laisser faire ?
For some months, Yemen is defending itself against military aggression perpetrated by Saudi Arabia
and exploited by other parties profiting from the regional instability caused by the war. But what is
the Yemeni project for Yemen? Contrary to accusations, the Houthi program for State and society in
Yemen has no monarchical objective, no desire of Iranian hegemony conform to the Zaidi system:
quite simply, the Houthis want their own local, national, regional and international identity, and
indeed distinguish themselves in this sense, religiously, socially, civilly, and other. They further want
peace and reconstruction. On the other hand, the Ansarallahis have been taken over by Wahhabism,
and are supported by Saudi Arabia and the former Yemeni regime. The Ansarallahis would like
to engage a market economy closer to the socialist democracy coloured by certain Zaidi principles.
Therefore, these parties must dialogue and weld relations, in order to reconstruct and pursue development.
But will the exterior forces let them do so?
Contrairement aux critiques dont il fait l’objet, le programme houthi
pour l’État et la société au Yémen ne comporte ni d’objectif monarchique, ni
d’hégémonie iranienne qui rappellerait le régime zaïdi prè-républicain. Les Houthis
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s’appuient sur leur propre identité locale, qu’ils veulent déployer au niveau national,
régional et international. Quelle est l’histoire de la création de ce mouvement ? Et
quel projet porte-t-il pour le Yémen aujourd’hui ?
I. L’environnement religieux yéménite à la veille de la création
d’Ansar Allah
Le houthisme a vu le jour dans un environnement religieux très complexe. Il y
a deux religions au Yémen : l’islam et le judaïsme. L’islam est la plus importante,
même si le judaïsme fait partie intégrante de l’histoire de ce pays. La présence juive
au Yémen remonterait à la conversion de certains rois d’Himyar après leur conquête
du Yathrib, sous l’influence des rabbins de cette ville (l’actuelle Médine, aujourd’hui
en Arabie saoudite). D’autres historiens pensent que le judaïsme fut imposé par
la reine Bilqîs, convertie au judaïsme avec quelques tribus yéménites lors de son
mariage avec le roi Salomon. Dans les années 1940, près de cinquante mille Juifs
ont émigré en Israël lors de l’opération « Flying Carpet » : leur émigration devint
constante durant toute la seconde moitié du XXe
siècle et est aujourd’hui minime.
Les Houthistes ont expulsé certaines familles juives de leur région sous le prétexte
de la promotion de films pornographiques. Le Yémen ne comprend aujourd’hui pas
plus d’une centaine de Juifs, ce qui fait de l’islam la religion la plus importante. Les
musulmans yéménites se répartissent en trois grandes communautés.
1 – Le shâfi’isme : les Shâfi’is, partisans de l’école sunnite shâfi’ie, majoritaires
parmi les musulmans du Yémen, quoique l’absence de recensement religieux sur
la base communautaire – interdit par l’État yéménite – ne permette pas d’avoir
de données chiffrées. La figure tutélaire des Shâfi’is est l’Imam Mohammed Idriss
Shâfi’i, l’un des fondateurs des quatre écoles sunnites. Il vécut dans la seconde moitié
du VIIIe
siècle et mourut dans la première moitié du IXe
siècle. L’Imam Shâfi’i a
montré son attachement à l’Imam Zaid – fondateur du zaïdisme –, en publiant de
nombreux poèmes faisant l’éloge de la famille du prophète Mohammed et surtout
de Zaïd, son petit-fils. La tolérance mutuelle entre Shâfi’is et Zaïdis a permis une
coexistence pacifique au Yémen pendant au moins mille ans et est toujours en cours
aujourd’hui.
2 – Le zaïdisme : les Zaïdis se réclament de l’Imam Zaid Ben Ali et sont parfois
qualifiés de chiites de quintet parce qu’ils reconnaissent cinq imams après Ali, dans
la lignée du Prophète. Le zaïdisme diffère de la communauté duodécimaine par son
adoption du principe de la révolution permanente menée contre le prince despote
et injuste. L’imamat chez les Zaïdites n’est pas uniquement rattaché à la lignée
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de l’Imam Hussein, il est aussi reconnu lorsqu’il est issu des enfants de son frère,
Hassan. L’Imam zaïdite doit être élu par les fidèles et doit être doté de quatorze
qualités parmi lesquelles la bonne santé et l’esprit saint. Le zaïdisme a prédominé
au Yémen pendant onze siècles, fondé dans la ville de Saada, à l’extrême nord
du Yémen, un bastion dont les Houthis sont originaires, ainsi que leur mouvement.
L’Imam Hadi fut le fondateur d’une doctrine zaïdi portant son nom – Al
Hadawîyya –, à la fin du Xe
siècle. En 1962, la révolution républicaine mit un terme
à l’imamat zaïdi. Un tiers de la population yéménite – estimée à 23 millions de
personnes –, serait zaïdi, majoritairement d’obédience hadawie.
3 – L’ismaélisme : les Ismaélites se réclamant de l’Imam Ismaïl Ben Ja’far Sâdiq,
le fils du sixième imam qui a fondé la doctrine Jaafari duodécimain au IXe
siècle.
L’ismaélisme marque la deuxième grande scission duodécimaine après le zaïdisme.
L’histoire nous apprend que l’Imam Sâdiq désigna son fils Ismaïl, comme héritier,
mais que, comme sa mort survint du vivant de son père, c’est Musa Al Kazim, son
oncle, qui hérita de l’imamat. Les Ismaéliens sont ceux qui refusèrent de reconnaître
la mort d’Ismaïl et l’imamat de son oncle, et qui demandèrent que ce soit le fils
d’Ismaïl – Mohammad Ben Ismaïl –, qui soit nommé Imam. Les Ismaéliens sont
également divisés en plusieurs courants, l’un d’eux installés au Yémen se nomme Al
Bohara et sont appelés localement Al Makârima. Il y aurait un million d’Ismaéliens
au Yémen.
La répartition géographique montre une forte concentration de Zaïdites et
d’Ismaéliens au nord du Yémen et de Shâfi’is au centre et dans le sud du pays.
C’est dans ce cadre religieux que le mouvement Ansar Allah houthi a été fondé. Sa
naissance est intervenue suite à deux révolutions qui ont secoué le nord et le sud du
pays presque en même temps.
La première révolution eut lieu en 1962, quand un groupe d’officiers libres
destituèrent l’Imam Bader Ben Ahmad Hamîd Al Dîn et renversèrent le système
imamite en mettant à sa place un système républicain. Ce mouvement était sous
l’influence des officiers libres de l’Égypte de Nasser. Les Républicains détruisirent les
institutions zaïdies sans éliminer la doctrine de cette communauté, gravement marginalisée
au sein du nouveau régime qui s’était donné le code de napoléon comme
référence de gouvernement. Le système éducatif fut modernisé, le zaïdisme en fut
exclu. Une partie importante des sheikhs zaïdis adopta alors une fatwa réformiste
donnant à tout le monde la légitimité religieuse de devenir imam ou président, et
plus uniquement les descendants du Prophète ou les hachémites, comme c’était
le cas auparavant. Ces réformes, et beaucoup d’autres, ont menacé directement
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l’existence du zaïdisme et poussé un certain nombre d’oulémas à réagir pour la sauvegarde
de la communauté, dont Badreddine Al Houthi, père spirituel du mouvement
qui porte le nom de sa famille. Pendant ce temps les Républicains ont fait du
zaïdisme, en l’excluant, une sorte de « zombie »1
et la cible d’attaques quotidiennes
sous prétexte de combattre l’ancien régime.
La deuxième révolution eut lieu au sud du Yémen et fut dirigée contre les
Shâfi’is. Les Républicains ont vaincu, lors de la guerre de libération, l’occupant
britannique en 1967, mettant un terme à cent trente ans de domination coloniale
sans interruption. Les vainqueurs d’obédience marxiste, une fois au pouvoir,
abolirent les vingt-quatre petits sultanats conçus par les britannique pour mieux
dominer les Yéménites en les divisant, et mirent en place un régime de type sovié-
tique. Ils livrèrent une batailles sans merci contre le clergé et brisèrent les infrastructures
shâfi’ie. La religion en générale devint très marginale, réduite à la prière
dans les mosquées. Le parti socialiste yéménite a ainsi élevé des générations loin
du shâfi’isme devenu, au sud, également une sorte de « zombie ». L’unification du
Yémen du sud et du nord en 1990 a réveillé quelques mouvements soufis dans le
sud et permis l’organisation de certaines forces zaïdies dans le nord. Mais on n’a pas
vu de renaissance des communautés religieuses, sans conséquence majeures sur la
nature du pouvoir qui restait loin des assises religieuses. Par ailleurs, la fusion des
deux Yémen a été conditionnée par l’adoption du système démocratique, ce qui a
permis aux partis politiques et religieux de fonctionner sur la base du pluralisme.
Le mouvement des Frères musulmans est ainsi devenu la troisième force politique
du pays, ainsi qu’un certain nombre de courants zaïdis s’affichant sous différentes
dénominations, y compris le parti Al-Haq dont fait partie Hussein Badereddin Al
Houthi, le fondateur d’Ansar Allah, héritier du mouvement des « Jeunes croyants ».
II. Pouvoir unioniste et houthisme
La coexistence au sein du pouvoir unioniste entre le président Ali Abdallah
Saleh nordiste et son adjoint sudiste Ali Salem Al Beyd, n’a pas duré longtemps. À
peine installé à Sanaa en 1990, les deux Ali réagissaient à l’occupation du Koweït
par l’armée irakienne en août de la même année en refusant de voter au conseil de
sécurité de l’ONU la guerre internationale contre l’Irak. Le Yémen faisait partie
du conseil de coopération arabe avec l’Égypte, la Jordanie et l’Irak. Ce conseil
– et surtout Saddam Hussein –, protégea l’union fragile des deux Yémen, faite
1. Inspiré du concept de « catholiques zombies », élaboré dans Hervé Le Bras et Emmanuel Todd,
Le Mystère français, Paris, Le Seuil, 2013, 315 p.
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contre l’avis des pays du Golfe et surtout de l’Arabie saoudite qui considérait
Sanaa comme son arrière-cour. Le président Saleh sortit de cette guerre affaibli,
surtout après la libération du Koweït et la défaite de son allier irakien. Son économie
fut durement touchée par l’expulsion d’un million de travailleurs yéménites
de l’Arabie saoudite. L’affaiblissement du pouvoir et la crise économique post
guerre ont porté atteinte à la cohabitation entre les Ali et poussa les pays du Golfe
à intervenir pour séparer de nouveau les deux Yémen, ce qui mena à la guerre de
1994, gagnée par Saleh, ses alliés salafistes shâfi’is, les Frères musulmans et certains
groupes zaïdis.
Le butin de guerre des Salafistes était l’octroi de privilèges, notamment l’ouverture
d’institutions religieuses, d’universités religieuses Al Iman et la désignation
du sheikh Abdelmadjid Al Zendani comme membre du conseil présidentiel. Une
alliance aussi étroite avec les sunnites était une première au Yémen et incommoda
les zaïdites, toujours isolés et sanctionnés à cause de leur appartenance à l’ancien
régime. La coopération de Saleh avec les Frères musulmans relève d’une méthode
adoptée dès son arrivée au pouvoir à la fin des années 1970. À cette époque, il
encourageait un certain Moqbel Al Wâdi’i, chef salafiste local converti au sunnisme
après un long séjour en Arabie saoudite. Al Wâdi’i ouvrit une madrasa salafiste
wahabite et prêchait contre les Zaïdis, considérés comme mécréants par ces sunnites
rigoristes. La madrasa d’Al Wâdi’i se trouvait à Dammaj, au cœur du berceau zaïdi
de Saada. Un certain nombre de moudjahidines y furent formés.
Le président Saleh n’avait rien à craindre du salafisme dont la doctrine ordonne
l’obéissance à celui qui gouverne un pays musulman, au contraire du zaï-
disme qui ordonne la révolution contre le prince despote, corrompu et injuste.
D’autre part, le parti Al Haq, très populaire, avait réussi à mobiliser la rue yémé-
nite zaïdie à partir d’un discours condamnant la marginalisation subie par sa communauté
et appelant au soulèvement contre le dirigeant injuste. Saleh, souhaitant
entraver la montée de ce parti, attira secrètement un groupe de dissidents parmi
lesquels Hussein Badereddin Al Houthi qui appartenait aussi au Congrès général
du peuple et qui devint son député dans la première législature poste unification.
Le fondateur d’Ansar Allah appartenait à la « Jeunesse croyante », le mouvement
fondé après l’unification du Yémen en 1990, avec la bénédiction du président Saleh
et un financement direct de celui-ci. Badereddin Al Houthi voulait se rapprocher
de l’Iran, force montante dans la région. Après la chute de Bagdad, l’alliance fonctionna
car les Iraniens avaient aussi besoin d’un allié dans un pays occupant une
place stratégique sur le détroit de Bâb Al Mandab. Ils n’avaient toutefois pas oublié
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le rôle que Saleh avait joué en faveur de Saddam Hussein pendant les huit années
de la guerre Iran-Irak (1980-1988).
Badereddine Al Houthi aurait abandonné Al Hadawîyya et adopté Al Jaroudia,
de Aba Al Jaroudi, un personnage historique ja’afarite appelant ses partisans à combattre
aux côtés de Zaïd et qui a fondé après un courent au sein du zaïdisme portant
son nom. Al Jaroudi ne reconnait pas les deux premiers califes Abou Bakr et Omar,
au contraire de Zaïd qui les reconnait en disant que son grand-père Mohammed
avait choisi les deux comme ministres. Saleh ayant réussi la scission d’Al Haq,
espérait affaiblir son concurrent le plus important parmi les Zaïdis et déclencher
un conflit entre les Houthis et les Salafistes à Saada pour qu’ils se neutralisent
mutuellement. C’est dans ce contexte qu’Ansar Allah est né pour répondre à certains
défis fondamentaux.
1 – Le premier défi concerne le déclin du zaïdisme au Yémen, qui ne cesse de
s’aggraver au fil des années. Le pays est dirigé par un président zaïdi « zombie »
qui travaille dans le cadre du système républicain et applique des lois fondées par
Bonaparte et non par l’Imam Hadi. Un certain nombre de tribus zaïdies du nord
du pays se sont par ailleurs converties au shâfi’isme ou au wahhabisme pour obtenir
le financement saoudien d’écoles à Saada. Les oulémas zaïdis se réclamaient
de textes du passé alors que les jeunes étaient à l’écoute du mouvement « jeunes
croyants », à la rhétorique moderne anti-traditionnelle. D’autre part, les Oulémas
proches du pouvoir excluaient la lignée des hachémites – dont est issue la majorité
des dirigeants zaïdis –, de toute prétention au pouvoir. Au début des années 2000,
la place du sauveur du zaïdisme était vide et l’hachémite Hussein Al Houthi était
là pour l’occuper.
2 – Le deuxième défi portait sur l’isolement accru de Saada, punie par l’État
yéménite, sous-dotée en institutions du service public pour de nombreuses raisons :
dernier bastion de l’ancien régime ayant combattu jusqu’à la fin, la ville continuait
de protéger ses anciens partisans et avait refusé d’intégrer le système républicain.
Autant de conditions très favorables à un soulèvement mené au nom du relèvement
de la ville et du zaïdisme menacés.
3 – Le troisième défi porte sur la lutte contre l’anti-hachémisme résultant de
la Révolution républicaine contre l’imamat et qui explique la présence massive
d’Hachémites pauvres au sein d’Ansar Allah. La famille Al Houthi appartient à la
dynastie Hachémite descendant du Prophète, ses membres en particulier et d’autres
Hachémites en général, détiennent plus de 90 % des postes dans la direction
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d’Ansar Allah. La délégation houthie choisie pour participer à la conférence de
dialogue national de 2012 était formée de 99 % de Hachémites. La fatwa stipulant
que les Hachémites n’ont plus la priorité sacrée de gouverner menaçait cette communauté
dans son existence même.
4 – Le quatrième défi est lié à la Convention de délimitation des frontières entre
le Yémen et l’Arabie saoudite en 2001. La frontière entre les deux pays s’étend sur
2000 kilomètres. Elle mit un terme à la coopération de l’Arabie saoudite avec les
tribus yéménites héritières de l’ancien régime imamite. C’était une condition sine
qua non à la signature de cet accord. La convention a divisé l’espace commun entre
les tribus de Saada sur les deux côtés de la frontière et réduit la marge de manœuvre
des tribus qui seront obligées de s’adapter au système politique de Sanaa, construit
sur la base de leur exclusion. La destruction de l’espace naturel des tribus était
aggravée par la volonté saoudienne de construction d’un mur de séparation à la
frontière, rappelant le mur qu’Israël a construit en Cisjordanie et dans les territoires
palestiniens occupés.
5 – Le cinquième défi est plus récent. Les partis politiques yéménites ont décidé,
à la conférence du dialogue national de 2013, de mettre en place un système fédéral
de six provinces. L’une consacrée au Zaïdis, était prévue sans accès à la mer, ce qui
équivalait pour eux à la mort politique et économique.
6 – Le sixième défi a coïncidé avec deux événements majeurs. L’un, à l’extérieur :
la libération du sud Liban de l’occupation israélienne en 2000 par le Hezbollah,
formé d’un groupe de combattants similaire aux Houthis. La défaite d’Israël, la
force militaire la plus importante au Moyen-Orient par une force chiite dirigée par
un Hachémi – le Sayyed Hassan Nasrallah –, a encouragé les Houthis à suivre un
même chemin. Le second évènement est lié à l’ingérence des États-Unis dans les
affaires yéménites sous le prétexte de la lutte contre Al-Qaïda ou de la surveillance
de la bonne conduite démocratique du régime de Saleh. Ce fut une ingérence flagrante,
qui souleva la colère de l’opinion publique, toutes sensibilités confondues,
notamment les rebelles de Saada, fiers que leur région n’ait jamais fait l’objet d’une
colonisation occidentale, déterminés à refuser le moindre diktat américain. À cette
époque Hussein Al Houthi a lancé le fameux slogan « Mort à l’Amérique, mort à
Israël, maudits soient les Juifs, victoire à l’islam », compatible avec les discours du
président Saleh. Ce dernier s’était vivement opposé à la guerre américaine en Irak,
mais avait dû se résigner après la chute de Bagdad. Les Houthis décidèrent, en
2004, de prononcer ce slogan au cours de prières en présence du président Saleh,
dans la grande mosquée de Saada, l’empêchant de prononcer son discours. Cette
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déclaration manifeste d’hostilité au président Saleh abouti à l’arrestation de centaine
de Houthis et au déclenchement de la première guerre entre l’État et Ansar Allah.
Le facteur iranien
Si la formation d’Ansar Allah était une réaction à l’ensemble de ces défis, il reste
à élucider le rapport des Houthis avec l’Iran. On attribue à tort la naissance et la
réussite d’Ansar Allah à Téhéran et certains analystes vont très loin en supposant
que les Yéménites ont été convertis à l’imamat duodécimain. En lisant attentivement
les discours et les malazems de Hussein Al Houthi, on ne remarque pas de
changements significatifs, en rupture avec la doctrine zaïdie. L’imam Khomaïni
est parfois cité, mais seulement pour ses prises de positions politiques. Son frère et
héritier Abdelmalek Al Houthi suit le même chemin. Cela étant, on ne peut pas exclure
la conversion de certains jeunes zaïdis. De plus en plus de Houthis célèbrent,
depuis peu, les fêtes duodécimaines de Achoura et du Ghadir, pour se rapprocher
des Iraniens, comme le prêchait feu Badereddine Al Houthi. La coopération entre
l’Iran et Ansar Allah semble donc surtout basée sur des considérations politiques et
non confessionnelles : les deux sont d’ailleurs issus du chiisme et leurs différences
religieuses sont minimes.
La guerre
Ansar Allah a rompu toute relation avec l’État à partir de l’incident de la mosquée
de Saada en 2004, date de la première guerre de l’État contre Ansar Allah qui
s’est terminée par la mort de Hussein Al Houthi. Cette mort ne mit toutefois pas
un terme à la rébellion de Saada qui subit cinq guerres dont la dernière, en 2009,
qui dépassa les frontières yéménites avec la participation de l’Arabie saoudite. Ansar
Allah est devenu, après cette dernière guerre, une force régionale redoutable et c’est
depuis cette position qu’il a participé au Printemps arabe et a renversé le président
Saleh. Mais les alliés de la « Révolution yéménite » provoquèrent les Houthis par
le projet de fédéralisme et ont par la suite perdu le pouvoir, aujourd’hui en grande
partie dans les mains des Houthis. Ces derniers sont en train de le défendre contre
la guerre menée par la coalition arabo-internationale.
III. Le projet politique houthi pour le Yémen
Ansar Allah n’ont pas élaboré un projet politique dans le sens moderne du
terme. On sait plutôt ce qu’ils refusent : le rétablissement de l’ancien régime. Ils
sont pour le maintien de la démocratie et de la république et ils rejettent le système
Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015 Le Yémen, victime collatérale de la crise systémique Arabe
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fédéral des six régions. Ils sont disposés à accepter un État de deux régions pour
régler le problème des sudistes. Sur le plan social, ils ont remplacé le samedi comme
jour de repos par le jeudi, tout en conservant le vendredi comme jour férié. Ils ont
exigé que la musique soit baissée lors des mariages en public, et que soit respectée
« la tenue légitime » dans certains endroits, surtout à Sanaa et dans les régions du
nord zaïdi. Ils n’ont pas imposé le respect de la prière par la création d’une « police
religieuse ». Il est peu probable que ces mesures dérangent l’Arabie saoudite, les
zones sunnites du sud ou même les régions nordistes. Leur projet pour l’État repose
sur leur adhésion massive aux différentes institutions et leur engagement direct dans
l’exercice du pouvoir régional, ce que les Saoudiens refusent complètement.
Il est clair que les Ansarallahis aspirent à réinstaurer l’influence du zaïdisme au
Yémen après avoir été menacés et marginalisés au cours de l’ère républicaine. Leur
plan de développement économique est loin d’être révolutionnaire, leurs revendications
se situent en général dans le domaine des services et des infrastructures, ce
qui les distinguent d’un projet d’économie islamique, comme le suggèrent leurs
détracteurs. Ils aspirent à une intégration à l’économie de marché, teintée de socialisme.
Les Houthis insistent sur la reconstruction de l’infrastructure de leur bastion
à Saada, après de longues années d’isolement et de privations. Ils comptent d’autre
part tolérer, dans leur bastion frontalier, les réseaux de contrebande avec l’Arabie
saoudite. Ils rejettent le projet de provincialisation du Yémen car ils ont peur d’être
isolés et craignent de se voir enfermés dans un territoire chiite montagnard sans
accès à la mer. Toutes ces revendications sont lisibles dans l’accord de paix et de
partenariat qu’ils ont signé avec le président Hadi et les partis du Yémen peu après
leur prise du pouvoir à Sanaa, en septembre 2014.
IV. La politique étrangère
Dans le domaine de la politique étrangère, les Houthis sont proches de l’axe
du refus et de la résistance englobant l’Iran, la Syrie et la résistance libanaise du
Hezbollah. Cet axe prône la disparition d’Israël et trouve, dans Ansar Allah, un
partenaire, sinon susceptible de participer à la guerre contre l’État hébreu, du moins
disposé à fermer le détroit de Bab Al Mandab à la navigation israélienne comme ce
fut le cas pendant la guerre de 1973. Le régime houthi fait peur à l’Égypte car s’il
met définitivement la main sur Bab Al Mandab, il décidera du commerce transitant
par le canal de Suez. C’est pourquoi l’Égypte soutient la guerre saoudienne contre
le Yémen. Les Houthis suscitent l’inquiétude des Français et des Américains qui
disposent de deux bases militaires dans le Djibouti voisin. Quant aux Saoudiens,
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ils craignent que les Houthis, alliés de l’Iran, contrôlent Bab Al Mandab, la voie
par laquelle leur pétrole est en partie exporté, alors que l’Iran contrôle déjà le dé-
troit d’Ormuz par lequel transite une autre partie du pétrole saoudien. La guerre
saoudienne contre le Yémen va déterminer le rapport de force autour de ces deux
détroits stratégiques dans le Golfe et dans la mer Rouge. Enfin, les Américains ne
veulent pas voir un régime portant le slogan « Mort à l’Amérique » contrôler le
détroit de Bab Al Mandab à partir duquel ils espèrent déployer leur présence dans
le Pacifique.
Le mouvement Ansar Allah se présente donc comme une force locale yéménite
montante qui va faire revenir le zaïdisme réformé au pouvoir. Des changements
majeurs dans la donne géostratégique de la Péninsule arabique, de la Mer rouge et
de la Mer des Arabes sont donc à prévoir.

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