L’armement en Arabie Saoudite : Défis et risques

Elias Farhat

 Général des armées, à la retraite au Liban

Résumé français

L’Arabie Saoudite est devenue une force stabilisatrice au Moyen Orient, du fait de son désir visionnaire de collaborer avec et jouir de l’Occident. Mais en Arabie Saoudite comme ailleurs dans le monde, il y a des soucis conséquents. Alors pourquoi l’Arabie Saoudite recourt-elle à une guerre destructrice qui use son pouvoir et spolie ses richesses ?

Résumé anglais

Saudi Arabia has become a stabilizing force in the Middle East, because of its visionary desire to collaborate with and enjoy the West. But in Saudi Arabia as elsewhere in the world, there are serious worries.  So why does Saudi Arabia have itself recourse to a war that abuses its own power and saps its own wealth?

Le Royaume d’Arabie saoudite est le pays le plus vaste, le plus riche et le plus puissant de la péninsule arabique. Il est doté d’une richesse en pétrole et en minéraux qui en a fait l’un des pays les plus riches du monde, et lui a permis d’entrer dans le groupe des 20 qui dirigent les échanges commerciaux internationaux. Cela lui a permis de jouer des rôles majeurs et d’assumer des responsabilités énormes, aussi bien dans la péninsule arabique que dans les mondes arabe et musulman.

Sur la péninsule, le Royaume est la plus grande puissance du Conseil de coopération du Golfe. Ce conseil fait face à des défis politiques, économiques, militaires et sécuritaires pour son unité après la crise avec le Qatar et la relative neutralité d’Oman et du Koweït.

Le Royaume est submergé de crises, de défis et de menaces venant de tous les côtés :

– au sud, la guerre au Yémen constitue une préoccupation politique, militaire et sécuritaire pour l’Arabie saoudite, en particulier du côté nord du Yémen, dominé par les Houthis, et du côté sud, où les Emirats Arabes Unis sont aux prises avec le gouvernement légitime d’Abd Rabbo Mansour Hadi et différents groupes locaux ;

– la menace terroriste augmente également depuis qu’Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQAP) s’est massée dans plusieurs régions du sud, notamment Hadhramaut, Abyan et Shabwa, et que certaines organisations se sont engagées à prêter allégeance à l’État islamique, Da’éch.

Presque cinq ans plus tard, la guerre au Yémen s’est transformée en une guerre d’usure, en lignes de démarcation et en une confrontation qui s’est radicalisée dans la bataille de Hodeidah. Entre temps, les capacités militaires des Houthis ont été développées avec l’aide de l’Iran, en lui fournissant notamment des missiles balistiques et des drones. Son impact a semblé être efficace pour le bombardement du pipeline Yanbu et des installations stratégiques d’Aramco.

– Des menaces houthies ont également fait surface en mer Rouge, notamment le détournement d’un remorqueur sud-coréen et d’autres bateaux ; acte qui n’est d’ailleurs pas le dernier dans ce genre de menace.

– Dans le nord du pays, le conflit israélo-arabe se poursuit et Israël, soutenu par les États-Unis, élude le processus de paix ; ce qui n’était pas sans conséquences sur le Royaume qui devait, en sa qualité de grande puissance arabe, assumer de lourdes responsabilités, et accomplir de nombreuses tâches, en particulier envers le peuple palestinien et le processus de paix. Le Royaume a cherché à participer de manière non officielle à la préparation de l’Accord du siècle qui vise à régler la question palestinienne, accord dont parlait souvent le président américain Trump, et promu par son conseiller Jared Kouchner, mais qui n’a pas été conclu et dont les termes ne sont toujours pas dévoilés .

– Le Royaume considère l’Iran comme une menace stratégique qu’il place au premier plan de ses priorités. Il observe avec suspicion et inquiétude la construction de l’armée et des missiles iraniens, les défilés militaires de sa puissance aérienne et navale dans les eaux du Golfe et dans son espace aérien, ainsi que les manœuvres multipliées et les lancements de missiles.

Le Royaume a longtemps exprimé sa préoccupation face à l’expansion en Iran de l’activité nucléaire, à l’enrichissement d’uranium et à la conclusion d’un accord nucléaire dit « historique » entre l’Iran et les P5+1, jusqu’au jour où le président Trump a décidé de l’annuler unilatéralement. Mais l’Iran a repris ses activités nucléaires, ramenant ainsi les préoccupations saoudiennes à leur niveau antérieur.

– La situation politique intérieure parait stable au Royaume au profit de la famille saoudienne et son homme fort, le prince héritier Mohammed bin Salman. Il n’y a pas d’opposition visible à l’horizon qui parait menacer le règne de la famille royale et l’influence de Ben Salman.

– Depuis la guerre Irak-Iran en 1980, l’Irak était une source de préoccupation permanente pour l’Arabie saoudite. Une fois la guerre terminée, en 1988, l’invasion du Koweït et l’opération « Desert Storm » ont débuté en 1990, dans lesquels l’Arabie saoudite jouait un rôle politique et militaire important. Dans l’opération « liberté de l’Irak » « (Iraqi Freedom) » de 2003, les États-Unis ont occupé l’Irak à la tête d’une coalition internationale dont le royaume n’était pas membre, et formé une autorité dirigeante, dissout l’armée irakienne et imposé une constitution à caractère confessionnel qui a produit, par des élections incertaines, un pouvoir faible.

Après l’opération « liberté de l’Irak », Téhéran a été débarrassée de la digue formée par l’Irak sous le régime de Saddam Hussein et a vu son influence s’étendre de l’Irak et du Golfe jusqu’en Syrie, le Liban, la Cisjordanie et Gaza, et atteindre même le Yémen, la Somalie et certaines régions de l’Afrique.

Cela a suscité l’inquiétude du Royaume et eu des conséquences concernant la préservation de ses intérêts et sa sécurité, d’autant plus que les relations entre l’Iran et l’Arabie Saoudite vont de mal en pis, et sont témoins de tensions politiques et militaires après que l’Arabie saoudite a récemment accusé Téhéran d’être directement à l’origine de l’attaque contre les installations d’Aramco et de soutenir les Houthis.

Outre l’ingérence iranienne, la prolifération de l’Etat islamique, les actes de terrorisme, la vengeance, les conflits religieux et ethniques en Irak et la possibilité de son expansion dans la région constituent une préoccupation majeure pour le Royaume.

Ce dernier a fait face à ces défis politiques et diplomatiques et a tiré parti de ses relations internationales avec les États-Unis et l’Union européenne pour renforcer sa position, tout en élargissant ses relations avec la Russie et la Chine. Il dirige pratiquement la Ligue arabe et l’Organisation de la coopération islamique (OCI) qui regroupe environ 60 pays.

Les défis auxquels le Royaume doit faire face dans tous ses aspects politiques, géographiques, économiques et de sécurité montrent la nécessité de développer ses forces armées, terrestres, navales, aériennes et spéciales afin de faire correspondre ses capacités à la taille des défis et des menaces et d’être prêts à faire face à toute situation d’urgence mettant en cause ses intérêts et son rôle dans la région.

Relations américano-saoudiennes

Le Royaume compte sur son premier allié dans le monde, les États-Unis d’Amérique, pour faire face à tous les dangers qui le menacent, ainsi que pour le développement du secteur pétrolier et d’autres secteurs de l’économie saoudienne. Le Royaume est allié et partenaire de la défense des États-Unis sur lesquels il compte pour la construction de bases militaires, le soutien logistique pour ses forces armées, ainsi que pour la formation et les exercices militaires en commun. Les États-Unis considèrent l’Arabie saoudite comme son principal allié dans la région. Leurs relations remontent aux années 1930-40, lorsque les sociétés américaines ont découvert d’énormes réserves de pétrole. Les États-Unis se sont rapprochés du Royaume et ce rapprochement a été consolidé lors d’une réunion tenue par le roi Abdul Aziz avec le président américain Roosevelt à bord du cuirassé Quincy dans Les Lacs amers (« Great Bitter Lake ») en 1945. Depuis, une relation historique a été établie entre les deux pays, les États-Unis s’engageant à protéger le royaume et son système politique en échange du pétrole saoudien dont ils ont désespérément besoin.

Avec l’aide des États-Unis, le Royaume a mis en place les forces armées les plus puissantes de la région (après Israël) et se classe au 25ème rang mondial. Les Américains l’ont aidé à établir des bases aériennes et navales, des centres de formation et des casernes militaires.

Un grand nombre d’officiers saoudiens, notamment des pilotes, ont suivi une formation dans des instituts de formation militaire aux États-Unis et une relation de coordination et de coopération s’est développée entre les deux forces armées.

Bonnes affaires sur les armes

Les bonnes affaires sur les armes passaient régulièrement entre les deux pays. Néanmoins, après le début de la guerre Irak-Iran, l’Arabie saoudite attendait avec impatience d’obtenir des armes de pointe. En 1981, elle passa un accord pour l’achat de cinq avions de commandement et d’alerte avancée, les AWACS, capables de traiter 251 cibles. Le prix de l’avion était de 270 millions de dollars. L’utilisation de ces avions a été enregistrée une fois lors de la guerre Irak-Iran en 1984, lorsque un avion AWACS a repéré deux avions iraniens qui franchissaient la frontière et se dirigeaient vers deux avions de combat saoudiens. Cette surveillance précoce des avions iraniens a permis la destruction de l’un d’eux et  la fuite de l’autre.

En 1985, les cercles politiques et militaires bourdonnaient de nouvelles d’un accord saoudien avec la Grande-Bretagne visant à acheter des avions. En septembre 1985, le Royaume-Uni et l’Arabie saoudite ont signé la première phase de l’accord Al-Yamamah, du nom de la ville éponyme, comprenant des appareils Tornado et Hawk, apportant un soutien technique et établissant une base aérienne de 43 milliards de livres (86 milliards de dollars). 

De 1991 à 2005, une série d’affaires franco-saoudiennes comprenait des appareils Eurofighter et Typhoon.

Les commissions qui ont accompagné les accords ont provoqué des remous, en particulier quand  la BBC publia un rapport selon lequel l’ambassadeur d’Arabie saoudite à Washington, le prince Bandar bin Sultan, qui supervisait l’accord, avait reçu une commission de 2 milliards de dollars. Les journaux, en particulier le britannique The Guardian, ont fait état de lourdes commissions pour les membres de la famille royale saoudienne. La justice britannique a décidé d’enquêter sur les commissions, les pots-de-vin et les irrégularités financières. Le Royaume a menacé d’annuler d’autres accords s’il n’était pas mis fin à de telles enquêtes. Le gouvernement du Premier ministre Tony Blair a répondu favorablement aux exigences saoudiennes, mais il a été critiqué par des membres de la Chambre des communes.

En 2010, l’Arabie saoudite et les États-Unis ont signé un accord de vente d’armes d’une valeur de 60 milliards de dollars. Cet accord a placé les deux pays dans un engagement stratégique et dans l’alliance sur le terrain, en particulier dans la lutte contre le terrorisme, après les dommages causés aux relations entre les deux pays par les événements du 11 septembre. Selon le Wall Street Journal et le Washington Institute for Near East Policy (le WINEP), l’accord comprenait:

– 84 Boeing F-15 assurant la supériorité aérienne de l’Arabie Saoudite sur l’armée de l’air iranienne et offrant des possibilités techniques et tactiques pour une meilleure coopération avec l’US Air Force. Ces avions sont équipés l de radars permettant de traiter des cibles de petite taille et espacées, telles par exemple, le déploiement des Gardiens de la révolution iraniens et les forces qui ont recours à la guerre asymétrique.

– En plus d’autres nouveaux avions , l’accord comprenait le développement de 70 avions F-15 appartenant actuellement à l’armée de l’air saoudienne.

– Une variété de munitions aériennes, y compris des missiles air-sol de haute précision et à longue portée, qui sont autorisés à être utilisés à l’extérieur des limites des systèmes de défense iraniennes.

– 60 hélicoptères Apache AH-64D Long Bo sont utilisés pour contrer des menaces dans des zones telles que la frontière entre le Yémen et l’Arabie saoudite, pour défendre la côte, pour bombarder des cibles côtières et pour contrer toute attaque terroriste sur le Royaume.

– 72 hélicoptères UH60 améliorent la mobilité de la Force aérienne et sa capacité à faire face à toute menace dans le Golfe ou à ses frontières.

– 36 hélicoptères Little Bird MH-6H-6 fournissent aux forces spéciales la puissance de feu nécessaire pour lutter contre le terrorisme et les infiltrations transfrontalières.

– La mise au point de missiles Patriot PS2 afin de renforcer les capacités de la défense aérienne saoudienne pour contrer la menace aérienne iranienne, surtout les missiles iraniens longue portée sol-sol

– Un groupe de patrouilleurs navals, de navires de combat et d’autres navires contribuent à la défense de la côte saoudienne contre les menaces émanant des forces navales des Gardiens de la révolution. 

Cet accord a conduit à des développements plus qualitatifs non seulement en termes de capacités qualitatives et quantitatives saoudiennes, mais également aux niveaux régional, militaire, sécuritaire et politique. Il a contribué à créer un nouvel équilibre solide dans la région du Golfe selon une équation d’équilibre militaire qui inclut le rôle de l’Arabie saoudite en tant que nouveau contrepoids stratégique-tactique face à l’Iran.

Le pouvoir de dissuasion de l’armée saoudienne a été renforcé, ce qui permettait d’imposer l’influence saoudienne au reste du Golfe et de l’empêcher de sortir de sa sphère d’influence. Cette quête survient alors que le gouvernement américain fait face à de fortes pressions internes pour réduire les dépenses et les engagements militaires à l’étranger. D’où son besoin d’alliés régionaux dotés de capacités militaires pouvant dissuader et contenir les menaces dans leur région et défendre leurs intérêts et ceux de leur allié américain.

Les objectifs commerciaux de cet accord ont été atteints, mais pas les objectifs militaires et stratégiques : ces armes ne dissuadaient pas l’Iran ni ne l’inquiétaient. Ce dernier a poursuivi sa construction militaire, notamment des missiles, ainsi que des scènes répétées de lancements de missiles balistiques et de manœuvres navales iraniennes dans le Golfe et la mer d’Oman, y compris dans des zones sensibles telles que le détroit d’Hormuz. S’y ajoutait que les alliées de l’Iran enregistraient des victoires: à Gaza, Israël s’est retiré unilatéralement, le Hamas a pris le pouvoir et a par la suite repoussé les attaques israéliennes lors de trois guerres en 2008, 2012 et 2014. Au Liban, le Hezbollah a contrecarré en 2006 une offensive israélienne de 33 jours et en est ressorti plus fort que jamais. Au Yémen, Les Houthis se sont développés rapidement et ont pris le contrôle de la plus grande partie du pays. Ils ont forcé le Royaume à entrer directement en guerre avec eux, guerre qu’il mène  depuis 2015 sans pouvoir la gagner malgré la supériorité militaire de l’Arabie saoudite et de ses alliés.

Quant à l’accord annoncé par le président Donald Trump en mai 2017, il s’agit du plus important de son genre dans les relations américano-saoudiennes avec une valeur de 350 milliards de dollars. Il comprend de nombreux aspects liés à l’armement, à l’énergie et au développement, notamment l’autosuffisance saoudienne au niveau local, le renforcement du rôle du Royaume en tant que pôle logistique mondial, le transfert de savoirs et l’acquisition de systèmes avancés, la réalisation du plan de transformation numérique du Royaume, l’optimisation de l’utilisation des technologies 4G, la fourniture de services d’ingénierie pour libérer les capacités du secteur minier, des investissements américains pour la construction de centrales solaires et la distribution d’énergie dans le Royaume, le développement des capacités locales en matière de fabrication, la localisation de la recherche, le développement et la formation dans les secteurs militaires, le développement des capacités locales en fabrication, maintenance, et assemblage d’armes de pointe telles que les hélicoptères Black Hawk, aunsi que les gains directs dex entreprises saoudiennes dans dix domaines du plan de transformation numérique du Royaume.

L’accord, qui comprend le plus grand nombre de transactions d’armes, s’élève à 110 milliards de dollars. Tillerson, alors Secrétaire d’Etat américain, a déclaré que cet accord couvrait cinq thèmes : la sécurité frontalière et le contre-terrorisme, la sécurité maritime et côtière, la modernisation de la force aérienne, la défense aérienne et antimissile, la cyber-sécurité et la sécurité des communications. Tillerson a indiqué que le lot d’équipements et de services de défense soutenait « la sécurité à long terme de l’Arabie saoudite et de la région du Golfe, en particulier face à l’influence iranienne et aux menaces liées à Téhéran, à la frontière saoudienne, sous tous ses aspects ».

En plus de l’énorme accord de défense, l’Arabie saoudite a également signé des accords avec des entreprises militaires américaines, comprenant notamment :

– le soutien du montage de 150 hélicoptères Black Hawk en Arabie Saoudite

– la signature d’un accord avec Raytheon pour la création d’une succursale en Arabie saoudite chargée de la mise en œuvre de programmes visant à créer des capacités locales dans le secteur de la défense, de l’aviation et de la sécurité.

– la signature d’un accord avec General Dynamics pour localiser la conception, l’ingénierie et la fabrication de véhicules actuels et futurs, visant à localiser 50% des dépenses militaires du gouvernement en Arabie saoudite, conformément à la vision 2030 du prince héritier Mohammed bin Salman.

Beaucoup pour l’armée de l’air et très peu pour les forces terrestres

Les accords d’armes saoudiens ont tendance à se concentrer sur l’armée de l’air, sur l’acquisition d’avions de chasse, de systèmes de missiles, de radars et de systèmes d’alerte rapide ultramodernes tandis que les forces terrestres ont fait l’objet d’une attention ordinaire, ce qui a créé un large fossé entre les forces aériennes avancées et les forces terrestres régulières. Pour en revenir aux principes les plus élémentaires de la tactique militaire, la force aérienne a pour fonction de fournir un appui aérien en puissance de feu indispensable aux forces terrestres, qui progressent à un rythme coordonné et soutenu par la force aérienne. L’armée de l’air peut effectuer des raids  détruisant des objectifs militaires, économiques et administratifs vitaux, mais la résolution de toute bataille exige des troupes terrestres avancées au sol pour l’occupation et le contrôle.

Au bout de cinq ans de guerre yéménite, le Royaume et ses alliés ne parviennent pas à faire une avancée décisive au sol. Les raids intensifs et la destruction d’un grand nombre de cibles ne sont pas accompagnés d’avancées des forces terrestres. Dans le cas du retrait des Houthis du sud, les forces terrestres qui les ont attaqués,  vaincus et poussés à se retirer, étaient principalement des forces du sud du Yémen bénéficiant d’un soutien aérien. Il n’y a pas eu de tels progrès dans le nord, en raison de l’absence de forces de combat terrestres saoudiennes.

La plupart des unités militaires saoudiennes déployées à la frontière avec le Yémen appartiennent à la Garde nationale et constituent des forces permettant de défendre un centre et des secteurs mais pas une vraie infanterie capable d’occuper et de contrôler du terrain. Le royaume a utilisé d’autres armées, principalement des volontaires du sud du Yémen et des tribus du nord, qui ont été transférées sur les fronts du nord dans les régions de Najran, Asir, Jizan et en protection des forces soudanaises. Les Houthis ont  eu recours à l’occupation des forces saoudiennes dans leurs postes de patrouille frontaliers et lancé de nombreuses attaques pour user les Saoudiens et les empêcher de mobiliser d’autres forces et de les faire avancer vers le territoire contrôlé par les Houthis. Ces forces, en particulier les Soudanais, n’ont pas réussi à infiltrer l’axe côtier, en particulier l’axe du Midi, et ont été incapables de progresser en raison de la résistance farouche des Houthis. La même chose s’applique au front de Fordhet Nahem, à l’est de Sanaa, que les forces de la coalition n’ont toujours pas réussi à contrôler.

L’expérience de la guerre au Yémen montre que l’Arabie saoudite a besoin de forces terrestres et aériennes sous la forme de grandes unités aéroportées capables d’occuper des villes et des agglomérations. Jusqu’à présent, la guerre n’a pas encore vu l’offensive terrestre saoudienne traditionnelle, ni une opération de débarquement aérien importante. À l’exception de l’avancée réalisée sur l’axe côtier, où des unités émiraties et sud-yéménites ont joué un rôle primordial, aucun progrès saoudien n’a été enregistré.

L’effondrement de la supériorité aérienne

En mars 2015, l’Arabie saoudite a annoncé l’opération « Storm packages » (Tempête Décisive) au Yémen, qui, de par sa nomination, devait être courte et tranchante. Certains responsables saoudiens ont déclaré que ce n’était qu’une question de quelques mois. Les attentes ont été déçues ; nous sommes entrés dans la cinquième année et la guerre est toujours non résolue. 

Dans les premières déclarations de la guerre, l’Arabie saoudite a annoncé qu’elle avait détruit les capacités de défense aérienne antimissile d’Ansar Allah et de l’armée yéménite qui lui était fidèle. Mais l’intervention iranienne – soit en fournissant directement des armes aux Houthis, soit en envoyant des experts en fabrication  leur fournissant les connaissances nécessaires – a permis de renforcer les capacités des Houthis, en particulier dans la fabrication de missiles balistiques  de longues portées  et des drones capables de survirer tout l’espace saoudien. 

Dans le cas du bombardement de l’oléoduc de Yanbu, des drones yéménites ont traversé une distance estimée à 700 kilomètres à l’intérieur de l’espace aérien saoudien ; mais ils auraient parcouru une distance plus longue s’ils étaient venus d’Iran. Il en va de même pour l’attaque d’Aramco, ainsi que pour les missiles balistiques qui ont atterri près de la capitale, Riyad.

L’annonce par les Houthis qu’ils avaient abattu un hélicoptère Apache avec un missile sol-air constituerait un changement supplémentaire dans la disparité des moyens. Il est trop tôt pour parler d’un équilibre entre l’Arabie saoudite et les Houthis en raison de la supériorité radicale de l’Arabie saoudite. Mais la guerre asymétrique pose un défi à l’équilibre, qui, ajouté au prolongement du conflit, met l’Arabie saoudite face à un échec stratégique dans la réalisation de ses objectifs dans cette guerre. 

Cela se reflètera dans  les négociations de paix visant à régler la guerre au Yémen et offrira aux Houthis d’importantes cartes dans les négociations.

« Quelles armes avons-nous achetées ? » 

Lorsque des missiles balistiques yéménites traversent l’espace aérien saoudien, que le système Patriot ne parvient pas à les intercepter tous, que certains d’entre eux atteignent des cibles à l’intérieur du pays, et lorsque des drones lancés du Yémen ou de l’Iran, frappent ou traversent l’espace aérien saoudien, le Royaume est confronté à l’échec du système d’alerte précoce et des systèmes de défense aérienne.

Le Royaume a versé des sommes exorbitantes, comme nous l’avons dit précédemment,  pour des armes qui devaient assurer sa sécurité et sa supériorité dans la région et lui garantir son rôle de leader dans les mondes arabe et islamique, mais le Royaume semble ne pas en avoir eu pour son argent . Les systèmes d’alerte et  de défense aérienne n’ont pas réussi à défendre des objectifs stratégiques et vitaux, à savoir les oléoducs et les installations d’Aramco à Ibqiq (Abamaq). Cela a été un choc pour l’Arabie saoudite et un revers plus important pour l’industrie militaire américaine. Les observateurs militaires ont comparé les missiles Patriot qui n’ont pas réussi à protéger Aramco et les missiles S-400 qui ont intercepté un certain nombre de drones lancés sur leur base près de Lattaquié en Syrie à partir de la région d’Idlib, soit une distance d’environ 50 km, distance très courte, comparée aux distances couvertes par les batteries de Patriots saoudiens. Comme l’interception d’une cible proche est plus difficile et qu’aucun drone des terroristes n’a atteint l’espace aérien de la base russe, nous pouvons  conclure que les missiles S400 sont meilleurs que le système américain Patriot.

À cette fin, l’Arabie saoudite a signé un nouvel accord de 15 milliards de dollars avec les États-Unis pour l’acquisition de missiles Thad, le dernier en date dans l’arsenal américain.

USA soft c/ Kingdom hard

« La guerre est un prolongement de la politique par d’autres moyens », disait  Carl von Clausewitz.

La trajectoire politique saoudienne vers le Yémen ne semble pas avoir été soigneusement définie et aucun objectif politique provisoire n’a été précis : la décision de guerre a été une surprise et a perturbé l’action politique dans l’attente d’une résolution militaire. Cinq ans plus tard, la guerre n’était pas résolue et la politique et les alliances ont créé un conflit secondaire dans le sud du Yémen. Il n’y avait pas de vision saoudienne claire pour résoudre la guerre au Yémen.

Les options stratégiques saoudiennes sont ambiguës. Le Royaume veut-il une guerre avec Téhéran et comment ? Est-il tributaire de son allié, les États-Unis, pour résoudre le conflit avec l’Iran ?

Il est clair que les États-Unis adoptent une guerre douce contre l’Iran et n’ont pas exercé de représailles pour venger la destruction d’un drone par l’Iran, ni suivi par une réponse militaire leur accusation de l’Iran d’être à l’origine des bombardements des quatre navires à Fujaïrah et des deux autres proches du détroit d’Hormuz.

Tant que l’allié le plus puissant adopte une guerre douce, une question se pose : pourquoi le Royaume a-t-il recours à une guerre destructrice qui use son pouvoir et spolie ses richesses ? 

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