Aramco le géant saoudien : enjeu économique majeur ou fardeau sécuritaire pour le royaume ?

Elissar Karam

Spécialiste économique de la chaîne AL MAYADEEN

Résumé français:

Le géant saoudien de l’énergie, Aramco introduit en bourse ses actions dans le cadre du plan «Vision 2030 » visant à promouvoir l’économie saoudienne. La demande d’introduction en bourse n’a pas atteint le niveau souhaité par la société pétrolière, en particulier par les investisseurs étrangers, bien qu’Aramco soit la société la plus rentable au monde, ayant réalisé un bénéfice net de 111 milliards de dollars en 2018. Le Royaume cherche actuellement à collecter 25 milliards de dollars environ de cette introduction en bourse après avoir eu pour objectif de lever 100 milliards de dollars. Ce n’est pas la seule indication qu’Aramco n’est pas suffisamment attrayant pour réaliser les ambitions de l’Arabie saoudite. La comparaison avec d’autres introductions en bourse de l’histoire du Royaume, telles que des actions de la National Commercial Bank en 2014 et d’Emaar en 2006, le confirme bien.

L’Arabie saoudite changera-t-elle ses plans pour attirer les investisseurs?

Abstract anglais:

Saudi Aramco, Saudi Arabia’s oil giant, has gone public in the context of the 2030 Vision to promote the Saudi economy. However, demand for IPO did not meet the level the company aspired to, especially demand by foreign investors, despite the fact that Aramco is the most profitable company globally, making a net profit of $111bn in 2018. The Kingdom currently seeks to make about $25bn from the IPO available to local investors, after it previously aimed at making $100bn. This is not the only indicator that Aramco is not attractive enough to achieve Saudi’s ambitions. It is enough proof to compare this to other IPOs in the Kingdom’s history, like those of the National Commercial Bank in 2014 and the estate development company « Emaar » in 2006.

Will Saudi, therefore, change its plans to attract investors?

Comme dirait le dicton : « Il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. » Les calculs du prince héritier saoudien Mohammed ben Salman et ses espoirs de « merveilles » de l’offre publique initiale d’Aramco sont très éloignés de ses ambitions. Premièrement lorsque les investisseurs étrangers se sont abstenus d’investir dans Aramco et deuxièmement lorsque les investisseurs locaux ont acheté des actions. Après l’introduction en bourse de 5% des actions, Ben Salman comptait lever 100 milliards de dollars. La valeur marchande du géant pétrolier était estimée à 2 trillions de dollars. En réalité, il espère collecter 25 milliards de dollars environ de cette introduction en bourse, soit uniquement 1,5% des actions, c’est-à-dire une estimation maximale de 1,5 trillions de dollars pour Aramco.

Aramco, le géant pétrolier appartenant à l’État saoudien, est un pilier essentiel de la transformation économique visée par l’Arabie saoudite, pour lequel le plan économique et social de 2016, Vision 2030, a été conçu. Ce plan est une feuille de route pour réformer l’économie saoudienne, qui repose sur la production et l’exportation de pétrole. L’Arabie saoudite est le plus grand exportateur de pétrole au monde, avec plus de 18% des réserves sûres de pétrole dans le monde et se classe deuxième juste derrière le Venezuela. En dépit de ces données, les avertissements d’épuisement des fonds et d’augmentation du déficit budgétaire en raison de la baisse des recettes pétrolières et de la poursuite du modèle économique non rentable de rentiers, ainsi que de l’implication du Royaume dans les guerres meurtrières au Moyen-Orient ont mobilisé des fonds considérables. Dans une interview télévisée de CNBC, David Petraeus, ancien directeur de la CIA, a récemment averti que l’argent saoudien s’épuisait progressivement et que le royaume admettrait un jour que le fonds souverain s’est rétréci à moins de 500 milliards de dollars. L’Arabie saoudite ne révèle pas les actifs qu’elle détient dans son fonds souverain national, connu sous le nom de Fonds d’investissement public. M. Petraeus a souligné que le déficit budgétaire, basé sur le prix du pétrole « Brent », avait augmenté de manière significative et il s’attendait à ce que le déficit actuel se situe entre 40 et 60 milliards de dollars. Il a conclu que l’Arabie saoudite avait besoin de fonds et de ce fait vise à attirer les investissements étrangers.

L’Arabie saoudite doit donc attirer des fonds par le biais d’investissements. En effet, qui serait mieux placé que la société pétrolière d’État la plus rentable au monde, Aramco, pour attirer les investisseurs après avoir réalisé un bénéfice net de 111 milliards de dollars en 2018, dépassant de la sorte les cinq premières sociétés pétrolières mondiales. Aramco pourrait être la pierre angulaire du plan de réforme économique lancé par le prince héritier saoudien Mohammed ben Salman. Il souhaitait convertir partiellement Aramco, société d’État, en une société par actions par le biais de souscription de 5% de ses actions sur les marchés locaux et internationaux et réalisant environ 100 milliards de dollars.

Offre publique initiale

En fait, Aramco n’a pas introduit en bourse 5% de ses actions comme prévu et le processus s’est limité au marché local. Les garants ont noté que les investisseurs étrangers étaient indifférents ou probablement incertains quant à la faisabilité d’investir dans la société pétrolière d’État saoudienne, en particulier après que la réputation du Royaume eut été affectée de façon négative par une série d’événements, notamment son implication dans le financement de groupes terroristes islamiques en Syrie et son rôle de premier plan dans la guerre au Yémen, avec des massacres contre des civils non armés ; en plus de l’ambiguïté qui entoure le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi au consulat d’Arabie Saoudite à Istanbul. Enfin, les attaques contre les installations d’Aramco à Biqaiq et à Khurais, dans la province de l’Est, compliquent encore les choses. À la lumière des changements majeurs sur le marché mondial du pétrole et de l’entrée de nouveaux acteurs, il n’est toutefois pas exclu que l’attrait d’Aramco ait diminué au profit des sociétés américaines plus « sûres » pour les investisseurs occidentaux.

Ainsi, après un ajournement répétitif, Aramco a décidé de ne vendre que 1,5% de ses actions sur le marché boursier saoudien « Tadawul » à partir du 17 novembre 2019, par le biais d’une offre publique initiale pouvant représenter entre 20 et 40 milliards de dollars, suivant les estimations de responsables saoudiens. Selon un prospectus publié par Samba Capital qui gère la souscription, ceci permettrait à la fois une disponibilité pour les particuliers et les entreprises, réduisant ainsi le décalage entre l’attribution finale des actions et le premier jour de bourse.

La première fois qu’il était question de l’opération de vente historique c’était le 7 janvier 2016, lorsque le prince héritier Mohammed ben Salman a déclaré dans un entretien avec The Economist que l’Arabie saoudite qui envisageait la possibilité d’une introduction en bourse pour une partie de Aramco représentait le premier IPO d’une société étatique pétrolière du Golfe. En septembre de la même année, la société a annoncé que l’introduction en bourse aurait lieu en 2018, date à laquelle une série d’ajournement s’est produite, sans justification.

Le 23 octobre 2017, la direction d’Aramco a annoncé que la première souscription aurait lieu au deuxième semestre de 2018, mais le Financial Times a alors révélé que Riyad avait l’intention de le reporter à 2019. Une semaine plus tard, le Wall Street Journal avait annoncé que les actions seraient vendues localement au lieu d’une introduction en bourse dans un échange mondial. Le processus a été presque reporté une nouvelle fois, le prince héritier ayant annoncé, lors d’une interview avec Bloomberg le 5 octobre 2018, que l’introduction en bourse aurait lieu fin 2020 ou début 2021. Les garants d’Aramco n’ont pas attendu jusqu’à cette date pour tenter de gagner du temps ; sachant que le temps passe très vite à mesure que les événements et les développements dans la région et dans le monde s’accélèrent.

Pour la première fois depuis sa nationalisation il y a 40 ans et pour démontrer son sérieux et sa bonne volonté, Aramco a ouvert ses comptes aux agences de notation internationales Fitch et Moody’s le 1er avril dans le cadre de ses préparatifs visant à attirer des investisseurs et à lever des fonds. Une semaine plus tard, la demande pour les obligations d’Aramco est passée de 10 à 12 milliards de dollars. Or, le 14 septembre 2019, le gouvernement saoudien et le géant pétrolier ont subi un contrecoup lorsque les installations pétrolières de la province de l’Est ont été victimes d’attaques de roquettes lancées par des drones. Le groupe yéménite Ansar Allah, également connu sous le nom de Houthi, s’est précipité pour adopter ces attaques, mais les États-Unis ont affirmé que l’Iran était derrière eux et prétend qu’une possibilité de l’amplification des affrontements et l’élargissement de la confrontation serait possible, ce qui a affaibli la confiance des investisseurs, en particulier les étrangers, d’investir dans Aramco, dont les installations sont à la portée des ennemis de l’Arabie saoudite. Toutefois, la direction de la société a confirmé que l’attaque ne le dissuaderait pas de l’introduction en bourse et a franchi une première étape en vue de cela le 3 novembre en annonçant que les actions seraient vendues sur le marché des capitaux local à Riyadh, faisant de l’événement un fait marquant de son histoire.

Un événement marquant sans nul doute, car Aramco est la première société pétrolière d’État dans le Golfe à proposer une partie de ses actions à la vente, et parce que l’Arabie saoudite en particulier n’a jamais transformé l’une de ses sociétés d’État en une société par actions. Cependant, cette introduction s’est limitée au marché local et constitue un point noir dans l’horizon et les espoirs des saoudiens qui se sont habitués à jouer le rôle de « chef d’orchestre » sur le marché mondial du pétrole. Les Saoudiens ne s’attendaient pas à ce que les installations d’Aramco soient la cible d’armes sophistiquées qui ont réussi à perturber la moitié de la production quotidienne pendant une semaine et à affaiblir la confiance des investisseurs depuis, transformant Aramco en un outil de contrôle du marché et transformant le plan de réforme économique en une faiblesse.

Que se passe-t-il après l’introduction en bourse ?

Enfin, le 17 novembre, Aramco a annoncé la vente de 1,5% de ses actions sur une fourchette de prix variant de 8 à 8,5 dollars. Avec une valorisation évaluée entre 1,6 et 1,71 trillions de dollars par Aramco, le produit de la vente devrait se situer entre 24 et 25,6 milliards de dollars. Ce chiffre pourrait être inférieur aux attentes du prince héritier, qui a déclaré à plusieurs reprises son espoir de lever 100 milliards de dollars après avoir estimé qu’Aramco valait plus de 2 trillions de dollars. La société fixera le 5 décembre le prix final d’une action, pourvu que la négociation effective sur le marché boursier local commence dans les jours qui suivent.

La cotation de « Saudi Aramco » sur le marché boursier local contribue à renforcer la position nette des actifs saoudiens et à augmenter le taux de croissance économique du Royaume à long terme, d’autant plus que l’essentiel du produit des fonds sera transféré au Fonds d’investissement public, ce qui pourrait renforcer la position d’actif net déjà forte, qui représente 72,7% du PIB.

Probablement que cela justifierait le fait de considérer Aramco comme le pilier de l’économie et de la stabilité sociale du royaume. Selon l’agence de notation Standard & Poor’s, les fonds levés lors de l’introduction en bourse « pourraient être utilisés pour soutenir des projets de croissance à long terme dans le Royaume. »

Ces aspirations et ces espoirs spéculés sur le géant de l’énergie saoudien ont poussé les autorités saoudiennes à prendre des mesures extraordinaires pour inciter le marché local à souscrire, notamment en promouvant grâce aux médias locaux le processus d’achat en tant qu’action nationale et en prolongeant les heures d’ouverture des banques pour aider les clients à participer au processus d’achat d’actions, tout en offrant des prêts instantanés de grande valeur pour permettre aux saoudiens d’acquérir le plus grand nombre d’actions offertes à la vente et qui atteignent 3 milliards d’actions.

Il semble dans les coulisses qu’un appel a été fait aux familles fortunées pour acquérir les actions. Le milliardaire Prince Al-Waleed ben Talal, détenu depuis plusieurs mois au Ritz-Carlton pour corruption, pourrait être l’un des plus gros acheteurs d’actions.

Quelle que soit l’issue de l’introduction en bourse d’Aramco, l’avenir du géant pétrolier reste incertain compte tenu de la possibilité de nouvelles attaques sur les installations et de perturbations de la production, ainsi que de la transition des principales économies vers des sources d’énergie alternatives, ce qui pourrait affecter la demande de pétrole et donc les prix qui nourrissent l’économie saoudienne. En effet, ceci soulève une question fondamentale sur le rôle et la position de l’Arabie saoudite sur le marché mondial du pétrole après des années de domination et de contrôle.

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