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Marie-Bernard Martineau
Professeur à l’ICES
Dans l’histoire longue du processus de formation de l’Espagne, la Reconquista fut le moment qui permit la standardisation du castillan, entreprise par le roi Alphonse X de Castille. Mais La Reconquête fut très lente et incertaine, et l’unité politique obtenue laborieusement par le mariage des Rois Catholiques en 1469. Cette lenteur dans l’obtention de l’unité politique réalisée tardivement par une alliance dynastique, peut expliquer en partie la survivance d’un esprit particulier dans les Comtés catalans et la prise de conscience de former une communauté, même après l’annexion à l’empire français et la normalisation espagnole.
In the long history of the process of formation of Spain, the Reconquista was the moment that allowed the standardization of Castilian, undertaken by King Alfonso X of Castile. But the Reconquest was very slow and uncertain, and the political unity obtained laboriously by the marriage of the Catholic Monarchs in 1469. This slowness in obtaining political unity achieved late by a dynastic alliance, can partly explain the survival of a particular spirit in the Catalan Counties and the awareness of forming a community, even after annexation to the French Empire and Spanish normalization.
De la paix romaine à la fin de la Reconquista
Débarrassée de sa grande rivale, Carthage, Rome entreprit l’expansion de son empire dans la péninsule ibérique. Au cours de la deuxième guerre punique (218-202 avant notre ère), les Ibères accueillirent d’abord avec satisfaction les troupes romaines du général Scipion l’Africain (235-183 av. notre ère), pour se libérer de la domination carthaginoise. Mais, devant la politique coloniale répressive des Romains, les Ibères se ravisèrent. Les Romains connurent alors certaines difficultés à imposer la « pax romana » dans toute la péninsule Ibérique, qu’ils nommèrent Hispania, un mot issu du phénicien (« i-shepan-im ») latinisé en « I-span-ya » signifiant « terre des lapins », la péninsule ibérique étant reconnue pour l’abondance de ses lapins. La romanisation fut plus rapide au sud-est (Hispania Citerior, au sud de l’Ebre). Dans le Nord, région que les Romains appelaient alors l’Hispania ulterior (la Galice, le Pays basque et le Portugal actuels), l’« Espagne lointaine », la résistance fut farouche de la part des Lusitaniens, des Vettons, des Vaccéens et des Galiciens, et les Romains ne pacifièrent cette région qu’en l’an 29 avant JC. Toute la Péninsule ibérique se latinisa, à l’exception des Basques, qui conservèrent leur langue. Les populations ibériques firent plus que se latiniser, car vers le XXe siècle de notre ère, elles s’étaient aussi toutes christianisées.
Les invasions débutèrent en 409 avec les Vandales, et furent suivies par celles des Suèves, des Alains et des Wisigoths. Le latin écrit demeura la langue véhiculaire, juridique et liturgique. Les wisigoths ne purent imposer leur langue, ils adoptèrent celle du vaincu ; ce latin avait subi de nombreuses transformations et s’était mué en roman, sauf au Pays Basque. La langue romane de cette époque s’était fragmentée en une multitude d’idiomes distincts, constituant les germes de plusieurs langues : l’asturien, le galicien, le catalan, le murcien, le catalan, l’andalou, le portugais… À la fin du VIIe siècle, le Wisigoth était devenu une langue morte.
En 711, un contingent militaire de 12 000 soldats berbères, dirigés par Tarik ibn Ziyad, débarqua à Gibraltar pour commencer l’invasion des royaumes chrétiens de l’Hispania. En 718, ils franchirent les Pyrénées et se rendirent jusqu’à Nîmes ; ils furent bloqués à Poitiers par Charles Martel, en 732. En 718, dans les Asturies, le chef wisigoth Pélage fomenta une révolte contre les autorités musulmanes de Gijón. Il décima un détachement militaire à Covadonga en 722 ; cet événement marqua le début de la reconquête.
Le Califat de Cordoue (VIIIe-Xe), fondé en 756, connut son apogée sous Abd-al-Rahman III. L’occupation musulmane provoqua le repli des chrétiens vers le nord, mais aussi la fragmentation du roman en castillan, andalou, navarrais, aragonais, catalan… Sous Alphonse III le Grand (838-910), le Royaume des Asturies s’agrandit en englobant le León et la Galice.
En 1037, le roi Ferdinand Ier de Castille hérita du royaume de Castille et unit les deux royaumes. À partir de 1390, sous l’impulsion d’Henri III de Castille, les héritiers prirent le titre de « prince des Asturies ». Au IXe siècle, l’aire linguistique du castillan se limitait aux alentours de la ville de Burgos. Le castillan n’était pas plus important que, par exemple, le galaïco-portugais, l’asturo-léonais (ou asturien), le basque, le navarro-aragonais ou le catalan. Il s’agissait de langues mineures par comparaison aux langues mozarabes. Au cours des quatre siècles suivants, l’asturien demeurait encore la langue officielle des documents du Royaume. Le Royaume du Portugal se constitua en 1139 avec ses frontières actuelles. Selon les linguistes, le catalan serait né entre la fin du VIIe siècle et le début du VIIIe ; à cette époque, le catalan et l’occitan ne formaient qu’une seule langue. Le catalan se différencia à partir du IXe siècle, uniquement à l’oral. Le passage à l’écrit ne devait intervenir qu’à la fin du XIe siècle (entre 1080 et 1100). Les premiers textes écrits en castillan, des gloses, datent, quant à eux, de la fin du Xe et du début du XIe.
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