L’ancrage étatique du particularisme catalan dans l’histoire récente de l’Espagne

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Clément Millon

Chargé de conférences à l’ICES

L’opportunisme des partis catalans dans la période contemporaine a essentiellement consisté à alterner revendications de réformes, logique particulariste avec revendication d’autonomie politique ou plus radicalement d’indépendance en fonction de la capacité de l’État espagnol à gérer l’intensité des déstabilisations induites par ces mouvements. Pour l’analyser, le choix méthodologique de l’article se fonde sur l’étude des partis politiques de Catalogne depuis les débuts du XXe siècle à aujourd’hui en insistant sur la culture régionaliste, indépendantiste ou fédéraliste qui les divisent. Trois périodes se distinguent dans l’évolution de l’influence, les partis catalans du début du XXe siècle à 1939, puis leur clandestinité de 1939 à 1978 et enfin de la transition démocratique jusqu’aux derniers développements induits par le coup de force que constitue le référendum jugé inconstitutionnel par Madrid.

The opportunism of the Catalan parties in the contemporary period has essentially consisted of alternating demands for reform, particularist logic with demands for political autonomy or, more radically, independence, depending on the capacity of the Spanish state to manage the intensity of the destabilization caused by these movements. To analyze this, the methodological choice of the article is based on the study of political parties in Catalonia from the beginning of the 20th century to the present day, focusing on the regionalist, independentist or federalist culture that divides them. Three periods stand out in the evolution of influence, the Catalan parties from the beginning of the twentieth century to 1939, then their clandestine status from 1939 to 1978 and finally from the democratic transition to the latest developments induced by the coup de force that constituted the referendum deemed unconstitutional by Madrid.

Café para todos (« café pour Tous »)
Jordy Pujol

C’est par cette expression que Jordy Pujol ancien président de la généralité de Catalogne désignait la Constitution espagnole de 1978. En effet, elle accorde un statut favorable au Pays basque ou encore au la Galice dès 1978 et à la Catalogne. Mais les autres ont dû attendre et ont mis en place des statuts entre 1996 et 2000.

Ainsi, Jordi Poujol, qui originellement n’est pas indépendantiste, s’appuie sur le fait que la Catalogne a une langue, une spécificité commune, pour réclamer davantage que la reconnaissance de ces spécificités régionales. Sa position illustre l’opportunisme avec lequel les hommes politiques et les partis de Catalogne profitent de la relation avec l’Espagne. Si l’État espagnol est faible, il offre une fenêtre à des revendications de réformes qui sont parfois nécessaires, alors un ou plusieurs partis s’immiscent dans la brèche ouverte, pour pousser la logique particulariste. Le particularisme est la simple tendance d’un groupe social ou d’une communauté à conserver ses usages particuliers en s’opposant à la communauté plus large dont il fait partie. Naturelle pour maintenir ses spécificités, cette attitude n’implique pas de revendication d’autonomie politique à fin d’obtenir une indépendance. Elle se manifeste par un régionalisme qui, culturel, s’applique à maintenir des spécificités dans le cadre d’un état unitaire. Si ce dernier est faible, il est accusé d’œuvrer à la disparition des caractères propres au groupe visé, ce qui peut se dérouler par la tendance unitaire de l’entité étatique devenu plus qu’un sphère politique, une entité sociale et culturelle, unie par un vécu historique. Si l’État central cesse de jouer ce rôle moteur, la voie est laissée à des revendications plus grandes qui tendent à la logique centrifuge.

Notre étude porte sur les partis politiques de Catalogne depuis les débuts du XXe siècle à nos jours. Seuls les partis les plus importants sont décrits. À défaut de pouvoir être exhaustif, nous évoquons les partis existants en Catalogne, surtout lorsqu’ils n’existent pas dans le reste du pays. Ainsi, il s’agit de se pencher, non pas sur les partis catalanistes, mais sur les partis en Catalogne qui répondent à cette logique.

Par ailleurs, plusieurs raisons guident ce choix. Tout d’abord, il y a une difficulté à définir ce qui est un parti catalaniste dans ses objectifs, ses buts et son origine. Certains revendiquent plus d’autonomie, certains mettent en avant l’identité catalane comme étant supérieure à tout autre rattachement. Ce sont les indépendantistes. D’autres veulent la défense de l’identité catalane dans le meilleur ensemble celui qui assurera le plus leurs intérêts. Ce sont les fédéralistes ou partisans de l’autonomie. Enfin, certains veulent que soit prise en compte l’identité catalane comme élément d’appartenance à l’Espagne. Ce sont les régionalistes.

En outre, les différents mouvements dont nous évoquons l’existence connaissent les deux ou trois franges de ces courants et même naviguent entre plusieurs positionnements.

Enfin, le particularisme comme je l’appelle, est assez opportuniste. Il y a bien des façons de le désigner mais en l’espèce, l’indépendantisme n’est pas dans l’ADN du mouvement catalan, selon l’expression de Stéphane Michonneau enseignant à l’université de Lille trois et spécialiste de l’Espagne. On peut même soutenir qu’il n’y a pas de mouvement indépendantiste à proprement parler au tout début du XXe siècle, ou alors très marginal.

Notre période débute en effet au début de ce siècle mais déjà dans l’introduction nous devons rappeler combien le catalanisme en tant que mouvement culturel rappelant l’identité catalane, se développe à la fin du 19e. Il s’agit alors de mettre à l’honneur la langue et des éléments de culture propre au petit pays comme il en existe tant d’autres. D’ailleurs, ce mouvement suit la logique d’émergence des nations symbolisées par le printemps des peuples en 1848. Mais comme le souligne Guy Hermet, l’émergence ne se limite pas à cette date. Ce qu’il appelle la « fièvre des nationalités », commence dès 1815, car se trouve emprisonnée dans l’Europe des États et Empires de Metternich qui a subi la contagion nationale inoculée par les troupes françaises révolutionnaires puis napoléoniennes. Cependant, c’est souvent à la fin du XIXe siècle que des éléments de culture de langue, sont rassemblés comme le montre, en France, l’exemple du Bagzar Breizh de Bretagne. Pour la Catalogne la question est similaire, souligne Jean-Claude Caron, dans son ouvrage Des Nations au nationalisme (1815-1914). Par exemple, on y redécouvre l’environnement naturel dans des clubs d’alpinisme ; c’est ce que l’on appelle le mouvement « naturophile » On peut citer la chanson des faucheurs qui devient à la fin du XIXe siècle un hymne local.

Mais Le premier mouvement date bien du début du XXe siècle il s’agit de la Ligue régionaliste fondée en 1901 comme mouvement conservateur et monarchiste d’inspiration démocrate-chrétienne. La Lliga s’appuie sur le succès des candidatures de Torrès ou Domenech aux élections de 1901. Elle est formée de la réunion de deux structures qui fusionnent l’union régionaliste et le centre national catalan. Ce mouvement domine la vie politique catalane jusqu’à l’avènement de la république en 1931. Cependant, il est difficile d’en faire un mouvement indépendantiste, car son but n’est pas l’indépendance et il est traversé de courants contradictoires qui s’entrecroisent. Il en est de même dans toute la période. C’est pourquoi nous verrons les mouvements en Catalogne depuis le début du XXe siècle jusque la fin du de la guerre d’Espagne, puis nous verrons la période de 1939 à 1978 soit la fin du franquisme. Et nous verrons enfin la période de 1978 à nos jours.

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