LA RUSSIE ET L’OTAN

Général (cr) Henri PARIS

Président de DÉMOCRATIES

L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, l’OTAN, est issue du traité d’alliance ou pacte de l’Atlantique Nord, signé à Washington le 4 avril 1949. L’Otan n’a cessé de s’élargir. A l’origine, elle comptait 12 Etats fondateurs, pour 26, dont 21 européens, à son soixantième anniversaire.

La genèse du traité de Washington tient à la naissance de la guerre froide, oppo­sant les Occidentaux à l’URSS et à ses alliés. Ces alliés, qu’a regroupés l’URSS par des traités bilatéraux très contraignants, ont été chapeautés de plus par le pacte de Varsovie, rédigé, lui, sur le modèle du traité de Washington, donc nettement moins contraignant que les traités bilatéraux restés en vigueur jusqu’à la chute de l’Union soviétique.

En effet, l’article 5 du traité de Washington institue une assistance mutuelle des Etats-membres. Ainsi, les parties prenantes au traité se doivent d’intervenir au pro­fit de la partie attaquée, mais chaque partie a la liberté de faire jouer une réserve, car elle engage « aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord ». Il n’y a donc pas d’automaticité de l’en­gagement militaire, puisque la décision du mode d’action appartient exclusivement à chaque partie. En d’autres termes, d’une manière certes quelque peu caricaturale, une partie peut juger loisible de se limiter à une simple protestation, en cas d’at­taque de son alliée, voire à l’envoi de condoléances émues.

A ce point fondamental, s’en ajoute un autre, tout aussi déterminant, mais qui ne fait pas l’objet d’un quelconque article. De fait, l’Otan a été et est toujours dominée par l’hyperpuissance américaine qui y exerce sa prééminence, soit directement, soit par son influence. La plus haute autorité de l’Alliance, le Conseil de l’Atlantique Nord (CAN) fonctionne sur la base du consensus, de l’unanimité donc, ce qui signifie que chaque Etat-membre a un droit de veto. Mais il est hors de question de s’opposer à une mesure voulue expressément par les Etats-Unis. Tout au plus, est-il possible d’initier une négociation, dans le cadre implicitement fixé.

A la différence du pacte de Varsovie, l’Otan a survécu à la fin de la guerre froide et à la désagrégation de l’URSS, pour se renforcer tant intrinsèquement que par des élargissements successifs.

Jusqu’au tout début de 2009, du temps de la présidence de George Bush à la tête des Etats-Unis, pour donner un titre aux relations russo-américaines par l’entre­mise de l’ Otan, la tendance eut été d’utiliser le terme de Russie face à l’Otan, tant l’opposition était sans ambages, de même que d’aucuns spécifiaient qu’une paix froide avait succédé à la guerre froide. Cependant, l’arrivée au pouvoir de Barack Obama a introduit des nuances. Américains et Russes se rencontraient déjà dans des enceintes internationales où siégeaient aussi des membres de l’Otan ou même sous l’égide propre de l’Otan. De plus, en 2009, des pourparlers américano-russes au sommet sont prévus. La hache de guerre à demi déterrée est-elle en passe d’être à nouveau enfouie ? N’y aurait-il plus de face-à-face entre Russie et Otan ? Au profit d’un réel partenariat ? Voire d’une alliance ?

Avant de chercher une réponse à l’interrogation posée, il convient d’analyser la perception que se font les uns des autres, la Russie et les Etats-Unis avec l’Otan.

La vision russe des Etats-Unis et de l’OTAN

La Russie est par construction l’héritière de l’Union soviétique, ce qu’accepte le concert international et qu’elle a d’ailleurs revendiqué avec force, entre autres, son siège au Conseil de sécurité de l’ONU, tout en se démarquant désormais du communisme. Il n’y a rien d’étonnant à cela : les nations et les Etats ne surgissent pas du néant. L’Union soviétique, née de la Révolution d’octobre, avait commencé par rejeter son passé impérial. En juillet 1941, Staline, face à l’invasion allemande, le rappelait dans un discours célèbre, invoquant la Sainte Russie, ses généraux et ses saints. Vladimir Poutine devait qualifier de plus grande catastrophe du XXème siècle l’effondrement de l’Union soviétique. La France révolutionnaire puis impériale est peut-être la fille dégénérée de la Monarchie, aux dires des royalistes jusqu’à la fin du XIXème siècle, il y a bien un lien de filiation qui se prolonge jusqu’à la Vème répu­blique et qui n’a jamais été nié.

Il est donc normal que dans l’héritage soviétique, la nouvelle Russie ait trouvé plus que de la prévention et de la défiance à l’égard de l’Otan comme des Etats-Unis.

Pourtant, déjà durant la Perestroïka et davantage au cours des premières années de la présidence de Boris Eltsine, les Russes ont estimé définitivement clos le cha­pitre de l’antagonisme entre eux et les Occidentaux menés par les Etats-Unis. A leur tour, les Russes voulaient goûter au paradis de l’économie de marché tant vanté par les Occidentaux et tant décrié par les Soviétiques dont le régime conduisait le pays à la catastrophe économique. C’est ainsi qu’ils ont même admis, sans trop broncher, la sécession de 14 des 15 républiques composant la défunte URSS, à commencer par les Baltes. Ils espéraient toujours, avec une dose de naïveté indéniable, une aide occidentale, allant jusqu’à l’octroi d’une sorte de plan Marshall. Ils n’ont pas hésité à inviter des multitudes d’experts américains et européens, en étant tout prêts à recevoir des leçons de démocratie et d’économie de marché. S’estimant européens, repoussant tout concept de singularité ou de spécificité, résurgence tant de la lutte de tendance culturelle entre occidentalistes et slavophiles que de l’héritage marxiste, les Russes veulent s’incorporer dans le concert des nations européennes, plus préci­sément dans le système politique, économique et culturel de l’Europe occidentale. Ils veulent s’y intégrer et être intégrés et ne ménagent pas leurs efforts à cet effet.

Le désenchantement ne tardera pas.

En avant-scène, la survivance de l’Otan qui, non seulement ne désarme pas, mais se renforce politiquement par élargissement à leur détriment, leur apparaît comme le maintien d’un instrument de la guerre froide, perpétué par les Américains et les Européens. Or, cette guerre froide est terminée. La croisade anticommuniste est devenue sans objet, puisque le marxisme-léninisme étatique n’a plus la base géo­graphique que lui fournissait la Russie. Qui plus est, le pacte de Varsovie comme le Conseil d’aide économique mutuelle ou COMECON, ont été dissous tous les deux. Des deux blocs antagonistes de la guerre froide, l’un, celui de l’Est, a disparu.

La survivance de l’Otan, s’élargissant même à de nouveaux pays, démontre que la politique des blocs, menée par les Etats-Unis, est une constante. La croisade nominale des Occidentaux conduite par l’Otan, cachait un autre antagonisme : une campagne anti-russe. L’ennemi de l’Otan était le pacte de Varsovie, ce qui dissimulait un conflit latent avec la Russie. La preuve en est très vite apportée par l’appui implicite donné par les Occidentaux, Américains en tête, aux Japonais qui reprennent leurs revendications sur les Kouriles. Le démembrement de l’URSS, territorialement l’ancien empire tsariste, soit ! Celui de la Russie, de l’actuelle fé­dération russe ! Jamais ! Le problème se retrouve avec encore plus d’acuité dans le conflit tchétchène. Matériellement, les Américains, d’une part eux-mêmes, d’autre part indirectement en poussant les monarchies pétrolières arabes, soutiennent la sécession tchétchène. Des Européens, membres de l’Otan, comme les Français, s’ils n’apportent pas un support direct en armement et en fonds comme les Américains et les Arabes, n’en épaulent pas moins les sécessionnistes tchétchènes par un mou­vement intellectuel, voire par une campagne de propagande, en se refusant aussi à admettre que ces Tchétchènes se livrent au terrorisme. Les Américains n’abandon­neront leur soutien aux Tchétchènes et, faisant pression sur les pétro-monarchies pour qu’elles en fassent de même, qu’au lendemain immédiat des attentats du 11 septembre 2001. Alors, durant quelques mois, il y eut arrêt du contentieux russo-américain, comme d’ailleurs sino-américain pour les mêmes raisons : une croisade commune contre le terrorisme islamiste. Mais ce ne fut qu’une embellie.

La Russie est humiliée et amère, dès la perception de sa disparition de la scène internationale, ce qui intervient de plus en plus fortement en corollaire de son réta­blissement économique, donc principalement à partir de 2000.

La Russie se sent atteinte dans ses intérêts vitaux, presque dans son existence même. De 1999 à 2008, l’Otan intègre tous les Etats, anciennement alliés de l’URSS au sein du pacte de Varsovie, et même les trois républiques baltes, aupara­vant constitutives de l’URSS.

Les Russes accusent les Américains et l’Otan d’avoir fomenté des « révolutions de couleur » dans leur « étranger proche », la Communauté des Etats indépendants, la CEI, groupant 12 républiques anciennement constitutives de l’URSS. Il s’agit de la mise en œuvre par la CIA, actionnant des ONG, de divers troubles, précédant une élection présidentielle et amenant la défaite du candidat pro-russe. L’action est menée au nom de la démocratie. Moscou a riposté par l’organisation de sécessions et en s’en prenant aux ONG, soit en les interdisant, soit en les obligeant à déclarer la provenance de leurs fonds et en enquêtant. Ainsi, il y a réussite en Moldavie, puis en Géorgie et en Ukraine passée à des opposants pro-américains. En Asie, le processus engagé au Kirghizstan en 2005, réussira mais échouera au Kazakhstan et en Azerbaïdjan. La Russie renoue avec son complexe obsidional.

Un comble, aux yeux des Russes, lorsque les Géorgiens, en août 2008, enva­hissent l’Ossétie du sud qui, comme l’Abkhazie, a fait sécession, en tablant sur un rattachement ultérieur à la Russie. L’exemple est fourni par le précédent du Kosovo devenu indépendant, sous égide et administration des Occidentaux, mais soup­çonné de rechercher son adhésion à l’UE au travers d’une union avec l’Albanie qui a déjà posé sa candidature à l’entrée dans l’UE. Or, ce faisant, l’armée géorgienne, forgée, équipée et encadrée par les Américains, s’en prend aux milices ossètes pro­russes et même à des détachements russes. La contre-attaque russe pulvérise l’armée géorgienne et un cessez-le-feu péniblement négocié par les Européens empêche tout juste les Russes d’atteindre Tbilissi.

Le président de la Géorgie, Mikhail Saakachvili, formé aux Etats-Unis, arrivé au pouvoir grâce à la révolution « des roses » en janvier 2004 et réélu en janvier 2008, a pêché par outrecuidance et naïveté. Il s’est placé sous la protection des Américains déjà présents depuis 1993 et il a pensé, d’une part que ses troupes for­tement encadrées par les Américains avaient une valeur apte à défaire les Russes, d’autre part que l’aide américaine dissuaderait les Russes d’envoyer des renforts et de faire campagne contre les Américano-Géorgiens. La Géorgie représente un enjeu stratégique majeur pour Washington : elle est le carrefour d’une série d’oléoducs et de gazoducs acheminant pétrole et gaz d’Azerbaïdjan vers l’Occident, notamment grâce au BTC, le Bakou-Tbilissi-Ceyhan passant par la Géorgie et la Turquie. Mais c’est très exactement pour les mêmes raisons que Moscou considère aussi la Géorgie comme un enjeu majeur.

Les coopérants américains ont entraîné l’armée géorgienne selon leurs concepts, dépassant les conflits de haute intensité de la guerre froide pour adopter la stratégie et la tactique des conflits de basse intensité de la guérilla telle, qu’elle se déroulait en Afghanistan. Les Russes, pour l’occasion, ont utilisé leurs conceptions, héritées d’un conflit possible avec les Etats-Unis dans le cadre de tan lors de la guerre froide et ont adopté un dispositif et une organisation de leurs forces en conséquence. Cela explique la soudaineté de l’écrasante victoire russe.

Le médiatisme, mis en œuvre par les Occidentaux, dénonçant une dispropor­tion de la réaction russe, en occultant l’antériorité de l’attaque géorgienne, n’a été d’aucun effet sur l’opinion publique russe et pas beaucoup plus sur les opinions publiques européennes. Les Russes ont exulté de joie : leur armée était moins dé­sorganisée que le prétendaient les analystes américains et géorgiens. D’un commun accord, implicite, les parties en cause ne se sont pas étendues sur la quantité des pertes et ont passé sous silence qu’inévitablement des cadres américains étaient au nombre de ces pertes. Pour les Américains et les Géorgiens comme pour les Russes, il s’agissait de ne pas donner au conflit une signification qui puisse hypothéquer l’avenir. A Washington, cependant, l’intégration de la Géorgie dans l’Otan, telle qu’elle le demandait instamment, cessait d’être à l’ordre du jour. Une limite avait été atteinte quant à ce que les Russes étaient susceptibles de supporter sans avoir recours à la violence.

Autre circonstance favorable aux Russes et qu’ils soulignent : aux sécessions de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, dont Moscou a reconnu l’indépendance, s’ajoute la menace de celle d’Adjarie, province au sud-ouest de la Géorgie. Le démantèle­ment de la Géorgie devient une possibilité.

La même limite se manifestait à l’égard de la pressante demande d’adhésion à l’Otan de l’Ukraine. Moscou jugeait inacceptable l’éventualité. L’extension de l’Otan aux trois républiques baltes avait été supportée avec peine. Il n’était pas question d’aller au-delà. Washington avait saisi le signal de Moscou d’autant plus qu’un contentieux opposait les Ukrainiens et les Russes, tant sur le montant de la redevance payée pour le transit du gaz à travers l’Ukraine à destination de l’Europe occidentale que sur le prix du gaz et du pétrole livrés par la Russie à l’Ukraine. Moscou instaurait un prix se rapprochant progressivement de celui du marché. Les Ukrainiens arguaient de la pratique antérieure, refusant l’argumentation russe op­posant que cette pratique datait de l’époque où l’Ukraine faisait partie intégrante de l’Union soviétique. La situation était encore plus embrouillée en 2008 et en 2009 par la mésentente flagrante entre le président ukrainien , Viktor Iouchtchenko, et sa turbulente partenaire, Ioulia Timochenko, pourtant tous deux artisans de la révolution « orange » fin 2004.

Les Russes cessent leur livraison d’énergie à l’Ukraine, entre autres, en jan­vier 2009, puis étendent l’arrêt des livraisons à l’ensemble européen, accusant les Ukrainiens de siphonner du gaz et du pétrole destiné aux Européens. L’UE cherche un arrangement.

Les Etats-Unis ne veulent pas se mêler de l’imbroglio. L’adhésion de l’Ukraine à l’Otan n’est plus d’actualité.

Moscou, alertant son opinion publique et celle de la planète, tient violemment grief à Washington et par la suite à l’Otan, de la mise en place d’un bouclier straté­gique anti-missiles. Washington arrivant à la phase finale de ses expérimentations théoriques, avait dénoncé le traité bilatéral ABM de 1972, interdisant le déploie­ment de tout système ABM, à l’exception d’un site pour chacune des deux par­ties, mais pas les recherches. Or, les Américains ont conclu avec les Polonais et les Tchèques un accord autorisant l’implantation de sites ABM sur leurs territoires.

L’Otan rétorque que le bouclier antimissile ne regarde que les Américains. Washington fait valoir que ce bouclier anti-missiles est dirigé contre les frappes possibles, surtout en prospective, des Etats « voyous », des rogue states, que sont la Corée du Nord et l’Iran, non contre la Russie et la Chine.

Les Russes ont beau jeu de taxer les instances otaniennes d’hypocrisie : la pré­dominance américaine sur l’Otan est de notoriété publique, le Comité des plans nucléaires de l’Otan tient évidemment compte de la mise en place du bouclier anti­missiles qu’il approuve implicitement.

Quant au fond, les Russes argumentent sur le fait que la paix repose sur une dissuasion nucléaire réciproque. C’était la conclusion et le préambule du traité ABM de 1972. Certes, le bouclier peut ou pourra réduire à néant une frappe inter­continentale nord-coréenne ou iranienne, éventuellement chinoise, mais pas russe. Néanmoins, son action pourra l’affaiblir, ce qui amoindrirait la deuxième frappe russe, celle de riposte, à la première américaine, ayant pris pour cible les sites russes de lancement. Alors, à l’abri du bouclier anti-missiles, les Américains disposeraient encore d’une capacité dévastatrice de troisième frappe.

L’équilibre nucléaire est ainsi rompu, donnant une prime à l’agression. La seule solution pour les Russes est de se doter d’une capacité nucléaire offensive apte à saturer les défenses adverses ou de mener à bonnes fins les recherches anti-missiles poursuivies activement jusqu’à la Perestroïka, notamment en utilisant le domaine spatial, dans le but de se doter eux aussi d’un bouclier stratégique anti-missiles.

Dans l’un et l’autre cas, il y a reprise d’une course aux armements nucléaires qui ne peut que gangrener l’ensemble de la planète.

La faillite de l’apport occidental des réformes engendre une déception énorme. La déception russe s’étend à la démocratie parlementaire et au libéralisme écono­mique tant prônés par les Occidentaux. Les noms de Gaïdar et de Tchoubaïs, col­laborateurs d’Eltsine et défenseurs d’une réforme néo-capitaliste sont honnis, tout comme celui de Gorbatchev, fossoyeur de l’Union soviétique sans aucun bénéfice. Ce n’est pas pour autant que les Russes veulent revenir au totalitarisme et à un régime policier. La crise financière américaine, devenue sociale et politique, conta­minant l’univers, alimente l’amertume russe et le rejet du système occidental.

La vision que se font de la Russie, l’Otan, les Américains et les Européens

La vision, que se font Washington et à sa suite l’Otan, de la Russie, ne diffère guère des rubriques concernant celle que les Russes ont des Etats-Unis et de l’Otan. A une exception de taille : c’est très exactement l’inverse, voire l’inverse absolu.

Margaret Thatcher, Premier ministre britannique de 1979 à 1990, suivie par bon nombre de dirigeants et d’intellectuels occidentaux, portait aux nues Mikhaïl Gorbatchev, dernier secrétaire général du PCUS et dernier président de l’URSS. Il était loué au-delà de toute mesure pour avoir conçu et organisé la sortie de l’Union soviétique hors du système communiste, comme pour avoir dissout le pacte de Varsovie, et d’avoir mis fin à la guerre froide. Il a reçu le prix Nobel de la paix en 1990 et fut invité à tenir des conférences, entre autres, dans les plus prestigieuses universités américaines, même après sa chute qui n’entamera pas sa popularité au­près des Occidentaux. Pour prix de sa démission et grâce aussi à des subventions étrangères, Mikhaïl Gorbatchev avait pu créer une fondation à Moscou, spécialisée dans la recherche en géopolitique. Il fut un temps où un dirigeant politique occiden­tal ou un universitaire de renom, toujours occidental, chargé d’un cours de sciences politiques, en visite à Moscou, estimait obligatoire un détour par la Fondation Mikhaïl Gorbatchev. C’est encore valable en 2009, mais dans une moindre mesure. Toute notoriété s’effrite inévitablement.

Au plan intérieur russe, le nom de Gorbatchev ne recueille que de l’indifférence, voire une franche hostilité. Il est accusé de mollesse, d’avoir entrepris des réformes sans réflexion, hâtives et intempestives. Apostrophé publiquement au Soviet su­prême et violemment critiqué par Boris Eltsine au lendemain du putsch raté d’août 1991, accusé d’un manque d’esprit de décision, Mikhaïl Gorbatchev avait perdu sa crédibilité. Effectivement, durant le putsch, il avait fait preuve d’atermoiements, ce qui transparaît dans ses Mémoires.

C’est ainsi que leur traduction en anglais, puis en français, laisse place à une manipulation faisant disparaître un message de soutien du président François Mitterrand, lors de sa détention par les putschistes en Crimée.

Ce n’est pas la seule anomalie de ce putsch, dans lequel l’armée à Moscou joue un rôle bizarre et se prête à la spectaculaire montée de la popularité de Boris Eltsine.

Les télévisions mondiales ont retransmis une scène stupéfiante où l’on voit Boris Eltsine escaladant un véhicule blindé et extrayant un soldat de la tourelle, sans au­cune réaction. Ensuite, l’armée a regagné ses casernements. Les opinions publiques internationales ont applaudi. Et personne à l’époque de remarquer que les bouches des canons étaient fermées par les tapes réglementaires et que, par conséquent, les militaires étaient dans l’incapacité d’ouvrir le feu, même par inadvertance.

Les cercles dirigeants occidentaux, politiques et intellectuels, de même que les opinions publiques et donc les Américains et l’Otan, reportent assez curieusement sur son successeur, Boris Eltsine, le capital de sympathie amassé sur la personne de Mikhaïl Gorbatchev. Ils lui accordent sans barguigner un brevet de démocra­tie. Peut-être parce qu’est conservée, dans la mémoire collective, l’image télévisée d’Eltsine anti-putschiste de 1991 agrippant un soldat. Ils passent outre à l’abyssal délitement de l’Etat qu’a cautionné Boris Eltsine, cause d’une profonde crise éco­nomique doublée d’une inflation gigantesque et durable, ainsi qu’à l’extravagance du personnage sombrant dans une ivrognerie permanente. Egalement, l’attaque au canon du Parlement, ordonnée par Boris Eltsine, en 1993, rend assez discutable la réputation de démocrate que les Occidentaux persistent à lui accorder.

Les Russes voulant restaurer un Etat fort, gage d’une bonne économie, ont plébiscité Vladimir Poutine, en qui les Occidentaux voient presque un dictateur, s’inscrivant dans la lignée de Staline et de Brejnev. A la fin de ses deux mandats présidentiels, en 2008, Vladimir Poutine est soupçonné de garder l’intégralité du pouvoir en hissant à sa place un prête-nom, Dmitri Medvedev, et en se nommant lui-même Premier ministre, le temps de respecter la lettre de la Constitution qui interdit plus de deux mandats présidentiels consécutifs.

Ainsi, en ce qui concerne les trois premiers présidents de la Nouvelle Russie, Gorbatchev, Eltsine et Poutine, la perception que se font d’eux les Occidentaux et l’Otan est-elle totalement à l’inverse de celle des Russes.

L’Otan se targue d’avoir gagné la guerre froide, ne serait-ce qu’en conduisant une course aux armements exprimée, entre autres, par la guerre des étoiles, que l’URSS a été incapable de soutenir. C’est ainsi que la ruine de l’URSS est due à son économie défaillante.

La vision des Russes est différente. Pour eux, la désagrégation de l’URSS a été causée par la lutte, au sein du Comité central du PCUS et du Politburo, des conser­vateurs et des réformistes, comme par le duel entre Gorbatchev et Eltsine.

Très vite, l’Otan répercute sur la Russie l’hostilité qu’elle nourrissait à l’égard de l’URSS. Passant outre à son abandon du marxisme-léninisme et à ses procla­mations pacifiques, l’Otan continue à considérer la Russie comme une ennemie potentielle. Il ne saurait donc être question d’accéder aux désirs russes d’adhérer à l’Otan. N’a-t-elle pas bâti des coalitions politico-militaires susceptibles de s’opposer aux Occidentaux, comme le Groupe de Shanghaï, réunissant en 2001, la Russie, la Chine, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan dans une or­ganisation commune ? Les prodromes de cette organisation se retrouvent d’ailleurs en avril 1996 dans la déclaration conjointe de Boris Eltsine et de Jiang Zemin en­térinant à Pékin un partenariat stratégique avec le Kazakhstan, le Kirghizstan et le Tadjikistan. Des manœuvres militaires appuyaient l’organisation. Allant plus loin, dépassant les soubassements inefficaces du pacte de sécurité collective de la CEI, la Russie fonde, le 25 mai 2001, une Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) sur la base du traité signé le même jour. En 2009, l’OTSC comprend 7 membres, la Russie, la Biélorussie, l’Arménie, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan . Après le second sommet en 2002, l’OTSC s’arme d’une structure militaire avec un commandement intégré et trois commandements régionaux. Le sommet de février 2009, en réaction à la guerre de Géorgie de 2008, conduit à la mise sur pied d’une force de réaction rapide par contribution de tous les Etats-membres. Lors du même sommet, le Kirghizstan, oubliant sa révolution de couleur, a annoncé sa volonté de faire évacuer aux Américains la base de Manas pour y implanter des éléments de l’OTSC. L’OTSC se pose ainsi ouvertement en rivale de l’Otan, ce qu’elle ne cache absolument pas.

Très naturellement, l’Otan taxe d’hypocrisie la Russie qui avait proposé son adhésion pleine et entière à l’Alliance atlantique.

Autre sujet d’irritation et non des moindres : la Russie tente de bloquer l’élar­gissement de l’Otan.

Ces essais russes de blocage de l’extension territoriale de l’Otan provoquent une levée de boucliers parmi certains de ses Etats-membres. Au premier rang de ces der­niers, se trouvent la Pologne et la « Nouvelle Europe », selon l’expression de Donald Rumsfeld. S’opposer à l’extension de l’Otan, c’est empêcher le développement de la démocratie, avancent-ils. La « Vieille Europe » est plus circonspecte. L’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie, dont il était fortement question, n’est plus à l’ordre du jour au lendemain de la guerre de Géorgie en 2008. La Russie a révélé qu’elle est in­contournable dans l’arène internationale. L’administration Obama l’a pris en compte.

 

Par ailleurs, l’engouement des Occidentaux pour les réformes russes passe assez rapidement. En effet, les bons conseils des Occidentaux, notamment des Américains, restent sans résultats tangibles : l’économie russe s’enfonce dans le ma­rasme tandis que se désagrège l’ancienne Union soviétique. L’effondrement de la production et du niveau de vie, par rapport à l’ère soviétique, est fantastique.

Les Occidentaux en rendent responsables les Russes, imbibés de marxisme-lé­ninisme et, de surcroît, incapables d’adopter la démocratie parlementaire. L’Otan emboîte le pas.

L’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, redressant l’Etat et profitant de la hausse du cours du pétrole et du gaz, permet une envolée économique. L’Otan le reconnaît, mais constate qu’à l’automne 2008, la Russie est également gagnée par la crise économique qui, partie des Etats-Unis sous une forme financière, a empoi­sonné le monde en se transformant en crise économique mondiale.

L’administration Obama esquisse un dialogue. La secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, Hilary Clinton, rencontre à Genève en mars 2009, le ministre des Affaires étrangères russe, Serguei Lavrov, tandis qu’un envoyé américain, Patrick Moon, est convié à Moscou comme auditeur d’une rencontre du Groupe de Shanghaï. Lors de la réunion du G20 à Londres, le 1er avril 2009, le président Obama a un entretien avec son homologue russe, mais assez bref et sur une reprise de négociations concer­nant le désarmement nucléaire. Est évoqué, cependant, le principe d’une visite du président américain à Moscou.En contrepoids, toujours en avril 2009, le président Obama, à Strasbourg, puis à Prague, réitère avec force son attachement à l’Otan.

 

Les liens institutionnels entre la Russie et l’Otan

L’OTAN, en se refusant à toute liaison avec les organisations des traités que les Russes avaient mises sur pied – ce qui n’est jamais qu’un motif de mésentente supplémentaire – n’a de liens avec la Russie que ceux tissés directement entre les deux protagonistes.

L’Otan est un monstre hybride, non seulement par ses comités et commissions que par l’ensemble de ses organisations annexes et ses commandements subordon­nés, essaimés sur le pourtour de l’Atlantique.

L’aire occupée par les superstructures de l’Otan, ne serait-ce qu’à Bruxelles et à Mons en Belgique, est d’une étendue impressionnante, vue d’avion. De telles surfaces font de ces infrastructures des cibles d’une vulnérabilité extrême, indéfen­dables en pratique, tant à l’encontre d’une attaque conventionnelle par missiles que terroriste. Curieux pour une organisation à but militaire affiché !

Si l’article 5 du traité est très clair sur les modalités d’un engagement militaire, la zone d’application du traité fait l’objet d’une délimitation qui ne permet pas une interprétation infinie.

L’article 6 est très explicite sur la zone d’application du traité. Il s’agit « de la région de l’Atlantique Nord, au Nord du tropique du Cancer ». Une attaque terroriste comme celle du 11 septembre 2001 contre les Etats-Unis, portant sur New York et le Pentagone à Washington, est bien comprise dans les limites géographiques du traité. En revanche, une intervention militaire au Kosovo ou en Afghanistan est plus discutable. Dans ces conditions, une adhésion ou même un partenariat de la Russie est contraire, tant à la lettre qu’à l’esprit qui ont présidé à la rédaction du traité de 1949. En effet, une agression éventuelle à l’encontre de la Russie ne peut se produire dans la région de l’Atlantique Nord, au nord du tropique du Cancer, quelle que soit la sollicitation à laquelle serait soumis le texte. L’article 6, quant à la Russie, n’a de valeur que si la Russie se livre à une agression contre un Etat cité dans la région prescrite, ce qui est invraisemblable à un horizon prévisible et même à vingt-cinq ans. Il y a là donc un non-sens géographique absolu. Mais le même non-sens s’applique par exemple à l’Estonie ou à la Pologne qui, pas plus que la Russie, ne sont situées dans la région de l’Atlantique Nord, loin s’en faut. La Turquie, vieux membre de l’Alliance atlantique offre-t-elle un précédent ? Certes, mais l’argument était qu’en cas d’attaque russe à l’encontre de l’Europe occidentale, le conflit embraserait le monde et l’URSS s’en prendrait à sa frontière sud. Cet argument n’a pas de valeur en cas d’agression partielle provoquée ou non contre un Etat de l’Europe de l’Est. Un autre argument présente plus de justesse. Durant la guerre froide, la Turquie avait permis aux Etats-Unis l’implantation de sites de lancement de missiles stratégiques à moyenne portée, dirigés contre l’URSS et ses alliés, en bordure de la mer Noire. Le démantèlement de ces sites fut acquis lors du bargaining mettant fin à la crise des fusées de Cuba en 1962. Le cas de la Turquie rehausse le fait que l’Otan était un instrument de la guerre froide.

Comment expliquer la contradiction ou l’ambiguïté autrement que par la né­cessité de remettre à jour le texte du traité de l’Atlantique Nord ? Certes, mais alors, c’est ouvrir la boîte de Pandore.

La rédaction d’un nouveau texte du traité implique une modification des concepts. Comment négocier utilement à 27 en 2009 ? Alors que plusieurs Etats ont des intérêts différents, voire opposés ? Le premier diable à surgir de la boîte est celui du pilier européen de la Défense, formulé très expressément par la réunion ministérielle à Berlin, le 3 juin 1996 sous la forme d’une reconnaissance explicite d’une identité de défense européenne au sein de l’Alliance. Quelques réalisations ont concrètement été effectuées : un corps européen, des états-majors opérationnels au plan stratégique et tactique… au grand dam des Américains qui n’acceptent pas une quelconque concurrence ou un quelconque partage des pouvoirs dans la conduite suprême de l’Alliance. Ils sont relayés en cela par plusieurs Etats européens. Or, c’est bien ce qui se produirait, pour peu qu’un président de la République française s’ins­crive dans la lignée gaullienne ou mitterrandienne avec une alliance privilégiée fran­co-allemande. Resurgirait alors le fantôme attractif du traité de Bruxelles de 1948, repris en 1954, fondant l’Union de l’Europe occidentale, l’UEO, dont l’article 5 stipule l’automaticité de l’engagement militaire, à la différence de son homologue du traité de l’Atlantique Nord.

L’organe suprême de l’Alliance atlantique est le Conseil de l’Atlantique Nord, le CAN, implanté à Bruxelles et réunissant les dirigeants de chaque Etat-membre ou leurs délégués à un échelon ministériel au moins. Le CAN n’est pas une formation permanente. Les contributions au fonctionnement de l’Otan étant aléatoires, est né le projet d’un comité des contributeurs.

Aux côtés du CAN, se trouve le secrétariat de l’Otan avec ses multiples ramifi­cations.

Le volet militaire stratégique suprême est représenté par le Comité militaire de l’Otan qui chapeaute, en liaison avec le CAN, deux commandements stratégiques : SACEUR, Supreme Allied Command in Europe et son homologue SACLANTpour l’Atlantique.

A ce niveau peut être rattaché un organisme dédié à la transformation des forces et des concepts et spécialisé donc dans la prospective des forces et des concepts stratégiques. Cet Allied Command Transformation, ACT, basé à Norfolk, aux Etats-Unis, comme SACLANT, n’a pas vocation à exercer un commandement direct.

 

Il se présente en doublon d’Instituts de prospective renommés comme la Rand Corporation ou d’universités réputées comme Harvard ou Princeton, ce qui déter­mine son importance et son influence.

Le SACEUR est implanté au Supreme Headquarters Allied Powers Europe, le SHAPE, situé à Mons en Belgique. Lui sont subordonnés trois commandements régionaux embrassant autant de théâtres d’opérations établis à Brunsum aux Pays-Bas, à Naples en Italie et à Lisbonne au Portugal. Lisbonne est prévu aussi pour être le siège du commandement de la Force de réaction rapide de l’Otan.

Tous ces commandements sont intégrés et composés de militaires relevant de tous les Etats-membres. Cependant, le SACEUR est nommé par le président des Etats-Unis et confirmé par le Sénat américain puis approuvé par le CAN. Le SACEUR est aussi chargé du commandement des forces américaines en Europe. Il est toujours américain et il est hors de question que l’un des Etats-membres exerce son droit de veto au CAN au sujet de cette nomination. Au titre de l’Otan, il est responsable du commandement général des opérations militaires et requiert la contribution des forces des Etats-membres, selon les directives du CAN, analysées et transmises par le Comité militaire.

C’est selon ce schéma qu’a fonctionné l’Otan jusqu’en 1991 et qu’elle fonc­tionne toujours en 2009, non sans quelques ajouts depuis 1991, en conséquence de la modification du paysage stratégique due à la chute de l’URSS. Les ajouts concernent l’organisation du traité et non sa teneur.

Les pays d’Europe centrale et orientale, les Peco, anciens membres du pacte de Varsovie, comme la Pologne et les républiques tchèque et slovaque et les répu­bliques anciennement constitutives de l’URSS, tels les pays baltes, avaient et ont deux rêves : recevoir la protection de l’Otan pour juguler leur crainte d’un néo-im­périalisme russe et se voir ouvrir les portes de l’UE pour participer à sa prospérité supposée.

Parallèlement, la Russie, fidèle à la permanence de sa politique visant l’instau­ration par traité d’une organisation de sécurité et de coopération groupant tous les Etats européens, souhaite s’intégrer à l’Otan, reprenant d’ailleurs sous un autre angle une demande déjà formulée par l’URSS, lors du déclenchement de la guerre froide.

 

La question examinée au sommet du CAN de Rome, en novembre 1991, a donné lieu à la création du Conseil de coopération nord-atlantique, COCONA, le 20 décembre 1991, rassemblant les membres de l’Otan et les Peco. Un organisme de plus !

Cependant, le COCONA s’avère une coquille vide. De surcroît, Washington songe à une extension de l’Otan et instruit par l’expérience des troubles dans les Balkans, vise à faire participer les Peco aux opérations du maintien de la paix. En outre, Washington affinant sa stratégie pense à fédérer politiquement l’ensemble européen par l’entremise de l’Otan en lui faisant dépasser des objectifs purement militaires qui ne sont d’ailleurs plus de mise avec la fin de la guerre froide. C’est ain­si qu’au sommet du CAN de Bruxelles en janvier 1994, les Etats-Unis préconisent de superposer au COCONA une organisation plus opérationnelle, le « Partenariat pour la paix », puis de remplacer le COCONA par cette organisation. La proposi­tion s’adresse aussi bien aux Peco qu’aux autres pays membres de la CSCE, née du traité d’Helsinki de 1975. Le programme est conçu, entre autres, pour que les pays adhérents puissent restructurer leurs forces armées selon les normes Otan et s’ouvrir à une large coopération. En 1997, allant plus loin dans leur démarche, les Etats-Unis amènent la création d’un Conseil de partenariat euro-atlantique (CPEA) tandis que se poursuit l’élargissement de l’Otan. Le COCONA, déjà en veilleuse depuis plusieurs années, disparaît totalement.

Toujours sur la même voie et pour répondre à la guerre au terrorisme déclarée au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, un renforcement est apporté au CPEA, lors du sommet de Prague, en novembre 2002 par le lancement du Plan d’action contre le terrorisme et du Plan d’action individuel pour le partenariat (IPAP). Ainsi, les pays adhérents entrent dans une organisation plus structurée aux côtés de

l’Otan.

En 2004, la Géorgie est le premier pays à contracter un IPAP avec l’Otan et il lui est proposé un dialogue particulier visant son adhésion à l’Otan. La Géorgie est suivie par l’Azerbaïdjan, puis par l’Arménie, la Moldavie, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro et la Serbie en 2005 et en 2006 pour atteindre 24 pays partenaires au total en 2009.

La Russie et l’Ukraine ont été invitées dès 1991 à adhérer au COCONA puis en 1993 et en 1994 au « Partenariat pour la Paix ». La Russie ne peut admettre de ne pas être reconnue comme le primus inter pares entre les partenaires des Etats-Unis,

 

au sein de l’Otan et encore plus de la Communauté des Etats indépendants, la CEI, son « étranger proche » composée des républiques ex-soviétiques. Pour répondre à cette attente, l’Otan crée une relation spéciale, le 27 mai 1997 , sous forme d’un acte fondant un « Conseil conjoint permanent Otan-Russie », transformé en un Conseil toujours permanent et bilatéral, Otan-Russie (COR) mais encore plus structuré. Il s’agit d’établir la coopération anti-terroriste dans tous les domaines.

Cependant, la sphère du partenariat et de l’action du COR sont minimisées par l’établissement des mêmes liens bilatéraux avec l’Ukraine par la fondation d’un Conseil Otan-Ukraine. En 2005, un dialogue intensifié est initié en vue d’étudier l’intégration à part entière de l’Ukraine dans l’Otan, à l’image de la Géorgie.

Les Russes se sentent floués. L’Otan ne les reconnaît pas comme un primus in­ter pares. Le COR n’est jamais qu’un volet visant à établir l’hégémonie américaine à travers diverses organisations. Moscou en veut pour preuve, le lancement d’un Dialogue méditerranéen composé outre l’Otan, de l’Egypte, d’Israël, de la Jordanie, de la Mauritanie, du Maroc, de la Tunisie et de l’Algérie. Les pays du Dialogue coo­pèrent concrètement avec l’Otan dans le cadre de plusieurs comités et commissions et initient une opération navale, Active Endeavour.

Très proche du Dialogue méditerranéen et dans le cadre éphémère de leur concept de « Grand Moyen-Orient » visant l’adoption d’une démocratie parlementaire par des pays du Maghreb, du Proche et du Moyen-Orient qui leur seront alors alliés, Washington pousse l’Otan à organiser une Initiative de coopération d’Istanbul, en 2004. Le but est de favoriser une coopération avec les pays du Conseil de coopération du Golfe. En fin de processus, en 2009, les pays intéressés sont le Koweït, Bahreïn, le Qatar, l’Arabie saoudite, Oman et les Emrirats arabes unis. C’est ce qui restera du concept de « Grand Moyen-Orient ».

L’ensemble de ce système est bien loin des limites géographiques fixées par le traité de l’Alliance signé à Washington en 1949.

La Russie ne peut supporter d’être réduite à un pion dans une arène internatio­nale régie par les Etats-Unis.

En 2008, elle a recouvré une puissance étatique et connaît un essor économique favorisé par ses exportations d’énergies. Vladimir Poutine a renforcé ses efforts afin de restaurer l’excellence qu’avait eue l’URSS dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique et de soumettre l’oligarchie financière. La

 

Russie a aussi réorganisé ses forces armées et rétabli plus ou moins bien sa souverai­neté sur la Tchétchénie. Ainsi s’explique la vigueur de sa réaction lors de la guerre de Géorgie en 2008. S’explique de la même manière qu’elle décide de suspendre à nouveau ses exportations de gaz à travers l’Ukraine en janvier 2009. Parallèlement, elle poursuit le projet d’un gazoduc doublé d’un oléoduc à travers la Baltique, le Nordstream, afin d’éviter d’être contrainte de dépendre des pays jugés hostiles et instables que sont la Pologne et l’Ukraine, dans ses exportations à destination de l’Europe occidentale.

La crise économique la touche à son tour en 2009, mais tout autant que les autres pays occidentaux et asiatiques. De plus, l’origine de la crise se situe aux Etats-Unis, dans le temple de la finance du capitalisme libéral, Wall Street. La Russie n’a donc pas de leçon à recevoir des Occidentaux.

La Russie ne peut plus accepter d’être traitée comme une puissance de second ordre. Elle se veut une superpuissance. Elle l’était, elle estime l’être redevenue, ne serait-ce qu’au titre de sa force nucléaire.

L’Otan, d’organisation militaire chargée de s’opposer à une agression soviétique en Europe occidentale, est passée à une structure à compétence universelle. Ce but a été poursuivi par une extension du nombre des Etat-membres comme par l’établis­sement de partenariats nombreux. Volonté politique déjà ancienne, l’Otan cherche une expansion de son partenariat à l’Asie, notamment au Japon et à la Corée du Sud et à l’Australie. Ce fut l’objectif affiché par la réunion du CAN au niveau des ministres des Affaires étrangères à Sofia, en Bulgarie, les 27 et 28 avril 2006.

Dans cette course à l’extension territoriale, l’Otan ne se contente pas de mépri­ser les délimitations géographiques de la région d’application déterminé par l’article 6, elle passe outre au caractère démocratique qu’exige des parties prenantes au traité son article 10. En effet, seul un examen superficiel et rapide permet de délivrer un brevet de démocratie indiscutable à certains pays nouvellement adhérents. Quant aux partenaires déclarés, même cet examen superficiel et rapide ne suffit pas : qu’il s’agisse de certaines républiques asiatiques ou des adhérents au Dialogue méditer­ranée, comme à celui d’Istanbul. Très précisément, ce sont ces pays que le concept américain de « Grand Moyen-Orient » prétendait démocratiser, ce qui semble bien prouver qu’ils témoignent d’un déficit de démocratie !

L’extension concerne également le domaine de compétence de l’Otan qui, prio­ritairement militaire à l’origine, tend à devenir de plus en plus politique.

La prédominance américaine évolue vers une accentuation de plus en plus pro­noncée. L’extension territoriale est son œuvre. Les Etats-Unis pourraient s’attribuer la vieille devise des Habsbourg : AEIOU, Austriae est imperare orbi universo, « il appartient à l’Autriche de gouverner le monde ». Le sigle, facile à mémoriser en énumérant les voyelles de l’alphabet latin, deviendrait : Americae est imperare orbi universo !

L’hyperpuissance américaine ne supporte aucune concurrence, pas plus celle de la Russie que de l’Union européenne.

Washington est aussi prudent. L’administration Bush, en août 2008, a compris le signal qu’a donné la déroute géorgienne : jusque là certes, mais pas au-delà ! Aussi s’est-elle bien gardée d’intervenir directement, aussi bien dans le déroulement du conflit que dans la négociation y mettant fin, d’autant plus que le gouvernement pro-américain de Michaïl Saakachvili est en proie à une violente opposition inté­rieure. L’UE, présidée par la France, s’est empressée de conduire la négociation. Les Etats-Unis ont observé la même prudence lors du conflit gazier opposant l’Ukraine à la Russie, laissant œuvrer les Européens. Toujours la même prudence a été de ri­gueur lors de la contestation des élections moldaves mettant aux prises la Roumanie et la Moldavie.

Pour faire bonne mesure, après avoir rompu ses relations avec la Russie à la suite de sa guerre contre la Géorgie d’août 2008, l’Otan décide d’une réunion du COR, le 29 avril 2009. Las ! Le réchauffement aura été de courte durée. Le sommet de l’Otan des 3 et 4 avril invite la Russie à renoncer à reconnaître l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud. Une touche de taille de plus est portée avec l’an­nonce de manœuvres de l’Otan en Géorgie du 6 mai au 19 juin 2009. Les Russes protestent. L’Otan maintient. Les Russes renforcent leur dispositif militaire. Est-ce une manifestation de la politique du nouveau président des Etats-Unis ou sa main a-t-elle été forcée par les conservateurs ?

Les Etats-Unis, entraînant l’Otan, restent fidèles à leurs stéréotypes. La Russie est perçue comme hostile, quel que soit son régime. Elle est jugée vaincue comme l’avait analysé Francis Fukuyama, dans sa conférence The end of history ? prononcée à l’Université de Chicago en 1989 et reprise dans son ouvrage « La fin de l’Histoire et le dernier homme », paru en 1992, mais alors, sans nuance interrogative. Dans ces conditions, il est inutile et même contre-indiqué de réserver à la Russie un traite­ment différent de celui accordé à l’Ukraine. Il y a un Conseil Otan-Russie comme il y a un Conseil Otan-Ukraine. C’est oublier que la Russie est la première à avoir mis sur orbite son satellite Spoutnik, le 4 octobre 1957, qu’elle est une superpuissance nucléaire et membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU.

Les Etats-Unis se refusent à admettre que la Russie se pense une puissance mon­diale et qu’elle l’est. Les Américains, en cela, méconnaissent les leçons de l’Histoire. En 1919, les Français, vainqueurs, ont imposé aux Allemands le traité de Versailles, perpétuant ainsi un duel suicidaire. Il a fallu attendre 1963 pour trouver le chemin de la réconciliation. Face à la menace de la guerre froide, les Etats-Unis ont hissé au rang d’alliés leurs ennemis vaincus allemands et japonais. Que n’adoptent-ils pas la même attitude en proposant à la Russie d’intégrer un traité et une organisation, préposée au maintien de la paix, et de la considérer en partenaire égal ?

Les Américains, très sincèrement, sont persuadés que leur système socio-poli­tique, leur american way of life est le meilleur. Ils ne comprennent pas qu’il ne soit pas adopté, entre autres, par les Russes.

Ils ne se rendent pas compte que la démocratie parlementaire, tirant à sa suite l’économie de marché dans son libéralisme le plus achevé, a besoin d’un cadre institutionnel juridique, social, historique et culturel que la Russie ne possède pas. L’administration russe du haut en bas de l’échelle est corrompue. Certes ! Mais que penser de l’escroquerie de quelque 50 milliards de dollars, perpétrée par le financier américain Madov et découverte seulement fin 2008, tandis qu’elle avait fonctionné des années durant à l’insu, peut-être, de la SEC, Security Exchange Commission, régulateur boursier et de l’autorité américaine de surveillance financière ? Que pen­ser de la révélation faite par les médias que le siège de gouverneur, laissé vacant par l’élection de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis, était offert au plus offrant en 2009 ? L’administration russe est corrompue. Certes ! Mais elle n’est pas la seule !

On reproche à la Russie ses oligarques. Certes et on a bien raison ! Mais que penser du système des stock-options, des parachutes dorés, des rémunérations fara­mineuses de certains chefs d’entreprises occidentaux, rémunérations jugées scanda­leuses, que d’aucuns voudraient légalement limiter ?

Américains et Russes sont pétris de religiosité, mais elle est différente. Celle des Américains tire son origine de l’austère puritanisme des quakers et des évangélistes. Celle des Russes de la magnificence de l’orthodoxie.

 

La Russie est européenne. Son extension en Asie, que ce soit en Sibérie ou jusqu’en 1991 en Asie centrale, n’est jamais que l’exportation de son modèle. Il faut bien admettre que ce modèle est propre, tout en étant européen, mais différent de celui des Etats-Unis et de l’Europe occidentale. Rejeter la Russie hors du monde européen est une erreur.

 

L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, l’OTAN, est issue du traité d’alliance ou pacte de l’Atlantique Nord, signé à Washington le 4 avril 1949. L’Otan n’a cessé de s’élargir. A l’origine, elle comptait 12 Etats fondateurs, pour 26, dont 21 européens, à son soixantième anniversaire.

La genèse du traité de Washington tient à la naissance de la guerre froide, oppo­sant les Occidentaux à l’URSS et à ses alliés. Ces alliés, qu’a regroupés l’URSS par des traités bilatéraux très contraignants, ont été chapeautés de plus par le pacte de Varsovie, rédigé, lui, sur le modèle du traité de Washington, donc nettement moins contraignant que les traités bilatéraux restés en vigueur jusqu’à la chute de l’Union soviétique.

En effet, l’article 5 du traité de Washington institue une assistance mutuelle des Etats-membres. Ainsi, les parties prenantes au traité se doivent d’intervenir au pro­fit de la partie attaquée, mais chaque partie a la liberté de faire jouer une réserve, car elle engage « aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord ». Il n’y a donc pas d’automaticité de l’en­gagement militaire, puisque la décision du mode d’action appartient exclusivement à chaque partie. En d’autres termes, d’une manière certes quelque peu caricaturale, une partie peut juger loisible de se limiter à une simple protestation, en cas d’at­taque de son alliée, voire à l’envoi de condoléances émues.

A ce point fondamental, s’en ajoute un autre, tout aussi déterminant, mais qui ne fait pas l’objet d’un quelconque article. De fait, l’Otan a été et est toujours dominée par l’hyperpuissance américaine qui y exerce sa prééminence, soit directement, soit par son influence. La plus haute autorité de l’Alliance, le Conseil de l’Atlantique

 

Nord (CAN) fonctionne sur la base du consensus, de l’unanimité donc, ce qui signifie que chaque Etat-membre a un droit de veto. Mais il est hors de question de s’opposer à une mesure voulue expressément par les Etats-Unis. Tout au plus, est-il possible d’initier une négociation, dans le cadre implicitement fixé.

A la différence du pacte de Varsovie, l’Otan a survécu à la fin de la guerre froide et à la désagrégation de l’URSS, pour se renforcer tant intrinsèquement que par des élargissements successifs.

Jusqu’au tout début de 2009, du temps de la présidence de George Bush à la tête des Etats-Unis, pour donner un titre aux relations russo-américaines par l’entre­mise de l’ Otan, la tendance eut été d’utiliser le terme de Russie face à l’Otan, tant l’opposition était sans ambages, de même que d’aucuns spécifiaient qu’une paix froide avait succédé à la guerre froide. Cependant, l’arrivée au pouvoir de Barack Obama a introduit des nuances. Américains et Russes se rencontraient déjà dans des enceintes internationales où siégeaient aussi des membres de l’Otan ou même sous l’égide propre de l’Otan. De plus, en 2009, des pourparlers américano-russes au sommet sont prévus. La hache de guerre à demi déterrée est-elle en passe d’être à nouveau enfouie ? N’y aurait-il plus de face-à-face entre Russie et Otan ? Au profit d’un réel partenariat ? Voire d’une alliance ?

Avant de chercher une réponse à l’interrogation posée, il convient d’analyser la perception que se font les uns des autres, la Russie et les Etats-Unis avec l’Otan.

 

La vision russe des Etats-Unis et de l’OTAN

La Russie est par construction l’héritière de l’Union soviétique, ce qu’accepte le concert international et qu’elle a d’ailleurs revendiqué avec force, entre autres, son siège au Conseil de sécurité de l’ONU, tout en se démarquant désormais du communisme. Il n’y a rien d’étonnant à cela : les nations et les Etats ne surgissent pas du néant. L’Union soviétique, née de la Révolution d’octobre, avait commencé par rejeter son passé impérial. En juillet 1941, Staline, face à l’invasion allemande, le rappelait dans un discours célèbre, invoquant la Sainte Russie, ses généraux et ses saints. Vladimir Poutine devait qualifier de plus grande catastrophe du XXème siècle l’effondrement de l’Union soviétique. La France révolutionnaire puis impériale est peut-être la fille dégénérée de la Monarchie, aux dires des royalistes jusqu’à la fin du XIXème siècle, il y a bien un lien de filiation qui se prolonge jusqu’à la Vème répu­blique et qui n’a jamais été nié.

 

Il est donc normal que dans l’héritage soviétique, la nouvelle Russie ait trouvé plus que de la prévention et de la défiance à l’égard de l’Otan comme des Etats-Unis.

Pourtant, déjà durant la Perestroïka et davantage au cours des premières années de la présidence de Boris Eltsine, les Russes ont estimé définitivement clos le cha­pitre de l’antagonisme entre eux et les Occidentaux menés par les Etats-Unis. A leur tour, les Russes voulaient goûter au paradis de l’économie de marché tant vanté par les Occidentaux et tant décrié par les Soviétiques dont le régime conduisait le pays à la catastrophe économique. C’est ainsi qu’ils ont même admis, sans trop broncher, la sécession de 14 des 15 républiques composant la défunte URSS, à commencer par les Baltes. Ils espéraient toujours, avec une dose de naïveté indéniable, une aide occidentale, allant jusqu’à l’octroi d’une sorte de plan Marshall. Ils n’ont pas hésité à inviter des multitudes d’experts américains et européens, en étant tout prêts à recevoir des leçons de démocratie et d’économie de marché. S’estimant européens, repoussant tout concept de singularité ou de spécificité, résurgence tant de la lutte de tendance culturelle entre occidentalistes et slavophiles que de l’héritage marxiste, les Russes veulent s’incorporer dans le concert des nations européennes, plus préci­sément dans le système politique, économique et culturel de l’Europe occidentale. Ils veulent s’y intégrer et être intégrés et ne ménagent pas leurs efforts à cet effet.

Le désenchantement ne tardera pas.

En avant-scène, la survivance de l’Otan qui, non seulement ne désarme pas, mais se renforce politiquement par élargissement à leur détriment, leur apparaît comme le maintien d’un instrument de la guerre froide, perpétué par les Américains et les Européens. Or, cette guerre froide est terminée. La croisade anticommuniste est devenue sans objet, puisque le marxisme-léninisme étatique n’a plus la base géo­graphique que lui fournissait la Russie. Qui plus est, le pacte de Varsovie comme le Conseil d’aide économique mutuelle ou COMECON, ont été dissous tous les deux. Des deux blocs antagonistes de la guerre froide, l’un, celui de l’Est, a disparu.

La survivance de l’Otan, s’élargissant même à de nouveaux pays, démontre que la politique des blocs, menée par les Etats-Unis, est une constante. La croisade nominale des Occidentaux conduite par l’Otan, cachait un autre antagonisme : une campagne anti-russe. L’ennemi de l’Otan était le pacte de Varsovie, ce qui dissimulait un conflit latent avec la Russie. La preuve en est très vite apportée par l’appui implicite donné par les Occidentaux, Américains en tête, aux Japonais qui

 

reprennent leurs revendications sur les Kouriles. Le démembrement de l’URSS, territorialement l’ancien empire tsariste, soit ! Celui de la Russie, de l’actuelle fé­dération russe ! Jamais ! Le problème se retrouve avec encore plus d’acuité dans le conflit tchétchène. Matériellement, les Américains, d’une part eux-mêmes, d’autre part indirectement en poussant les monarchies pétrolières arabes, soutiennent la sécession tchétchène. Des Européens, membres de l’Otan, comme les Français, s’ils n’apportent pas un support direct en armement et en fonds comme les Américains et les Arabes, n’en épaulent pas moins les sécessionnistes tchétchènes par un mou­vement intellectuel, voire par une campagne de propagande, en se refusant aussi à admettre que ces Tchétchènes se livrent au terrorisme. Les Américains n’abandon­neront leur soutien aux Tchétchènes et, faisant pression sur les pétro-monarchies pour qu’elles en fassent de même, qu’au lendemain immédiat des attentats du 11 septembre 2001. Alors, durant quelques mois, il y eut arrêt du contentieux russo-américain, comme d’ailleurs sino-américain pour les mêmes raisons : une croisade commune contre le terrorisme islamiste. Mais ce ne fut qu’une embellie.

La Russie est humiliée et amère, dès la perception de sa disparition de la scène internationale, ce qui intervient de plus en plus fortement en corollaire de son réta­blissement économique, donc principalement à partir de 2000.

La Russie se sent atteinte dans ses intérêts vitaux, presque dans son existence même. De 1999 à 2008, l’Otan intègre tous les Etats, anciennement alliés de l’URSS au sein du pacte de Varsovie, et même les trois républiques baltes, aupara­vant constitutives de l’URSS.

Les Russes accusent les Américains et l’Otan d’avoir fomenté des « révolutions de couleur » dans leur « étranger proche », la Communauté des Etats indépendants, la CEI, groupant 12 républiques anciennement constitutives de l’URSS. Il s’agit de la mise en œuvre par la CIA, actionnant des ONG, de divers troubles, précédant une élection présidentielle et amenant la défaite du candidat pro-russe. L’action est menée au nom de la démocratie. Moscou a riposté par l’organisation de sécessions et en s’en prenant aux ONG, soit en les interdisant, soit en les obligeant à déclarer la provenance de leurs fonds et en enquêtant. Ainsi, il y a réussite en Moldavie, puis en Géorgie et en Ukraine passée à des opposants pro-américains. En Asie, le processus engagé au Kirghizstan en 2005, réussira mais échouera au Kazakhstan et en Azerbaïdjan. La Russie renoue avec son complexe obsidional.

 

Un comble, aux yeux des Russes, lorsque les Géorgiens, en août 2008, enva­hissent l’Ossétie du sud qui, comme l’Abkhazie, a fait sécession, en tablant sur un rattachement ultérieur à la Russie. L’exemple est fourni par le précédent du Kosovo devenu indépendant, sous égide et administration des Occidentaux, mais soup­çonné de rechercher son adhésion à l’UE au travers d’une union avec l’Albanie qui a déjà posé sa candidature à l’entrée dans l’UE. Or, ce faisant, l’armée géorgienne, forgée, équipée et encadrée par les Américains, s’en prend aux milices ossètes pro­russes et même à des détachements russes. La contre-attaque russe pulvérise l’armée géorgienne et un cessez-le-feu péniblement négocié par les Européens empêche tout juste les Russes d’atteindre Tbilissi.

Le président de la Géorgie, Mikhail Saakachvili, formé aux Etats-Unis, arrivé au pouvoir grâce à la révolution « des roses » en janvier 2004 et réélu en janvier 2008, a pêché par outrecuidance et naïveté. Il s’est placé sous la protection des Américains déjà présents depuis 1993 et il a pensé, d’une part que ses troupes for­tement encadrées par les Américains avaient une valeur apte à défaire les Russes, d’autre part que l’aide américaine dissuaderait les Russes d’envoyer des renforts et de faire campagne contre les Américano-Géorgiens. La Géorgie représente un enjeu stratégique majeur pour Washington : elle est le carrefour d’une série d’oléoducs et de gazoducs acheminant pétrole et gaz d’Azerbaïdjan vers l’Occident, notamment grâce au BTC, le Bakou-Tbilissi-Ceyhan passant par la Géorgie et la Turquie. Mais c’est très exactement pour les mêmes raisons que Moscou considère aussi la Géorgie comme un enjeu majeur.

Les coopérants américains ont entraîné l’armée géorgienne selon leurs concepts, dépassant les conflits de haute intensité de la guerre froide pour adopter la stratégie et la tactique des conflits de basse intensité de la guérilla telle, qu’elle se déroulait en Afghanistan. Les Russes, pour l’occasion, ont utilisé leurs conceptions, héritées d’un conflit possible avec les Etats-Unis dans le cadre de tan lors de la guerre froide et ont adopté un dispositif et une organisation de leurs forces en conséquence. Cela explique la soudaineté de l’écrasante victoire russe.

Le médiatisme, mis en œuvre par les Occidentaux, dénonçant une dispropor­tion de la réaction russe, en occultant l’antériorité de l’attaque géorgienne, n’a été d’aucun effet sur l’opinion publique russe et pas beaucoup plus sur les opinions publiques européennes. Les Russes ont exulté de joie : leur armée était moins dé­sorganisée que le prétendaient les analystes américains et géorgiens. D’un commun accord, implicite, les parties en cause ne se sont pas étendues sur la quantité des pertes et ont passé sous silence qu’inévitablement des cadres américains étaient au nombre de ces pertes. Pour les Américains et les Géorgiens comme pour les Russes, il s’agissait de ne pas donner au conflit une signification qui puisse hypothéquer l’avenir. A Washington, cependant, l’intégration de la Géorgie dans l’Otan, telle qu’elle le demandait instamment, cessait d’être à l’ordre du jour. Une limite avait été atteinte quant à ce que les Russes étaient susceptibles de supporter sans avoir recours à la violence.

Autre circonstance favorable aux Russes et qu’ils soulignent : aux sécessions de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, dont Moscou a reconnu l’indépendance, s’ajoute la menace de celle d’Adjarie, province au sud-ouest de la Géorgie. Le démantèle­ment de la Géorgie devient une possibilité.

La même limite se manifestait à l’égard de la pressante demande d’adhésion à l’Otan de l’Ukraine. Moscou jugeait inacceptable l’éventualité. L’extension de l’Otan aux trois républiques baltes avait été supportée avec peine. Il n’était pas question d’aller au-delà. Washington avait saisi le signal de Moscou d’autant plus qu’un contentieux opposait les Ukrainiens et les Russes, tant sur le montant de la redevance payée pour le transit du gaz à travers l’Ukraine à destination de l’Europe occidentale que sur le prix du gaz et du pétrole livrés par la Russie à l’Ukraine. Moscou instaurait un prix se rapprochant progressivement de celui du marché. Les Ukrainiens arguaient de la pratique antérieure, refusant l’argumentation russe op­posant que cette pratique datait de l’époque où l’Ukraine faisait partie intégrante de l’Union soviétique. La situation était encore plus embrouillée en 2008 et en 2009 par la mésentente flagrante entre le président ukrainien , Viktor Iouchtchenko, et sa turbulente partenaire, Ioulia Timochenko, pourtant tous deux artisans de la révolution « orange » fin 2004.

Les Russes cessent leur livraison d’énergie à l’Ukraine, entre autres, en jan­vier 2009, puis étendent l’arrêt des livraisons à l’ensemble européen, accusant les Ukrainiens de siphonner du gaz et du pétrole destiné aux Européens. L’UE cherche un arrangement.

Les Etats-Unis ne veulent pas se mêler de l’imbroglio. L’adhésion de l’Ukraine à l’Otan n’est plus d’actualité.

Moscou, alertant son opinion publique et celle de la planète, tient violemment grief à Washington et par la suite à l’Otan, de la mise en place d’un bouclier straté­gique anti-missiles. Washington arrivant à la phase finale de ses expérimentations théoriques, avait dénoncé le traité bilatéral ABM de 1972, interdisant le déploie­ment de tout système ABM, à l’exception d’un site pour chacune des deux par­ties, mais pas les recherches. Or, les Américains ont conclu avec les Polonais et les Tchèques un accord autorisant l’implantation de sites ABM sur leurs territoires.

L’Otan rétorque que le bouclier antimissile ne regarde que les Américains. Washington fait valoir que ce bouclier anti-missiles est dirigé contre les frappes possibles, surtout en prospective, des Etats « voyous », des rogue states, que sont la Corée du Nord et l’Iran, non contre la Russie et la Chine.

Les Russes ont beau jeu de taxer les instances otaniennes d’hypocrisie : la pré­dominance américaine sur l’Otan est de notoriété publique, le Comité des plans nucléaires de l’Otan tient évidemment compte de la mise en place du bouclier anti­missiles qu’il approuve implicitement.

Quant au fond, les Russes argumentent sur le fait que la paix repose sur une dissuasion nucléaire réciproque. C’était la conclusion et le préambule du traité ABM de 1972. Certes, le bouclier peut ou pourra réduire à néant une frappe inter­continentale nord-coréenne ou iranienne, éventuellement chinoise, mais pas russe. Néanmoins, son action pourra l’affaiblir, ce qui amoindrirait la deuxième frappe russe, celle de riposte, à la première américaine, ayant pris pour cible les sites russes de lancement. Alors, à l’abri du bouclier anti-missiles, les Américains disposeraient encore d’une capacité dévastatrice de troisième frappe.

L’équilibre nucléaire est ainsi rompu, donnant une prime à l’agression. La seule solution pour les Russes est de se doter d’une capacité nucléaire offensive apte à saturer les défenses adverses ou de mener à bonnes fins les recherches anti-missiles poursuivies activement jusqu’à la Perestroïka, notamment en utilisant le domaine spatial, dans le but de se doter eux aussi d’un bouclier stratégique anti-missiles.

Dans l’un et l’autre cas, il y a reprise d’une course aux armements nucléaires qui ne peut que gangrener l’ensemble de la planète.

La faillite de l’apport occidental des réformes engendre une déception énorme. La déception russe s’étend à la démocratie parlementaire et au libéralisme écono­mique tant prônés par les Occidentaux. Les noms de Gaïdar et de Tchoubaïs, col­laborateurs d’Eltsine et défenseurs d’une réforme néo-capitaliste sont honnis, tout comme celui de Gorbatchev, fossoyeur de l’Union soviétique sans aucun bénéfice. Ce n’est pas pour autant que les Russes veulent revenir au totalitarisme et à un régime policier. La crise financière américaine, devenue sociale et politique, conta­minant l’univers, alimente l’amertume russe et le rejet du système occidental.

 

La vision que se font de la Russie, l’Otan, les Américains et les Européens

La vision, que se font Washington et à sa suite l’Otan, de la Russie, ne diffère guère des rubriques concernant celle que les Russes ont des Etats-Unis et de l’Otan. A une exception de taille : c’est très exactement l’inverse, voire l’inverse absolu.

Margaret Thatcher, Premier ministre britannique de 1979 à 1990, suivie par bon nombre de dirigeants et d’intellectuels occidentaux, portait aux nues Mikhaïl Gorbatchev, dernier secrétaire général du PCUS et dernier président de l’URSS. Il était loué au-delà de toute mesure pour avoir conçu et organisé la sortie de l’Union soviétique hors du système communiste, comme pour avoir dissout le pacte de Varsovie, et d’avoir mis fin à la guerre froide. Il a reçu le prix Nobel de la paix en 1990 et fut invité à tenir des conférences, entre autres, dans les plus prestigieuses universités américaines, même après sa chute qui n’entamera pas sa popularité au­près des Occidentaux. Pour prix de sa démission et grâce aussi à des subventions étrangères, Mikhaïl Gorbatchev avait pu créer une fondation à Moscou, spécialisée dans la recherche en géopolitique. Il fut un temps où un dirigeant politique occiden­tal ou un universitaire de renom, toujours occidental, chargé d’un cours de sciences politiques, en visite à Moscou, estimait obligatoire un détour par la Fondation Mikhaïl Gorbatchev. C’est encore valable en 2009, mais dans une moindre mesure. Toute notoriété s’effrite inévitablement.

Au plan intérieur russe, le nom de Gorbatchev ne recueille que de l’indifférence, voire une franche hostilité. Il est accusé de mollesse, d’avoir entrepris des réformes sans réflexion, hâtives et intempestives. Apostrophé publiquement au Soviet su­prême et violemment critiqué par Boris Eltsine au lendemain du putsch raté d’août 1991, accusé d’un manque d’esprit de décision, Mikhaïl Gorbatchev avait perdu sa crédibilité. Effectivement, durant le putsch, il avait fait preuve d’atermoiements, ce qui transparaît dans ses Mémoires.

C’est ainsi que leur traduction en anglais, puis en français, laisse place à une manipulation faisant disparaître un message de soutien du président François Mitterrand, lors de sa détention par les putschistes en Crimée.

Ce n’est pas la seule anomalie de ce putsch, dans lequel l’armée à Moscou joue un rôle bizarre et se prête à la spectaculaire montée de la popularité de Boris Eltsine.

 

Les télévisions mondiales ont retransmis une scène stupéfiante où l’on voit Boris Eltsine escaladant un véhicule blindé et extrayant un soldat de la tourelle, sans au­cune réaction. Ensuite, l’armée a regagné ses casernements. Les opinions publiques internationales ont applaudi. Et personne à l’époque de remarquer que les bouches des canons étaient fermées par les tapes réglementaires et que, par conséquent, les militaires étaient dans l’incapacité d’ouvrir le feu, même par inadvertance.

Les cercles dirigeants occidentaux, politiques et intellectuels, de même que les opinions publiques et donc les Américains et l’Otan, reportent assez curieusement sur son successeur, Boris Eltsine, le capital de sympathie amassé sur la personne de Mikhaïl Gorbatchev. Ils lui accordent sans barguigner un brevet de démocra­tie. Peut-être parce qu’est conservée, dans la mémoire collective, l’image télévisée d’Eltsine anti-putschiste de 1991 agrippant un soldat. Ils passent outre à l’abyssal délitement de l’Etat qu’a cautionné Boris Eltsine, cause d’une profonde crise éco­nomique doublée d’une inflation gigantesque et durable, ainsi qu’à l’extravagance du personnage sombrant dans une ivrognerie permanente. Egalement, l’attaque au canon du Parlement, ordonnée par Boris Eltsine, en 1993, rend assez discutable la réputation de démocrate que les Occidentaux persistent à lui accorder.

Les Russes voulant restaurer un Etat fort, gage d’une bonne économie, ont plébiscité Vladimir Poutine, en qui les Occidentaux voient presque un dictateur, s’inscrivant dans la lignée de Staline et de Brejnev. A la fin de ses deux mandats présidentiels, en 2008, Vladimir Poutine est soupçonné de garder l’intégralité du pouvoir en hissant à sa place un prête-nom, Dmitri Medvedev, et en se nommant lui-même Premier ministre, le temps de respecter la lettre de la Constitution qui interdit plus de deux mandats présidentiels consécutifs.

Ainsi, en ce qui concerne les trois premiers présidents de la Nouvelle Russie, Gorbatchev, Eltsine et Poutine, la perception que se font d’eux les Occidentaux et l’Otan est-elle totalement à l’inverse de celle des Russes.

L’Otan se targue d’avoir gagné la guerre froide, ne serait-ce qu’en conduisant une course aux armements exprimée, entre autres, par la guerre des étoiles, que l’URSS a été incapable de soutenir. C’est ainsi que la ruine de l’URSS est due à son économie défaillante.

La vision des Russes est différente. Pour eux, la désagrégation de l’URSS a été causée par la lutte, au sein du Comité central du PCUS et du Politburo, des conser­vateurs et des réformistes, comme par le duel entre Gorbatchev et Eltsine.

Très vite, l’Otan répercute sur la Russie l’hostilité qu’elle nourrissait à l’égard de l’URSS. Passant outre à son abandon du marxisme-léninisme et à ses procla­mations pacifiques, l’Otan continue à considérer la Russie comme une ennemie potentielle. Il ne saurait donc être question d’accéder aux désirs russes d’adhérer à l’Otan. N’a-t-elle pas bâti des coalitions politico-militaires susceptibles de s’opposer aux Occidentaux, comme le Groupe de Shanghaï, réunissant en 2001, la Russie, la Chine, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan dans une or­ganisation commune ? Les prodromes de cette organisation se retrouvent d’ailleurs en avril 1996 dans la déclaration conjointe de Boris Eltsine et de Jiang Zemin en­térinant à Pékin un partenariat stratégique avec le Kazakhstan, le Kirghizstan et le Tadjikistan. Des manœuvres militaires appuyaient l’organisation. Allant plus loin, dépassant les soubassements inefficaces du pacte de sécurité collective de la CEI, la Russie fonde, le 25 mai 2001, une Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) sur la base du traité signé le même jour. En 2009, l’OTSC comprend 7 membres, la Russie, la Biélorussie, l’Arménie, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan . Après le second sommet en 2002, l’OTSC s’arme d’une structure militaire avec un commandement intégré et trois commandements régionaux. Le sommet de février 2009, en réaction à la guerre de Géorgie de 2008, conduit à la mise sur pied d’une force de réaction rapide par contribution de tous les Etats-membres. Lors du même sommet, le Kirghizstan, oubliant sa révolution de couleur, a annoncé sa volonté de faire évacuer aux Américains la base de Manas pour y implanter des éléments de l’OTSC. L’OTSC se pose ainsi ouvertement en rivale de l’Otan, ce qu’elle ne cache absolument pas.

Très naturellement, l’Otan taxe d’hypocrisie la Russie qui avait proposé son adhésion pleine et entière à l’Alliance atlantique.

Autre sujet d’irritation et non des moindres : la Russie tente de bloquer l’élar­gissement de l’Otan.

Ces essais russes de blocage de l’extension territoriale de l’Otan provoquent une levée de boucliers parmi certains de ses Etats-membres. Au premier rang de ces der­niers, se trouvent la Pologne et la « Nouvelle Europe », selon l’expression de Donald Rumsfeld. S’opposer à l’extension de l’Otan, c’est empêcher le développement de la démocratie, avancent-ils. La « Vieille Europe » est plus circonspecte. L’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie, dont il était fortement question, n’est plus à l’ordre du jour au lendemain de la guerre de Géorgie en 2008. La Russie a révélé qu’elle est in­contournable dans l’arène internationale. L’administration Obama l’a pris en compte.

Par ailleurs, l’engouement des Occidentaux pour les réformes russes passe assez rapidement. En effet, les bons conseils des Occidentaux, notamment des Américains, restent sans résultats tangibles : l’économie russe s’enfonce dans le ma­rasme tandis que se désagrège l’ancienne Union soviétique. L’effondrement de la production et du niveau de vie, par rapport à l’ère soviétique, est fantastique.

Les Occidentaux en rendent responsables les Russes, imbibés de marxisme-lé­ninisme et, de surcroît, incapables d’adopter la démocratie parlementaire. L’Otan emboîte le pas.

L’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, redressant l’Etat et profitant de la hausse du cours du pétrole et du gaz, permet une envolée économique. L’Otan le reconnaît, mais constate qu’à l’automne 2008, la Russie est également gagnée par la crise économique qui, partie des Etats-Unis sous une forme financière, a empoi­sonné le monde en se transformant en crise économique mondiale.

L’administration Obama esquisse un dialogue. La secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, Hilary Clinton, rencontre à Genève en mars 2009, le ministre des Affaires étrangères russe, Serguei Lavrov, tandis qu’un envoyé américain, Patrick Moon, est convié à Moscou comme auditeur d’une rencontre du Groupe de Shanghaï. Lors de la réunion du G20 à Londres, le 1er avril 2009, le président Obama a un entretien avec son homologue russe, mais assez bref et sur une reprise de négociations concer­nant le désarmement nucléaire. Est évoqué, cependant, le principe d’une visite du président américain à Moscou.

En contrepoids, toujours en avril 2009, le président Obama, à Strasbourg, puis à Prague, réitère avec force son attachement à l’Otan.

 

Les liens institutionnels entre la Russie et l’Otan

L’OTAN, en se refusant à toute liaison avec les organisations des traités que les Russes avaient mises sur pied – ce qui n’est jamais qu’un motif de mésentente supplémentaire – n’a de liens avec la Russie que ceux tissés directement entre les deux protagonistes.

L’Otan est un monstre hybride, non seulement par ses comités et commissions que par l’ensemble de ses organisations annexes et ses commandements subordon­nés, essaimés sur le pourtour de l’Atlantique.

L’aire occupée par les superstructures de l’Otan, ne serait-ce qu’à Bruxelles et à Mons en Belgique, est d’une étendue impressionnante, vue d’avion. De telles surfaces font de ces infrastructures des cibles d’une vulnérabilité extrême, indéfen­dables en pratique, tant à l’encontre d’une attaque conventionnelle par missiles que terroriste. Curieux pour une organisation à but militaire affiché !

Si l’article 5 du traité est très clair sur les modalités d’un engagement militaire, la zone d’application du traité fait l’objet d’une délimitation qui ne permet pas une interprétation infinie.

L’article 6 est très explicite sur la zone d’application du traité. Il s’agit « de la région de l’Atlantique Nord, au Nord du tropique du Cancer ». Une attaque terroriste comme celle du 11 septembre 2001 contre les Etats-Unis, portant sur New York et le Pentagone à Washington, est bien comprise dans les limites géographiques du traité. En revanche, une intervention militaire au Kosovo ou en Afghanistan est plus discutable. Dans ces conditions, une adhésion ou même un partenariat de la Russie est contraire, tant à la lettre qu’à l’esprit qui ont présidé à la rédaction du traité de 1949. En effet, une agression éventuelle à l’encontre de la Russie ne peut se produire dans la région de l’Atlantique Nord, au nord du tropique du Cancer, quelle que soit la sollicitation à laquelle serait soumis le texte. L’article 6, quant à la Russie, n’a de valeur que si la Russie se livre à une agression contre un Etat cité dans la région prescrite, ce qui est invraisemblable à un horizon prévisible et même à vingt-cinq ans. Il y a là donc un non-sens géographique absolu. Mais le même non-sens s’applique par exemple à l’Estonie ou à la Pologne qui, pas plus que la Russie, ne sont situées dans la région de l’Atlantique Nord, loin s’en faut. La Turquie, vieux membre de l’Alliance atlantique offre-t-elle un précédent ? Certes, mais l’argument était qu’en cas d’attaque russe à l’encontre de l’Europe occidentale, le conflit embraserait le monde et l’URSS s’en prendrait à sa frontière sud. Cet argument n’a pas de valeur en cas d’agression partielle provoquée ou non contre un Etat de l’Europe de l’Est. Un autre argument présente plus de justesse. Durant la guerre froide, la Turquie avait permis aux Etats-Unis l’implantation de sites de lancement de missiles stratégiques à moyenne portée, dirigés contre l’URSS et ses alliés, en bordure de la mer Noire. Le démantèlement de ces sites fut acquis lors du bargaining mettant fin à la crise des fusées de Cuba en 1962. Le cas de la Turquie rehausse le fait que l’Otan était un instrument de la guerre froide.

 

Comment expliquer la contradiction ou l’ambiguïté autrement que par la né­cessité de remettre à jour le texte du traité de l’Atlantique Nord ? Certes, mais alors, c’est ouvrir la boîte de Pandore.

La rédaction d’un nouveau texte du traité implique une modification des concepts. Comment négocier utilement à 27 en 2009 ? Alors que plusieurs Etats ont des intérêts différents, voire opposés ? Le premier diable à surgir de la boîte est celui du pilier européen de la Défense, formulé très expressément par la réunion ministérielle à Berlin, le 3 juin 1996 sous la forme d’une reconnaissance explicite d’une identité de défense européenne au sein de l’Alliance. Quelques réalisations ont concrètement été effectuées : un corps européen, des états-majors opérationnels au plan stratégique et tactique… au grand dam des Américains qui n’acceptent pas une quelconque concurrence ou un quelconque partage des pouvoirs dans la conduite suprême de l’Alliance. Ils sont relayés en cela par plusieurs Etats européens. Or, c’est bien ce qui se produirait, pour peu qu’un président de la République française s’ins­crive dans la lignée gaullienne ou mitterrandienne avec une alliance privilégiée fran­co-allemande. Resurgirait alors le fantôme attractif du traité de Bruxelles de 1948, repris en 1954, fondant l’Union de l’Europe occidentale, l’UEO, dont l’article 5 stipule l’automaticité de l’engagement militaire, à la différence de son homologue du traité de l’Atlantique Nord.

L’organe suprême de l’Alliance atlantique est le Conseil de l’Atlantique Nord, le CAN, implanté à Bruxelles et réunissant les dirigeants de chaque Etat-membre ou leurs délégués à un échelon ministériel au moins. Le CAN n’est pas une formation permanente. Les contributions au fonctionnement de l’Otan étant aléatoires, est né le projet d’un comité des contributeurs.

Aux côtés du CAN, se trouve le secrétariat de l’Otan avec ses multiples ramifi­cations.

Le volet militaire stratégique suprême est représenté par le Comité militaire de l’Otan qui chapeaute, en liaison avec le CAN, deux commandements stratégiques : SACEUR, Supreme Allied Command in Europe et son homologue SACLANTpour l’Atlantique.

A ce niveau peut être rattaché un organisme dédié à la transformation des forces et des concepts et spécialisé donc dans la prospective des forces et des concepts stratégiques. Cet Allied Command Transformation, ACT, basé à Norfolk, aux Etats-Unis, comme SACLANT, n’a pas vocation à exercer un commandement direct.

 

Il se présente en doublon d’Instituts de prospective renommés comme la Rand Corporation ou d’universités réputées comme Harvard ou Princeton, ce qui déter­mine son importance et son influence.

Le SACEUR est implanté au Supreme Headquarters Allied Powers Europe, le SHAPE, situé à Mons en Belgique. Lui sont subordonnés trois commandements régionaux embrassant autant de théâtres d’opérations établis à Brunsum aux Pays-Bas, à Naples en Italie et à Lisbonne au Portugal. Lisbonne est prévu aussi pour être le siège du commandement de la Force de réaction rapide de l’Otan.

Tous ces commandements sont intégrés et composés de militaires relevant de tous les Etats-membres. Cependant, le SACEUR est nommé par le président des Etats-Unis et confirmé par le Sénat américain puis approuvé par le CAN. Le SACEUR est aussi chargé du commandement des forces américaines en Europe. Il est toujours américain et il est hors de question que l’un des Etats-membres exerce son droit de veto au CAN au sujet de cette nomination. Au titre de l’Otan, il est responsable du commandement général des opérations militaires et requiert la contribution des forces des Etats-membres, selon les directives du CAN, analysées et transmises par le Comité militaire.

C’est selon ce schéma qu’a fonctionné l’Otan jusqu’en 1991 et qu’elle fonc­tionne toujours en 2009, non sans quelques ajouts depuis 1991, en conséquence de la modification du paysage stratégique due à la chute de l’URSS. Les ajouts concernent l’organisation du traité et non sa teneur.

Les pays d’Europe centrale et orientale, les Peco, anciens membres du pacte de Varsovie, comme la Pologne et les républiques tchèque et slovaque et les répu­bliques anciennement constitutives de l’URSS, tels les pays baltes, avaient et ont deux rêves : recevoir la protection de l’Otan pour juguler leur crainte d’un néo-im­périalisme russe et se voir ouvrir les portes de l’UE pour participer à sa prospérité supposée.

Parallèlement, la Russie, fidèle à la permanence de sa politique visant l’instau­ration par traité d’une organisation de sécurité et de coopération groupant tous les Etats européens, souhaite s’intégrer à l’Otan, reprenant d’ailleurs sous un autre angle une demande déjà formulée par l’URSS, lors du déclenchement de la guerre froide.

La question examinée au sommet du CAN de Rome, en novembre 1991, a donné lieu à la création du Conseil de coopération nord-atlantique, COCONA, le 20 décembre 1991, rassemblant les membres de l’Otan et les Peco. Un organisme de plus !

Cependant, le COCONA s’avère une coquille vide. De surcroît, Washington songe à une extension de l’Otan et instruit par l’expérience des troubles dans les Balkans, vise à faire participer les Peco aux opérations du maintien de la paix. En outre, Washington affinant sa stratégie pense à fédérer politiquement l’ensemble européen par l’entremise de l’Otan en lui faisant dépasser des objectifs purement militaires qui ne sont d’ailleurs plus de mise avec la fin de la guerre froide. C’est ain­si qu’au sommet du CAN de Bruxelles en janvier 1994, les Etats-Unis préconisent de superposer au COCONA une organisation plus opérationnelle, le « Partenariat pour la paix », puis de remplacer le COCONA par cette organisation. La proposi­tion s’adresse aussi bien aux Peco qu’aux autres pays membres de la CSCE, née du traité d’Helsinki de 1975. Le programme est conçu, entre autres, pour que les pays adhérents puissent restructurer leurs forces armées selon les normes Otan et s’ouvrir à une large coopération. En 1997, allant plus loin dans leur démarche, les Etats-Unis amènent la création d’un Conseil de partenariat euro-atlantique (CPEA) tandis que se poursuit l’élargissement de l’Otan. Le COCONA, déjà en veilleuse depuis plusieurs années, disparaît totalement.

Toujours sur la même voie et pour répondre à la guerre au terrorisme déclarée au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, un renforcement est apporté au CPEA, lors du sommet de Prague, en novembre 2002 par le lancement du Plan d’action contre le terrorisme et du Plan d’action individuel pour le partenariat (IPAP). Ainsi, les pays adhérents entrent dans une organisation plus structurée aux côtés de l’Otan.

En 2004, la Géorgie est le premier pays à contracter un IPAP avec l’Otan et il lui est proposé un dialogue particulier visant son adhésion à l’Otan. La Géorgie est suivie par l’Azerbaïdjan, puis par l’Arménie, la Moldavie, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro et la Serbie en 2005 et en 2006 pour atteindre 24 pays partenaires au total en 2009.

La Russie et l’Ukraine ont été invitées dès 1991 à adhérer au COCONA puis en 1993 et en 1994 au « Partenariat pour la Paix ». La Russie ne peut admettre de ne pas être reconnue comme le primus inter pares entre les partenaires des Etats-Unis, au sein de l’Otan et encore plus de la Communauté des Etats indépendants, la CEI, son « étranger proche » composée des républiques ex-soviétiques. Pour répondre à cette attente, l’Otan crée une relation spéciale, le 27 mai 1997 , sous forme d’un acte fondant un « Conseil conjoint permanent Otan-Russie », transformé en un Conseil toujours permanent et bilatéral, Otan-Russie (COR) mais encore plus structuré. Il s’agit d’établir la coopération anti-terroriste dans tous les domaines.

Cependant, la sphère du partenariat et de l’action du COR sont minimisées par l’établissement des mêmes liens bilatéraux avec l’Ukraine par la fondation d’un Conseil Otan-Ukraine. En 2005, un dialogue intensifié est initié en vue d’étudier l’intégration à part entière de l’Ukraine dans l’Otan, à l’image de la Géorgie.

Les Russes se sentent floués. L’Otan ne les reconnaît pas comme un primus in­ter pares. Le COR n’est jamais qu’un volet visant à établir l’hégémonie américaine à travers diverses organisations. Moscou en veut pour preuve, le lancement d’un Dialogue méditerranéen composé outre l’Otan, de l’Egypte, d’Israël, de la Jordanie, de la Mauritanie, du Maroc, de la Tunisie et de l’Algérie. Les pays du Dialogue coo­pèrent concrètement avec l’Otan dans le cadre de plusieurs comités et commissions et initient une opération navale, Active Endeavour.

Très proche du Dialogue méditerranéen et dans le cadre éphémère de leur concept de « Grand Moyen-Orient » visant l’adoption d’une démocratie parlementaire par des pays du Maghreb, du Proche et du Moyen-Orient qui leur seront alors alliés, Washington pousse l’Otan à organiser une Initiative de coopération d’Istanbul, en 2004. Le but est de favoriser une coopération avec les pays du Conseil de coopération du Golfe. En fin de processus, en 2009, les pays intéressés sont le Koweït, Bahreïn, le Qatar, l’Arabie saoudite, Oman et les Emrirats arabes unis. C’est ce qui restera du concept de « Grand Moyen-Orient ».

L’ensemble de ce système est bien loin des limites géographiques fixées par le traité de l’Alliance signé à Washington en 1949.

La Russie ne peut supporter d’être réduite à un pion dans une arène internatio­nale régie par les Etats-Unis.

En 2008, elle a recouvré une puissance étatique et connaît un essor économique favorisé par ses exportations d’énergies. Vladimir Poutine a renforcé ses efforts afin de restaurer l’excellence qu’avait eue l’URSS dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique et de soumettre l’oligarchie financière. La Russie a aussi réorganisé ses forces armées et rétabli plus ou moins bien sa souverai­neté sur la Tchétchénie. Ainsi s’explique la vigueur de sa réaction lors de la guerre de Géorgie en 2008. S’explique de la même manière qu’elle décide de suspendre à nouveau ses exportations de gaz à travers l’Ukraine en janvier 2009. Parallèlement, elle poursuit le projet d’un gazoduc doublé d’un oléoduc à travers la Baltique, le Nordstream, afin d’éviter d’être contrainte de dépendre des pays jugés hostiles et instables que sont la Pologne et l’Ukraine, dans ses exportations à destination de l’Europe occidentale.

La crise économique la touche à son tour en 2009, mais tout autant que les autres pays occidentaux et asiatiques. De plus, l’origine de la crise se situe aux Etats-Unis, dans le temple de la finance du capitalisme libéral, Wall Street. La Russie n’a donc pas de leçon à recevoir des Occidentaux.

La Russie ne peut plus accepter d’être traitée comme une puissance de second ordre. Elle se veut une superpuissance. Elle l’était, elle estime l’être redevenue, ne serait-ce qu’au titre de sa force nucléaire.

L’Otan, d’organisation militaire chargée de s’opposer à une agression soviétique en Europe occidentale, est passée à une structure à compétence universelle. Ce but a été poursuivi par une extension du nombre des Etat-membres comme par l’établis­sement de partenariats nombreux. Volonté politique déjà ancienne, l’Otan cherche une expansion de son partenariat à l’Asie, notamment au Japon et à la Corée du Sud et à l’Australie. Ce fut l’objectif affiché par la réunion du CAN au niveau des ministres des Affaires étrangères à Sofia, en Bulgarie, les 27 et 28 avril 2006.

Dans cette course à l’extension territoriale, l’Otan ne se contente pas de mépri­ser les délimitations géographiques de la région d’application déterminé par l’article 6, elle passe outre au caractère démocratique qu’exige des parties prenantes au traité son article 10. En effet, seul un examen superficiel et rapide permet de délivrer un brevet de démocratie indiscutable à certains pays nouvellement adhérents. Quant aux partenaires déclarés, même cet examen superficiel et rapide ne suffit pas : qu’il s’agisse de certaines républiques asiatiques ou des adhérents au Dialogue méditer­ranée, comme à celui d’Istanbul. Très précisément, ce sont ces pays que le concept américain de « Grand Moyen-Orient » prétendait démocratiser, ce qui semble bien prouver qu’ils témoignent d’un déficit de démocratie !

L’extension concerne également le domaine de compétence de l’Otan qui, prio­ritairement militaire à l’origine, tend à devenir de plus en plus politique.

La prédominance américaine évolue vers une accentuation de plus en plus pro­noncée. L’extension territoriale est son œuvre. Les Etats-Unis pourraient s’attribuer la vieille devise des Habsbourg : AEIOU, Austriae est imperare orbi universo, « il appartient à l’Autriche de gouverner le monde ». Le sigle, facile à mémoriser en énumérant les voyelles de l’alphabet latin, deviendrait : Americae est imperare orbi universo !

L’hyperpuissance américaine ne supporte aucune concurrence, pas plus celle de la Russie que de l’Union européenne.

Washington est aussi prudent. L’administration Bush, en août 2008, a compris le signal qu’a donné la déroute géorgienne : jusque là certes, mais pas au-delà ! Aussi s’est-elle bien gardée d’intervenir directement, aussi bien dans le déroulement du conflit que dans la négociation y mettant fin, d’autant plus que le gouvernement pro-américain de Michaïl Saakachvili est en proie à une violente opposition inté­rieure. L’UE, présidée par la France, s’est empressée de conduire la négociation. Les Etats-Unis ont observé la même prudence lors du conflit gazier opposant l’Ukraine à la Russie, laissant œuvrer les Européens. Toujours la même prudence a été de ri­gueur lors de la contestation des élections moldaves mettant aux prises la Roumanie et la Moldavie.

Pour faire bonne mesure, après avoir rompu ses relations avec la Russie à la suite de sa guerre contre la Géorgie d’août 2008, l’Otan décide d’une réunion du COR, le 29 avril 2009. Las ! Le réchauffement aura été de courte durée. Le sommet de l’Otan des 3 et 4 avril invite la Russie à renoncer à reconnaître l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud. Une touche de taille de plus est portée avec l’an­nonce de manœuvres de l’Otan en Géorgie du 6 mai au 19 juin 2009. Les Russes protestent. L’Otan maintient. Les Russes renforcent leur dispositif militaire. Est-ce une manifestation de la politique du nouveau président des Etats-Unis ou sa main a-t-elle été forcée par les conservateurs ?

Les Etats-Unis, entraînant l’Otan, restent fidèles à leurs stéréotypes. La Russie est perçue comme hostile, quel que soit son régime. Elle est jugée vaincue comme l’avait analysé Francis Fukuyama, dans sa conférence The end of history ? prononcée à l’Université de Chicago en 1989 et reprise dans son ouvrage « La fin de l’Histoire et le dernier homme », paru en 1992, mais alors, sans nuance interrogative. Dans ces conditions, il est inutile et même contre-indiqué de réserver à la Russie un traite­ment différent de celui accordé à l’Ukraine. Il y a un Conseil Otan-Russie comme il y a un Conseil Otan-Ukraine. C’est oublier que la Russie est la première à avoir mis sur orbite son satellite Spoutnik, le 4 octobre 1957, qu’elle est une superpuissance nucléaire et membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU.

Les Etats-Unis se refusent à admettre que la Russie se pense une puissance mon­diale et qu’elle l’est. Les Américains, en cela, méconnaissent les leçons de l’Histoire. En 1919, les Français, vainqueurs, ont imposé aux Allemands le traité de Versailles, perpétuant ainsi un duel suicidaire. Il a fallu attendre 1963 pour trouver le chemin de la réconciliation. Face à la menace de la guerre froide, les Etats-Unis ont hissé au rang d’alliés leurs ennemis vaincus allemands et japonais. Que n’adoptent-ils pas la même attitude en proposant à la Russie d’intégrer un traité et une organisation, préposée au maintien de la paix, et de la considérer en partenaire égal ?

Les Américains, très sincèrement, sont persuadés que leur système socio-poli­tique, leur american way of life est le meilleur. Ils ne comprennent pas qu’il ne soit pas adopté, entre autres, par les Russes.

Ils ne se rendent pas compte que la démocratie parlementaire, tirant à sa suite l’économie de marché dans son libéralisme le plus achevé, a besoin d’un cadre institutionnel juridique, social, historique et culturel que la Russie ne possède pas. L’administration russe du haut en bas de l’échelle est corrompue. Certes ! Mais que penser de l’escroquerie de quelque 50 milliards de dollars, perpétrée par le financier américain Madov et découverte seulement fin 2008, tandis qu’elle avait fonctionné des années durant à l’insu, peut-être, de la SEC, Security Exchange Commission, régulateur boursier et de l’autorité américaine de surveillance financière ? Que pen­ser de la révélation faite par les médias que le siège de gouverneur, laissé vacant par l’élection de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis, était offert au plus offrant en 2009 ? L’administration russe est corrompue. Certes ! Mais elle n’est pas la seule !

On reproche à la Russie ses oligarques. Certes et on a bien raison ! Mais que penser du système des stock-options, des parachutes dorés, des rémunérations fara­mineuses de certains chefs d’entreprises occidentaux, rémunérations jugées scanda­leuses, que d’aucuns voudraient légalement limiter ?

Américains et Russes sont pétris de religiosité, mais elle est différente. Celle des Américains tire son origine de l’austère puritanisme des quakers et des évangélistes. Celle des Russes de la magnificence de l’orthodoxie.

La Russie est européenne. Son extension en Asie, que ce soit en Sibérie ou jusqu’en 1991 en Asie centrale, n’est jamais que l’exportation de son modèle. Il faut bien admettre que ce modèle est propre, tout en étant européen, mais différent de celui des Etats-Unis et de l’Europe occidentale. Rejeter la Russie hors du monde européen est une erreur.

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