la Problématique énergétique des États-Unis

André PERTUZIO

Février 2006

Toute activité implique une dépense d’énergie et, dans le domaine économique et industriel, toute croissance va de pair avec un accroissement de l’énergie utilisée.

Dire que les États-Unis sont, et de beaucoup, la première puissance économique et industrielle de la planète est également un truisme. Ils consomment annuellement une quantité d’énergie qui représente 25% de la consommation mondiale, aujourd’hui d’environ 10 milliards de tep1.

Cette nécessité d’approvisionnement énergétique se traduit nécessairement par un ensemble de problèmes d’ordre technique, économique, politique et stratégique qui exercent une influence notable sur la politique suivie en la matière et notamment sur la politique internationale des États-Unis.

Evolution historique

Les État-Unis ont toujours été grands producteurs de charbon, ce qui n’a pas peu contribué à leur développement économique au cours du XIXe siècle et continue de constituer une source d’énergie importante dans ce pays, aujourd’hui environ 22%.

Mais, le 30 Août 1859, à Titusville en Pennsylvanie, le « Colonel » Edwin Drake forait le premier puits producteur de pétrole, annonciation d’une ère nouvelle, celle des hydrocarbures qui représentent aujourd’hui plus de 60% de l’énergie consommée dans le monde.

C’est donc aux États-Unis que prit naissance l’industrie pétrolière et tant ses pratiques, ses concepts juridiques, ses définitions techniques et même les mesures et le langage utilisés en la matière sont, aujourd’hui encore, d’origine américaine. A partir de la découverte de Titusville, la fièvre s’empara des spéculateurs qui se muèrent en prospecteurs et ce fut une nouvelle ruée vers l’or, noir cette fois, qui eut lieu de manière anarchique en l’absence de normes juridiques adaptées à cette nouvelle industrie. Seul existait le système des « leases » assorti des conditions d’ordre minier habituelles, c’est-à-dire essentiellement le paiement d’une « royalty » au propriétaire du sol qui, selon la loi américaine, possède également le sous-sol, voire même par « droit de capture » celui du voisin.

Le nombre des compagnies pétrolières dès lors proliféra dont trois cents à New York seulement, les puits forés se multiplièrent et les nombreux gisements s’épuisèrent rapidement car leurs propriétaires avaient hâte de convertir le pétrole en dollars.

Cette situation explique d’une part le très grand nombre de puits forés aux États-Unis, et le nombre de puits producteurs si l’on songe qu’aujourd’hui, troisième producteur mondial avec 6 à 7 millions de barils/jour soit 300 à 350 millions de tonnes/an2, la productivité moyenne des puits est de 17 barils/jour avec plus de 400 000 puits producteurs.

Cette situation initiale et cet engouement répondaient aussi à un besoin économique, c’est-à-dire l’éclairage car le pétrole permettait de fournir de la lumière à bas prix.

C’est ainsi qu’une puissante industrie pétrolière se mit en place aux États-Unis alors que petit à petit émergèrent les grands prédateurs de génie qui mirent fin à l’anarchie et constituèrent de grands empires pétroliers lesquels produisaient, raffinaient, transportaient et vendaient leur production non seulement aux États-Unis mais à l’étranger.

Un nom résume cette époque, celui de John D. Rockefeller et celui de sa Standard Oil qui, dès 1880, détient 75% des raffineries et 90% des oléoducs et va assurer jusqu’à 95% du marché mondial qu’elle partagera ensuite, notamment avec la Royal Dutch Shell de Henry Deterding qui sera son principal concurrent.

Avec la survenance de la Grande Guerre aujourd’hui appelée Première Guerre Mondiale, le pétrole devait prendre une importance toute particulière avec l’intervention des avions, des sous-marins et des tanks et aussi le remplacement du charbon pour certains navires de guerre notamment en Angleterre où, dès 1917, Winston Churchill prenait pour l’Amirauté 56% des actions de l’Anglo Persian, future B.P.

Dès lors, les Etats commencent à s’intéresser de près à l’industrie pétrolière devenue un élément stratégique. Aux États-Unis, la Standard Oil accroît sa production et devient indispensable au point que le 10 Août 1918 une loi soustrait ses exportations à l’application des lois anti-trusts.

Notons à ce propos que dans le pays de la libre entreprise et de l’économie de marché, les relations entre les grandes sociétés et l’Etat sont permanentes et que bien souvent les financiers dirigeants des unes se retrouvent pourvus de fonctions gouvernementales et que, si leurs intérêts divergent parfois, en règle générale les grandes compagnies et le Gouvernement se font la courte échelle et se soutiennent lorsqu’il s’agit de l’étranger.

C’est ainsi que dès 1919, Washington a appuyé les efforts des grands groupes pétroliers pour s’implanter au Moyen Orient où l’Angleterre régnait en maître. En Irak, les sociétés américaines s’introduisaient de la sorte dans la nouvelle Irak Petroleum Company avec 23,75% avec Royal Dutch Shell, Anglo-Persian et la toute nouvelle Compagnie Française des Pétroles qui devait, bien plus tard, devenir Total.

À l’aube de la Seconde Guerre Mondiale, la politique officielle des États-Unis est « au lieu d’exploiter nos réserves rapidement, nous devons soit tirer de plus en plus de pétrole des pays étrangers, soit réduire notre consommation ». Washington et la Standard Oil marchent la main dans la main.

Le pétrole ne semble pas avoir de responsabilité dans le déclenchement de la guerre encore qu’en 1941 c’est l’embargo sur l’approvisionnement du Japon qui sera déterminant pour lancer ce pays contre les États-Unis ainsi que l’a rappelé Winston Churchill « les Japonais n’avaient d’autre issue ».

Quoiqu’il en soit, l’énergie pétrolière allait jouer dans cette conflagration mondiale un rôle essentiel par l’emploi massif par les puissances combattantes des chars, des avions, des bâtiments de guerre et des sous-marins. Après la guerre, la prise de conscience de l’importance tous azimuts du pétrole devenait un facteur essentiel de la politique des Etats. C’est ainsi que le 13 Février 1945, le Président Roosevelt rencontrait sur le croiseur « Quincy » le roi Ibn Saoud dont le pays devenait un protectorat pétrolier américain et le premier producteur du monde, le consortium Aramco dont l’actionnariat incluait dorénavant Mobil et Exxon (Standard Oil), grandissait en puissance.

 

Au niveau des sociétés pétrolières, on assistait à une redistribution des cartes car, si les Sept Sœurs3 dominaient toujours l’industrie et le marché du pétrole, les pays producteurs commençaient à réagir en exigeant une part supérieure du gâteau, le défi -pour la dernière fois relevé avec succès par les sociétés- le plus sérieux fut porté par l’Iran du Docteur Mossadegh en 1951. Inéluctablement se poursuivit « la décolonisation du pétrole » avec la constitution de sociétés nationales des pays producteurs et la nationalisation dans ces pays de l’industrie pétrolière, les compagnies étrangères devenant juridiquement des prestataires de service.

Même la fixation des prix du brut échappe, lors du choc pétrolier d’Octobre/Décembre 1973, aux compagnies pétrolières qui dès lors n’allaient plus contrôler ni les aires de production ni le marché tout en conservant un rôle prééminent par leur expertise technique et leur puissance financière.

Désormais, la détermination de la politique pétrolière, de plus en plus importante d’un point de vue économique et géostratégique, passait aux Etats. Le poids politique, économique et militaire des États-Unis s’exerce pleinement aujourd’hui dans ce domaine en raison de la croissance de leurs besoins énergétiques et donc de leurs importations.

Déjà en 1973, le Président Nixon fixait pour son pays des objectifs ambitieux qui consistaient dans le domaine énergétique à obtenir une sorte d’autarcie (projet « Independance »).

Ce projet, comme on le sait, n’a pu être mené à bien mais on lui doit la construction de centrales nucléaires qui permettent aux Etats Unis de produire environ 8% de l’électricité qu’ils consomment annuellement.

 

Situation actuelle

Le rappel historique ci-dessus montre l’évolution de la politique pétrolière des États-Unis et permet de comprendre les aspects de la situation actuelle dont le bilan énergétique s’établit aujourd’hui comme suit :

  • Consommation d’énergie primaire de 2 500 millions de tep dont : 975 millions de tep de pétrole brut et produits pétroliers, 600 millions de tep de gaz naturel, 575 millions de tep de charbon, 205 millions de tep d’électricité nucléaire et 145 millions de tep d’autres sources.
  • La répartition de cette consommation d’énergie (end use) est la suivante :
  • Industrie et Agriculture : 38%
  • Transports : 26%
  • Usages commerciaux : 24%
  • Usages résidentiels : 12%

Il faut toutefois noter que le transport automobile à lui seul représente 600 millions de tep soit plus de 60% de la consommation de pétrole c’est-à-dire l’équivalent de la quantité des importations

–  Les projections à l’horizon 2015 montrent relativement peu de changements dans les pourcentages respectifs des différentes sources d’énergie avec une augmentation de 1% du pétrole, une diminution de 1% du charbon mais un accroissement de 3% du gaz naturel tandis que l’électricité d’origine nucléaire perdra 1%.

 

Quant aux importations de pétrole, leur pourcentage par rapport à la consommation qui est aujourd’hui d’environ 60%, ne pourra que croître dans l’avenir, cette augmentation étant due non seulement aux besoins des transports pour lesquels aucune solution de rechange au niveau industriel n’est prévu mais aussi à l’augmentation des besoins d’hydrocarbure pour la production d’électricité, cette dernière devant s’accroître alors que le pourcentage d’électricité d’origine nucléaire est appelé à baisser (à noter que les États-Unis consomment 28% de l’électricité produite dans le monde).

Nous avons ainsi :

  1. une production pétrolière toujours très importante mais très insuffisante, laquelle, suivant les différentes sources d’information, se situe vers 290 millions de tonnes/an en 2005 et met les États-Unis au troisième rang des producteurs mondiaux après la Russie et l’Arabie Saoudite, les réserves s’élevant à environ 3.200 millions de tonnes soit 11 ans de production, la recherche et les découvertes permettant un certain statu quo ;
  2. en conséquence, une dépendance croissante des importations de pétrole brut d’environ 600 millions de tonnes, lesquelles se répartissent comme suit :

 

  • Amérique (Canada, Mexique, Vénézuéla) : 50 %
  • Moyen-orient (Arabie Saoudite 2/3) : 23 %
  • Afrique (Nigeria 3/5) : 17 %
  • Mer du Nord (Norvège, Royaume Uni) : 4 %
  • Autres provenances : 6 %

Auxquelles s’ajoutent environ 120 millions de tonnes de produits raffinés ;

  1. une demande mondiale en augmentation permanente notamment des pays nouvellement industrialisés et particulièrement de la Chine dont la consommation en accroissement annuel de plus de 3,4% rejoindra celle des États-Unis à l’horizon 2025-2030, ce qui nécessitera des investissements mondiaux considérables dans le domaine énergétique, soit 16.000 milliards de dollars jusqu’en 2030 dont 3.000 milliards pour le pétrole et autant pour le gaz naturel ;

 

  1. une capacité de raffinage insuffisante et un parc de raffineries vieillissant faute d’investissements importants pour le rénover et en augmenter la capacité ;
  2. une production de gaz naturel importante mais qui ne couvre pas entièrement les besoins (590 millions de tep) avec un ratio réserves/production d’environ 10 années.

 

Les défis à relever par les États-Unis dans un monde en évolution, politiquement incertain et face à l’appétit en énergie des nouveaux venus du développement économique et industriel dont évidemment la Chine mais aussi l’Inde, le Sud-est asiatique et le Brésil, sont donc considérables.

 

Il convient cependant de ne pas sous-estimer les capacités techniques et méthodologiques des Américains ni l’esprit d’entreprise des sociétés pétrolières. Ainsi, le nombre de puits forés aux États-Unis a été de 28.000 en 2004 dont 8.000 producteurs.

D’autre part, en ce qui concerne l’approvisionnement du pays en pétrole brut, il faut souligner l’importance du Canada, du Mexique et du Vénézuéla qui aujourd’hui assurent, comme indiqué plus haut, 50% de ces approvisionnements. Les réserves du Mexique sont certes évaluées à une douzaine d’années seulement (celles des États-Unis à 10 ans) mais il convient de tenir compte de la recherche qui permettra de mettre à jour de nouvelles réserves.

Enfin et surtout, il faut insister sur les perspectives que présentent les sables asphaltiques du Canada et les bruts extra-lourds du Vénézuéla qui font déjà l’objet d’une production combinée d’environ 1.600.000 barils/jour et dont on peut raisonnablement penser à une production de 100 à 250 millions de tonnes/an vers 2010 et jusqu’à 500 millions dans les décennies suivantes.

C’est là pour les États-Unis une réserve pour l’avenir sans parler, plus tard dans le siècle, des schistes bitumineux du Colorado dont les réserves en place sont considérables mais qui posent des problèmes technologiques et financiers non encore résolus.

Pour autant, les combustibles fossiles conventionnels (charbon, pétrole, gaz naturel) continueront de représenter 85% de l’approvisionnement énergétique mondial en l’absence de substituts disponibles à la fois techniquement, quantitativement et financièrement. De ces énergies, on l’a vu, les hydrocarbures vont représenter dans le monde un pourcentage de plus en plus élevé quelle que soit l’importance du charbon dans quelques pays dont les États-Unis, la Chine et la Russie.

La sécurité de ces approvisionnements représente dès lors et continuera de représenter un impératif pour les États-Unis et ne peut que jouer un rôle de première importance dans leur politique internationale. Il s’agit en effet non seulement de leur propre approvisionnement mais également du poids géostratégique du pétrole et, par conséquent, du contrôle des aires principales de production et de l’acheminement de ce dernier vers les marchés.

 

Perspectives internationales

Les conclusions du paragraphe précédent nous amènent naturellement sur la scène politique internationale. Au niveau domestique, les travaux du très efficace D.O.E. (Department of Energy) du Gouvernement Fédéral donnent les orientations de la politique en matière énergétique et les programmes à mettre en œuvre. Au niveau international, on l’a vu, les États-Unis vont être de plus en plus dépendants des importations même si les bruts extra-lourds du Canada et du Vénézuéla permettront sans doute de minimiser le plus possible les importations du Moyen-Orient qui renferme 60% des réserves mondiales et, à l’horizon 2030 plus encore. Or, les États-Unis ont des intérêts qui dépassent la nécessité de leur approvisionnement énergétique et qui expliquent leur implication dans la sécurité et la liberté du commerce et du transport du pétrole et du gaz vers leurs alliés et leurs clients. Le pétrole constitue aussi, nous l’avons vu, une arme stratégique à l’encontre d’adversaires potentiels.

Dans tous les cas, comme le souligne le Professeur Jean-Marie Chevalier4, « on constate à quel point la situation énergétique américaine joue un rôle déterminant pour comprendre la situation pétrolière et énergétique mondiale, ses enjeux et la dynamique du rapport de force ».

Ne tombons cependant pas dans le travers qui consiste, comme certains journalistes et essayistes l’ont fait, à tenir le pétrole pour responsable des guerres et révolutions qui ont secoué de nombreux pays et continuent à le faire. Ne soyons pas angéliques non plus car, incontestablement, les « batailles permanentes du pétrole » ne sont pas un vain mot ni l’âpre lutte internationale des États-Unis pour contrôler les ressources d’hydrocarbures et leurs moyens d’acheminement, lesquels, à l’évidence, resteront encore longtemps la clef de voûte du monde industrialisé et de celui qui se développe.

La politique des États-Unis à ce propos, pas plus que celle des compagnies pétrolières, ne s’est jamais embarrassée de vains scrupules. La presse de ce pays, et c’est tout à son honneur, n’a pas craint, avec la liberté d’expression qui existe aux États-Unis, de s’exprimer à cet égard. C’est ainsi que la revue Time a, le 10 mai 2003, publié un petit dossier suivant lequel « la politique étrangère américaine en ce qui concerne le pétrole a toujours été manipulatrice ou peu judicieuse, souvent les deux à la fois. Ce type de machinations va de lois fiscales secrètes dans les années 50 permettant à la famille royale saoudienne de percevoir plus de revenus pétroliers et d’autoriser les compagnies américaines à en déduire le montant de leur impôts, jusqu’à renverser des gouvernements qui faisaient preuve de trop d’indépendance en ce qui concerne les ventes de pétrole », et Time continue en rappelant la tentative avortée de Mossadegh en Iran en 1951, ainsi que l’aide militaire à l’Afghanistan au motif avancé par la C.I.A. que l’Union Soviétique allait manquer de pétrole et s’engageait en Afghanistan dans le but, ultérieurement, de contrôler les champs pétroliers au Moyen-Orient.

 

Enfin, en ce qui concerne l’Irak, la revue ironise sur les affirmations répétées du Président et des membres du Gouvernement que la guerre n’a absolument aucun rapport avec le pétrole. Si c’est vrai, ajoute Time, ce serait une grande première historique…

En ce qui concerne ce pays et sans revenir sur la polémique concernant cette opération militaire américaine, il est évident qu’une puissance comme les États-Unis n’envoie pas 250,000 hommes, armée, flotte et aviation, au prix de dizaines de milliards de dollars, à l’autre bout du monde pour détruire des « armes de destruction massive » inexistantes ou pour mettre fin à la dictature d’un potentat local alors qu’il y en a des dizaines à travers le monde.

Les véritables objectifs sont d’ordre géostratégique avec, bien entendu, une forte composante pétrolière : si l’on regarde la carte, l’on voit que désormais les États-Unis disposent de nombreuses bases militaires depuis l’Europe Centrale jusqu’à l’Ouzbékistan, bordant tout le flanc Sud/Sud-Est de la Russie ainsi que le Moyen-Orient et l’Asie Centrale. De là sont tenues en respect non seulement ladite Russie, considérée comme un adversaire potentiel que l’on essaie d’affaiblir en « mordant » sur sa périphérie (Georgie, Ukraine, demain l’Azerbaïdjan), mais également la Chine. Cette situation permet également le verrouillage de l’accès aux pays producteurs de pétrole du Moyen-Orient et de l’Asie Centrale qui, ensemble, représenteront à terme 70 à 75% des réserves mondiales. Elle permet en outre de contrôler l’évacuation des hydrocarbures vers l’Occident et l’Asie.

C’est ainsi que le système vient d’être complété par l’oléoduc en construction à travers l’Afghanistan (résultat tangible de la guerre contre les Talibans, lesquels, en juillet 2001 à New York, avaient refusé leur accord pour son passage à travers le pays) et celui qui, quoique pour l’instant non rentable, ira de Bakou à Ceyhan sur la côte méditerranéenne de la Turquie afin d’évacuer le brut de l’Azerbaïdjan et en partie du Kazakhstan.

Dans ce contexte, l’Irak représente une pièce essentielle sur l’échiquier, tant pas sa position stratégique que par ses réserves pétrolières d’environ 15 milliards de tonnes, soit 15% des réserves totales de la région, ce qui pourrait permettre, avec la remise en état et l’amélioration à apporter aux équipements des champs pétroliers, moyennant de très importants investissements, une production à terme de 5 à 6 millions de barils/jour, soit 250 à 300 millions de tonnes/an. Encore convient-il de noter que, suivant les experts, pas plus du quart des gisements découverts ont été mis en production.

L’on peut donc mesurer l’importance pétrolière et donc stratégique de l’Irak et il ne faut pas oublier que ce fut là l’une des raisons de la guerre du Golfe en 1991. Comme le disait Dick Cheney, actuel Vice-Président des États-Unis et, à l’époque, Ministre de la Défense, « si nous attendons deux ou trois ans, Saddam Hussein dominera la zone du golfe, donc l’approvisionnement pétrolier du monde, le nôtre et celui des autres nations ».

De son côté, l’historien spécialiste du Moyen Orient, John B. Kelly, écrivait en 1990 dans la revue Politique Internationale (n°49) : « Est-ce réellement le fond du problème (l’invasion du Koweït) ? En fait, la question centrale qui éclipse toutes les autres est la sécurité des réserves pétrolières du Golfe et leur disponibilité constante pour le reste du monde… Le cœur de l’affaire est le pétrole »… Lorsque l’armée de Saddam Hussein eut envahi le Koweït, la perspective d’un Irak contrôlant la production combinée d’alors des deux pays, soit 27% de la production du Golfe, était proprement inacceptable et l’intervention américaine inéluctable.

Dans la même veine se situe ce que l’on a appelé « la bataille des oléoducs », dont ceux indiqués plus haut, pour l’évacuation du pétrole du Caucase et de l’Asie Centrale, la préoccupation américaine étant de permettre le transport de ces richesses pétrolières et gazières vers les marchés mondiaux. Le Secrétaire d’Etat du Président Clinton, Madame Albright, déclarait alors « prendre en charge l’avenir de cette région serait l’une de nos tâches les plus passionnantes ». Elle ajoutait qu’il fallait promouvoir l’intégration du Kazakhstan à l’économie mondiale.

L’on voit ainsi, une fois de plus, l’entrelacs que composent les intérêts pétroliers, économiques, politiques et stratégiques que, sans être dans le secret des conseils gouvernementaux, l’on peut sans risque d’erreur majeure, déduire de l’analyse des faits et des équilibres mondiaux incertains notamment au Moyen Orient.

En conclusion, l’on peut dire que les problèmes énergétiques des États-Unis, comme ceux d’ailleurs des autres pays industrialisés ou appelés à le devenir, restent pour longtemps encore liés aux hydrocarbures et aux efforts pour les nécessaires approvisionnements. Un jour lointain, sans doute, d’autres technologies s’imposeront car, comme le rappelle opportunément l’éminent physicien danois Bjôrn Lomborg5, « l’âge de pierre prit fin non par manque de pierres mais par l’avènement de meilleures technologies ».

En définitive, l’Agence Internationale pour l’Energie avait, à juste titre, intitulé son rapport annuel de 2004 « Energy Security in a Dangerous World ».

** André PERTUZIO est consultant pétrolier international avec une carrière internationale de plus de 30 ans dans l’industrie pétrolière dont 20 ans au sein d’un grand groupe pétrolier français. Il a été aussi Conseiller juridique pour l’énergie à la Banque Mondiale.

Note

  1. tep : quantité de matière énergétique produisant la même quantité de calories qu’une tonne de pétrole.
  2. Baril/jour : un baril contient 158,76 litres. On considère qu’il y a approximativement 7 barils par tonne et l’on admet couramment dans l’industrie pétrolière qu’un baril/jour est égal à 50 tonnes/an.
  3. Sept Sœurs : les « Seven Sisters » était le sobriquet couramment employé pour qualifier les 7 plus grandes compagnies pétrolières au monde qui s’était partagé les marchés à la suite des Accords dits d’Achnacarry en 1928 : Standard Oil de New Jersey (Esso puis Exxon), Standard Oil de Californie (Chevron), Mobil Oil, Gulf, Texaco, Royal Dutch-Shell, Anglo-Iranian (B.P.). On les appelait aussi « les majors ».
  4. Jean-Marie Chevalier : Les Grandes Batailles de l’Energie, Gallimard, coll. « Folio Actuel », 2004.
  5. Bjôrn Lomborg : The Skeptical Environmentalist, Cambridge University

Press, 2001.

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