La politique française vis à vis de l’Iran

Emmanuel DUPUY, Président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). Il est, par ailleurs, responsable des questions internationales et de défense de La Gauche Moderne. Il fut Conseiller politique (POLAD) du Commandant de la Task Force Lafayette (Forces françaises en Kapisa et en Surobi) en Afghanistan, de février à juillet 2011. Avant cela, il fut Chargé d’Etudes à l’Institut de Recherche Stratégiques de l’Ecole militaire (IRSEM) en 2010. Chargé de mission « Recherche – défense » auprès du Secrétaire d’Etat à la défense et aux Anciens combattants (2008-2010).

A quelques jours du premier anniversaire de l’accord sur le nucléaire iranien, entre l’Iran et les membres du groupe dit « P5+1 » (regroupant les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies auquel il convient d’ajouter l’Allemagne et l’UE), l’Iran semble reprendre toute sa place sur l’échiquier international. Néanmoins, bien des écueils demeurent pour un retour sur le plan géoéconomique, géopolitique et géoculturel, que d’aucuns, dans le voisinage moyen oriental, notamment, voient toujours d’un mauvais œil.
Il aura fallu, en effet, douze années de crise sur le nucléaire, près de deux ans de négociations intenses ponctuées d’un nombre record de rencontres bilatérales entre l’Iran et les membres du groupe dit « P5+1 » pour que l’on parvienne, enfin, à Vienne -siège de l’Agence Internationale de l’Energie Atonique (AIEA) – à un accord complet ouvrant ainsi une nouvelle ère des relations internationales entre l’Iran et la « Communauté internationale ».
L’accord est non seulement « historique » pour l’avenir du système de régulation de la non-prolifération et du désarmement – au regard du Traité de non-prolifération (TNP), depuis son entrée en vigueur en 1970 -, il l’est aussi eu égard à une prise en compte de la Realpolitik au Proche et Moyen-Orient, en Asie du Sud-Ouest, en particulier.
Au-delà, cet accord vient confirmer une nouvelle « gouvernance » dans les relations internationales caractérisée par l’émergence de Nations aux ambitions, contributions, actions et besoins qui iront crescendo.
L’accord scellé à Vienne est aussi déterminant, car il confirme urbi e orbi, l’Iran comme une puissance régionale, globale, tant sur le point stratégique qu’économique. Si, bien que des obstacles demeurent, néanmoins, il convient surtout, pour la France de ne pas manquer ce « momentum ».
En effet, une fois l’accord mis en œuvre, le succès de la diplomatie du « compromis acceptable » entre Téhéran et les capitales occidentales, au premier chef desquels, Washington, Londres, Berlin et Paris, est une chance inédite à ne pas manquer, car une telle configuration stratégique est unique.
Aujourd’hui, la principale menace qui préoccupe l’Iran est la même que celle qui obère la sécurité des pays occidentaux, à savoir Daesh et sa cohorte de groupes terroristes se revendiquant de l’idéologie takfiriste et prônant un wahhabisme djihadiste, dont l’Arabie Saoudite est le centre névralgique.
Les dossiers, qui pourrait rapprocher diplomaties et communautés stratégiques françaises et iraniennes sont, en effet, nombreux, dont l’incidence est fortement liée à l’accord de Vienne :
• convergence d’intérêt à lutter contre Daesh en Irak comme en Syrie, tout en veillant à juguler son expansion sur le continent africain, notamment en Libye ;
• nécessité de stopper un conflit au Yémen qui s’enlise au prix de nombreuses vies humaines ;
• opportunité d’œuvrer de concert à des médiations, facilitations en faveur de la résolution et prévention, des conflits (à l’instar de la récente crise au Haut-Karabakh entre Arménie et Azerbaïdjan voisins)
• urgence de trouver enfin une issue politique et institutionnelle au Liban après plus de 35 tentatives infructueuses d’élire un Président depuis près de deux ans ;
• perception commune du besoin de stabiliser la situation en Afghanistan, à l’aune d’un nouveau cycle électoral toujours aussi fragilisé par la puissance retrouvée des talibans et une conflictualité-concurrence croissante entre Daesh et Al Qaida ;
• nécessité de penser les relations énergétiques et économiques sur une base nouvelle, à mesure que d’autres acteurs, à l’instar de la Chine, de l’Inde, de la Russie, témoignent elles aussi d’une volonté de mise en exergue d’un approfondissement des interdépendances eurasiatiques…
Bref, l’Iran, forte de ses 80 millions d’habitants, 100 millions en 2050, compte-tenu de son PIB à parité de pouvoir d’achat qui la place au 17ème rang, offre nombre de garanties pour qui veut bien s’en saisir, avec réalisme et pragmatisme.
C’est désormais à ce chantier que la France doit s’atteler avec célérité, mais délestée des obstacles institutionnels et des perceptions idéologiques qui l’ont contrainte ces dernières années.
Il y a urgence, car la diplomatie française a placé nos intérêts stratégiques et économiques en positions inconfortables, et ce, par ses positions plus intransigeantes que celle de ses partenaires couplée à sa fermeté affirmée – qui a pu certes séduire nos alliés « diplomatiques » traditionnels en Israël et « commerciaux » avec lesquels la France s’est rapprochée, à l’aune d’une coopération militaire inédite, à l’instar de l’ Arabie Saoudite et vis-à-vis des Emirats, sultanats du sud du Golfe Persique – mais qui marque une rupture récente dans notre politique d’équilibre au Levant et au Moyen-Orient.
Situation quelque peu paradoxale quand on sait que les entreprises françaises ont parfaitement saisie l’importance des enjeux et ont déjà commencé à se repositionner sur le marché iranien. Notre « diplomatie économique » ne saurait donc être pervertie par une certaine idéologisation de notre diplomatie, encore faudrait-il faire plus désormais qu’en témoigner…
S’il est indéniable que la position géostratégique de l’Iran est un facteur clé de la sécurité régionale, alors le commerce et les échanges économiques, scientifiques et culturels poseront un socle permettant d’ancrer ses voisins d’Asie du Sud-Ouest (Afghanistan et Pakistan en lutte avec les talibans, les narcotrafiquants ou encore des groupes armés sunnites comme Jundullah dans le Baloutchistan), comme ceux du Moyen et Proche Orient (principalement l’Irak qui lutte contre son délitement politique et militaire) dans une aire de stabilisation – à court terme – et de prospérité – à plus long terme.
Sachons, accompagner ce mouvement, car la France a une place particulière en Iran. Nos entreprises sont bien implantées et connaissent bien le marché iranien et son potentiel exponentiel. A elle seule, l’Iran possède les réserves de pétrole de l’Arabie Saoudite, les réserves de gaz naturel de la Russie, le potentiel commercial de la Turquie et les réserves en minerai de l’Australie…
Il faut donc faire, désormais, la part des choses et retrouver les ressorts d’une longue et riche tradition diplomatique entre nos deux nations, et ce, trois cents ans, après l’établissement des relations diplomatiques entre la France et la Perse.
La position du gouvernement français sur les questions de non-prolifération ne doit pas freiner les intérêts de la France et la volonté de nos industriels de s’implanter à nouveau dans ce marché de 80 millions d’habitants, au très fort potentiel issu d’une jeunesse instruite et formée, qui représente 60% de la population, avide de biens de consommation comme en attente impatiente d’infrastructures.
La bonne exécution de l’Accord du 14 juillet, et sa mise en œuvre concrète permettra de sortir de cette confrontation qui a, du reste davantage frappée nos entreprises que celles de nos partenaires d’Outre-Atlantique !

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