LA POLITIQUE DE SÉCURITÉ DE LA CHINE ASPECTS GÉNÉRAUX ET ÉVOLUTION

Roger TEBIB

Septembre 2007

On peut dire que la chine est tentée de se convertir aux concepts de sécurité non traditionnelle (développement durable, protection de l’environne­ment, maintien de la paix) et au front uni avec l’Occident contre le terrorisme, d’un côté ; d’un autre côté, à un objectif militaire face à une grande puissance comme les Etats-Unis.

Autour de ces options s’élèvent encore de vigoureux débats qui mettent en lu­mière les intérêts de plus en plus contradictoires que ce pays s’efforce de concilier.

Le processus de réarmement et ses causes

La Chine est un des pays au monde qui augmente son budget militaire dans les proportions les plus considérables. « Le 6 mars 2001, Pékin a annoncé une hausse des dépenses de l’armée de 17,7 % pour l’année en cours, ce qui les porte à 141 milliards de yuans, soit 19 milliards d’euros. Mais les experts occidentaux estiment que les dépenses militaires réelles sont deux ou trois fois plus élevées que les chiffres officiellement avoués1 ».

  1. Membre officiel du club des puissances nucléaires depuis 1964, la Chine pour­suit avec constance le développement de ses capacités militaires dans ce domai­ Avec ce réarmement, elle n’accroît pas ses effectifs terrestres mais augmente sa flotte de haute mer et sous-marine ainsi que son aviation. Elle augmente également les soldes pour motiver les militaires de carrière.
  2. Elle continue à entretenir de bons rapports avec l’Inde et la Russie, d’autant plus que cette dernière puissance lui a fourni, entre autres, les chasseurs bom­bardiers Sukkoï. Quant à Taïwan, sa reconquête ruinerait la juteuse économie de cette province perdue.
  1. Le problème important est celui de la rivalité géostratégique croissante entre les États-Unis et la Chine pour la possession du Pacifique qui constitue une ligne de fracture mondiale très préoccupante.
  2. Quant aux Japonais, on a vu, en particulier après les événements de la place de Tian An’Men, qu’ils étaient les plus réticents à prendre des sanctions vis-à-vis de Pékin et les premiers à chercher à rétablir des relations normales. Ainsi, même si les relations entre les deux pays risquent parfois de se détériorer, un conflit n’est pas probable. On peut constater, en effet, que les tensions avec le Japon concer­nant l’accès aux ressources énergétiques sibériennes et les droits d’exploitation en mer de Chine orientale n’ont pas débouché sur de sérieux affrontements.

Le développement d’une nouvelle forme de capitalisme

En 1992, le XIVe Congrès décida de mettre en place ce qu’il appela l’Economie socialiste de marché.La Chine ne cherche plus du tout, comme au temps de Mao Zedong, à défendre le messianisme communiste ni à prendre la tête des pays en voie de développement contre l’Occident mais à utiliser ses capacités technico-militaires pour gagner une guerre économique.Elle tient essentiellement à faire émerger dans le monde un concurrent beau­coup plus dangereux que la défunte U.R.S.S.

Le nationalisme chinois prend conscience de son immense puissance, surtout économique, d’autant plus que les États-unis et leurs alliés ne sont pas prêts à se lancer dans une troisième guerre mondiale. Ajoutons que la démographie chinoise est une protection sérieuse contre le pro­jet américain de défense antimissiles balistiques (NMD) soutenu par Bush. À ce sujet, Sha Zukang, le négociateur chinois sur le désarmement, a déclaré : « La Chine est trop grosse pour que les Américains l’envoient sur la lune. Les Chinois sont sur la terre depuis 5000 ans et y resteront à jamais ».

Pour sa défense, la Chine utilise surtout le renseignement et une politique éco­nomique originale. Le but est de déstabiliser les équilibres commerciaux au niveau régional comme au niveau global, en utilisant essentiellement des infiltrations dans beaucoup de pays dont certains sont des concurrents et des investisseurs.

Les exportations générées par les entreprises étrangères délocalisées en Chine posent des problèmes à la croissance du pays. De même, le gouvernement veut contrôler davantage les communautés chinoises d’outre-mer traditionnelles. Il s’agit d’un conflit de type « post-moderne ».

Une coordination civilo-militaire dans le domaine du renseignement

Les buts sont la propagande chez les Chinois de l’étranger, le recrutement d’agents d’information payés avec de l’argent liquide, les infiltrations dans les agen­ces de voyages, les restaurants, les charters, les départements scientifiques des uni­versités…, le tout pour une adaptation au monde actuel des théories de l’Art de la guerre qui remontent à Sun Tzu2. L’organisation est à peu près la suivante, évidem­ment compte tenu des informations que l’on peut avoir3.

  1. Organismes centraux
  • Bureau politique du Parti communiste chinois
  • Coordinateur des services de sécurité (dépendant directement du Bureau politique du P.C.)
  • Comité central du P.C. (fixation des thèmes de recherches). Dépendent de cet organisme :
  1. Bureau des affaires générales
  2. Unité des gardes 57003 (groupe paramilitaire de surveillance ; il a rem­placé l’unité spéciale d’élite 8341 qui assurait notamment la protection des hauts dignitaires du P.C.)
  3. Trois secteurs
  • Renseignement interne

– Il dépend du ministère de la Sécurité publique («gonbangu») qui a des bureaux régionaux («gonjanju»)

– Parallèlement, le ministère de la Sécurité d’Etat («guojia anquanbu») in­tervient dans ce domaine pour des cas graves. Il contrôle deux bureaux, l’un à Pékin, l’autre à Canton

  • Renseignement militaire
  • Il est dirigé par le Département Sécurité de la Commission des affai­res militaires du Comité central du P.C. il possède des sous-directions du Renseignement militaire (quinbaobu)
  • Comme dans tous les régimes marxistes, l’Armée populaire de libération et ses services de renseignement sont contrôlés par la Direction de la Sécurité du Département politique du P.C. qui dispose d’un Bureau des enquêtes (diaochabu). Cette dernière structure parait être actuellement en sommeil.
  • Renseignement international

– I1 est sous la direction directe du Comité central, avec quatre départe­ments

  • Département des liaisons internationales (duiwai lianluobu, DLI)
  • Département du front uni du travail
  • Département de l’organisation (avec une section des cadres)
  • Département de la propagande (avec des bureaux outre-mer).
  • Le ministère de la Sécurité d’Etat a créé il y a une dizaine d’années un service de renseignements à l’étranger (guoanbu), dépendant directement de lui.
  • Le mot Tewu (littéralement « services spéciaux ») est utilisé pour désigner la communauté du renseignement chinois.
  • Le ministère de la Justice dispose d’un Bureau des enquêtes (fawubu diao-chaju) qui opère, en particulier, à Taïwan.
  • Le Premier ministre dispose d’un Bureau d’enquêtes et de recherches (Naikaku chosa shitou, abrégé en Naicho) qui fait, entre autres, de l’es­pionnage au Japon

La lutte contre les trafics financiers

Les secteurs d’activité des associations chinoises sont très variés et couvrent aussi bien la santé, l’éducation, le droit des femmes, la protection de l’environnement, que le sport et la culture. Mais les pouvoirs publics développent de plus en plus, dans ce domaine, une surveillance rapprochée, surtout économique, en Chine et dans les communautés chinoises à l’étranger.

  1. Le gouvernement chinois a suscité à ses débuts la création d’un grand nombre d’organisations de masse, étroitement contrôlées par le parti communiste. Mais la vie associative est de moins en moins encadrée par les pouvoirs et groupes marxistes, d’où des problèmes de contrôle, en particuliers financiers, compte tenu du fait que ces associations existent dans les différentes provin­ces du pays mais également à l’étranger. En 1965, la Chine comptait quelque 100 associations au niveau national et 6000 au niveau local. Actuellement, il en existe plus de 200 000 4 .

On ne connaît pas le nombre d’associations de droit étranger qui sont seule­ment tolérées et négocient au coup par coup des accords avec les ministères concernés et les autorités locales. Elles doivent avoir un compte bancaire que les services officiels contrôlent sérieusement, notamment quand elles reçoi­vent des dons de l’étranger ou y transfèrent de l’argent. Le ministère de la Sécurité d’État et la Banque de Chine vérifient régulièrement cette compta­bilité et prennent des sanctions s’il le faut.

  1. Dans les communautés chinoises installées à l’étranger, en particulier en France, existent des structures financières importées, dont la tontine, un

système de prêt privé collectif qui permet à un certain nombre de personnes de trouver l’argent nécessaire à l’ouverture d’un commerce avec une mise de fonds personnelle réduite5 .

Le Bureau national des comptes, en particulier, vérifie ce système de gestion financière. Il est aidé par les agents du Gonganbu, principal organe de ren­seignement du ministère de la Sécurité d’État.

 

La lutte contre le crime organisé et les Triades

Avec l’arrivée du communisme en 1949, ces mafias avaient fui la Chine conti­nentale pour se replier sur Hong Kong, Taïwan, Macao, Singapour et la Thaïlande, leurs opérations n’étant pas gelées pour autant. Elles ont pu également essaimer en Ocident grâce à leur diaspora.

À partir des années 1980-1990, à la suite du déclin du communisme parqué par les réformes économiques de Deng Xiaoping et le retour en Chine de Hong Kong (1997) et de Macao (1999), les Triades se sont réinstallées dans leur ancien domaine.

Les services de sécurité passent leur temps à lutter contre leurs trafics. Ainsi, « en septembre 2003, près de 9000 personnes suspectées d’appartenir aux Triades sont arrêtées dans le cadre d’une opération conjointe des polices de Hong Kong, de Macao et de Pékin : 7500 dans la province de Guangdong (Chine continentale), 1041 à Hong Kong et 74 à Macao6 ».

Les services de renseignement chinois se sont mis à entretenir des relations étroi­tes avec les pays occidentaux où les Triades s’installaient, surtout dans les commu­nautés asiatiques. En 1982, ils ont même signé un accord avec les Etats-Unis per­mettant à la Central Intelligence Agency (CIA) d’exploiter des renseignements à ce sujet, en particulier grâce à deux stations électroniques en Chine (à Qitai et Korla).

On a ainsi un certain recensement sur six Triades :

  • Sun Yee On (Nouvelle Vertu et Paix), à Hong Kong, au Canada (Toronto, Edmonton et Vancouver) et aux Etats-Unis (50 000 membres environ) ;
  • Sap Sze Wui (ou 14 K) à Hong Kong et aussi au Canada (également près de 50 000 membres) ;
  • Wo Chi tau (Fédération de l’harmonie) à Hong Kong et à travers le monde (plus de 30 000 membres) ;
  • Chu Luen Pang (la Bande desBambous unis), à Hong Kong et à travers le monde (10 000 à 20 000 membres) ;
  • Si Hai Pang (la bande des quatre Mers), à Taïwan, en Chine et dans le monde (plus de 10 000 membres) ;
  • Tai Huen Tsai (le Grand cercle), en Chine continentale, à Hong Kong, en Europe, au Canada et aux USA (plus de 5000 membres.

 

Les « zones économiques spéciales » (Z.E.S.)

Dans le cadre théorique d’une nouvelle politique d’ouverture économique, le gouvernement chinois a décidé de créer des lieux pour servir de laboratoires aux opérations de coopération avec l’étranger. « En juillet 1979 est promulgué le code sur les entreprises mixtes à capitaux sino-étrangers. A côté des procédures d’échan­ges compensatoires et de «pay back by product» depuis longtemps utilisées en U.R.S.S. pour financer les importations d’équipement occidental, le Code prévoit

le développement des formes de coproduction («joint ventures») qui s’appliquent en particulier aux industries légères travaillant pour l’exportation et faisant de la sous-traitance, du montage ou du travail à façon pour les bailleurs de fonds étran­gers éventuellement chargés de fournir aussi matière première ou équipement7 ».

  1. Quatre « zones économiques spéciales » furent créées. Elles sont toutes situées sur la façade maritime du pays, trois d’entre elles se trouvant dans la province de Canton, à proximité de Hong Kong, la quatrième en face de Taïwan.

Pour attirer capitaux et technologies étrangères, des mesures ont été prises :

  • allègement de l’appareil administratif avec plus de liberté donnée aux autori­tés locales ;
  • possibilités de dérogation aux règlements officiels en ce qui concerne l’em­bauche, le licenciement, la fixation des prix, etc. ;
  • exemption de droits de douane pour les produits importés dans le cadre d’opérations internationales d’assemblage et de sous-traitance ;
  • entière disposition aux zones de leurs revenus en devises.

La plus dynamique de ces zones est celle de Shenzhen, aux portes de Hong­Kong. Elle est favorisée par sa situation géographique, un statut d’assez large autonomie locale et le soutien des entrepreneurs chinois d’outre-mer. Mais sa croissance risque d’être limitée à cause, en particulier, d’investissements trop axés sur les secteurs immobiliers et touristiques, d’une part, et d’une dépen­dance trop étroite à l’égard du marché financier de Hong Kong, d’autre part.

Quant aux autres zones, leurs résultats demeurent très en retrait des attentes du gouvernement chinois. Eloignées des grands centres économiques du pays, dépourvues des bases industrielles et des infrastructures nécessaires, ces enclaves nécessitent d’énormes investissements qui sont loin d’être compensés par les entrées de capitaux étrangers.

Pour les investisseurs venus des autres pays, les conditions d’implantation se révèlent moins attractives que prévu. « La main d’oeuvre y est peu qualifiée, alors que les salaires versés, rehaussés par des coûts cachés (assurances sociales et allocations diverses) atteignent deux ou trois fois le niveau de ceux des ré­gions voisines de Chine. Quant aux pesanteurs bureaucratiques, elles ont plutôt tourné au désavantage des Z.E.S. où se retrouvent les antennes de multiples administrations locales et nationales8 ».

 

  1. Depuis 1984, les autorités chinoises ont multiplié les zones à statut spécial, avec 15 villes dont Pékin, Shanghai et Tientsin. Toute la façade maritime de la Chine est ainsi appelée à fonder la croissance économique sur les relations avec les pays du Pacifique, dans le cadre d’une implantation dans cette zone stratégique.

 

Ainsi, après plus de deux décennies de modernisation depuis l’effondrement du communisme, on assiste à une nouvelle stratégie mondiale, fondée sur le dy­namisme économique et essayant de contourner les conflits très brutaux de type classique.

 

*Professeur des Universités- Sociologie- Reims.

 

Notes

  1. Le Monde, 7 mars 2001
  2. SUN TZU, Vide et plein, l’Art de la guerre
  3. BAUD (Jacques), Encyclopédie du renseignement et des services secrets, nouvelle édition, Lavauzelle, 2002
  4. Guide de la liberté associative dans le monde, La Documentation française, 2000
  5. CHAIROFF (Patrice) et LE SAINT (Korinn), La mafiajaune en France, Rochevignes, 1987
  6. GAYRAUD (Jean-François), Le monde des mafias. Géopolitique du crime organisé, Odile Jacob, 2005
  7. BERGÈRE (Marie-Claire), Economie de la Chine populaire, Armand Colin, 1987
  8. LEMOINE (Françoise), in : L’état du tiers-monde, La Découverte, 1989
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