La menace nucléaire en Asie centrale et au Moyen-Orient

Le Général (cr) Henri PARIS 

Juillet 2006

Une arme n’est jamais abandonnée que par obsolescence et l’arme nucléaire n’échappe pas à cette règle, vérifiée depuis qu’il existe une mémoire écrite.

Il n’y a donc aucune raison pour que les Etats-Unis, puis l’Union soviétique, puis les trois autres Etats membres du Conseil de sécurité de l’ONU, s’adjugent le monopole de l’atome militaire.

L’Iran, quel que soit son régime, aspire à être membre du club des nations nucléaires. Les Américains, adeptes de la non-prolifération, qui les sert, ont cherché à s’opposer à l’accession à la capacité nucléaire de l’Iran, et précédemment de la France, de l’Inde et du Pakistan et ont laissé faire Israël. Peine perdue ! Le proche et le Moyen-orient sont en voie d’être nucléarisés.

La banalisation de l’arme nucléaire est en cours. Comme toute arme, l’atome militaire a un antidote, mais ceci est déjà en dehors de cette étude.

Plusieurs nations asiatiques possèdent l’arme nucléaire : Israël, l’Inde, le Pakistan, la Chine et la Corée du Nord à ce que proclame PyongYang et à ce que ne proclament pas les Israéliens.

Le traité de non-prolifération, signé en 1968, entré en vigueur en 1970 et reconduit par presque l’unanimité des Etats de la planète, soit 189 sur les 192 Etats inscrits à l’ONU, moins donc l’Inde, le Pakistan et Israël, interdit la détention de l’arme nucléaire aux signataires, tout en l’autorisant aux cinq Etats-membres permanents du Conseil de Sécurité, sans qu’il y ait d’ailleurs relation de cause à effet. La Corée du Nord s’est retirée du traité, en janvier 2003, en vertu d’un article qui le permet, comme dans tout traité, à condition de respecter le préavis déterminé. Le retrait des Etats-Unis des traités ABM en 2001, afin de conduire le programme d’un bouclier antimissile comme l’échec de la conférence de révision du TNP, en mai 2005, ont donné un exemple déplorable aux Etats tentés par la prolifération. Un protocole additionnel a été conclu le 22 septembre 1998 pour renforcer les garanties de sécurité et le renforcement des contrôles effectués par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Enfin, en septembre 2005, les 117 pays présents à la conférence sur la mise en œuvre du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE ou CTBT, selon le sigle américain) se sont séparés en constatant que la ratification du traité est à un horizon lointain et que le Congrès des Etats-Unis se refuse obstinément à cette ratification. Le TICE n’est donc pas entré en vigueur.

Les Etats-Unis ne se contentent pas de donner ce seul mauvais exemple. Vis-à-vis du Pakistan, ils font preuve d’une patience extraordinaire en tolérant l’existence du réseau d’Abdul Qadeer Khan, le père de la bombe pakistanaise, qui a approvisionné la Libye, l’Iran et la Corée du Nord en technologie nucléaire. Leur partenariat stratégique avec l’Inde tourne à la coopération nucléaire. Il faut que Washington préserve ses alliances et cherche à en acquérir d’autres ! Certes ! Mais ce sont autant d’arguments en faveur de la prolifération nucléaire. L’Iran est poussé en ce sens.

Après un rapide rappel du précédent nord-coréen, l’examen portera sur la prolifération nucléaire iranienne et ses conséquences.

Le précédent nord-coréen

La prolifération nucléaire est très difficile à gérer. Du temps d’un monde bipolaire, marqué par les affrontements de la guerre froide, l’évolution de la situation avait failli échapper aux deux camps opposés, ne serait-ce que lors de la crise de Cuba en 1962. L’entrée en lice de la France, se dotant d’une capacité nucléaire, compliquait la tâche des Américains, ce qu’a augmenté la montée en ligne de la Chine, puissance nucléaire intercontinentale, dont l’appareil nucléaire peut menacer les Etats-Unis et encore plus facilement les forces américaines déployées en Asie ou aux approches du continent. La situation devient totalement ingérable lorsque la prolifération atteint un niveau tel que le concept de contrôle nucléaire est définitivement ruiné, parce que le nombre d’Etats possesseurs de l’arme nucléaire devient trop fort, en dépassant le seuil de deux ou trois centres de décision..

Or, c’est bien ce qui se passe à l’aurore du XXIème siècle. Cependant, le concept de non-prolifération nucléaire a été considéré par bien des analystes américains, comme un frein à cette prolifération, non un coup d’arrêt impossible à asséner.

Si ce concept a enregistré quelques succès par exemple avec le renoncement libyen en 2003 à l’acquisition d’une arme de destruction massive, cela n’est pas vrai de la Corée du Nord. Les Nord-Coréens réclamaient des Américains la signature d’un traité de non-agression, en échange de l’arrêt de leur programme nucléaire. En effet, les Nord-Coréens craignaient une intervention armée américaine visant à détruire le régime d’un « rogue state ». Les craintes nord-coréennes ont été avivées par le refus américain répété de signer un tel traité. Les Etats-Unis persistaient à vouloir se réserver la possibilité d’attaquer la Corée du Nord ! Dans l’esprit des Nord-Coréens, la seule parade au refus américain d’un traité de non-agression était ainsi une capacité militaire nucléaire. Il est bien clair que la possession de l’arme nucléaire, même à un stade rudimentaire, celui des bombardements de Nagasaki et d’Hiroshima en 1945, est de nature à préserver le possesseur d’une capacité nucléaire. En effet, les Américains ne pouvaient se permettre de prononcer une attaque à l’encontre de la Corée du Nord, face à la menace nucléaire encourue. La seconde guerre d’Irak n’étant pas encore engagée, les Américains disposaient encore d’une force de projection et pouvaient prononcer une attaque conventionnelle à l’encontre de la Corée du Nord. Cependant, ils étaient réduits à l’impuissance parce qu’ils étaient soumis à une menace nucléaire nord-coréenne sur leurs troupes débarquées. Question : les Nord-Coréens avaient-ils l’arme nucléaire ou leur affirmation positive n’était-elle qu’une rodomontade ? Mais si cela était vrai ! Les concentrations de troupes inévitables au moment d’un débarquement, frappées par la foudre nucléaire représentaient une faiblesse que Washington ne pouvait parer et n’a pas assumée. Une autre possibilité résidait dans une attaque aérienne américaine, nucléaire ou conventionnelle, sur les sites de recherche nucléaire nord-coréens. A cet effet, il fallait être certain du résultat, à savoir une frappe réussie sur l’ensemble des sites et, en deuxième approche, être tout aussi certain de l’incapacité des Nord-Coréens à riposter par des frappes conventionnelles ou nucléaires sur les intérêts américains en Asie, faute de pouvoir frapper le territoire même des Etats-Unis. Aucune de ces deux hypothèques n’a pu être levée, les Américains se sont donc résolus à en rester là et la Corée du Nord est le premier Etat à s’être retiré du traité de non-prolifération, sans dommage. Quant à la perspective d’une invasion américaine, elle est renvoyée à de meilleures calendes indéterminées.

La situation de l’Iran

L’Iran présente en 2006 une situation en tout point semblable, aux plans stratégiques et tactiques. Et c’est ce qui demande à être analysé.

L’Iran est un « rogue state », qu’ont dénoncé les Etats-Unis et qui s’efforce de mener un programme nucléaire militaire depuis au moins 1979, depuis l’attaque irakienne. En fait, cette ambition était déjà celle du Schah. Au début de 2006, les Etats-Unis se trouvent placés devant un dilemme.

Après s’être engagés en Irak et s’y être enlisés, les Américains ont laissé à la troïka européenne, composée des Britanniques, des Français et des Allemands, le soin de régler le problème iranien en ramenant Téhéran dans le droit chemin qui est le respect du traité de non-prolifération. Au niveau du droit, Téhéran avait beau jeu d’exprimer que le traité de non-prolifération prévoyait pour les Etats non-nucléaires une assistance des Etats nucléaires pour atteindre aux technologies nucléaires civiles. Or, il n’en avait été rien et le programme iranien d’enrichissement de l’uranium, prétendait Téhéran, était à destination civile, ce qui avec les modalités adoptées, en toute rigueur, est discutable. Les Russes qui depuis longtemps, avaient une collaboration nucléaire avec les Iraniens leur avaient proposé, avec l’accord de la troïka, un programme d’enrichissement de l’uranium à réaliser par leurs soins. Les Iraniens avaient refusé au motif de leur souveraineté. Finalement toutes les négociations se sont révélées vaines. L’AIEA, après avoir eu accès aux sites de recherche nucléaire iraniens, s’en est vu refusé l’accès et le Conseil de sécurité de l’ONU a été saisi.

 

Le 29 mars 2006, une résolution du Conseil de sécurité, prise à l’unanimité après de très âpres négociations, demande à l’Iran sous trente jours de procéder « à la suspension complète et durable de toutes les activités liées à l’enrichissement de l’uranium ». A défaut, les Nations unies prendraient des sanctions allant de l’isolement politique jusqu’à une intervention armée en passant par un embargo économique.

 

Si les négociations furent si âpres, c’est que l’on envisageait très bien un refus iranien et que deux des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité, la Russie et la Chine, ne voulaient pas que la résolution apparaisse comme une menace tangible de sanctions et pouvaient utiliser leur droit de veto. C’est ainsi qu’au terme des trente jours, donc pour le début mai 2006, le directeur de l’AIEA, Mohamed El Baradeï, par ailleurs accusé d’être sous égide américaine, devait remettre au Conseil de sécurité un rapport sur les suites données par l’Iran à la mise en demeure. Ces suites sont connues, les Iraniens les ont explicitées : ils réaffirment avoir un programme exclusivement pacifique et civil et on peut continuer à en douter, en second lieu ils proclamaient être insensibles aux menaces. Téhéran a donc rejeté l’ultimatum en n’y répondant pas.

 

La France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont aussi envisagé de prendre des sanctions individuelles contre les responsables politiques iraniens, à l’instar de celles qui ont été prises contre les responsables politiques bielorusses. Ces sanctions prendraient la forme d’interdiction de voyager par refus de visas et de gel des avoirs à l’étranger. Il est évident que ce genre de menace relève d’une absurdité, en dehors de l’impossibilité d’obtenir un mandat du Conseil de sécurité. Quant à mettre à profit le délai moratoire pour convaincre les Iraniens de faire enrichir leur uranium en Russie, il semble bien que cela fut peine perdue. Et quand bien même, de quel effet serait une telle mesure et comment empêcherait-elle un programme militaire puisque l’enrichissement de l’uranium n’est qu’un moyen d’une telle visée et non un aboutissement.

 

La véritable problématique n’est pas dans des sanctions individuelles mais dans les moyens de pression qu’ont les Etats-Unis à l’égard de l’Iran pour lui faire abandonner son programme nucléaire militaire. Cela ramène à la problématique précédemment posée par la Corée du Nord et pose l’impératif d’agir avant que l’Iran n’accède à la capacité nucléaire militaire.

En ce qui concerne les sanctions que pourrait décréter le Conseil de sécurité, le problème est entier. Moscou et Pékin, quelle que soit leur répugnance à admettre l’existence d’un nouvel Etat nucléaire, sont opposés à la prise de sanctions, même économiques, à l’encontre de l’Iran. La Russie et la Chine ne veulent pas donner leur aval à une coalition dirigée par les Etats-Unis, estimant que ces derniers acquérraient alors une puissance accrue au Proche-Orient et en Asie Centrale, ce qu’ils jugent inadmissible.

Les options offertes

Afin d’annihiler l’Iran, les stratèges américains, comme tous les autres, en toute première approche, avaient à définir le système politique iranien et son potentiel stratégique défensif, dans le but d’établir une comparaison en regard de leur propre potentiel.

 

Le rapport des forces stratégiques, politiques et militaires

Au plan politique, depuis 1979 et sans qu’il y ait de changement fondamental, l’Iran se définit comme un régime théocratique totalitaire. Aucune force d’opposition interne n’est tolérée au plan légal.

 

En 2006, les forces armées iraniennes développent essentiellement une puissance terrestre. Basée sur la conscription, l’armée de terre aligne 350 000 hommes dont les deux tiers sont des conscrits, répartis en 4 corps d’armée comprenant au total 12 divisions blindées et d’infanterie ainsi que des brigades formant des groupements tactiques indépendants. Le matériel est dépassé, blindés et artillerie datent d’une trentaine d’années.

 

En appui, le corps des Pasdarans, une milice islamique volontaire, ajoute une capacité idéologique non négligeable mais est tout aussi médiocrement armé et instruit.

Les forces armées mettent en ligne quelque 280 avions ayant une valeur combattante mais périmés et incapables de s’opposer à l’aviation américaine.

Une centaine d’avions, résidus de l’aviation irakienne ayant cherché refuge en Iran, en 1991, achève de pourrir dans les hangars. L’entraînement des pilotes est à la hauteur de la médiocrité de leur matériel.

La faiblesse des forces armées iraniennes, surtout en matière d’équipement, s’explique partiellement par l’embargo auquel a été soumis le pays en tant que rogue state. De plus, le pouvoir a voulu surtout favoriser une valeur idéologique plutôt que militaire. En revanche, l’Iran, par moyens internes et en s’appuyant sur une coopération russe et nord-coréenne, s’est doté de missiles Shihab 2 et 3 à portée stratégique régionale, aptes à emporter une tête nucléaire. Faut-il encore posséder cette tête, mais l’éventualité inquiète les adversaires de l’Iran se situant à portée stratégiques des missiles iraniens : Israël, les monarchies pétrolières du Golfe, les implantations américaines civiles et militaires en Irak et dans la région du Golfe.

 

Les forces armées iraniennes se révèlent dans l’impossibilité de mener une lutte offensive contre un Etat, un tant soit peu industrialisé et développé. Tout au plus peuvent-elles conduire un combat retardateur, défensif, avec des chances raisonnables de succès, face à une force moderne d’invasion du type de l’armée américaine, mais sous réserve absolue d’adopter une tactique adéquate. Il s’agit de refuser tout combat rangé en rase campagne au profit d’une guérilla généralisée. Une telle option a été nécessairement envisagée par les Iraniens qui devraient se résoudre à se débarrasser de leur matériel blindé périmé servi par un personnel peu instruit, de surcroît. Il y a là une perte évidente de prestige ! Téhéran en aura-t-il le courage stratégique et politique ?

 

Dans ces conditions, se comprend encore mieux pourquoi Téhéran cherche tant à acquérir une capacité nucléaire militaire.

 

En 2006, les Américains empêtrés dans leur guerre d’Irak, peinent à y maintenir un corps expéditionnaire de 140 000 hommes, qu’il leur faut relever tous les six mois, ce à quoi ils n’arrivent pas et qui explique une combativité en baisse et le recours au mercenariat. Par ailleurs, les Américains doivent entretenir quelque 38 000 hommes en Corée du Sud, presque autant dans l’archipel japonais, avec obligation de relève et près du double en Allemagne et en Europe de l’Est. Il en découle qu’une intervention aéroterrestre contre l’Iran, nécessitant la mise sur pied d’un corps expéditionnaire d’au moins 200 000 hommes, est impossible, compte tenu des effectifs totaux que l’armée de terre des Etats-Unis, Army et Marines réunis, peut rassembler. Une solution consisterait dans la mobilisation généralisée de la Réserve et de la Garde nationale, autrement dit le retour à une conscription partielle, ce à quoi s’oppose une opinion publique, déjà traumatisée par les pertes en Irak, comptabilisées à hauteur de plus de 2300 tués et quelques 11 000 blessés invalides, en mai 2006.

 

L’option politique

A Washington, on a pensé trouver une solution politique par un renversement interne du régime des mollahs et son remplacement par un système qui soit favorable aux Etats-Unis. Il s’agissait de mettre en œuvre avec bonheur un système de subvention engendrant une subversion du type des révolutions de couleurs utilisées dans les républiques anciennement constitutives de l’URSS, jusqu’à ce qu’il y soit mis un coup d’arrêt en Ouzbékistan en 2005 et en Biélorussie en 2006. Ce même système avait été initié contre Saddam Hussein sous forme d’un soutien à une série de complot. Ce n’est que parce que l’échec de l’entreprise avait été patent que les Américains se sont résolus à une action directe.

Le problème en Iran est de trouver une force politique adéquate.

Le fils du Schah en exil aux Etats-Unis, Reza Pahlavi, eut été une solution s’il avait disposé d’un espace politique suffisant, ce qui n’est pas le cas. De plus, il se refuse à prendre en main le moindre engagement politique. Pourtant, les Américains penchent en sa faveur.

La seule opposition un tant soit peu sérieuse est offerte par le Conseil nationale de la résistance iranienne (CNRI), connu aussi sous l’appellation de Moudjahidines du peuple. Mais son implantation la plus forte est en dehors du territoire national où il ne peut avoir qu’une action clandestine. Comble d’ironie, les Américains ne veulent pas soutenir le CNRI parce qu’ils l’ont classé comme mouvement terroriste.

Les Moudjahidines du peuple, composante principale du Conseil national de la résistance iranienne, présentent donc, malgré tout, une solution plus sérieuse. Ils disposent en effet d’une organisation valable en exil et de relais tangibles en Iran. Dans leur lutte contre le régime iranien, ils ont cherché refuge en Irak. Saddam Hussein était trop content d’accueillir des adversaires de l’Iran. Auparavant, les Moudjahidines du Peuple avaient fait alliance avec les mollahs contre le Schah, puis avaient mené contre ces mollahs une lutte acharnée. Or, dans un premier temps, les Américains s’étaient accommodés du régime théocratique iranien, tandis que les Moudjahidines du peuple se proclamaient résolument laïcs. C’est ce qui explique l’inscription du CNRI sur la liste des terroristes patentés dont Washington se refuse obstinément à le rayer. Dans ces conditions comment promouvoir un système politique inscrit sur une liste terroriste ? Ainsi, se trouve close, la dernière solution d’un renversement politique de la théocratie iranienne par un procédé découlant d’une option politique soutenue par les Américains.

 

Les autres mouvements politiques, tous en exil, sont d’une faiblesse insigne.

 

Une intervention aéronavale

Une projection de forces aéroterrestres appuyée par une force navale est en dehors de l’épure pour les raisons tenant aux capacités militaires américaines précédemment analysées. Il en découle qu’une invasion du territoire iranien est impossible. Et ce n’est pas auprès de leurs alliés que les Américains trouveront des supplétifs en regard de la déconvenue irakienne.

 

Intervient alors la solution d’une ou plusieurs frappes aériennes par missiles, éventuellement à têtes nucléaires, doublées de bombardements conventionnels. Le but serait de détruire les centres vitaux de décisions gouvernementaux, économiques ainsi que les installations nucléaires.

 

Or, le système de dissuasion, c’est-à-dire le maniement de la menace de procéder à de telles frappes n’est pas opérant. La menace reste vaine ! A preuve, les Américains ont la capacité de réaliser les frappes et les Iraniens repoussent l’ultimatum de l’ONU ! Dans la continuité, les Iraniens sont

 

accusés de ne chercher dans les négociations que des moyens dilatoires visant à gagner du temps, le temps de l’obtention d’une capacité nucléaire, ce qui, d’évidence, est assez exact.

 

Par ailleurs, les Iraniens ont enfouis leurs sites sensibles, les mettant ainsi hors d’atteinte. De surcroît, les dommages collatéraux, c’est-à-dire des effets sur l’environnement humain et matériel, seront nécessairement importants, en dehors des erreurs de tirs inévitables lors d’attaques aussi massives. Pour finir, tous les sites sensibles n’ont vraisemblablement pas été répertoriés, tout du moins avec la finesse voulue par un bombardement d’une précision telle qu’elle s’apparenterait à une opération chirurgicale. Quant à ceux enfouis et défendus par des couches de béton, ils sont hors d’atteinte d’une arme conventionnelle, comme d’une arme nucléaire, dès que l’installation est à une certaine profondeur.

 

Le résultat le plus vraisemblable serait d’obtenir une destruction incertaine et une réaction violemment négative de la population la soudant autour du régime.

 

Le tir nucléaire

Faute d’autres solutions toutes jugées inappropriées, les stratégies américaines ont préparé et planifié une guerre nucléaire contre l’Iran. Il y a lieu de remarquer que préparation et planification ne veulent pas dire exécution inéluctable. En effet, il est du rôle et du devoir des états-majors de prévoir toutes les hypothèses et donc d’établir une planification à cet effet. Quant à la décision d’exécution, elle est du ressort exclusif du pouvoir politique.

 

Les Américains pourraient agir seuls, mais aussi en coopération avec les Israéliens, éventuellement encore avec les Turcs. En effet, depuis le printemps de 2005, on assiste à une intense activité entre Washington, Tel-Aviv et Ankara.

 

Les frappes nucléaires pourraient être coordonnées avec des frappes conventionnelles, conformément à la Nuclear Posture Review, adoptée en 2002 par le Congrès, autorisant des frappes préventives.

 

Le principe est d’utiliser des armes de très forte pénétration dans le sol, de manière à atteindre les bunkers profondément enterrés. Ces armes nucléaires sont de faibles puissances de l’ordre de 0,1 à 5Kt au plus, de manière à limiter les effets collatéraux au profit de la destruction du seul bunker. C’est ainsi que l’arme B 61-11 est la version nucléaire de l’arme conventionnelle B LU-113. D’autres systèmes existent encore. A vrai dire, la capacité de pénétration en profondeur du projectile B 61-11 est assez limitée. Sa capacité de pénétration dans le sol, lors des essais, n’a pas dépassé 20 pieds, donc de l’ordre de 6,5 mètres, dans un terrain sec et largué à une altitude de 40 000 pieds, soit 13 km. Une augmentation du rendement avec une pénétration supérieure est possible, mais pas avant un horizon se situant au-delà de l’année 2020.

 

L’opération qu’elle comprenne ou non des alliés israéliens ou turcs relève uniquement du commandement américain et est l’objet d’une coordination entre le Pentagone et le Quartier général de l’US Stratégic Commandsur la base aérienne d’Offutt dans le Nebraska.

 

Pour accomplir cette mission, subordonné à l’US Strategic Command, a spécialement été créé un commandement spécial, le Joint Functionnal Componant Command Space ans Global Strike (JFCCSGS). Ce commandement, conformément à la Nuclear Posture review, est chargé d’organiser et de diriger l’attaque nucléaire. Les alliés sont totalement exclus de la planification comme du processus.

 

L’Iran a annoncé qu’il riposterait par des tirs de représailles contre Israël et les implantations américaines en Irak. Par ailleurs, il renforce sa défense en faisant l’acquisition en 2006, de systèmes antimissiles russes TOR M-1. En octobre 2005, une fusée russe a placé en orbite un satellite espion iranien le SINAH-1.

 

La charge du mini-nuke, l’ogive nucléaire de faible puissance, ainsi que l’électronique associée, doivent être protégés efficacement durant la phase de creusement, lors de l’impact, notamment préfigurant la pénétration. En premier lieu une étude théorique poussée a été évaluée. Ensuite, il a bien fallu tester l’arme grâce à une expérimentation qu’a permis l’absence de ratification du traité interdisant complètement les essais nucléaires signés par les Etats-Unis en 1993, mais non ratifié. Ce n’est pas la première fois que les Américains poussent leurs commensaux au désarmement tout en s’en gardant bien eux-mêmes.

 

De toutes les manières, des expérimentations de faible puissance peuvent être réalisées sans risque de détection dans les sites inclus dans de vastes espaces continentaux. Ce n’est pas pour autant que l’image de marque des Etats-Unis s’en trouvera améliorée. Il est vrai aussi, qu’il est impossible de prétendre limiter les dommages collatéraux d’une arme nucléaire à un niveau avoisinant la nullité. C’est impossible. Par ailleurs, le danger d’escalade est avéré.

 

La fenêtre permettant aux Etats-Unis d’agir sans risque de représailles nucléaire est étroite. En effet, l’accession de l’Iran à la capacité nucléaire devrait intervenir en 2007. A ce moment tout comme la Corée du Nord, la donne amènera un changement profond dans le rapport de forces.

 

Le résultat le plus valable et le plus visible de la stratégie américaine est de renforcer la tendance à la prolifération dans la zone et dans le monde.

 

L’éventualité d’une riposte iranienne

Il est bien certain que l’Iran ripostera à une attaque américaine qui ne peut qu’être aéronavale. L’effet de l’attaque doit donc être relativisé en fonction de l’efficacité des armes et du frein qu’oppose la nécessité d’éviter des dommages collatéraux pourtant inévitables. La seule inconnue réside dans l’étendue de ces dommages.

 

Cependant, l’Iran dispose encore d’une autre possibilité autrement plus efficace : celle de soulever les chiites contre les Américains et leurs alliés. Aussi bien les chiites majoritaires en Irak que les chiites minoritaires dans les pétromonarchies. Cela inquiète et explique pourquoi les monarques du Golfe sont opposés à une intervention américaine. D’autre part, les Iraniens disposent de l’ensemble des mouvements terroristes Hezbollah opérant sur toute l’étendue du Proche-Orient comme dans le monde.

 

Une autre riposte mécanique se fait jour : la rumeur d’une intervention américaine ou un embargo économique sur l’Iran a provoqué une hausse du baril de pétrole flirtant désormais avec les 75 dollars. Un baril à 100 dollars apparaît désormais vraisemblable. En effet, la pénurie de pétrole est entretenue par la volonté américaine de maintenir des stocks conséquents comme par la correspondance assez étroite de la consommation avec la production, sans pratiquement aucune marge. A rappeler que la consommation américaine atteint de l’ordre du tiers de la consommation mondiale et que la production américaine est notoirement insuffisante.

 

La seule contre-mesure américaine serait d’en revenir à une inflation annulant les hausses spéculatives du baril, mais les conséquences sont incalculables.

 

Un point est passé sous silence absolu dans les médias autant que dans les rapports de l’AIEA. Quel est l’apport pakistanais à la recherche nucléaire iranienne ? Le père de la bombe pakistanaise, Abdul Qaeder Khan, déjà accusé d’avoir fourni des centrifugeuses à la Corée du Nord pour enrichissement de l’uranium, n’a-t-il pas fourni de l’uranium hautement enrichi, à destination militaire, à l’Iran, en 2001 ? On se demande s’il n’a pas continué et en ce cas la recherche de site iranien d’enrichissement de l’uranium est un leurre développé au seul but de prétendre stopper une marche inéluctable vers l’accession à la puissance nucléaire. Quel est l’apport exact de la Russie dans l’obtention iranienne de l’arme nucléaire ?

 

Cependant que fait-on, au niveau du Conseil de Sécurité, comme de l’AIEA pour établir une certitude sur le démantèlement du réseau nucléaire d’Abdul Qaeder Khan ? Le Pakistan, tout comme les Etats-Unis refusent toute inspection de l’AIEA sur leur sol. Et Téhéran a reconnu des importations d’uranium enrichi.

 

Il est vrai que le Pakistan est désormais l’allié des Etats-Unis ce qui amène le président Musharaff à être un chaud partisan des droits de l’homme ! Il n’y a que lui qui affiche une certitude aussi ferme sur ce sujet !

 

La prolifération nucléaire a de beaux jours devant elle et à commencer par les Etats du Golfe et la Syrie, avec en continuité l’Asie Centrale.

 

Washington a commis une erreur majeure en assurant les conditions conduisant à la promotion de l’arme nucléaire.

 

Il est vrai que jamais aucune arme n’a disparu autrement que par obsolescence.

 

La conséquence directe de l’état de fait qu’est la prolifération nucléaire est que l’Iran est apte à posséder une capacité nucléaire en 2007. Aucune sanction ne sera prise contre Téhéran qui fournit déjà un exemple probant, tout comme la Corée du Nord.

 

Le 17 mai 2006, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad, dans un discours public, annonce rejeter catégoriquement les propositions de l’Union européenne sur un programme nucléaire iranien. Il répète son argumentation : il ‘y a aucune raison pour que la possession de l’arme nucléaire soit une exclusive de certains pays. Toute suspension, à ce sujet, « a été une expérience amère pour le peuple iranien ».

 

La France est profondément impliquée dans le problème parce qu’elle a signé des traités extrêmement contraignants avec les Emirats arabes unis et le Qatar. Or, en cas d’attaque américaine à l’encontre de l’Iran, suivi d’une riposte sur les alliés américains, les Emirats arabes unis et le Qatar seraient susceptibles d’exiger de la France qu’elle respecte sa signature.

 

Le Proche et le Moyen-Orient sont donc nucléarisés sans rémission. L’arme nucléaire est en voie d’une banalisation irrémédiable. On peut le regretter, on ne peut que s’incliner devant le fait.

 

Aux Français, en ce qui les concerne, d’en tirer les conclusions. Pour les Américains, c’est réalisé !

 

 

* Président de Démocraties

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